Chapitre 1

Mr Strife avait rejoint le boulevard Saint-Martin aux alentours de dix heures. Il inspecta sa montre à gousset, et releva la tête. Il scruta les passants discrètement. Il baissa la tête, serrant ses manuscrits sous son long manteau beige. Il ne prit pas le risque de les laisser prendre l'eau. Son encre était certes d'excellente qualité mais, contre la pluie elle n'avait plus ses chances. Il avait enfin terminé son premier recueil. Ses quarante-sept poèmes ne le satisfaisaient pas complètement. Quelque chose…Quelque chose manquait. Une chose forte, comme anonyme qu'il distinguait au cœur d'une brume qui ne se levait jamais.

-Cloud !

La voix de son maître venait de retentir. Cette voix légère et agréable, qui devenait si puissante lorsqu'elle lui livrait ses meilleurs vers. Chacun de ses vers étaient un cadeau de Dieu, et Cloud en était persuadé. Genesis était inspiré des cieux. Il le chercha du regard. A droite à gauche. Enfin, Genesis lui fit face et le saisit par les épaules. Il protégea Cloud sous son parapluie.

-Je parie que je t'ai fait attendre.

-Un peu, seulement.

-Allons, tu es jeune. Tu as toute la vie pour attendre la mort, et une partie de ton existence pour m'attendre moi !

Le rire de Genesis. Cloud sourit. Ces situations l'apaisaient.

-Bon, allez. Viens !

Cloud s'assied à la table miteuse mais chaleureuse du bar de l'Embrume verte. Alors que Genesis disposait un peu de tabac au creux de sa pipe, le jeune Cloud parcourait ses feuilles abimées. Oh, ce n'était pas de la faute de la pluie. Parfois, Cloud hésitait à déchirer ses pages, jugeant les rimes trop embêtantes ou les contextes trop légers…Insipides.

-On dirait que tu n'as rien écrit, souligna Genesis en levant les yeux vers Cloud.

-J'ai écrit quarante-sept poèmes, Genesis.

-Et alors ? On écrit souvent du vent.

Cloud était sur le point de rougir de honte, vexé par les propos de Genesis.

-Mais tu ne m'as jamais habitué au vent, petit Cloud. Trêve de modestie. Lis !

Le jeune Cloud soupira. Il se mordit les lèvres, puis approcha le manuscrit sous ses yeux. Genesis commença à fumer, très attentif. Un serveur un brin négligé déposa deux verres d'absinthe sous le nez des deux hommes. Il ne s'attarda pas, et s'éloigna aussitôt après les avoir servi, froid comme l'air glacé de l'hiver parisien. Et pourtant, c'était l'automne.

Les plaies s'écaillent et se brisent sous nos pas,

Elles sont frêles et s'éteignent à moitié.

Les loups ont dévoré leurs chairs,

Et se disputent leurs corps déchirés.

Genesis hocha la tête.

La lune des morts disparaît sous les nuages,

Et emporte dans son sillage

Les lueurs de ce monde.

Genesis leva un doigt.

-Oh ! Mais, ce poème est très sombre Cloud. On dirait même que c'est de moi !

Flatté, Cloud déglutit avec difficulté.

Dieu a abandonné ses enfants,

Et sous les linceuls de nos couvents,

Les orphelines pointent du doigt

Un Messie sans croix.

Genesis haussa les sourcils. Cloud posa son manuscrit et poussa un soupir de soulagement. Sa voix avait tremblé, comme à chaque fois qu'il lisait ses vers à Genesis. Il releva les yeux vers lui. Ce dernier était figé.

-C'est tout à fait païen ce que tu écris là.

-Est-ce mauvais ?

-Tout à fait. Tu deviens un véritable poète, petit Cloud.

Cette fois-ci, Cloud rougit brutalement. Genesis serra sa pipe.

-Comment s'intitule ce bijou ?

-La Peste.

Genesis émit un faible rire. Il porta le verre d'absinthe à ses lèvres, et bu quelques gorgées.

-Bientôt, tu ne me considéreras même plus comme ton maître !

Il poussa un soupir. Cloud fronça les sourcils.

-Ca m'étonnerait. Vous resterez toujours mon maître pour la poésie, Genesis. Vous m'enseignez cet art depuis plus de dix ans.

-La poésie ne s'enseigne pas, tu devrais le savoir pourtant.

Cloud ne répondit pas. Il scruta les gestes de Genesis. L'odeur de la fumée à pipe était très agréable.

-Elle se vit.

Le jeune poète hocha la tête. Maître Genesis se leva, et fit signe au gérant du bar. Un très bon ami, puisqu'il ne payait aucune de ses consommations. Certains artistes de rue de renom le saluèrent et Genesis hochait fréquemment la tête. La pluie avait cessé, et Genesis utilisait son parapluie comme s'il s'agissait d'une canne. Contrairement au jeune Cloud, vêtu de la parure du jeune bourgeois, Genesis n'apportait pas une apparence des plus flagrantes à l'apparence, privilégiant l'attitude. Cette tendance agaçait. On le disait très riche. Mais Cloud ignorait beaucoup de choses au sujet de son maître, qu'il fréquentait pourtant depuis sa plus tendre enfance. Un mystère planait autour de lui. Une aura qui empêchait d'en savoir trop. Genesis n'avait que dix-sept ans, lorsque Cloud vint à lui. Le poète en herbe, très précoce avait été touché par sa poésie, dés lors son destin s'était écrit. Et il écrirait son destin, en vers ou en prose. Genesis répétait souvent qu'il était un immortel. Qu'un écrit quel qu'il soit perdure dans le temps, et ne s'efface jamais. La phrase et le mot diffèrent du cœur, fragile et humain. Il se plaisait à défier la mort, et Cloud s'en inquiétait parfois.

La balade de cette journée fut particulièrement agréable. Et, lorsque le soir vint, Cloud quitta Genesis pour retourner chez lui. Une demeure vaste et luxueuse. Foisonnante de beautés et d'antiquités. Cloud était conscient de la valeur de chaque objet de cette maison. Sa mère adoptive, Aerith lui avait légué les lieux quelques années auparavant en quittant ce monde. La belle avait été frappée d'un mal incurable, une tuberculose foudroyante.

Cloud déposa son manteau sur le bureau acajou, aux côtés du portrait rayonnant de la belle Aerith. Il y jeta un regard, puis détourna les yeux. Sept ans étaient passés, et pourtant, la douleur n'avait pas diminuée. Elle s'était même encrée à son cœur. Une torture omniprésente. Quelques notes de piano se firent entendre.

Cloud releva la tête, et rejoint le salon. C'était vraisemblablement du Beethoven. Il n'y avait que lui pour savoir en jouer, et surtout pour l'interpréter aussi bien.

-Zack.

Ce dernier ne s'arrêta pas de jouer. Il tourna la tête, et sourit.

-Cloud, je ne pensais pas que tu allais rentrer ce soir.

-Pourquoi ?

-Genesis est un brin fêtard. Je pensais qu'il allait encore t'emmener dans ces endroits, tu sais…Les fumeries.

Cloud haussa les épaules.

-Il y va pratiquement tous les soirs, mais il m'a toujours interdit de le suivre.

Zack cessa de jouer, et se redressa.

-Il a bien raison.

Le jeune Zack sourit. Il était l'aîné de Cloud. Aucun lien de sang ne les unissait, mais ils avaient grandi tous les deux ensemble et Aerith les avait recueilli l'un et l'autre. Pourtant, Cloud n'avait jamais considéré Zack comme son frère. Un lien les unissait, et il ne s'agissait pas d'un amour fraternel. Oh, Cloud n'éprouvait pas de sentiment amoureux pour Zack, ni de l'attirance… ? Il s'était toujours montré très protecteur avec lui, et avait apprécié cette attitude bienveillante et loyale. Zack était de ces enfants prodiges, aux doigts de fée. Très tôt (bien avant que Cloud ne commence à écrire ses vers), Aerith lui avait fait découvrir le piano. A une vitesse folle, Zack avait réussi ses arpèges, composant ses propres symphonies. Son talent en avait attiré plus d'un, et Zack était très convoité. Ces derniers temps, l'opéra de Paris lui faisait de l'œil. Son rêve se réaliserait alors et il pourrait même proposer ses projets de ballets. Il prit Cloud dans ses bras. Ce dernier ferma les yeux.

« Tes poèmes lui ont plu ? »

Cloud hocha la tête positivement. Il sourit.

« Tu as beaucoup de talent, Cloud. »

Son regard. Son sourire. Cloud s'éloigna, et s'affala sur le divan, à côté de la véranda aux multiples fleurs. Des plantes du temps d'Aerith, dont Cloud s'occupait avec ferveur tous les jours.

-J'aimerais en dire autant. J'aimerais le penser.

Il inspecta un bouton de rose, sous le regard perplexe de Zack.

Cloud poussa un bref soupir et releva les yeux vers son ami.

-Ce que j'écris plaît. Mais ce que j'écris ne me plait pas. C'est comme si tout était devenu mécanique, Zack. Je ne suis pas un poète.

Zack s'assied aux côtés de Cloud, sur le divan.

-Pourtant, tu as tout d'un poète. Le talent. L'âme…

-L'inspiration, coupa Cloud, je n'ai pas l'inspiration. Zack, je ne veux pas passer ma vie à écrire les banalités de la vie et les mystères de la mort.

Il se tourna vers lui, comme inquiet.

-Je veux que ma poésie soit puissante. Je veux qu'elle change les choses. Qu'elle change le monde. Qu'elle change la poésie même ! Qu'elle me change moi. Je…Crois que tu es bien placé pour me comprendre. Tes notes et tes morceaux… Cette énergie, tu la puises bien quelque part, n'est-ce pas ?

Zack sourit. Il contempla le visage de Cloud, hésita à porter une main à ses joues. Il ne fit rien, laissant parler le jeune poète torturé.

-Je ne sais pas si c'est un lieu ou une personne qu'il me faut je… Je veux quelque chose… De différent.

Zack hocha la tête. Il plissa les yeux et saisit la main de Cloud.

-Un voyage ? Proposa t-il, tu n'as jamais quitté Paris.

Cloud se figea. Comme illuminé il entrouvrit les lèvres.

-Un…Voyage…, répéta t-il comme s'il venait de faire la découverte du siècle.

-Oui. Tu peux te le permettre, Aerith a…

Un silence s'installa.

-Tu peux te le permettre, reprit-il.

Cloud hocha la tête.

-Maintenant, la question est…?

Zack fronça les sourcils.

« Et bien… Il y a ce château dont tout le monde parle. En Ecosse. Black Wing Castle. J'ignore s'il s'agit d'une rumeur ou d'une fantaisie réelle, mais l'on dit ce lieu enchanteur. Certains disent même qu'il n'appartient pas à notre monde. C'est ce que tu cherches, hein ? Quelque chose… Qui change notre monde ? »

Cloud sourit. Il se jeta dans les bras de Zack, et poussa un rire léger, cristallin. Ses yeux se posèrent sur le portrait d'Aerith et il sourit d'avantage.