Prologue
La conclusion de cette vie d'errance, c'est qu'il n'y a qu'un fil entre l'amour et la haine. La vie et la mort. J'ai aussi appris à mes dépends que pardonner est essentiel lorsqu'on aime, ou qu'on hait une personne. Mais surtout, je sais qu'il ne faut pas menacer quelqu'un, que ce soit pour s'amuser ou sous l'effet de la colère, car si cette menace se met à exécution malgré soit… La douleur semble plus atroce que la mort elle-même.
Je peux me permettre de vous dire ça car, je l'ai vécu. Oui, je suis mort. C'était le 11 septembre 2001, comme d'autres milliers de personnes. Mes dernières heures de vie étaient les plus terrible, mais ce n'est pas le fond de ma pensée. Ce que je veux dire, c'est que j'ai eu plus de mal à accepter de voir mon pire ennemi se sentir coupable de ma mort à en être malade, qu'à accepter ma propre mort. C'était simple, rapide. Lui souffre ainsi depuis maintenant cinq ans. Cinq années de survie entre ses cours à l'université et la pseudo-tombe qu'ils m'ont attribuée – du fait qu'ils n'ont retrouvés que quelques morceaux de mon corps ils n'ont pas pu me faire de réelle sépulture. Cinq ans que je me vois lié à lui, à devoir le suivre, à devoir endurer son air à la fois en colère et détruit.
Je le vois faire semblant de manger pour ne pas inquiéter ses proches, vomir dans le cas où il serait obligé de se nourrir. Je le vois pleurer et se casser les poignets à force de taper sur le marbre qui recouvre les restes. Je le vois seul, toujours seul. Il est incroyablement gentil avec tout le monde, comme avant. Il passe son temps à sourire. Mais ses yeux restent éteints, il a perdu cette étincelle qui illuminait son sourire, sourire qu'il offrait à tous, sauf à moi.
J'étais le seul à qui il n'adressait qu'un regard noir, des mots blessant. J'étais le seul à qui Sasu vouait une haine démesurée. Depuis notre première rencontre, c'était ainsi. Au premier regard nous avions eu envie de nous entre détruire. De nous faire mutuellement du mal. Sasu et moi étions les meilleurs ennemis, à la vie à la mort.
Qu'il vienne encore me taper par-dessus ma pierre, saccager chaque nouvelles fleurs déposées, planter des orties à la place de mes rosiers, toute ces marques d'attention prouvant sa haine envers moi me semblaient être des déclarations. Enfin… Il y avait toujours cette distance entre ma mort et sa vie. En y repensant, c'est certainement ça qui m'a montré que la haine et la tendresse étaient tous deux un sentiment d'amour. Ne pas pouvoir le détester à ma guise formait comme un énorme vide en moi, comme si on m'arrachait une partie de moi.
De là, selon moi, j'ai pu lui pardonner ma mort. J'ai pu lui retirer la responsabilité que je lui ai d'abord donnée. Non, ce n'était pas sa faute si deux avions s'étaient pris les deux tours. Et ses paroles, du moins, n'ont pas pu le provoquer.
