Chapitre 1 :

Gabriel soupira.

Il se sentait bien. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas pu se laisser aller, qu'il devait rester sur ses gardes, ne rien laisser transparaitre. Mais à cet instant, même s'il gardait une certaine réserve qui lui était propre, les mains rudes qui parcouraient son torse dénudé dégelaient sans aucun doute son tempérament. Etan, l'aide palefrenier se pressait contre lui, laissait ses mains effleurer et caresser sa peau brulante. Ses lèvres l'embrassaient avec passion. La chaleur du jeune homme le tenait à l'abri du froid qui régnait dans l'écurie. C'était excitant, renversant même. Mais il avait peur.

Peur qu'on ne les surprenne.

Peur que malgré les précautions qu'il avait prises, Etan ne le trahisse plus tard. Il serait si facile de le faire chanter en menaçant de révéler sa nature, lui le second fils du seigneur. Si facile de ruiner sa vie.

D'un autre coté, il savait qu'Etan prenait du plaisir à le toucher, à parcourir de ses lèvres sa peau douce et parfumée. Gabriel avait bien vu l'envie dans le regard du jeune homme. Cela faisait deux mois qu'il lui tournait autour, qu'il sentait son regard le suivre lorsqu'il passait devant lui, que ses yeux cherchaient les siens quand il lui amenait son cheval. Deux mois qu'il répondait peu à peu à ces signes, sondant le terrain. Et à présent il embrassait cet être qui par son regard brulant et son corps de rêve mettait en ébullition ses sens. Le palefrenier avait de bonnes raisons de garder le silence.

Il se ressaisit. Malgré sa crainte d'aller plus loin il tenait à profiter du moment. S'il devait se faire tuer par son père le jour où il découvrirait la réalité de sa nature alors autant vivre pleinement, songea-t-il alors que la main d'Etan s'aventurait dans son pantalon pour agripper sa fesse droite.

Il ne put retenir un gémissement lorsque la main de l'aide palefrenier se referma sur son désir. « Ahhh… fais moi oublier… » Pensa-t-il en se mordant la lèvre, submergé par l'émotion et ses sensations.

Oublier que ses penchants faisaient de lui un monstre aux yeux de la majorité. Oublier le regard méprisant que son père posait sur lui à chaque fois qu'il l'apercevait. Oublier que même en dix-huit ans d'efforts il n'avait jamais réussi à s'élever au niveau de son ainé, Crystal. Il n'était ni musclé, ni particulièrement grand ou viril comme l'étaient son frère et son père. Oublier qu'il n'était qu'une déception. Ne penser qu'au corps chaud et musclé qui se pressait contre sa peau, qu'à ces lèvres pulpeuses qui lui murmuraient des mots doux et des encouragements. Il en voulait plus. Il avait enfin une occasion d'assumer complètement et totalement les pulsions de son corps.

Etan lui attrapa le menton et fixa son regard empli de désir dans le sien, semblant attendre une autorisation. Gabriel ne le fit pas attendre :

-« Vas-y… » Souffla-t-il.

Etan enfouit son visage dans sa chevelure de feu et fit descendre ses mains le long du corps de Gabriel qui se pressait avec ferveur contre son torse.

Une main gantée de fer surgit dans le champ de vision du jeune noble et attrapa violemment l'épaule d'Etan pour l'éloigner de Gabriel.

-« Que se passe-t-il ici ?! » tonna une voix masculine.

Gabriel, sut alors qu'il était fichu, son père l'avait découvert.


-"Tu es une honte pour cette famille !" Assena violemment son père.

Le seigneur des lieux l'accablait depuis un bon quart d'heure. A chaque reproche les épaules prostrées de Gabriel étaient animées d'un léger tressaillement mais son visage restait impassible. Seule la raideur de son regard laissait deviner la tension qui l'animait.

-"Non seulement tu me fais défaut en tant que fils de part ton incapacité à vraiment te démarquer au combat ou à chasser de façon un tant soit peu convenable, mais il faut en plus que tu te laisses tenter par une telle hérésie ! Je le savais que te laisser lire autant de satanés livres ne ferait jamais de toi un homme dont je pourrais être fier."

-" Père…" Gabriel tenta pour la première fois de prendre la parole.

Il ne pouvait pas le laisser accuser ses lectures comme les origines de sa… bizarrerie ! Son père n'avait eu de cesse de réprouver son amour des livres mais ceux-ci lui permettaient de s'évader, de se créer un monde où il n'était pas un paria, un étranger même pour sa propre famille.

-"Je t'interdis de m'interrompre !" tonna le seigneur. "Tu t'es peut-être cru autorisé à violer les lois de la morale et de Dieu dans ma maison, dans mon domaine, mais ne t'avise pas de me manquer de respect."

Le jeune homme serra les dents. Son père était un homme froid et calme et toute sa vie durant il l'avait connu ainsi, apprenant lui-même à toujours être impassible. Mais jamais sa voix n'avait été aussi glaciale. Aussi acérée qu'un poignard qui chercherait à transpercer son cœur.

-" Puisque tu ne te sens apparemment pas concerné par les règles qui régissent ces terres et que mon autorité de père ne te retient pas de commettre des actes aussi condamnables, tu n'as plus ta place ici."

Gabriel leva un regard paniqué vers son père. Ils se garda en revanche de prononcer un seul mot, ne voulant pas empirer sa situation.

-" Tu ne fais plus partie de cette famille Gabriel. Tu n'es plus digne de porter le nom de Camus". Le visage de l'homme était dur comme l'acier et ses paroles étaient irrévocables. "Demain à l'aube tu quitteras le domaine. Tu es libre de prendre ce que tu souhaite parmi tes affaires. Mais ne l'oublie pas, à partir de maintenant et pour le reste de ta vie, que tu mènes une vie prospère ou misérable, honnête ou dans le feu de la honte, tu n'es plus un Camus. Je ne te laisserai pas tacher le nom de cette illustre famille."

A ces mots, pour la première fois depuis des années, Gabriel ne put retenir les larmes silencieuses qui coulèrent sur ses joues.

Au plus profond de lui-même son âme hurlait de désespoir.


Gabriel serrait les dents. D'un geste rageur il lança violemment un de ses vestons en direction de son baluchon. Puis il inspira profondément, les épaules raides et les poings crispés. Il perdait son calme, ses pensées perdaient leur cohérence et formaient un amas tourbillonnant sous son crâne, l'empêchant de réfléchir.

Il tenta de se ressaisir. Il se devait de réfléchir. Tout son monde s'écroulait autour de lui. Ce n'était pas le moment de laisser éclater sa rage, son impuissance face à l'injustice qui lui faisait face.

Préparer ses affaires afin d'être prêt à affronter seul un monde dont il n'appréhendait pas encore ni la complexité ni l'ampleur, voilà ce à quoi il devait consacrer son esprit. L'hiver faisait rage dehors. Se tromper dans le choix du peu d'affaires qu'il pouvait transporter lui serait fatal. Il devait aussi vérifier l'état de son épée et de son arc s'il voulait pouvoir se défendre et chasser. Il devait prendre de la nourriture aussi. Sa gourde, sa pierre à affuter, de l'argent…

Il laissa lentement sortir l'air contenu dans ses poumons tout en s'évertuant à relâcher ses muscles. Voilà, il recommençait à penser logiquement. Parfait. Il s'avança vers le linge qu'il avait si violemment jeté pour le replier avec soin. Il serait stupide de laisser s'abimer ses affaires précocement à cause d'un mauvais rangement. Il n'avait pas le droit à l'erreur. Les terres de son père étaient situées très au nord du pays et les rares habitations où il aurait pu trouver du travail dans ces contrées neigeuses appartenaient au domaine des Camus. Son voyage serait donc assez long avant de pouvoir se faire embaucher.

L'angoisse le submergea alors. Il serait seul durant ce périple et il avait peur. La vraie solitude lui était inconnue. En effet, s'il avait des difficultés à se lier aux autres, à ce faire des amis depuis quelques années à cause de son éducation et de sa différence, jamais il n'avait été livré à lui-même, toujours avait-il eu quelqu'un vers qui se tourner en cas de danger.

Ses mains tremblaient et il avait l'impression que ses entrailles faisaient des nœuds dans son ventre. Il se laissa tomber accroupi sur le sol. Il entoura avec force ses jambes pour les plaquer contre son torse, comme si cela pouvait amoindrir les sentiments d'abandon et de désespoir qui emplissaient son cœur. Il bascula sur le tapis qui recouvrait le sol, prostré. Une plainte s'échappa de sa gorge alors que des larmes se mirent à courir su la peau douce de ses joues.

Il resta ainsi une heure. Peut être deux. La noirceur de la nuit semblait à son paroxysme. Il était temps de finir de préparer ses affaires. Le cœur lourd mais l'esprit plus clair que jamais, comme animé d'une détermination nouvelle, il s'attela à cette tache jusqu'à l'heure de son départ.


Vers huit heure Gabriel alla se poster dans le hall d'entrée de la demeure. Il avait déjà préparé son cheval qui l'attendait harnaché à l'extérieur, chargé de ses affaires.

Aux écuries il n'avait pas vu Etan. Il espérait que son père n'avait pas été trop sévère avec le jeune palefrenier. Un frisson lui parcouru le dos à l'idée des horreurs qu'il avait potentiellement pu subir. Il s'en voulait d'entrainer une tierce personne dans sa tourmente.

Un mouvement en haut des escaliers attira son regard. Son frère Crystal s'était adossé au mur et le fixait de son regard pâle. Ils ne s'étaient jamais vraiment entendus, mais l'idée de ne jamais revoir son grand frère lui pinçait le cœur. D'autant que son ainé ne semblait pas vouloir descendre lui dire au revoir.

Puis ce fut au tour de son père de s'approcher du haut des marches. Gabriel pouvait distinguer sa mère en retrait. Il savait qu'il lui avait brisé le cœur, il le regrettait… Elle était la seule qui semblait l'aimer tel qu'il était, même si elle aimait avec discrétion et retenue.

Son père posa sur lui son regard perçant et hocha la tête. Il était temps pour lui de partir.

Gabriel leur tourna le dos pour aller vers la porte et posa sa main sur la lourde pièce en chêne. Il se mordilla la lèvre avant de prononcer faiblement :

-"Adieu".

Puis il poussa avec force le bâtant et sortit dans la cours. Il se dirigea vers son cheval d'un pas déterminé.

Il était temps pour lui d'aller à la rencontre de sa nouvelle vie.