Bonjour,
Si vous avez l'intention de lire ce premier chapitre, je vous en remercie. J'espère que la lecture vous sera agréable, et que vous laisserez un commentaire, si le coeur vous en dit.
Disclaimer : Les personnages de The Legend of Zelda ne m'appartiennent pas, on est bien d'accord. Le reste, tout ce qui n'existe dans aucun des jeu, est issu de mon imagination.
Personnages principaux : Link / Zelda
Genre : Action, aventure, romance
Rated : T pour de la violence, un peu de gore, et des scènes légèrement adultes à venir, peut-être
EN CENDRES
Une fanfiction The Legend of Zelda par Nara
Un gémissement déchirant monte dans l'air nocturne.
Il fait si noir ce soir que le ciel semble être surmonté d'un couvercle de pénombre étouffant, et l'atmosphère est lourde d'une pluie contenue. Je hais ce genre de nuits et je sais qu'elles ne sont habituellement pas calmes. A vrai dire, elles ne le sont jamais, et il serait imprudent que je ne me prépare pas au pire.
Je rajuste ma ceinture, à laquelle pendent deux dagues - une courte et une longue-, qui, couplées, sont véritablement redoutables. Elles ne sont pas très solides et je dois les changer régulièrement, mais elles m'apportent une sécurité supplémentaire. Ma ceinture tombe tout le temps, j'ai eu beau y percer de nouveaux trous pour la resserrer, rien n'y fait, elle tient mal et ça me fait enrager. Par-dessus le marché, le cuir commence à s'affaiblir, il a tellement pris l'eau, surtout en cette saison... Mais je n'ai rien trouvé de mieux pour l'instant, alors je n'ai pas d'autre alternative que de prendre mon mal en patience. Je rabats également le bas de ma cape brune par-dessus pour épaule pour qu'elle m'enveloppe et en replace le capuchon effiloché sur ma tête et mes cheveux sales. Je ne sais pas si j'aurai le courage d'aller me les laver demain matin au ruisseau, surtout vu la température qu'il fait. Cela dit, si je me bats beaucoup, ce soir, ça aura au moins l'avantage de me réchauffer contre ce froid mordant insupportable.
Je sors de la ruelle étroite dans laquelle je me trouve, en emprunte une autre, plus large mais encombrée par les ruines, et escalade un vieux monticule escarpé constitué d'un mélange de vieux bois et de briques. Je me hisse en haut avec difficulté – pourquoi suis-je si tendue ce soir ?-, et, en équilibre instable, je procède à mon observation habituelle. Placée de cette façon, je surplombe la place du marché, décor macabre du néant perturbé de ma vie.
D'où venait le gémissement de tout à l'heure ? Certainement d'un homme-loup, et c'est exactement ce que j'espère. Les hommes-loups sont bien plus faciles à anéantir que les pillards ou que les âmes physiques, par exemple. Ils sont certes très laids et intimidants, et leurs bras sont puissants et dangereux, mais mis à part ces quelques atouts, ils sont aussi faibles que des enfants.
Je contemple les alentours, aux aguets, la main serrée autour du manche de mon épée rouillée.
Il y aurait là encore beaucoup de critiques à faire de mon épée, mon arme principale, mais elle est ma seule alliée et mon unique réconfort, et malgré le fait que ce soit stupide, j'ai peur que la lame s'émousse si j'en dis du mal. Parfois, je me trouve puérile et supersticieuse et je trouve cela ridicule vu la situation dans laquelle je suis. Si un magicien venait à moi et me proposait d'effacer tous mes sentiments, j'accepterais sans l'ombre d'un doute. Enfin, je n'en suis pas exactement sûre… Peut-être garderais-je la sérénité et l'espoir, qui sont quand même deux émotions très agréables. Et encore deux trois autres. Mais pour sûr, j'enlèverais la faim, la fatigue et la douleur, qui me tordent les entrailles sans répit.
Le paysage que je surplombe est le même depuis des mois. Et il n'est pas très réjouissant. Devant moi gît, béante comme la bouche d'un monstre mort, la porte de la ville, humidifiée par la pluie de la journée et rongée par le temps – ce qui est résolument pire que les mites. En face d'elle s'élance dignement vers les cieux le cadavre du Château d'Hyrule, tel une œuvre incomplète, abandonnée par ses fondateurs et laissée seule et fantomatique. Vomissant chaque jour plus d'ombres et de débris fatigués, le Château semble animé d'une volonté propre, morbide et mélancolique. Jamais je n'y suis retourné depuis l'attaque, et jamais plus je n'y mettrai les pieds. Avec le temps, j'ai appris à mon cœur à ne plus imploser en le contemplant. Après tout, la peine n'est pas éternelle, c'est ce qu'Impa m'avait un jour dit. Et j'ai pris le conseil avec beaucoup de sérieux, car cela fait sacrément longtemps que je n'ai pas pleuré. Cette pensée m'emplit de fierté et me redonne une bouffée de volonté, même si j'essaye de ne pas trop songer à Impa.
A mes pieds, devant l'ancienne fontaine, remplie de mauvaises herbes putrides, sont entassés en vrac les pavés, arrachés comme des vieux chicots de la bouche d'un mendiant. Je me souviens avec tristesse du temps où nous pouvions encore courir sur la place avec pour seules craintes celles de heurter un chien sautillant ou un passant honnête, et non pas celles de se tordre la cheville dans une crevasse ou de trébucher sur la dépouille d'un rat gigantesque.
Je me sors de mes rêveries. Et c'est alors que je l'aperçois.
L'homme-loup est là, sous la tonnelle d'un vieux bâtiment dont il ne reste plus que la façade noircie. J'essaye de me souvenir à quoi correspondait ce bâtiment, autrefois – le poissonnier, peut-être ?- tout en gardant mon attention sur la bête. Elle est difficile à identifier, dans l'incroyable pénombre lunaire qui règne ici, mais mon oeil est entraîné.
La bête m'a vue aussi, car son corps n'est même plus agité par les mouvements respiratoires habituels. Qu'est-elle venue chercher ici ? Je monte sur le point culminant de mon monticule et jette un regard empli d'une animosité vaine envers mon ennemi.
-Inutile de fouiner par ici, sale bête, il n'y a plus aucun cadavre …
J'ai parlé d'une voix presque silencieuse. Après tout, elle ne m'entend pas et ne serait certainement pas en mesure de me comprendre. Ce n'est qu'une bête stupide que la chair affole plus que tout.
Je saute du monticule, me rattrape d'une main sur le sol irrégulier et puant tout en veillant à ne pas m'emmêler dans ma cape, et m'élance sur l'homme-loup. Celui dresse ses petites oreilles et se relève sur ses deux pattes arrières tendues. Son corps poilu est décharné en plusieurs endroits, mais il n'a pas une musculature très imposante. Ses yeux, grands, noirs, insondables, se plantent en moi et tentent de s'insinuer dans mon corps. Ils essayent de trouver mes démons et me les faire regarder en face, mais j'ai appris à bloquer mon esprit.
Au moment où mon épée est censée entrer en contact avec le corps de l'animal, celui-ci bondit dans les airs avec une rapidité foudroyante et se reçoit à ma droite. Il tend alors ses pattes avant ornées de griffes aussi fines que des aiguilles, et fend l'air. Malheureusement pour lui, je suis bien plus rapide, et surtout, j'ai l'habitude. Je l'aurai tué en quelques minutes, voir en quelques secondes si la chance est avec moi. Il n'y a aucun doute là-dessus, et la bête vient d'en prendre conscience.
J'effectue un demi cercle fluide et le tranchant de mon épée s'abat profondément dans le flanc de l'animal, qui produit alors un nouveau gémissement grondant tout en s'agitant sans but précis. J'entends des corbeaux s'envoler d'un bâtiment voisin.
La fin de l'homme-loup est proche. Je recule de quelques mètres, tandis que le sang gicle de sa blessure, le laissant pantois et effaré. Je n'ai plus qu'à attendre qu'il s'élance sur moi et ensuite, ce sera un jeu d'enfant. Je me prépare, et la bête en fait autant, oubliant sa blessure pour focaliser sa haine sur moi. Ses yeux sont agités de légères convulsions.
Je lui jette un regard grave. Personne n'a le droit de souiller mon royaume.
La bête se rue dans ma direction. Je l'attends. Mais, à ma grande surprise, elle stoppe sa course à mi-chemin et se dresse, intriguée. Je perçois alors deux longs cris mêlés, et avant de comprendre la gravité de la situation, je vois deux autres hommes-loups apparaître dans mon champ de vision, devant la porte de la ville.
Mon cœur manque un battement. Jamais je n'en ai vu plus d'un à la fois. A vrai dire, je me suis déjà battue contre un pillard qui avait réussi à rallier un jeune homme-loup à ses côtés, mais trois d'un coup… Je ne suis pas certaine de réussir à gérer la situation sans dommage…
Cependant, je n'ai même pas le temps de laisser ma volonté flétrir, car le premier homme-loup, malin, profite de ma surprise pour reprendre sa course vers moi. Il me propulse à terre et son haleine chaude et écoeurante s'abat sur mon visage. Pendant deux longues secondes, je sens ses griffes labourer mon bras droit, à travers ma cape et ma manche, jusqu'à ce que je parvienne à rouler sur ma gauche et à me relever sans élégance, haletante. Quand je reprends mes esprits, les trois hommes-loup m'ont encerclée. Mon cerveau tourne à toute vitesse, ma vue également. J'ai du mal à garder mon esprit clair. J'aimerais appuyer ma main contre mon bras dont le sang s'échappe dangereusement vite, mais j'ai peur de signer le début des hostilités avec un mouvement brusque.
Une seule idée parvient à se détacher du flot confus de mes pensées : il faut les prendre un par un. Ne pas succomber à l'affolement. D'abord, le premier…
Sans impulsion, je plante mon épée dans le ventre de l'homme-loup blessé, avec toute ma force, et la retire en vitesse, laissant la bête tomber sur le sol, morte. Je sens un flot de sang plus puissant couler de mon bras.
Ma méthode est risquée, mais cela en fait déjà une de moins. A cet instant, les deux autres se jettent sur moi, comme je l'avais prévu ; je roule entre eux –ce qui est franchement désagréable sur le sol froid- et me redresse avant de courir vers le grand monticule. Je le monte sans les mains, dans un effort surhumain, priant pour ne pas perdre l'équilibre, tandis que j'entends les deux créatures se lancer à ma poursuite en poussant de petits cris. Je m'immobilise en haut des débris.
Les deux hommes-loups ont tôt fait de me rejoindre en haut. Sans réfléchir, je me laisse alors tomber des trois mètres. Je me réceptionne mal –sur les mains et les pieds- et me retourne en une fraction de seconde. J'élève alors mon épée vers la Lune, mon bras blessé tremblotant. Je ferme les yeux.
Le deuxième homme-loup, ayant plongé vers moi, s'empale sur mon épée avec force et s'écrase de tout son poids sur ma poitrine.
J'étouffe un gémissement, alors que l'une de ses pattes retombe, sans vie, sur la plaie de mon bras, l'ouvrant encore plus, déchirant au passage mes manches déjà usées. Ses autres pattes m'écorchent le cou et les jambes.
Mais je n'ai pas le temps de me concentrer sur la douleur. Je repousse le cadavre de la bête, abandonnant avec déchirement mon épée dans son abdomen, et observe le dernier homme-loup qui me fixe de toute sa hauteur, debout sur le monticule. Des spasmes de douleur ondulent dans mon bras. Je tente de tout étouffer avec ma main gauche. Je sens la colère monter en moi.
-Viens, allez, tue moi, stupide bestiole ! je hurle, la voix vibrante de défi.
Obéissante, la bête s'élance sur moi, à l'instant même où je dégaine mes deux dagues. Je place, contrairement à d'ordinaire, la plus tranchante dans ma main valide, la gauche.
Arrivée à mon niveau, l'homme-loup semble me jauger, puis ne voyant aucune autre solution, il m'attaque bestialement. Je plante la dague dans son épaule et utilise la deuxième arme pour lui barrer le visage. Je la repousse alors contre le monticule d'un coup de pied qui lui coupe le souffle. Elle s'affale contre les briques et un vieil encadrement de fenêtre. Elle me regarde alors de ses yeux pénétrant, tente de se relever, et laisse sortir un dernier hurlement guttural tandis que je plante ma longue dague dans sa trachée.
Je contemple mon travail, interdite, puis me laisse choir en arrière, pantelante. Toute la pression accumulée en profite alors pour ressortir, et je reprends mon souffle comme je peux, les poumons dans un étaux, et les muscles légèrement paralysés. Je reprends aussitôt conscience de ma blessure au bras, au moment où je perçois le sang, foncé et épais, commencer à attaquer ma courte tunique grise et mes collants assortis qui se teintent rapidement de noir. Je lâche un hurlement, me rendant compte de l'affreuse intensité de la douleur. Mon souffle se saccade à nouveau, tandis que j'arrache le bas de ma tunique et le noue autour de mon épaule pour stopper le flot de sang. Je me laisse alors aller à un geste puéril, et j'appuie à nouveau ma main gauche sur le large plaie tout en me recroquevillant, espérant ainsi gagner quelques secondes de répit.
Je dois aller aux ruines du magasin d'alcool et me soigner immédiatement. Je n'ai jamais eu ce genre de blessure auparavant –pas aussi profonde, je veux dire-, mais je sais –la douleur irradiante me le souligne- que je ne peux pas laisser ça cicatriser à l'air libre. Sonnée, je me relève et me souviens d'une priorité supérieure avant de soigner ma blessure. Je m'approche d'un des cadavres d'hommes-loups et tente de le retourne du pied, mais je finis par m'aider de ma main gauche. Je saisis alors de mes deux mains le manche de ma précieuse épée et la sors du cadavre terrifiant. Celui-ci semble émettre un dernier son, ou peut-être est-ce que je rêve. J'essuie le sang de ma lame sur le pelage irrégulier de la bête et entreprends de traîner l'épée de ma main gauche jusqu'au magasin d'alcool. J'espère simplement que la prochaine bataille ne sera pas pour ce soir, que je puisse un peu me reposer avant la prochaine nuit. Mais tout semble calme, et mon cœur en est légèrement revigoré.
Dans ce qui reste du magasin, c'est-à-dire pas grand-chose, il ne reste pratiquement que des morceaux de verre éparpillés. Mais je connais ces ruines comme ma poche, et je sais qu'il reste de petites bouteilles d'alcool bien conservée dans un grand tonneau resté intact. Et cet alcool m'a déjà servi plusieurs fois à désinfecter mes blessures. Je retire le couvercle du tonneau, sur lequel une famille d'escargot a trouvé refuge, et me saisit d'une petite bouteille transparente. La dernière… Cette pensée m'inquiète un peu, mais je tente de ne pas m'en formaliser.
Je m'assois sur un petit muret, qui n'est en réalité rien d'autre que ce qui reste d'un mur, et pose mon épée entre mes jambes. Je reste aux aguets ; je connais chaque son de cette ville, et je remarquerais n'importe quelle sonorité supplémentaire instantanément. J'ouvre la bouteille d'alcool avec mes dents et inspire une bonne goulée d'air avant de verser le liquide sur ma plaie.
La sensation est alors indescriptible. Je ne peux m'empêcher de hurler avant de parvenir à me contenir. Mes joues brûlent et ma tête tourne. Prenant mon courage à deux mains, je verse une nouvelle vague de liquide sur mon bras et me mords les lèvres. Mon bras légèrement nettoyé, je peux à présent voir proprement l'ampleur des dégâts. Et c'est horrible. La blessure et large et profonde, et je sais qu'elle s'infectera sans soins particuliers. Si je le sais, c'est parce que, plus jeune, j'espionnais les soldats de mon père. Un jour, l'un de ceux-ci –un grand brun costaud-, était revenu avec une longue plaie sanglante dans son tibia. Avec l'aide d'autres hommes, Impa l'avait recousu. Avec une véritable aiguille et du fil. Le découragement et l'appréhension s'emparent de moi. Quoi qu'il en soit, je n'ai rien de tout ça, donc…
Soudain, quelque chose a changé dans l'air, et c'est tout sauf discret. Je me lève si vite que j'en oublie ma fiole, qui s'écrase sur le sol et répand tout son contenu sur mes bottes. Je n'y prête aucune attention, concentrée sur un environnement sonore plus lointain. Il y a un nouvel intrus chez moi ce soir. En temps normal, cela ne m'aurait en rien angoissée de la sorte. Jusque là, j'ai toujours réussi à me débarrasser de mes adversaires ; mais je ne suis résolument pas dans une forme optimale, après l'attaque des trois hommes-loups. De toute façon, je ne peux pas esquiver ce combat, je suis là pour ça. Si je me cachais, je ne serais qu'une lâche, et j'aurais tout intérêt à enfin me laisser tuer.
Je tends l'oreille. L'intrus se déplace. Je prie silencieusement pour que ça soit de nouveau un simple homme-loup. Un seul.
Je rajuste une nouvelle fois ma capuche et ma cape, qui est en lambeaux au niveau de mon bras droit, ainsi que ma ceinture, qui vient se repositionner sur mes hanches, aussi bas qu'avant. J'empoigne mon épée. Je suis prête, et je compte bien me lester rapidement de cette nouvelle menace, et alors il faudra bien que je réfléchisse à une façon de me soigner.
A pas de loups, je longe la rue, qui mène directement à la place du marché. Arrivée à l'embouchure, je me presse du mieux que je peux contre le reste de mur, et ose une légère œillade vers la place. Mon cœur se gèle. Il s'agit d'un pillard. Debout devant la fontaine, il semble intrigué et balaie les alentours du regard, à la recherche de l'endroit le plus intéressant à voler. Il est drapé dans une cape beaucoup plus sombre et propre que la mienne, mais qui lui couvre également une partie du visage, et il porte un masque grotesque orné de couleurs chaudes. C'est légèrement effrayant, mais le plus terrifiant, c'est la grande taille de mon invité, sa musculature, et le piteux état de mon bras. Je peste intérieurement.
Le pillard avance de quelques pas, sans se presser. Doucement, il se baisse et se saisit d'un des vieux pavés, aussi facilement que s'il s'était agi d'une fleur. Il le contemple quelques instants puis le repose soigneusement. Je l'entends soupirer. Quel idiot, s'attendait-il à trouver de l'or plein la ville ? Encore un qui a dû se laisser endormir par les grotesques rumeurs à propos des ruines de la cité d'Hyrule.
L'intrus se met à avancer dans ma direction. Que dois-je faire ? Je ne veux pas fuir, et d'une seconde à l'autre, je serai repérée. Alors autant sortir de mon trou, il faudra bien que la confrontation ait lieux un jour.
Je sors de la rue et pénètre sur la place du marché. Là, je fais face au pillard et braque mon épée sur lui, mais je sens que j'ai du mal à tenir la lame droite ; mes muscles hurlent. Aussitôt, le pillard dégaine son arme. Je réfrène un cri d'horreur : il possède une épée si grande et bien travaillée, que si la mienne avait des jambes, elle prendrait la poudre d'escampette, sous l'effet de la honte. Je ne sais pas où ce voleur a trouvé cette arme, mais c'est une sacrément bonne pioche. J'en ai des sueurs froides. Peu importe, je me place en position de combat et lui signifie d'approcher d'un signe de la main. Celui-ci refusant de bouger, je lance le premier assaut, et ma lame rencontre la sienne dans un puissant bruit métallique.
Nous combattons pendant quelques minutes. Je multiplie les coups, appliquant la technique de l'usure, mais le pillard parvient à tout parer avec facilité. Pire encore, il se déplace dans des mouvements fluides et ordonnés, me forçant à le suivre à travers la place. La fatigue me submerge doucement, par petites touches. Quand nos pas nous entraînent en haut du monticule, je sens ma tête tourner et le sang se remettre à couler de mon bras.
Puis, alors que nous sommes en haut, mon opposant commence enfin à lancer ses propres assauts, précis et violents. Deux fois, il manque de me décapiter d'une traite. La panique me gagne, je dois serrer les dents pour ne pas hurler. Le masque coloré est à la fois si près, puis si loin… Il se livre à une terrible parade qui va signer mon arrêt de mort si je ne trouve pas une solution.
Malheureusement, je consomme tellement d'énergie à parer les dizaines de coups que le pillard me lance, que je ne fais attention à rien d'autre. Ainsi, je ne remarque pas la pierre en équilibre sur laquelle je pose mon pied en reculant.
La surprise me coupe le souffle, tandis que je roule en bas du talus, laissant chaque débris y aller de sa coupure, jusqu'à ce que je retombe sur le dos, aux pieds des pavés et du vieux bois. Je saigne intensément du bras, mais pas uniquement… Je n'arrive pas à savoir d'où vient la douleur, si elle émane de chacun de mes pores… J'ouvre grand les yeux et aperçois la longue silhouette du voleur, debout sur le monticule, devant la lune sereine. Où est mon épée ? Je tente de me relever, mais ma cape est prise dans un pic de bois. Affolée, et tandis que j'entends mon ennemi se rapprocher, je me bats avec le tissu jusqu'à entendre un terrible déchirement. M'en voilà enfin débarrassée, mais il est trop tard, le pillard me surplombe, debout devant moi. Je laisse ma tête choir mais je continue à le fixer. Je veux le voir me tuer, je veux qu'il lise la haine et le venin dans mes yeux.
Mais, étrangement, l'intrus lance son épée à quelques mètres de nous, et s'accroupit à côté de moi.
-Allez vous-en ! je crache.
J'aimerais bien pleurer, mais pas devant lui.
Cependant, il ne m'écoute pas. Et ce qui se produit alors me paralyse de stupeur.
Le pillard rabat sa capuche dans son dos et enlève son masque. Ce n'est pas un pillard. C'est vraiment tout sauf un pillard.
-Zelda ?, souffle-t-il, ses yeux bleus agrandis par l'étonnement.
C'est lui, pas de doute possible. J'aurais pu le reconnaître entre mille hommes. Ces yeux, cette voix, ces cheveux blonds, cette carrure. En trois ans, il n'a pas vraiment changé, et ses traits lumineux me rappellent des souvenirs douloureux. Ces souvenirs laissent rapidement place à la colère.
-Que fais-tu ici, Link ? Après tous les efforts que j'ai faits pour que tu aies une vie normale… Es-tu satisfait de ce que tu vois ? Hein ? Eh bien sache que c'est mon affaire, mon cas ne te regarde en rien ! Va-t-en !
Avoir crié de la sorte m'a coûté les derniers restes de mon énergie.
-Ne t'agite pas trop, me souffle-t-il. Tout va s'arranger, tu vas voir. Maintenant, viens avec moi, je sais qui pourra te soigner.
Je sens l'une de ses mains passer sous mon dos, et l'autre sous mes jambes. Il commencer à me soulever. Je l'arrête tout de suite en martelant son torse de toutes mes forces avec des mouvements désordonnés.
-Lâche moi ! dis-je. Laisse-moi mourir avec Hyrule, je ne souhaite pas mourir ailleurs.
-Tu ne vas pas mourir, soutient-il.
Il fronce les sourcils et me contemple, interdit. Je ne sais pas s'il croit vraiment en ce qu'il vient de dire.
-Regarde, Hyrule n'est plus que cendres –ma voix se brise-. Je n'ai pas su la protèger, je ne mérite que de crever ici, à côté de ces affreuses bêtes que je tue toutes les nuits…
Ma voix se brise dans un hoquet douloureux. Je suis en train de pleurer. A chaudes larmes, et bruyamment. Mais je n'ai pas honte, je ne ressens qu'une infinie tristesse, tandis que je regarde mon ami. Je ne voulais pas qu'il voit ça. Quand j'ai posé mes lèvres sur l'Ocarina du Temps et l'ai renvoyé dans sa jeunesse, je lui avais souhaité tout ce qu'il y avait de meilleur. Et voilà que tout est devenu encore pire…
Quand je m'arrête de pleurer, je me rends compte que Link m'a soulevée et je sens qu'il marche, mais je ne sais pas dans quelle direction. Cette pointe de confort et de chaleur ordonne aussitôt à mon corps de se mettre en veille.
Je ne veux pas mourir.
Je tombe dans l'inconscience.
