Spencer ferma les yeux, prit sa tête entre ses mains et poussa un long soupir. Le bureau est vide, il n'y a aucun bruit. Le jeune n'entend que le tintement incessant de l'horloge mural. Bientôt une heure. Tic-tac, tic-tac. Une seconde en moins.
En temps normal, ce sanctuaire représente pour lui bien davantage que son propre appartement. Ici, tout est possible. Ici, les familles se recomposent. Ici, les réponses se font, et la vérité flamboie. Et surtout, surtout, ici, il n'est jamais seul. Du matin au soir, le bureau est envahi d'un brouhaha continu, rires, cris, larmes, téléphone, conversations. Ici il n'est pas seul, ici, il ne réfléchit pas. Tous, ses coéquipiers, ses amis, le lui reprochent souvent pourtant. « Tu réfléchis trop, Reid ! Détends-toi ! » Mais ils se trompent. Tout ce qu'il déclare, tout ce qu'il démontre, tout ce qu'il raconte ou explique, tout est ancré quelque part dans son cerveau. Il ne réfléchit pas ; il sait, c'est tout. S'il devait réfléchir, alors il y penserait. Il penserait à ces mots qui tourbillonnent devant ses yeux lorsqu'il ferme les paupières, ces mots qui le hantent dans le noir. «Psychosomatic causes». Ou comment un doctorat peut vous apprendre à cacher les pires condamnations sous des termes scientifiques. «Psychosomatic causes». Et voilà ces maux de tête qui reviennent, semblant poignarder ses tempes, chaque fois un peu plus fort.
De rage, Spencer frappa soudain du poing sur la table. Non ! Il ne l'est pas. Il ne l'est pas. Le jeune homme se leva brusquement de sa chaise, puis se rassit. Et inspira de nouveau. Il faut qu'il se calme. Et si jamais il l'était ? Et si jamais ses douleurs n'étaient pas physiques ? Les pires démons ne sont pas ceux qu'il arrête, mais bel et bien ceux de l'esprit. Et parfois… ils gagnent. Son regard se posa sur sa carte, celle qu'il s'amusait à faire apparaître derrière des barrettes, il n'y a pas si longtemps. Sa gorge se serra, il aurait tellement aimé faire sauter cette foutue épée de Damoclès par un tour de passe-passe.
Souvent, pendant les enquêtes, il lui suffit d'un élément. Un seul petit élément, un fait, un mot, un geste, une seule petite chose et soudain c'est l'éclair. Celui là même qui lui vaut la réputation de génie. Comme si d'un coup, son esprit s'éclaire, et tout semble évident. La réponse apparaît, la question disparaît, rien n'est plus simple. Mais comment faire lorsque la question n'existe pas ? Comment faire lorsque seule demeure l'affirmation aux airs sentencieux, cachée par les doutes et cet espoir ? Comment faire lorsque plus rien n'est sur, plus rien n'est vrai. Plus rien n'est fiable, tout est menace. Comment faire ? Que faire ? Tic-tac, tic-tac. Une seconde en moins. Chaque instant qui passe est peut-être un pas de plus vers l'échafaud.
Spencer leva la tête. En attendant, il lui faut prétendre, et jouer le jeu. Tout va bien. Le génie imperturbable, le génie aux mille savoirs ne peut qu'aller bien. Jamais il n'en ira autrement. Confier, c'est avouer, et après tout, toute sentence peut être de fait réfutée ou objectée. Le jeune homme tendit le bras et attrapa son sac qu'il posa négligemment en bandoulière sur son épaule. Avant de s'engouffrer dans l'ascenseur, il marqua une courte pause pour contempler son reflet dans la vitre d'un bureau voisin. Ce soir, les fantômes dansent devant ses yeux, mais après tout, rien ne peut condamner Spencer Reid. Tic-tac, tic-tac, une seconde en moins, le temps déborde.
