Sous les mains blanches de la femme, la peau dorée est douce, enveloppe de velours entourant les muscles d'acier trempé.
Elle glisse le bout de ses doigts sur la poitrine de l'homme étendu sur le lit. Elle l'a observé si souvent, si longtemps, qu'elle connaît ses formes par cœur. Elle l'a vu en chemise bien amidonnée, en tee-shirt, l'a admiré dans un marcel soulignant ses biceps, et même - trop rarement - torse nu. A chaque fois, elle s'est accordé le plaisir (pas si) innocent de détailler le jeu des muscles sous la peau, leur dessin parfait, qui aurait pu inspirer un Michel Ange ou un Raphaël.
Elle pose délicatement ses lèvres sur le pectoral gauche puis couvre de doux baisers le torse offert de l'homme. Elle continue ses caresses le long des abdominaux et pose un instant sa joue sur le ventre plat. Puis elle remonte doucement le long du sternum et de la clavicule droite, laissant sur le trajet une myriade de baisers légers comme un chapelet de bulles.
Là, elle s'arrête un instant. Une petite dépression ronde, blanchâtre, interrompt la douce fermeté du muscle. Elle y pose ses lèvres, laissant échapper un soupir qui ressemble à un sanglot. Elle revoit dans un flash le trou béant, d'où s'écoulait inexorablement un flot vermillon. Oh instant terrifiant, où elle a vu la vie de l'homme s'échapper et se répandre sur ses mains impuissantes !
Mais depuis le corps a fait son travail, il s'est réparé, ne laissant voir aujourd'hui que cette empreinte en creux, un peu livide, qu'elle remplit de baisers.
L'homme, sensible à l'humeur de sa compagne, et sentant l'ancien regret revenir le poignarder, fait tendrement glisser ses doigts dans l'épaisseur de la chevelure de la femme. Leurs regards se croisent, le bleu et le brun se répondent. Leurs visages se rapprochent, comme aimantés et leurs lèvres se joignent avec ferveur. Le souffle des amants se mélange, leurs lèvres et leurs langues dansent et se fondent.
La femme caresse l'arrière de la tête de son compagnon, l'attirant encore plus près. Ses doigts sensibles sentent alors la trace d'une autre cicatrice, cachée habituellement sous la chevelure drue et sombre. Elle se souvient de la lumière crue de la salle d'opération éclairant sans merci le trou foré dans le crâne, de la vision terrible, et en même temps bizarrement attirante, de la masse de tissus nerveux lovée à l'intérieur. Elle se rappelle s'être demandé comment ces quelques centimètres cube de matière pouvaient contenir tout ce qui faisait cet homme allongé inconscient sur la table d'acier, la somme de ses connaissances, de ses croyances et de ses craintes, la puissance de ses émotions, la force de ses sentiments, son adresse et son rire.
Elle laisse courir ses mains sans retenue sur le corps de son amant. Son homme est un combattant, son corps et son âme sont couverts de cicatrices, témoins muets de toutes ses guerres, mais surtout de toutes ses victoires. Il a triomphé de tous les obstacles - de son enfance gâchée à son combat contre la maladie, en passant par la guerre et l'addiction. C'est un héros, son héros.
Il est son chevalier en armure étincelante, venu la sauver d'elle-même et de ses propres peurs. Il l'a fait renaitre au monde et pour cela - même si elle a toujours du mal à croire qu'elle mérite cette seconde chance - elle ne l'en aime que davantage.
La danse immémoriale des amants continue, peau contre peau. Leurs membres se mêlent, leurs corps tentant de ne faire qu'un, d'occuper le même espace, lançant ainsi un défi toujours renouvelé aux lois de l'univers.
Et encore une fois, la force de leur amour les fait triompher de la simple et froide physique.
