Chapitre 1 La lettre de Lizzie
Longbourn, par Meryton, Hertfordshire
Ma chère Eléanor,
J'espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé, ainsi que toute votre famille.
J'ai beaucoup de nouvelles à vous raconter. Récemment, de nouvelles personnes se sont installées à Netherfield Park. Le domaine a été loué par Mr Charles Bingley. Il était accompagné de ses deux sœurs, du mari de l'aînée et de l'un de ses amis, Mr Darcy.
Mr Darcy ! Vous savez de qui je parle, n'est-ce pas ? Votre cher cousin. Si vous ne m'aviez pas tellement parlé de lui et de son caractère, j'aurai sans doute eu une très mauvaise opinion de lui. La timidité ne justifie sûrement pas la grossièreté. Mais j'étais disposée à lui pardonner parce qu'il doit supporter en permanence la compagnie de miss Bingley, ce qui doit sans doute être comparable à l'enfer.
Quoiqu'il en soit, j'ai décidé que je me montrerai polie avec lui, sans plus.
Il s'est produit un autre événement important. Un jeune homme, nouvellement engagé dans la milice, nommé Georges Wickham, a porté contre votre cousin de très graves accusations. Je dois avouer que j'en ai été très choquée. J'aurai peut-être pu croire à son histoire s'il ne s'était pas contredit à deux reprises et si je n'avais pas vu dans ses yeux de la haine à l'état pur. D'abord, il a prétendu qu'il ne fuirait pas devant Mr Darcy. Pourtant, à la première occasion où ils auraient pu se rencontrer – le bal de Netherfield -, il n'y est pas venu. Et l'un de ses camarades officiers était persuadé qu'il n'est pas venu dans le but d'éviter Mr Darcy.
Il a dit aussi qu'il ne dénoncerait pas Mr Darcy publiquement. Pourtant, il m'a raconté une histoire personnelle, à moi, alors qu'il ne m'avait rencontrée que la veille. Et il a raconté l'histoire dans toute la ville dès l'instant où Mr Darcy a quitté la région. Ce qui fait un second mensonge. Inutile de vous dire que je lui ai montré clairement que je n'appréciais pas sa duplicité et sa lâcheté. J'ai également convaincue ma sœur, Mary, de parler avec lui de son livre favori, les « Sermons de Fordyce ». Il s'avéra que Mr Wickham ignorait tout de ce livre. Naturellement, ses mensonges sont devenus de notoriété publique. De plus, ma tante, Mme Gardiner, qui a grandi à Lambton, avait entendu parler de lui comme d'un très mauvais sujet, joueur invétéré, coureur de jupons, et même voleur, car il ne payait pas ses dettes. Elle m'a conseillé de mettre les commerçants en garde, ce que j'ai fait.
Cet homme serait-il celui dont vous m'avez parlé et qui aurait tenté de nuire à l'une de vos parentes ? Et celle-ci aurait-elle un lien avec votre cousin ? Dans ce cas, je peux comprendre son ressentiment à son égard et le fait qu'il ne veuille pas lui pardonner.
Inutile de vous dire que Mr Wickham n'est pas ravi de sa mauvaise réputation. Les commerçants ont limité leur crédit à tous les officiers et gardent leurs filles sous haute surveillance.
Mon père ne lui permet plus de venir à Longbourn. Et d'autres pères de familles l'ont imité. Mes jeunes sœurs, Kitty et Lydia, étaient furieuses à ce sujet. Quand à miss King, qui a hérité de £ 10 000, et autour de qui Mr Wickham avait commencé à tourner dès qu'il l'a appris, elle lui a carrément tourné le dos. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, mais Mr Collins et elle semblaient se trouver à leur goût. Ils se sont fiancés, ce qui a rendue ma mère folle de rage. Elle était persuadée qu'il allait demander ma main. Mais j'ai fait en sorte de le décourager, grâce à une discussion avec Marie, sur le fait qu'un homme devrait demander la permission de la jeune fille, puis celle de son père, avant de la courtiser.
Mr Collins avait l'air consterné, étant donné qu'il n'a fait ni l'un ni l'autre. Il est allé parler à mon père qui lui a refusé sa permission. Il a dû se tourner vers Mary qui, j'en ai eu l'impression, n'en était pas aussi ravie que cela. Surtout qu'elle s'est trouvée un autre soupirant. Mr Brown, le clerc de notre oncle Philips, semblait désireux de la courtiser et elle a accueilli favorablement ses attentions, contrairement à celles de Mr Collins qui ne sait pas parler d'autre chose que de lady Catherine de Bourgh. A croire que cette dame doit être placée au-dessus de Dieu lui-même. Marie l'a accusé de blasphémer en attribuant à cette dame tout ce qui lui vient de Dieu. Mr Collins était très choqué et s'est détourné d'elle, à son grand soulagement.
Ma mère était furieuse, comme vous pouvez l'imaginer. Elle a tenté de détourner l'attention de l'homme vers Kitty qui s'est contentée de lui rire au nez.
Mr Collins était plutôt vexé de cette situation et j'étais soulagée qu'il se détourne vers miss King.
Je suis heureuse de vous annoncer les fiançailles de Jane avec Mr Bingley. Ses sœurs ont tenté de s'y opposer, sans succès. Mr Bingley a fait venir sa tante et les a renvoyées à Londres. Il est en colère contre elles et je crois qu'elles vont comprendre qu'elles ont commis une grave erreur. Si Mr Bingley leur tourne le dos, il est probable que votre cousin en fera autant. Et miss Bingley pourra dire adieu à tous ses espoirs de devenir Mme Darcy. Même s'il me paraît douteux qu'elle parvienne à atteindre ce but car il est évident que Mr Darcy n'éprouve que du mépris pour elle.
Mais reparlons un instant de Mr Wickham. Savez-vous quelque chose sur la cure dont, selon lui, il aurait dû hériter ? J'ai peine à croire qu'un individu aussi méprisable ait souhaité être pasteur. Il aime trop s'amuser pour cela. En tout cas, il n'est plus invité nulle part, ce qui le rend furieux. Dieu merci, il ignore qui a dénoncé ses vices. Ce qui me rassure, c'est que Lydia et Kitty vont être envoyées à l'école, après les fêtes. Mon oncle et ma tante les emmèneront à Londres et elles y seront conduites directement. Elles n'en savent rien, ni ma mère non plus. J'ai convaincu mon père de ne le leur dire qu'au tout dernier moment, sinon il était sûr qu'elles feraient des histoires. Je lui ai suggéré de les menacer de prolonger la durée de leur temps à l'école d'une année supplémentaire si elles disaient un seul mot à ce sujet et il pouvait faire la même chose avec ma mère. Cela devrait les convaincre de se taire.
Je me méfie surtout de Lydia. Elle n'était pas heureuse que Wickham soit tenu à l'écart de tous. Je craignais qu'elle ne commette l'irréparable en croyant qu'elle serait mise en avant. Ce qui me paraît peu probable.
J'espère que la raison qui a poussé votre cousin à quitter précipitamment Netherfield n'est pas trop grave. Miss Bingley et sa sœur doivent être déçues qu'il ne soit plus à Londres. Je crois que Caroline n'a pas encore perdue ses illusions. J'aurai presque pitié d'elle si elle n'avait pas tenté de détruire le bonheur de ma sœur avec ses mensonges. Je crois que je comprends mieux votre cousin qui ne pardonne pas qu'on s'en prenne à une personne qu'il aime. Ce n'est qu'en me retrouvant moi-même dans cette situation que je me rends compte que je pourrais penser la même chose.
J'ai une autre chose à vous dire, beaucoup plus grave. Je sais que mentionner l'événement qui nous a permis de nous rencontrer il y a deux ans vous est très pénible, mais c'est très important. Vous rappelez-vous que je vous ai dit qu'il y avait un quatrième homme avec les bandits qui vous ont enlevée et qu'il avait réussi à s'enfuir ? Je n'avais pas pu vous dire grand chose à son sujet parce que je ne l'avais vu que très brièvement. Mais je l'ai quand même reconnu. C'était Mr Wickham. Il ne sait pas que je l'ai vu et reconnu. Heureusement, lorsque je l'ai rencontré dans la rue de Meryton, j'ai réussi à masquer ma surprise. Peut être aurai-je dû en parler à votre cousin. Mais vous savez pourquoi je voulais éviter d'en parler. Ma mère a été très déçue que je sois revenue de la saison londonienne sans une bague au doigt l'année dernière. Elle prétendait que j'aurai pu épouser votre frère aîné, ce qui était risible puisqu'il était déjà marié. Elle était fort dépitée de l'apprendre. Quoiqu'il en soit, je ne lui ai pas donné de détails sur les messieurs que j'ai rencontré à Londres. Elle aurait eu, vous le pensez bien, une bonne raison de se mettre en colère contre moi.
Vous devriez informer votre père, au sujet de Mr Wickham. Vous savez que l'enlèvement vaut au coupable la déportation ? Cela soulagerait tout le monde que nous en soyons débarrassés. Après tout, ce monsieur devrait apprendre à assumer la responsabilité de ses actes. Mais je vous laisse juge en la matière.
Quoiqu'il en soit, je vous ai donnée toutes mes nouvelles, ma chère Eléanor. J'ai hâte de vous rejoindre à Londres. Si vous avez le temps, répondez-moi par courrier. Sinon, vous le ferez de vive voix lorsque nous nous verrons.
Je reste encore et toujours,
Votre amie Elisabeth.
Lizzie posa sa plume sur le côté, versa un peu de sable sur la lettre, puis elle la plia avant de mettre son cachet. Puis elle la retourna et inscrivit :
Lady Eléanor Fitzwiliam
Matlock Maison
Londres
Lizzie poussa un profond soupir et se leva, avec l'intention d'aller déposer sa lettre au rez-de-chaussée. Elle irait ensuite faire une promenade, en espérant échapper aux plaintes continuelles de sa mère, concernant le comportement odieux de Mr Collins et le fait qu'elle était désolée que Mr Wickham ne soit pas un gentleman, contrairement à ce que tout le monde avait cru. Lorsqu'elle lui avait dit qu'il aurait pu l'épouser, elle s'était contentée de rire en répondant qu'il était sans le sou et qu'elle n'avait pas l'intention d'épouser le premier venu.
Sa mère avait alors déploré que Mr Collins se soit détourné d'elle, disant qu'il avait dû lui briser le cœur par sa conduite. Lizzie avait été indignée de l'entendre proférer une pareille sottise et elle avait répondu qu'il lui avait seulement épargner l'ennui de refuser une demande en mariage parfaitement indésirable. Elle avait quitté la maison sans lui laisser le temps de répondre.
La chance voulut qu'elle puisse sortir sans que sa mère ne la voie, ce qui la soulagea. Elle avait beaucoup de choses à penser. Elle se réjouissait de tout son cœur du mariage prochain de sa sœur. Jane méritait le bonheur plus qu'une autre femme. Elle regrettait qu'elle se retrouve avec deux sœurs aussi déplaisantes. Même si elle était désormais consciente de leur duplicité, elle savait que Jane était toute disposée à leur pardonner au nom de l'harmonie familiale.
Elle se méfiait surtout de Caroline. Mais elle était soulagée que son frère se soit débarrassée d'elle et ait menacé de la renier si elle ne changeait pas son comportement. Il lui avait dit qu'elle pourrait avoir sa propre maison et engager une dame de compagnie pour lui servir de chaperon car il ne voulait pas d'elle dans sa maison. Caroline avait été furieuse car cela reviendrait à la considérer comme une vieille fille. Ce qu'elle était d'ailleurs. Lizzie avait appris, de bonne source qu'elle n'avait jamais reçue de demande en mariage, alors qu'elle était sortie depuis huit ans. Cela ne la surprenait pas du tout. Elle avait tendance à se pavaner en toisant tout le monde de haut. Elle la trouvait plutôt pitoyable. Si elle continuait à se comporter comme elle le faisait, elle risquait fort de ne jamais se marier, surtout si les hommes découvraient son caractère hautain et prétentieux.
Lizzie haussa les épaules. Après tout, ce n'était pas son problème. Elle était assez grande pour savoir ce qu'elle faisait. Qu'elle ne vienne pas se plaindre si les choses ne se passaient pas comme elle l'espérait. Elle avait grand besoin de tomber du piédestal sur lequel elle s'était hissée.
Il y avait aussi Mary. Comme les autres membres de la famille, sauf son père, elle avait été surprise de découvrir qu'elle avait un prétendant. Apparemment, Mme Philips était dans le secret et avait accepté de ne rien dire à sa sœur. Celle-ci lui en voulait de lui avoir caché une telle chose. Deux filles mariées, c'était pour elle un choc. Surtout qu'elle n'avait jamais imaginé qu'elle atteindrait ce but avec Mary.
Lydia était furieuse de ce fait. Elle avait toujours été persuadée qu'elle serait la première à se marier. Mais elle devait être déçue. Elle n'était plus autorisée à aller à Meryton sans une bonne raison et une servante devait toujours l'escorter, même si Kitty l'accompagnait. Son père lui avait dit que si elle ne se conduisait pas convenablement, elle serait sévèrement punie. Elle avait été privée d'argent de poche lorsque son père avait découvert qu'elle avait des dettes envers ses sœurs. Désormais, elle n'avait plus le droit d'acheter quoi que ce soit dans les magasins sans sa permission. Et sa mère ne pouvait pas lui donner de l'argent pour lui permettre de satisfaire ses caprices.
Lizzie était soulagée que ses deux cadettes soient envoyées à l'école et qu'elles seraient séparées. Kitty avait besoin d'être éloignée de la mauvaise influence de Lydia afin de pouvoir développer sa propre personnalité. Elle se sentirait certainement plus heureuse, dans quelques mois, lorsqu'elle aurait oublié les inepties de Lydia pour s'intéresser à des choses plus utiles.
Elle savait, qu'après le mariage de ses sœurs, sa mère s'acharnerait sur elle pour essayer de lui trouver un mari. Grand bien lui fasse ! Elle n'avait pas l'intention de lui faciliter les choses. Mais cela ne changerait pas grand chose. Lorsqu'elle n'aurait plus de fille à marier, il était probable que sa mère se plaindrait de n'avoir rien à faire. Elle espérait qu'elle n'allait pas importuner constamment Jane à Netherfield Park. Au moins, elle pourrait passer du temps à Londres et éviter sa compagnie. Lizzie aimait sa mère, mais parfois, elle la trouvait insupportable. Et elle maudissait le comte de Meryton d'avoir gâché l'avenir de sa mère. Elle était heureuse qu'il soit mort depuis longtemps, sinon, elle n'aurait éprouvé aucun scrupule à lui dire ses quatre vérités. Mais il s'était brisé la nuque en tombant de cheval, alors qu'il était complètement ivre. Une mort méprisable pour un homme méprisable. Et personne ne l'avait regretté.
Elle soupira de nouveau, puis fit demi-tour. Il valait mieux qu'elle ne s'attarde pas trop dehors. Heureusement, elle partait pour Londres dans une semaine. Et elle serait absente pendant un certain temps. Elle pourrait profiter de la compagnie de son amie pendant six semaines et éviter les crises de nerfs de sa mère. Elle pourrait enfin respirer en paix.
