Hello tout le monde! J'espère que vous allez bien, que vous passez de bonnes vacances et que vous en profitez pour lire ou écrire! :3
Bon me voilà pour un Matoine. Me huez pas tout de suite! Je sais qu'il y a une recrudescence de Matoine depuis le début des vacances mais cet OS, je l'ai en couveuse depuis mi-mai.
Me revoilà donc avec ce Matoine. :) J'ai encore pas mal de projets et d'OS en réserve en dehors de celui-là.
Cet OS est sous-titré "On se tuera", le titre que je voulais lui donner d'abord avant de me raviser.
Bon alors encore une fois, je ne sais rien de leurs vies, tout ceci est purement fictif et bref...!
Enjoie :3
Comme pour beaucoup de choses, ce qui nous est arrivé s'est annoncé par quelques détails qui, portés par la quotidien, me semblaient si insignifiants…
Ce mercredi aurait dû être banal : nous avions prévus de simplement passer un peu de temps ensemble rien que tous les deux. Ca avait toujours eut un effet bénéfique sur nous d'être réunis, bercés par la douceur et la joie du moment que nous partagions.
Tu m'as paru complètement ailleurs dès que tu es arrivé chez moi.
Tu m'as salué d'un vague surnom qui m'avait laissé une désagréable impression de fadeur. Je n'y ai pas prêté attention plus longtemps puisque tu es vivement parti t'assoir sur le bord du canapé noir, plus tendu que jamais.
Je suis allé nous chercher à boire en sifflotant et lorsque je suis revenu, tu as levé ta tête vers moi en jouant nerveusement avec ta gourmette en argent. Tu maltraitais tes lèvres de quelques durs coups de dents lorsque tu m'as demandé de m'assoir en précisant que tu avais quelque chose d'important à me dire. Devant mon visage aux traits sans doute crispés d'inquiétude tu as difficilement bafouillé que ce n'était rien de grave.
Si tu savais à quel point ça l'était…
Avec une douceur infinie, tu as pris mes mains dans tes paluches et a fixé tes yeux sur mon regard azuré. J'étais aussi captivé qu'impatient et angoissé.
Tu as cherché une bouffée d'air à avaler goulûment pour te donner du courage et dans un murmure, tu t'es précipité de m'avouer ce que tu avais à me dire tant que tu en avais encore l'aplomb et la force de le faire :
-Mathieu… Je-je crois que je t'aime.
Le silence est tombé et il me semble que je me suis arrêté de respirer jusqu'à ce que tu reprennes :
-J'avais vraiment besoin de te le dire, après tout ce temps… Je…J'en pouvais plus tu comprends…
Tu as baissé la tête pour cacher tes pépites embuées de tristesse.
-Mais… Mais si ce n'est pas réciproque, je comprends hein, y a pas de soucis. J'irais juste me cacher pendant quelque temps. , as-tu tenté de plaisanter.
J'ai posé ma main sur ta joue d'un air hébété.
-Antoine, tu es sûr que ça va ?
J'aurais pu prendre ta soudaine déclaration pour une blague si je n'avais pas repéré dans tes yeux ta sincère anxiété quant à ma réponse, cette nervosité que j'avais apprise à déceler chez toi après tout ce temps. Après ces deux années de vie commune…
-Ca irait mieux si tu me disais à quoi tu penses. Je stress là. , as-tu finalement déclaré d'une voix fêlée qui m'émut.
J'ai plongé mes doigts dans tes cheveux en fronçant discrètement les sourcils.
-Mathieu…, as-tu supplié dans un soupir paniqué.
Je me suis repris et t'ai répondu d'un ton prudent:
-Antoine, tu le sais que je t'aime, non ? Ca fait trois ans qu'on est ensemble et deux que tu vis quasiment tout le temps ici.
Ca a été à ton tour de me prendre pour un fou dans une moue silencieuse. Mon cœur s'est pressé quand j'ai remarqué ton air infiniment triste et perdu. Tu ne te souvenais pas.
Je t'ai imaginé te diriger vers mon appartement, fébrile d'impatience quant à cette soit disant révélation à me faire, presser le bouton de l'interphone en ignorant complètement que tu avais un double des clés juste là dans la poche droite de ton blouson.
Je n'ai rien dit. Je t'ai embrassé tendrement sur le front et prit ta main pour t'entraîner avec moi quand je me suis levé du canapé.
Tu m'as suivi jusqu'à notre chambre que tu semblais découvrir pour la première fois avec les grands yeux d'un enfant qui observe silencieusement le monde pour enregistrer le plus d'informations possibles.
J'ai ouvert l'armoire pour te montrer tes t-shirts mi pliés mi en boule à côté des miens. L'incompréhension s'est un peu plus renforcée sur ton visage et j'ai retenu un soupir triste, réellement inquiet.
Je t'ai pris par la taille pour t'attirer avec moi jusqu'à la table de chevet où trônait une photo de nous. Tu t'es détendu à mon contact même si tu ne comprenais pas ce qu'il se passait. Tu t'es penché pour ramasser le cadre et le regarder de plus près. Je me suis laissé aller au bonheur de voir la photo et l'ai une énième fois détaillée : nous deux, les yeux dans les yeux alors que tu léchais délicatement une goutte de glace sur mon nez tandis que je riais aux éclats en te mettant le cornet sur le menton. Notre proximité était évidente. L'éclat dans nos yeux aussi.
Tu m'as longuement regardé, hésitant, puis tes yeux se sont illuminés comme si tu te réveillais peu à peu.
-Je suis désolé Mathieu, je ne… Je ne me souvenais pas.
Tes yeux papillonnants de gêne m'ont attendri une fois de plus et je me suis blotti dans tes bras. Tu as longuement caressé mon dos en répétant que tu étais désolé, parsemant le haut de mon crâne de baisers.
Les jours qui ont suivis ont été tellement radieux et dénués d'incidents de ce genre que je me suis ravisé d'appeler un médecin pour cette perte de mémoire inquiétante comme je comptais le faire.
Je m'en veux pour ça. J'aurais dû le faire tant que je le pouvais.
Tu faisais tout ton possible pour détourner notre attention de cet étrange moment. Ce masque était apaisant, rassurant mais terriblement faux, même si nous avions tendance à nous persuader du contraire.
C'est peut-être pour ça que lorsque tout nous a rattrapés de manière rapide et inattendue, ça a été comme un grand coup de maillet dans les fondations de notre vie de couple. Et j'étais loin d'imaginer que ça ne serait que le premier choc.
Une nuit, je me suis réveillé en sursaut en entendant des bruits étranges quelque part dans l'appartement.
J'ai tout de suite pensé à toi. Sans avoir à regarder si tu étais dans le lit, je savais d'instinct que je ne t'y trouverai pas et, inquiet, je me suis aussitôt levé pour me diriger silencieusement vers l'endroit d'où provenait l'activité.
J'ai ouvert la porte de notre chambre et passé prudemment la tête dans le salon où se diffusait une légère lumière. Je me suis avancé pour me rendre jusqu'au pas de la porte de la cuisine mais n'avançai pas plus, abasourdi par ce que je vis depuis ma position.
Le réfrigérateur ouvert éclairait la pièce et je n'eus pas de mal à te voir, grande silhouette quasi-fantomatique. Tu me tournais le dos, perdu dans la contemplation d'une cuillère en métal que tu tournais dans tous les sens d'un air songeur puis que tu remis à sa place dans le tiroir avant de le refermer.
Je m'apprêtai à attirer ton attention lorsque tu as rouvert le même tiroir pour en extirper avec étonnement un tire-bouchon en accordéon avec lequel tu as joué sans rien dire. Tu t'es ouvert le pouce pendant que je t'observais en silence. Tu as finalement délaissé le petit bout de métal en le lâchant subitement. Il est tombé en claquant sur le carrelage sans que tu ne réagisses.
Tu as ouvert le robinet en chantonnant et contemplé le filet d'eau qui coulait tranquillement, passant parfois un doigt curieux dessous.
Je me suis légèrement décalé pour détailler tes yeux. Ils semblaient brumeux, perdus et tristes comme si le sens et la logique des choses t'échappaient totalement.
Tu as coupé le robinet dans un petit soupir triste qui me fendit le cœur par le sentiment de solitude extrême que j'y entendis.
J'ai refermé le réfrigérateur, laissant les lampadaires nous éclairer alors que je te rejoignais pour t'enlacer et te bercer doucement.
-Mathieu…, as-tu chuchoté alors que tu reprenais contact avec la réalité et me rendais mon étreinte. Je suis désolé, je ne sais pas ce que je fais là mais… Mais je ne voulais pas te réveiller, je te le promets ! Je suis désolé, désolé…
-Sht, c'est pas grave 'Toinou. Viens, on ferait mieux d'aller se recoucher, qu'est-ce que tu en dis ?
Je t'ai regardé et tu m'as offert un sourire si sincèrement heureux et amoureux que j'ai instantanément douté de t'avoir vu complètement troublé quelques instants plus tôt.
Vacillant, tu t'es détaché de moi et a pris ma main dans l'intention de m'emmener avec toi jusqu'à la chambre.
-Tu viens ? , t'es tu enquis en voyant que je ne bougeais pas.
-Je… Non…
Tes yeux se sont aussitôt teintés de déception et je me suis empressé de rajouter en bredouillant :
-Mais je te rejoins, amour. Je veux juste prendre un verre d'eau.
Je voulais juste être seul pour digérer ce que je venais de voir.
Tu as simplement hoché la tête et m'a chuchoté un suppliant petit « fais vite » qui m'a bouleversé. Finalement, tu as tourné les talons pour retourner dans notre chambre.
J'ai soupiré et me suis adossé contre le bord de l'évier en fixant avec horreur la porte blanche qui nous séparait. J'ai pris quelques secondes pour refouler mes larmes brûlantes et ma panique en me laissant tomber sur le carrelage blanc, terriblement froid. Un frisson coula dans mon dos.
Dans la semi-obscurité, mon regard se posa sur le tire-bouchon que tu avais sorti de son tiroir. A quatre pattes, je m'avançai pour m'en saisir avec précaution, terrorisé par le souvenir qu'il m'apportait à présent. Je m'agenouillai devant la fissure dans le sol que la chute de l'objet métallique avait créée et tournai à mon tour l'ustensile entre mes doigts fins.
Tes yeux vides et perdus, si différents de leur vivacité habituelle, me réapparurent et mon cœur sombra lourdement dans ma poitrine alors que je me relevai difficilement.
Cette nuit là, en contemplant ce petit bout de métal rouillé par endroits, je me suis rendu compte que ce qui commençait à nous séparer était bien plus important que le simple battant de bois que j'observais un peu plus tôt. Plus épais, plus massif. Plus difficile à franchir.
Ca m'en rendit malade. Je ne savais pas ce qu'il t'arrivait, ce qui nous atteignait lentement mais sûrement.
Cependant, j'étais résolu à ne pas te faire affronter ça seul. Il fallait que je sois là pour toi.
J'ai caché le tire-bouchon et je suis allé te rejoindre dans notre lit. Je t'ai enlacé doucement, tu as souris dans ton sommeil. Je me suis un peu plus collé et accroché à toi pour m'emplir de la vision de ton sourire malicieux que j'aime tant et j'ai pleuré en silence.
J'ai vraiment fais de mon mieux tu sais ? C'était parfois si difficile…
Je devais attendre que tu t'endormes pour me lancer dans le montage de mes vidéos. Je m'affairais sur l'ordinateur toute la nuit, faisant marcher une cafetière pendant que j'en vidais une autre pour me maintenir éveillé. Je me donnais du mal aussi bien pour être dans les temps que pour partir au plus vite te rejoindre même si j'allais régulièrement te voir dormir dans la chambre ou te regardais, allongé sur le canapé, tes grandes jambes dépassant largement des accoudoirs.
J'aimais voir ton visage détendu lorsque tu dormais, savoir que tu étais heureux ou tout cas moins tourmenté, plongé dans tes rêves plutôt que dans la réalité qui t'échappait de plus en plus inexorablement.
Mes traits se creusèrent autant que les tiens tant ma fatigue s'accumulait. Mes abonnés me suppliaient dans tous les commentaires d'aller dormir mais je n'avais pas le choix. Je ne pouvais travailler que la nuit puisque le jour, je devais m'occuper de toi.
Tu ne voulais plus voir personne. Je ne pouvais pas t'en tenir rigueur. Tu étais trop désorienté pour voir qui que ce soit et je me demande même si tu te souvenais vraiment de nos amis, de nos collègues. De ta profession même. Tu ne me parlais plus de projets de vidéos, toi qui pouvais t'emballer dans de longs discours enthousiastes sur tout ce qui touchait à la réalisation voire internet. J'avais l'impression qu'un gros pan de ta personnalité -de toi- s'était effondrée au fond de ta mémoire et que personne ne pourrait plus y avoir accès, pas même toi.
Tu ne voulais pas voir de médecin non plus. Tu avais peur de sortir. Dès que je te proposais d'aller prendre l'air, tu sanglotais, hoquetant que tout ce que tu souhaitais, c'était rester avec moi. J'avais beau te rassurer en te disant que je ne te lâcherais jamais, que je serais avec toi, toujours avec toi, je ne parvenais pas à te faire sortir de l'appartement, ne serait ce que sur le palier.
Evidemment j'ai essayé d'appeler des spécialistes mais aucun ne daignait se déplacer : ils demandaient à ce que grand maximum je vienne jusqu'à eux avant d'éventuellement venir t'examiner. Et je ne pouvais pas…
Si au début tu me laissais sortir, pour les courses essentiellement, je me rendis bien vite compte de l'impact que mes absences, aussi courtes soient-elles, avaient sur toi.
Bien souvent quand je rentrais, je te retrouvais prostré dans un coin, dans la douche ou entre un placard et la machine à laver, avec des yeux rougis et une bouille abominablement paniquée. Lorsque je te découvrais, tu te jetais dans mes bras, te précipitais pour t'accrocher à moi et m'embrasser encore et encore, à la manière de quelqu'un qui a eu peur de perdre irrémédiablement l'être aimé.
D'autres fois tu me menaçais longuement de te tuer si je repartais encore une fois. Tu hurlais à la mort que tu avais eu peur que je t'ai abandonné, tu pleurais, criais, me culpabilisais et finalement tu t'effondrais dans mes bras. Ce n'était pas viable et te voir dans cet état me broyait le cœur.
J'ai alors demandé à ma voisine de palier, Marie, de faire les courses pour nous dès qu'elle y allait pour elle. Elle ne posa pas de questions, la situation due lui paraître suffisamment claire lorsqu'elle vit pour la première fois tes yeux hagards puis apaisés quand tu t'accrochais à ma taille alors qu'elle venait s'enquérir de la liste de course et de l'argent pour celle-ci.
J'étais donc enfermé avec toi à longueur de journée dans cet appartement sans qu'un contact avec l'extérieur ne vienne briser la bulle de douceur et d'amour que je m'affairais à créer pour toi et que tu te plaisais à renforcer par-ci par-là par quelques intentions délicates et baisers. Je te voyais évoluer, te plaire et apprécier notre cocon, notre relation privilégiée et fusionnelle et j'espérais sincèrement, d'un espoir fou qu'on sait inutile, que ça t'aiderait à guérir. Je m'y accrochais désespérément parce qu'il n'y avait plus que cette solution qui se profilait pour nous. Il n'y avait que ça qui te permettait de rester lucide un peu plus longtemps. Que ça pour nous accorder un répit bienvenu dont nous profitions avidement.
Le plus étonnant dans tout ça, c'est que par tes moments de faiblesse – tes pleurs, tes contemplations muettes, tes chantonnements rêveurs-, je découvrais un Antoine que je ne connaissais pas, un Antoine que j'aurais pu exécrer pour cette part de toi qu'il représentait -ta maladie- mais je t'en ai que plus aimé. Et si parfois tu n'étais pas bien conscient de ce qui se passait autour de toi, je sais que tu percevais mes émotions et sentiments. Je sentais dans tes étreintes une reconnaissance et un amour si forts que rien que de les évoquer, une douleur nostalgique me prend et les larmes montent.
Tous les instants passés ensemble étaient précieux. Tu le savais comme moi et nous tâchions de les graver en nous, dans notre histoire, aussi courte devait-elle être. Ces souvenirs que j'ai à présent sont aussi douloureux que d'un réconfort extrême. Parce que quand je les extraits de ma mémoire, je me sens de nouveau près de toi. Et que c'est la meilleure sensation qui soit.
Elles me paraissent si loin ces soirées de tendresse où nous étions simplement allongés face à face pendant des heures, laissant nos mains divaguer en quelques caresses sur la peau de l'autre au gré de nos envies. On se cherchait juste du regard, rassuré d'être ensemble, reposants dans un moment qui s'étirait rien que pour nous, loin de tes périodes de confusion de plus en plus longues et fréquentes.
Des fois je frissonne lorsque les souvenirs s'imposent à mon esprit et que je me rends compte que ça signait notre fin.
Nous étions fatigués, trop fatigués pour résister. Mais nous voulions encore goûter à l'amour de l'autre, sa douceur et sa force, et c'est sûrement ce qui nous a permis de tenir encore un petit peu plus.
Des heures sur ce matelas, nos mains entremêlées entre nous, nos respirations tranquilles, unis. Juste toi et moi, ensemble face au temps qui te prenait peu à peu tes forces et ta lucidité.
J'ai honte de le dire mais quelques fois je souhaitais que tout se finisse le plus rapidement possible : c'est égoïste mais j'avais de plus en plus de mal à te voir dans un tel état. Je devais toujours prendre une ou deux grandes inspirations pour chasser la douloureuse prise qui serrait ma gorge avant d'aller te tirer du brouillard qui t'emmenait loin de moi.
Et pourtant je trouve que tout est allé trop vite et je m'en veux d'autant plus d'avoir pu penser ça.
Ton trouble allait en s'aggravant, malgré tous nos efforts. Comme tu me l'avais dit un jour, ton seul lien avec le vrai monde, pas celui que tu croyais percevoir, c'était moi. Tout le reste semblait s'être évaporé vers les strates de ton inconscient, la notion de danger avec…
J'ai tout fait pour te protéger de toi. Nous étions tout le temps collés l'un à l'autre, avançant dans le quotidien par les rires et tous ces petits instants que nous savourions comme si c'était nos derniers. Parce qu'on était à deux, le reste n'avait pas de grandes importances et nous oubliions volontairement le reste pour vivre comme si ta maladie ne jouait pas contre nous. S'il y avait une chose dont tu étais pleinement conscient, c'était bien ça.
-Merci de ne pas me laisser Mathieu. Je ne sais pas comment je ferais. Sans toi je veux dire… Je… Je ne serais sans doute plus là.
Je me souviens t'avoir fait taire en t'embrassant longuement mais je savais que tu avais raison. Et au vu de ton état, ce simple fait m'ébranlait encore plus. Mais tu n'insistas pas et je n'y fis plus attention.
Comment aurais-je pu deviner ?
Plus les jours passaient, plus tu t'excusais continuellement en expliquant que ça te gênait d'être un poids pour moi. Il m'était impossible de te montrer, te convaincre que pour moi ce n'était absolument pas le cas et tu culpabilisais de plus en plus.
Tu me réclamais toujours plus d'attention et d'affection : je ne pouvais pas faire trois pas sans que tu n'attires mon regard sur toi en ouvrant grand tes bras et en quémandant dans un souffle « Mathieu, prends-moi dans tes bras ». Tes yeux d'enfants derrière tes petites lunettes rectangulaires coincés dans un visage d'adulte aux joues délicieusement roses et arrondies m'attendrissaient à chaque fois et je finissais toujours par m'avancer jusqu'à toi pour te serrer le plus possible, avec toute la force que ma petite taille pouvait me permettre. Tu posais ton menton sur ma tête en jouant avec mes cheveux, et je sentais dans tes gestes maladroits une adorable douceur que tu voulais me transmettre et qui me faisait fondre.
Je me souviens de la manière si particulière que tu avais de me regarder. Me rappeler tes yeux aux teintes ambrées m'apaise, je crois. Me souvenir de leur éclat reconnaissant, amoureux et infiniment tendre me crible de chagrin. S'il m'est difficile de les évoquer tant ils me manquent, ce serait d'autant plus dur de ne plus jamais me souvenir d'eux.
Mais à l'époque, ton regard me faisait vibrer. Il me donnait l'espoir et l'illusion que nous avions toute une vie devant nous, que tu étais fort, plus fort que tout ça et que rien ne pourrait nous atteindre ou nous écraser, quoique tout au fond de moi, je savais que j'avais tort. Ta maladie, en dépit de nos liens, se dressait de plus en plus entre nous tel un mur solide que nous essayions chacun de notre côté, à notre manière, d'abolir, d'anéantir. Ou au moins créer un passage pour se rejoindre. Rien qu'un trou pour se voir encore à travers.
Tu n'avais que rarement des accès de colère : tu n'avais jamais été quelqu'un au sang chaud et ton trouble semblait presque le prendre en compte. Sauf quelques fois où tu explosais violemment pour rien :
-'Toine, mange je t'en prie…
-Pas faim…, grognas-tu.
-Antoine s'il te plaît, ça fait trois jours que tu n'as rien avalé. , martelai-je un peu plus durement, sans prendre compte de ton souffle devenu difficile. J'aime pas te voir comme ça…, me radoucissai-je dans une pointe de chagrin.
Tu t'es levé brusquement et ta chaise s'est renversée. Tes yeux se sont assombris d'un éclair furieux en un instant et tu t'es dressé de toute ta hauteur. Je me suis reculé le plus possible jusqu'au mur et t'ai regardé balancer ton assiette au sol loin de moi –tu ne voulais pas me blesser.
-Tu crois que ça m'amuse d'être comme ça ?!
La table a valsé sur le côté et a bouché l'entrée de la cuisine.
-J'en ai marre, tu comprends ?!
Tu t'es retourné et ton poing a heurté un placard en hauteur. La vaisselle à l'intérieur a tintée alors que le bois s'est enfoncé en un craquement. Je te regardais, tremblais, impuissant.
Tu as ouvert le placard avec brusquerie, à la limite d'en arracher la porte et tu t'es saisi de quelques assiettes pour les claquer une à une au sol, assénant le mot « marre » d'une voix vibrante de rage à chaque fois que l'une d'elles rencontrait le carrelage dans un fracas assourdissant qui ne parvenait pourtant pas à couvrir ta voix.
-Pourquoi est-ce que tu ne pars pas Mathieu ? Comment peux-tu encore me supporter ? , vociféras-tu.
Ta rage laissait couler tes larmes qui t'aveuglaient un peu plus et tu m'as finalement tourné le dos pour pleurer librement.
Je me suis avancé parmi les débris pour t'atteindre et te prendre doucement par la taille. Je t'ai senti faiblir entre mes doigts et me suis hissé sur la pointe des pieds pour consteller tes épaules et ta nuque de baisers prudents. Tes sanglots se sont tus peu à peu pendant que je te berçais et te cajolais sans précipitation.
Je savais que ta rage ne refluait pas.
Je savais que sous mes caresses aussi câlines que de plus en plus osées, elle se transformait en un désir à la force équivalente. Ta prise sur le rebord des meubles se renforçait et tes jointures blanchissaient tandis que je te mordillais l'oreille. Je n'étais pas sûr de ce que je faisais mais je ne voulais pas te voir pleurer, sombrer et finir par passer ta rage contre toi.
Tu as brusquement inversé nos positions pour m'emprisonner contre ton corps et ma bouche s'est emplie du goût de ta langue alors que tu m'imposais un baiser fougueux, presque violent. J'ai glissé ma cuisse entre tes jambes, tu as gémis, les yeux fous.
Dans des gestes précipités et maladroits, nous nous sommes déshabillés, impatients.
Je m'accrochai, froissai ta chemise dans mes poings serrés alors que tu me besognais durement contre le bord de la paillasse. Nous murmurions, gémissions, hurlions notre plaisir en le glissant dans le prénom de l'autre.
Parfois je te regardais, tes yeux rencontraient les miens et je frissonnais alors que tu y faisais passer ton amour désespéré, ton désir.
Mes épaules claquaient quelques fois contre le bas des placards et tu passais alors tes mains dans mon dos avec prévenance pour me rapprocher un peu plus de toi et nous nous serrions forts, la tête protégée dans le cou de l'autre pour en sentir l'odeur.
J'aurais aimé que nous mourrions comme ça : dans cette position, cette chaleur, dans une étreinte.
Ou juste ensemble, c'aurait été le plus important.
Mais ça n'a pas été le cas.
Je suis certain que ce n'était pas ce que tu voulais. Ou alors j'essaye de m'en persuader, je ne sais pas. A vrai dire, je ne sais plus. Trop de gens ont affirmé que c'était un suicide et parfois même, que je t'y avais poussé. Je sais que c'est faux. Que c'est injuste de m'accuser comme ça.
Tu savais que j'avais besoin de toi comme tu voulais que je sois à tes côtés. Tu ne m'aurais pas laissé comme ça, pas sans une lettre, un simple mot, rien qu'un signe. Un tout petit signe…
Mais là, il n'y a rien eu. Je n'étais pas préparé à ça. Je ne me suis jamais senti aussi seul et démuni qu'en découvrant ton corps inerte ce matin là dans la cuisine. Comment aurais-je pu faire face ?
Tout mon univers s'était subitement écroulé parce qu'il manquait un élément essentiel à celui-ci, un maintien vital : toi.
J'ai cru devenir fou. Je crois avoir hurlé.
Tes yeux grands ouverts me fixaient, figés, et j'espérais encore y voir ton amour. Mais ils étaient vides.
Si vides…
Je me suis allongé à tes côtés, mes yeux dans les tiens. J'ai lentement débarrassé tes mains du couteau avec lequel tu avais dû jouer une énième fois alors que je l'avais caché avec tous les autres et je les ai longuement caressées, mes doigts liés aux tiens dans ton sang encore poisseux.
Je suis resté comme ça de longues heures, humant le parfum de ta peau qui subsistait, quelque part au creux de ton cou.
Mes tempes et mes cheveux se sont trempés de mes larmes, je m'étouffais dans mes sanglots, le carrelage dur semblait endolorir mes membres mais je ne le sentais pas et c'est à peine si j'ai bougé.
Quelques fois j'hurlais en te disant que tu n'étais qu'un con et que tu n'avais pas le droit de me laisser seul.
C'était pour mieux me dire à moi-même que j'étais un idiot incapable de te préserver, un con qui, douloureusement, se retrouvait sans toi.
J'ai serré ton corps amorphe dans mes bras, passant inlassablement mes mains dans tes cheveux, comme si mes folles caresses pouvaient avoir raison de ta mort.
Oui, j'ai cru devenir fou. Sans toi, c'était à mon tour de perdre la tête. De chagrin.
J'en suis venu à me demander si ce n'était pas moi qui t'avais tué. Tout concordait ! Mon épuisement, les signes manquants d'un suicide, le fait que je n'en pouvais plus de te voir souffrir, nos quelques prises de tête.
Mais sur un point ça n'allait pas : je t'aimais trop pour pouvoir te faire ça. J'avais trop cherché à te préserver, à te maintenir encore un peu auprès de moi pour tout interrompre d'un coup.
Je suis resté si longtemps dans tes bras…
Ma voisine venait régulièrement sonner, sans doute inquiète par mes sanglots et mes cris déchirants qui résonnaient pendant des heures. Je n'allais jamais lui ouvrir. Je restais accroché à toi en pleurant.
Au bout de quelque temps, la concierge de l'immeuble a ouvert la porte de mon appartement avec son passe. Elle et ma voisine me cherchaient en lançant mon prénom à travers l'appartement.
Elles nous ont trouvé dans la cuisine, enlacés.
La concierge a lâché un hoquet stupéfait et est aussitôt ressortie.
Ma voisine Marie s'est approchée en tremblant, masquant son nez de sa main et en m'appelant doucement :
-M-Mathieu ?
Je me suis accroché un peu plus à toi en sanglotant, cachant mon visage dans ton t-shirt.
-Mathieu, il faut que tu le lâches maintenant. , a-t-elle demandé doucement.
J'ai secoué la tête avec la vigueur que procure le désespoir. Ma main s'est un peu plus refermée sur ton t-shirt. J'ai regardé les plis de l'imprimé. C'était un t-shirt que je t'avais offert. J'ai souri, un peu fou.
Marie a tenté de me prendre par les épaules et j'ai brusquement hurlé ma rage. Contre elle, la mort, toi et mon impuissance.
La concierge est revenue au pas de course pour aider Marie à m'arracher à toi.
-Mathieu arrête ! Il est mort ! Tu ne peux rien pour lui !
J'ai battu des pieds et des mains, joué des épaules pour qu'elles me lâchent. Elles ont renforcés leur prise et je me suis un peu plus cassé la voix.
-Laissez-moi ! Arrêtez, laissez-moi ! Je veux être avec lui ! Lâchez-moi !
Je ruais en tous sens, le corps tendu vers le tien et ton visage pâle semblait me regarder avec une triste compréhension.
-Mathieu, arrête !
-Vous ne comprenez pas ! Laissez-moi être avec lui !
Rien qu'encore un peu… Je ne demandais que ça, ce n'était pas grand-chose…
Alertés pars les cris, d'autres voisins sont venus en force pour nous séparer.
-Laissez-moi avec lui ! Lâchez-moi ! Antoine !
Les sanglots déchiraient ma voix, ton prénom mourrait dans ma gorge en une vacillante supplication alors qu'on m'éloignait de toi.
Je tentais de m'accrocher aux placards, aux tiroirs que je finissais par renverser, à l'encadrement de la porte en continuant de m'égosiller, pour essayer de gagner quelques secondes près de toi. Je griffais comme un fou furieux pour qu'on me laisse ramper jusqu'à toi, que je puisse sentir une dernière fois ta peau sur la mienne.
Un ambulancier sans doute appelé par l'une des personnes empiétant dans notre appartement m'a finalement drogué pour que je me tienne tranquille.
Mais même dans la brume du sédatif, je les ai vus partir avec toi, j'ai vu ta chevelure folle et ta tête tournée vers moi, tes yeux sombres qui me fixaient alors que le personnel prenait les escaliers pour t'emmener loin de moi. Tes yeux… Aussi vides que les miens.
Marie me frictionnait les épaules tandis que, trop alourdi par le calmant, je ne bougeais pas, je ne disais rien, me contentant de laisser couler mes larmes dans un flot continu et silencieux, intarissable.
Puis ils sont tous partis. Et je me suis retrouvé seul. Seul face à mon chagrin et mes souvenirs.
Je n'ai pas pu me résoudre à enlever mon t-shirt rigide de ton sang séché. Je n'en avais pas le courage.
J'ai longuement enchaîné quelques cigarettes assis face à la fenêtre, me rappelant de celles que nous partagions et de la saveur de la fumée que tu me transmettais dans un baiser. Ces épaisses volutes coulant de ta bouche à la mienne.
Je n'ai rien mangé pendant quelques jours, me nourrissant seulement de tabac et de la sensation de tes lèvres sur les miennes que je ravivais encore et encore.
Aujourd'hui je quitte l'appartement.
Je ne supporte plus de voir ce canapé noir où, allongé sur tes genoux, tu me gratouillais longuement la tête en me souriant d'un air béatement heureux. Je ne peux plus aller me laver dans cette douche qui malgré son étroitesse, nous accueillait tous les deux pour quelques moments de douceur dans les bras l'un de l'autre. Je n'arrive plus à dormir dans ce lit où nous nous laissions aller à la tendresse pendant des nuits que j'aurais aimé moins courtes.
Il m'est impossible de franchir le seuil de la cuisine dont je te vois emplir les moindres recoins par mes souvenirs.
Je t'y vois partout.
Je t'y vois là, juste là, en train de me préparer un café en sifflotant un air joyeux.
Ici, me prenant sur la table, la paillasse, le sol alors que nous hurlions notre plaisir partagé.
Ou là, caché derrière le frigo, tremblant de mon absence avec des petits gémissements douloureux, attendant mon retour.
Et là… Allongé sur le sol, les yeux vides. Ton sang t'entourant comme une mer terrible. Seul.
Chaque recoin de notre appartement me fait plier en deux de souffrance dans un sanglot déchirant et irrépressible parce que mes souvenirs de toi te matérialisent partout, dans un bruissement de chemise ou un doux déploiement de lèvres en un sourire malicieux. Tout ça me rappelle trop ton absence, à quel point elle m'est insupportable, impossible à vivre. J'ai encore ton parfum dans les narines. Avec celui de ton sang. J'en deviens malade.
Je pars aujourd'hui, définitivement. Je pars avec un tire-bouchon dans la poche, un couteau déjà rougeâtre serré dans ma main et la décision de ne pas te laisser seul plus longtemps, de ne plus te lâcher. Je ne ferais pas une deuxième fois la même erreur.
Je ne veux pas que nous nous perdions à nouveau.
J'espère que ça vous a plus (et que si c'est pas le cas, vous me le direz aussi). :) Plein d'amour à vous tous et à une prochaine! :)
