La pièce était plongée dans le noir, insensible à la journée radieuse qui s'annonçait déjà dehors. Il était 6 heures du matin, heure japonaise, heure à laquelle la majeur partie de la population s'apprêtait déjà à partir au travail.
Il entendait déjà la bouilloire de son voisin qui sifflait à travers la cloison, il entendait déjà les cris de sa voisine du dessus. Les murs en crépis n'étaient pas des plus épais, et de ce fait, il connaissait par cœur la vie de tout ceux qui entouraient son petit appartement de 25m².
Aya Nakamura d'abord, 41 ans, mère de trois enfants hurlant à la mort quand ils n'obtenaient pas ce qu'ils voulaient dans la seconde. Son mari l'avait définitivement quitté un jour de mai, quand il avait décrété que la vie était bien trop pénible pour y faire face avec le sourire. Depuis, elle oscillait entre son rôle de femme d'affaire et son rôle de mère, une grimace de concentration à jamais gravée sur son visage aigris.
Ça c'était sa voisine du dessus.
A gauche, il y avait Yuji Hidemura, jeune salaryman de 27 ans qui menait une vie des plus paisible. Levé à 6 heures du matin précisément, il allumait directement sa bouilloire et quittait son appartement vers les 8h et 35 secondes. Quand il revenait à 20h et 15 minutes, il s'endormait devant la télévision et il ne l'entendait plus jusqu'au matin suivant.
Dans le genre de vie chronométrée à la seconde, il y avait aussi Aiko Mikimoto... Octogénaire vivant seule depuis de nombreuses années, elle sortait de chez elle à 6h50 et revenait, tout les jours avec une précision exaspérante, à 21h 15. Cette voisine de droite était toutefois une personne tout à fait respectable et convenable même si elle fouinait souvent son nez dans les affaires des autres.
Le genre de femme qu'il détestait par dessus tout.

Lentement, les gestes encore fatigués, il commença sa journée avec la même régularité.
Pas de petit déjeuner en lisant le journal de la veille...
Pas de passage obligatoire à la douche avant de commencer quoi que ce soit.
Non, son petit rituel à lui, c'était ça:

Volets fermés, odeur d'humidité, le ménage n'avait pas dû être fait depuis de nombreuses semaines mais il n'en avait cure. Des papiers traînaient par terre depuis des lustres, une assiette sale avait trouvé refuge sur la table basse tandis que des dizaines de livres traînaient sur le sol, encore ouverts à une page qu'il n'avait jamais pris la peine de lire. Quand il sortait de sa chambre, il les bousculait toujours de ses pieds nus, faisant légèrement chanceler l'halogène poussiéreux qui n'avait encore jamais fonctionné. D'un pas certain mais légèrement chancelant, il se dirigeait vers le canapé marron, autrefois blanc, et s'y laissait tomber de tout son poids. La table basse était recouverte de papiers journaux froissés, de feuilles manuscrites gribouillées et raturées et quelques canettes vides de coca essayaient misérablement de se frayer un chemin parmi toute cette pagaille.
La seule chose qui semblait être traitée avec soin, c'était la télécommande.
Posée sur le haut de la pile de papiers bancale, elle trônait telle une reine, nullement marquée par la poussière et les taches de cafés. Aucunement affectée par le désordre ambiant, elle avait une place de choix en plus de son statut de meilleure amie. Le propriétaire la chérissait presque autant que la télévision, celle qu'il allumait donc tout les matins avant de partir travailler.
D'un geste mécanique, il pressa le bouton ON tout en baillant à s'en décrocher la mâchoire, et il s'installa un peu plus confortablement, les yeux à présent bien ouverts.

« C'est une incroyable histoire que vient aujourd'hui de vivre la petite ville de Senkawa, dans la région de Saitama en plein Tokyo. En effet, à l'instant où je vous parle, un trafic d'enfants vient d'être démantelé dans cette petite bourgade pourtant relativement tranquille.
A l'heure qu'il est, les suspects ont étaient mis en garde à vues et la police sur place à procédé à l'extraction d'une dizaine d'enfants d'origines Japonaises, tous âgés de 4 à 17 ans.
Depuis maintenant 1ans et demi, ses jeunes enfants vivaient dans la cave d'une maison située sur le bord d'une route fréquentée, et c'est lors d'une ronde qu'un jeune policier de 21 ans nommé Nishikido Ryo, c'est ainsi vu devenir le héros des habitants de toute une communauté.
Nous allons de ce pas l'interroger!
Nishikido san, Nishikido san! »

Avec un petit sourire, il suivit des yeux la jeune présentatrice se précipiter vers un jeune homme en uniforme, d'une beauté à couper le souffle et d'un charisme impressionnant malgré sa petite taille et son attitude frêle. D'un mouvement gracieux, le policier se retourna vers la présentatrice, les mains dans les poches, apparemment stoppé dans une conversation avec un collègue du même âge que lui.

Les faibles lumières de la télévision éclairaient fortement le visage de l'homme assis sur le canapé, et avec fébrilité, il appuya rapidement sur la touche pause.
Le sourire du policier se figea donc sur son écran, et il frissonna légèrement de bonheur en admirant la beauté de ce jeune héros. Se penchant légèrement vers la télévision, il posa ses coudes sur ses genoux nus, ne perdant pas une miette de ce qui lui était offert.
De longues secondes passèrent pendant lesquelles il ne fit plus un seul geste, se contentant de regarder cette beauté presqu' irréelle qui s'était une fois de plus matérialisée devant ses yeux admiratifs. Il dégustait ce moment. Ce moment de la journée où il admirait cet homme avec dévotion, connaissant désormais la moindre courbe de son visage par cœur. Au milieu d'une foule, il l'aurait reconnu. Par instinct, il aurait reconnu sa présence n'importe où.
Cet homme... C'était le héros d'une centaines de personnes... Et c'était également le sien.

D'un geste fébrile et le cœur battant la chamade, l'homme appuya sur la touche lecture pour l'écouter parler. Pour écouter une nouvelle fois cette voix si masculine, rauque et sensuelle. Pour sentir les vibrations de ce doux son se propager lentement dans ses veines...
Mais surtout, surtout pour se régaler et imaginer ses douces lèvres former amoureusement chaque syllabe de son nom.
Un jour... Ryo Nishikido prononcerait son nom avec amour.
Il s'en était fait la promesse.

« Rewind » et les images passèrent en accéléré en sens inverse.
« Lecture » et la voix du policier retentit de nouveau.
« Rewind »
« Lecture »
« Rewind »
« Lecture » ...