Les personnages du manga détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama.
Je ne pourrais jamais rien t'offrir…de plus…
Dalla sua pace la mia dipende
Quel che a lei piace vita mi rende,
quel che le incresce morte mi dà.
S'ella sospira, sospiro anch'io,
é mia quell'ira, quel pianto è mio
e non ho bene s'ella non l'ha.
Ma paix dépend de la sienne:
Ce qui lui plaît me donne vie,
Ce qui la fait souffrir me tue.
Si elle soupire, je soupire aussi,
Sa colère et ses peines sont miennes
Et je n'ai de joie que partagée par elle.
Mozart, Don Giovanni
Chapitre 1
Levant les yeux vers la gigantesque tour qui la surplombait de sa hauteur vertigineuse, la jeune fille soupira en réfléchissant aux sentiments contradictoires que l'édifice évoquait chez elle.
Quelquefois, il lui apparaissait comme un gigantesque piédestal qui l'élevait au dessus de la multitude, qui ne lui apparaissait plus que comme une myriade de fourmi s'agitant au pied d'une reine.
D'autre fois, elle avait l'impression d'être enfermé dans une tombe, une tombe sur le couvercle duquel cette tour pesait de tout son poids, comme le plus luxueux et le plus imposant des monuments funéraires, l'empêchant de soulever la paroi qui la séparait de l'air libre et la condamnant à suffoquer lentement.
Le centre du pouvoir de l'empire financier sur lequel régnait ses parents était à la fois le château de contes de fées de ses rêves et une prison dont les parois se resserraient autour d'elle dans ses cauchemars jusqu'à l'écraser complètement.
C'était les mêmes sentiments que suscitait chez elle la fortune de sa famille.
Elle lui permettait de concrétiser le moindre de ses caprices d'un simple battement de sourcils, elle lui donnait les moyens de revêtir des robes dignes de sa beauté, mais quelquefois… Quelquefois, elle en venait à se demander si c'était sa beauté qu'on regardait ou plutôt la robe qui était censé la rehausser au lieu de l'éclipser.
Tout ces garçons qui lui faisaient la cour, que ce soit aux réceptions que donnait ses parents ou au lycée, est ce que c'est sur elle qu'il voulait mettre la main ou sur ce qui leur reviendrait le lendemain de leurs noces ?
Si elle n'avait pas la moindre honte de continuer à rêver du prince charmant qui finirait par poser les yeux sur elle, elle préférait autant que ce soit d'elle qu'il se soit épris et non de sa dot.
Refermant ses doigts sur une de ses mèches blondes soulevées par le vent, l'adolescente la ramena doucement derrière son oreille, effleurant en même temps le serre-tête qui maintenait en place sa chevelure dorée. Un accessoire de mode largement en dessous ses moyens mais qu'elle arborait malgré tout avec autant de fierté que si cela avait été un diadème hors de prix ou la couronne signalant au monde entier sa situation de princesse.
C'tait un bijou non pas d'or et d'argent mais de plastique, il n'était pas incrusté de diamant et sa surface n'était pas ornée du moindre motif, ce n'était même pas un article d'une tel rareté qu'il n'en existait que quelques dizaines d'exemplaires dans le pays, on pouvait en trouver des centaines à chaque coin de rue.
Une babiole sans aucune valeur vraiment, mais qui était plus précieuse à ses yeux que tous les bijoux qu'elle possédait. Pour la simple et bonne raison que c'était sa seule véritable amie qui lui avais offert. Un petit rien pour quelqu'un qui avait déjà tout, mais le regard timide de celle qui le lui avais donné resterait le plus beau des cadeaux qu'on lui ferait jamais, de même que le sourire de gratitude qu'elle avait donné à Ran en échange devait être plus cher à son cœur que tout ce qu'elle lui avait donné d'autres dans sa vie.
Etirant ses lèvres en un sourire qui exprimait autant de bonheur que de fierté, Sonoko franchit les portes de verre de l'édifice en laissant derrière elle ses hésitations comme ses appréhensions. Elle avait tout pour elle, la beauté, la richesse, la plus sincère des amies, tout ce qu'il manquait à son palmarès c'était un garçon digne d'elle. Mais elle ne doutait pas que ce manque serait comblé au plus vite, après tout quel homme digne de ce nom pourrait résister à l'envie de devenir l'élue de son cœur ?
Parmi l'infinité de prétendant potentiels qui devait exister mais qui n'avait pas encore trouvé le courage de lui avouer leurs sentiments, il devait bien y en avoir au moins un dont elle se réjouirait qu'il le fasse enfin un jour. Peut-être même qu'il y en aurait même plusieurs, mais elle préférait que ce ne soit pas le cas. Bon, l'idée que sa beauté soit trop resplendissante pour qu'un seul homme digne de ce nom la remarque était certes très flatteuse, mais elle préférais éviter d'avoir à faire face aux hésitations ou aux regrets potentiels.
Quand il s'agissait d'hésiter entre deux robes, deux bijoux ou deux voyages hors de prix, elle pouvait trancher son dilemme en un seul instant, en décidant de ne pas choisir une seule chose en particulier mais de se procurer les deux, mais elle ne pouvait pas faire de même dans le cas de l'amour de sa vie.
Au fur et à mesure que les étages défilaient sur le cadran de l'ascenseur dans lequel venait de pénétrer l'héritière de la famille Suzuki, elle énumérait les différents hommes qu'elle avait fréquentés dans sa vie. Et force lui était de reconnaître que le bilan n'était guère brillant. Pas un seul qui ne s'était avéré digne de retenir son attention plus de quelques minutes, et même lorsque l'un deux s'avérait plus intéressant que les autres, elle avait été bien obligé de se rendre compte que le contenu n'était pas à la hauteur de la beauté de l'emballage.
Parfois, un bel apollon s'avérait être un parfait imbécile qui aurait fait non pas sa fierté mais sa honte si elle l'avait gardé auprès d'elle, d'autres fois son chevalier servant s'avérait être un lâche qui l'aurait abandonné sans remords face au premier malfaiteur venu, et enfin, des promesses solennelles d'amour et de fidélité éternelle ne s'avéraient être que des appâts destiné à la faire tomber dans les filets d'un petit escroc éprouvant plus d'excitation devant le compte en banque de ses parents que devant sa présence.
Est-ce que c'était si difficile de trouver un garçon qui soit séduisant, courageux, fidèle, intelligent et sincère ?
Il fallait croire que oui, puisque même quelqu'un comme elle avait du mal à en dénicher un.
Pendant un court instant, la lycéenne fût prise d'un élan de pitié vis-à-vis des pauvres jeunes filles qui contrairement à elle, n'avait ni la beauté, ni le charme, ni même la richesse. Comme elles devaient souffrir si même quelqu'un comme elle ne parvenait pas à trouver l'âme sœur.
Mais la compassion laissa très vite la place à l'indignation pour l'injustice criante dont elle était victime, indignation qui se mua en perplexité devant l'absence de logique du monde qui n'arrivait pas à la réunir avec le garçon de ses rêves alors que c'était la chose la plus simple qui soit vu sa situation, et la perplexité se transforma lentement mais inexorablement en lassitude avant de se noyer dans la mélancolie.
Se retournant vers les parois vitrées de l'ascenseur, Sonoko leva les yeux vers le ciel grisâtre en joignant les mains d'un air suppliant, implorant toute divinité suffisamment compatissante pour exaucer sa requête de lui permettre de rencontrer l'âme sœur à l'instant.
Comme en réponse aux prières de la jeune fille, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent brusquement dans un tintement alors qu'il n'avait pas parcouru la moitié de la distance séparant le rez de chaussé de l'immeuble du bureau de sa propriétaire.
Adressant un remerciement silencieux à celui qui avait écouté sa supplique, la jeune femme s'efforça de maîtriser ses appréhensions et de se présenter au bel inconnu qui faisait déjà battre son cœur toute la dignité et l'élégance qu'il était en droit d'attendre de celle dont il ferait sa reine.
Malheureusement, dès l'instant où elle se retourna vers son prince charmant, la jeune femme fût forcée de descendre en chute de libre de son nuage de bonheur pour heurter de plein fouet la réalité dans toute sa dureté. Une réalité qui se présentait sous le visage délicat d'une inconnue, à peine plus âgée qu'elle, et qui haussa légèrement un sourcil devant l'air horrifié que son apparition avait suscité vers celle qu'elle rencontrait pour la première fois.
Tout en appuyant son dos contre la paroi de l'ascenseur qui venait de reprendre son trajet, Sonoko retint au fond de sa gorge quelques expressions, fort peu adaptées à son âge comme à son niveau social, et qu'elle adressa envers l'infâme entité qui lui avait joué ce tour cruel et qui ne méritait plus le titre de divinité à ses yeux pour ça.
Au fur et à mesure que les minutes passèrent silencieusement, la curiosité finit par l'emporter sur la rancœur dans l'esprit de la lycéenne, qui se décida à adresser un regard en coin à celle dont elle allait devoir subir la présence.
Lorsque ses yeux se posèrent sur la chevelure qui encadrait les traits délicats de l'inconnue, une lueur d'envie s'y refléta. Ce mélange de blond et de châtain qui renvoyait des reflets écarlates sous la lumière tamisée des néons, une couleur absolument parfaite, tellement parfaite qu'il était inutile de demander à la jeune femme la marque de sa teinture, elle n'avait sans doute pas besoin d'y avoir recours.
Eloignant son regard des cheveux qui excitait sa convoitise, Sonoko le laissa glisser sur la blouse de scientifique d'une blancheur immaculée dont était revêtue cette jeune femme dont elle ignorait le nom comme la raison de la présence à ses côtés.
Est-ce qu'elle travaillait ici ? Impossible, cette fille devait avoir un ou deux ans de plus qu'elle dans le meilleur des cas, elle ne devrait même pas être sortie de l'université, alors comment aurait-elle pu entrer dans le monde du travail ?
Peut-être que sa famille lui avait fait bénéficier d'un diplôme en lui dispensant de l'effort d'étudier pour l'acquérir, avant de lui offrir ensuite une place dans une entreprise florissante sans qu'elle la mérite ?
De par son milieu social, c'était l'explication qui venait spontanément à l'esprit de Sonoko pour expliquer le contraste entre l'âge de la jeune femme et le poste qu'elle semblait occuper.
Et le tailleur luxueux que dissimulaient à peine les pans entrouverts de la blouse semblait confirmer l'idée qu'elle s'était faite. Le tout dernier ensemble de chez Fusae, la lycéenne se frappa le front de la main lorsqu'elle identifia le vêtement.
Comment avait-elle pu oublier de se faire réserver un exemplaire du dernier produit de sa marque de vêtements préférée avant qu'il soit disponible à la vente? Voilà qu'elle en était réduite à avoir un train de retard sur les employées de sa mère. Une idée insupportable.
Se sentant observé, la jeune femme se tourna vers la lycéenne qu'elle dévisagea d'un regard aussi glacial que méprisant qui manqua de faire suffoquer d'indignation celle à qui il était adressé. Comment cette mijaurée pouvait-elle oser la regardait ainsi ? Elle avait peut-être des parents suffisamment riches pour lui permettre de jouer les scientifiques diplômés alors qu'elle n'avait pas vingt ans, mais elle n'avait visiblement pas compris où se situait sa place par rapport à elle.
Sonoko songea un moment à mettre les points sur les i vis-à-vis de l'inconnue mais elle garda pourtant le silence en détournant les yeux d'un air offusquée.
En temps normal, elle n'aurait pas manqué de faire savoir à quiconque l'aurait toisé de cette façon qu'elle se rendait dans le bureau de la personne qui pouvait les envoyer à la rue d'un simple claquement de doigts. Oui, avec n'importe qui d'autre elle aurait procédé de cette manière, avant de se régaler de la terreur qui aurait illuminé les yeux de sa victime, puis de se payer le luxe de pardonner son affront involontaire à l'idiote terrifiée.
Mais avec elle… La fierté comme l'élégance qui irradiait de sa personne n'avaient rien à envier à celle qui environnait la femme d'affaire implacable dont la lycéenne avait été destiné à être l'héritière, une personne de ce genre ne se serait jamais abaissé à adresser des excuses à qui que ce soit, même si sa carrière en dépendait.
Et puis… Il y avait autre chose… Quelque chose qu'elle avait entraperçu au fond des yeux azurés qui avaient plongé un court instant dans les siens. Quelque chose qui l'avait fait frissonner. Une chose qu'elle n'arrivait pas à définir mais qu'elle associait malgré tout à sa mère.
Qu'est ce que cela pouvait être ? Rassemblant dans sa conscience toutes les différentes facettes que sa mère lui avait fait entrevoir au cours de sa vie, Sonoko entreprît de les comparer avec celle que cette inconnue lui avait fait entrapercevoir, au cours de l'instant où leurs regards s'étaient croisés.
Petit à petit, un souvenir refît surface à l'esprit de l'adolescente. Cela remontait à longtemps, si longtemps, avant même le commencement de son amitié avec Ran.
Tomoko Suzuki avait emmené sa plus jeune fille avec elle lors d'un voyage… Quel était le motif de ce voyage ? Elle avait oublié, sûrement un voyage d'affaire. Dans quel pays l'avait-elle emmené ? Elle ne se rappelait plus, elle se souvenait juste que c'était loin, très loin de chez elle et qu'à cette époque, elle avait ressenti plus de peur que d'émerveillement devant un univers qui lui était totalement étranger. En fait, tout ce qui s'était passé au cours de ce voyage avait fini par se dissoudre dans sa mémoire, à l'exception d'une scène qui y était demeuré aussi vivace que si elle s'était seulement déroulé la veille.
Cela s'était déroulé dans le hall d'entrée d'un hôtel, elle s'était serrée de toutes ses forces contre la seule chose qui lui était familière dans ce monde inconnu, sa mère. Elle avait levé ses yeux timides sur ceux qui l'entouraient, et ce qu'elle avait lu dans leur regard, c'était de l'envie, du respect et même… de la peur ? De quoi ou plutôt de qui avait-ils tous peur ? Ils regardaient tous dans sa direction, enfin, non, certains faisait semblant de regarder ailleurs, mais leurs visages remuaient imperceptiblement dans la direction de ce qui les avait déstabilisé. Cela avait rappelé à la petite fille la manière dont elle réagissait elle-même à ce qui lui faisait peur, que ce soit un animal en colère, un film d'horreur qu'elle avait regardé en cachette ou une chose qu'elle ne connaissait pas et face à laquelle elle ne savait pas comment réagir. Rassuré de voir que ces gens qu'elle n'avait jamais vus auparavant n'étaient pas si différents d'elle, la fillette se mit à vouloir contempler à son tour l'objet de leur frayeur.
Et à son grand étonnement, le point de mire de tous ces regards qui avait excité sa curiosité, c'était…elle ? Non, ce n'était pas elle, c'était la personne qui était à côté d'elle et dont elle agrippait la main.
Oui, c'était de sa mère qu'ils avaient tous si peur. Sa mère qui lui avait paru si belle, ce jour là, aussi belle qu'une reine. Une reine… Oui, c'était le seul mot qui lui paraissait digne de la décrire à ce moment là. N'importe quel autre expression lui aurait paru de trop. Sa mère était une reine, et il n'y avait rien de plus à ajouter. D'ailleurs, il n'y avait même pas besoin de le dire tout haut, tout le monde le savait, et sa mère le savait aussi. L'appeler par son titre n'aurait pas été nécessaire.
C'était sans doute ça qui les avait tous impressionné, et qui avait encore plus impressionné la fillette. Sa mère savait quel était sa place dans le monde, et elle la faisait instantanément connaître à tout ceux qui la voyait, sans même avoir besoin de la leur signaler. La manière dont elle agissait, la fierté qui brillait dans son regard, tout cela en disait plus long que tout les discours du monde.
Quand Sonoko avait compris cela, elle s'était promise qu'elle serait digne de cette reine qui lui avait donné le jour, et elle avait fait tout ce qu'elle pouvait pour y arriver.
Malheureusement, au fond d'elle même, elle était bien forcée de reconnaître qu'elle n'y était toujours pas arrivée.
Finalement, rien n'avait changé depuis ce jour là, ce n'était toujours pas elle qu'on regardait mais sa mère, ce n'était pas son prénom qui restait dans la mémoire de ceux qui la rencontraient mais son nom de famille. Au final, si elle venait à disparaître, Ran serait sans doute la seule à se souvenir de Sonoko et à la regretter, les autres se souviendraient de la fille des Suzuki.
Cette pensée enfonça la lycéenne dans la morosité avant que le tintement des portes de l'ascenseur ne la tire de ses réflexions mélancoliques, elle était arrivé à destination, le bureau de sa mère, et elle n'était pas la seule à vouloir s'y rendre puisque l'inconnue était encore avec elle et qu'il n'y avait aucun étage au dessus de celui où elles étaient enfin arrivé.
Et tandis que la jeune femme se dirigeait tranquillement vers les doubles portes se situant au bout du couloir qui leur faisait face, Sonoko comprit instantanément ce qui chez elle, lui avait rappelé sa mère. Elle lui avait fait comprendre où était sa place sans même avoir prononcé un mot, et elle se trouvait à l'instant précis derrière elle.
Pendant un court instant, les yeux de la lycéenne s'affaissèrent en une expression aussi mélancolique que résignée, mais cela ne dura qu'un court instant…
Franchissant en quelques secondes la distance qui la séparait de l'inconnue, Sonoko passa devant elle, n'hésitant pas à la bousculer légèrement au passage.
Elle ne serait jamais seconde devant qui que ce soit, et elle n'avait pas besoin de prononcer un mot pour le faire comprendre à ceux qui étaient assez stupides pour croire qu'ils étaient plus dignes de la première place qu'elle.
Se retournant vers celle qui avait eu le malheur de vouloir la défier, l'adolescente sentit son propre sourire s'effacer devant l'absence de réaction suscitée par sa provocation.
Loin de paraître le moins du monde offusquée, la jeune femme s'était simplement penchée sur le sol pour ramasser les papiers qui s'étaient échappés de son porte-document.
Peut-être qu'elle avait trop peur pour seulement lever les yeux vers elle ? Non, un simple coup regard sur le visage impassible de l'inconnue confirma à Sonoko que la vérité était ailleurs.
Elle n'avait pas l'attitude d'une servante face à une reine mais celle d'une reine qui ne s'abaissait pas à perdre son calme face au moucheron qui avait bourdonné autour d'elle.
Sonoko fit de son mieux pour garder au fond de sa gorge le soupir qui faisait tout son possible pour s'en échapper. En cet instant précis, celle qu'on aurait pu prendre pour la fille de Tomoko Suzuki, ce n'était pas son enfant mais son employée, celle qui paraissait vaincue, ce n'était pas la personne agenouillée mais celle qui était debout devant elle.
Comment faire pour rétablir la situation en sa faveur ?
Peut-être que si elle se penchait pour ramasser les papiers éparpillés sur le sol par sa faute, elle pourrait donner l'illusion qu'elle ne l'avait pas bousculé de manière délibéré ? Oui, cela pourrait rendre sa défaite moins cuisante, et cela la dispenserait d'avoir à présenter des excuses, c'était déjà ça.
Mais dès le moment où les doigts de la lycéenne se refermèrent sur l'innocente feuille de papier blanc qui était à ses pieds, l'inconnue se décida enfin à prendre en compte sa présence en la lui arrachant brusquement des mains.
Un frisson parcourût l'échine de Sonoko, autant devant le regard glacial de celle qui avait récupéré son bien que devant ce qu'elle avait entraperçu sur la feuille qu'elle avait eue en main, l'espace d'une seconde.
Ce n'avait été qu'un nom, un nom familier parmi d'autres qui ne lui évoquaient rien, mais c'était le nom du petit ami de Ran, même si cette dernière préférerait sans doute mourir que de l'admettre. Le détective prétentieux qui avait disparu du jour au lendemain sans que personne n'ait la moindre idée des raisons de son absence inexpliqué, et dont le nom se trouvait à côté de la mention décédé sur un rapport destiné à sa mère…
La peur insidieuse que ressentait la lycéenne s'accrût tandis qu'elle sentait peser sur elle les yeux de la scientifique, ces yeux glaciaux qui semblaient capables de lire dans son âme pour s'assurer qu'elle n'avait pas entraperçu quelque chose qu'elle n'aurait jamais du voir.
Se retournant brusquement pour ne plus sentir ce regard inquisiteur la transpercer, Sonoko battit en retraite vers le bureau de sa mère.
Ce ne fût qu'à l'instant où la lycéenne eût refermé derrière elle les portes qu'elle venait de franchir qu'elle se sentit en sécurité.
Mais elle ne pouvait s'empêcher de penser que les deux parois de bois formaient une protection bien dérisoire face au regard terrifiant qu'elle avait croisé…et un paravent bien mince pour dissimuler la vérité terrifiante qu'elle s'efforçait de maintenir le plus loin possible de sa conscience
