Salut à tous et à toutes !
Encore un petit monstre sorti des profondeurs de mon esprit... Je relisais la saga quand l'idée m'est venue : et si Sirius avait été une femme ? Qu'est-ce que ça aurait changé ? Et j'ai commencé à écrire. Beaucoup. Ce sera certainement la plus longue de mes fictions écrites à ce jour.
J'essaierai de coller au canon autant que je peux, mais il faudra bien remplir les zones d'ombre à grands coups d'OCs. Pardon à ceux qui y sont allergiques.
Normalement, ça devrait rester plus ou moins tout public, mais les Black restent les Black et le rating est fixé à T. Soyez prévenus.
Si vous avez des remarques à faire, n'hésitez pas : les reviews sont là pour ça. Et maintenant, place à l'histoire !
Là où tombent les étoiles filantes
Première Partie : Le temps de l'enfance
Elle nait en novembre, sous une des plus intenses averses qu'ait jamais connu le monde sorcier.
Tous ceux qui se penchent sur son berceau s'accordent à dire que c'est une charmante enfant. Les cheveux bruns qui bouclent sur son front hurlent au monde le nom des Black, tout comme son nez qu'on devine déjà aristocratique, et ses grands yeux gris qu'elle promène partout autour d'elle. Oh oui, Aquila Black est belle, superbe, magnifique, comme avant elle sa mère et ses trois cousines.
Pourtant, les sourires de ses parents ont quelque chose d'amer.
Parce qu'Aquila, toute parfaite qu'elle est, a un grand défaut : elle est la quatrième fille des Black. La quatrième destinée à se marier, la quatrième à ne pas pouvoir porter leur nom si noble et précieux.
Oh, sa mère, Walburga Black, est encore jeune ; elle pourra donner le jour à d'autres enfants, plus aptes à perpétuer la lignée, mais c'est une déception qu'elle a du mal à ravaler. Son premier-né, son héritier, celui qui aurait dû porter le nom de la plus brillante étoile du ciel, cet enfant-là est une fille. Une jolie poupée à qui on apprendra le latin et la révérence, qu'on présentera aux partis les plus puissants et qui finira sa vie dans un grand manoir aux couloirs glacés.
Quelque part au fond d'elle, dans un lieu bien enfoui où elle dissimule ses secrets les plus intimes, Walburga sait qu'elle ne veut pas d'une telle vie pour sa fille. Aquila mérite mieux, sans aucun doute. Comme Bellatrix, comme Narcissa, comme Andromeda, comme elle-même. Elles toutes qui s'inclinent et donnent à leurs maris les garçons qu'ils désirent, dévorées par l'ombre sans oser en sortir. Elles toutes que leur nom tétanise, elles toutes qui meurent la rage au cœur et des regrets plein la bouche.
Elles toutes à qui Aquila finira par ressembler, inévitablement.
o-oOo-o
L'héritier vient finalement un soir d'automne, au milieu des cris d'Aquila et du tambourinement de la pluie sur les fenêtres de la maison.
Regulus, l'a appelé Orion Black. Regulus l'héritier, le petit roi de sang ancien qui fera la fierté de sa famille. Chacun le regarde avec avidité, tentant de deviner chez lui les signes de puissance qu'on attend d'un enfant comme lui. Mais Regulus dort, si pâle et immobile sur ses draps blancs qu'il en semble mort-né.
Il n'y a que l'ainée pour mettre un peu d'animation dans la maison, par sa voix déjà puissante pour un bébé d'un an. Le temps a déjà sculpté son visage rond, y gravant les prémices d'une noblesse typiquement Sang-pur. Et pourtant, elle hurle comme une possédée, se débat et froisse sa robe de dentelle blanche, attirant vers elle le regard dédaigneux des adultes.
« Tu devrais surveiller ton enfant, Walburga, siffle Irma Black entre ses dents. Si elle gigote ainsi devant ses prétendants, comment pourra-t-on espérer la marier ? »
Bien sûr, ils ne disent pas que ça les dérange, cette énergie, cette force qui coule dans les veines d'Aquila, et dont son frère semble totalement dépourvu. Parce qu'Aquila n'est pas l'héritière. Parce que ce devrait être Regulus qu'on doive calmer, Regulus qui devrait donner l'impression de vouloir conquérir le monde magique tout entier. Parce qu'on voudrait qu'elle se taise.
Sauf qu'elle ne se tait pas. Ça semble un peu prémonitoire, non ?
o-oOo-o
– Franchement, Walburga, comment as-tu pu la nommer ainsi ? Aquila, l'étoile de l'aigle… Tu veux faire de ta fille une Serdaigle ?, lance un jour grand-mère Irma de son habituel ton pincé. Si tu la pousse dans cette voie, ne t'étonne pas qu'elle finisse un jour comme guichetière au ministère.
La matriarche est assise dans le salon privé du 12, Square Grimmaurd, tasses de porcelaine à la main et vapeur de thé rare aux narines. L'automne fait souffler un vent glacé à l'extérieur, et le trottoir, dehors, est recouvert de feuilles brunes et or.
– C'est Orion qui a choisi son nom, Mère. Et elle n'ira pas à Serdaigle. C'est une Black.
La vieille femme se contente de jeter un regard dédaigneux en direction de l'enfant qui joue avec des cubes de bois, sous la surveillance d'un elfe de maison. Comme consciente de l'œil désapprobateur posé sur elle, la petite fille lève la tête et dévisage sa grand-mère de ses yeux gris orage. Irma esquisse une moue méprisante.
– Cette enfant a un mauvais regard. De la graine d'insolente, qu'il faudrait remettre dans le droit chemin avant qu'il ne soit trop tard.
– Bellatrix était bien plus sauvage. Et elle a été répartie à Serpentard cette année.
– Bellatrix a toujours été une enfant à part. Ses parents ont tout de suite su la canaliser, et j'espère qu'il en sera de même pour Aquila.
Ne nous déçois pas. Ça sonne comme un ordre ; malheureusement, Aquila a toujours eu l'esprit de contradiction.
o-oOo-o
La première fois qu'Aquila fait de la magie, elle a quatre ans.
Ses parents ont organisé une réception, et elle est curieuse. C'est la première fois qu'elle voit tant d'inconnus à la maison. Il y a un orchestre réputé qui a été spécialement invité pour l'occasion, et sa musique serpente langoureusement entre les invités. Les elfes promènent dans la salle avec de lourds plateaux d'argent couverts d'amuse-bouche qu'ils doivent porter à bout de bras pour les mettre à la portée des convives. Toutes les dames portent des robes splendides, taillées dans la soie et le brocart, ruisselantes de pierreries. Les messieurs, eux, sirotent un vin d'une couleur plus rouge que le sang. Il y a des lumières partout, un parfum envoûtant qui plane par-dessus le murmure des conversations.
Aquila est curieuse de nature, et tout ce faste ne peut que l'attirer. Malheureusement, son jeune âge la condamne à ne faire qu'une brève apparition avant de remonter dans sa chambre sous la surveillance nerveuse de Quincky, l'elfe que Walburga a chargée de s'occuper d'elle.
Mais la petite fille sait comment échapper aux yeux globuleux de sa gardienne. Elle l'envoie à la cuisine lui chercher une boisson, et profite de son absence pour se faufiler jusqu'au salon qui jouxte la salle de réception. Elle colle son œil au judas dissimulé dans le mur, mais l'orifice est minuscule et elle doit se hisser sur la pointe des pieds pour distinguer quelque chose. Alors, elle se colle, encore et encore, espérant voir au moins un petit bout de la fête.
Elle se colle si bien que sans comprendre comment, elle traverse le mur et se retrouve face à l'assemblée.
Les adultes mettent quelques secondes à comprendre par quel moyen la petite Aquila s'est retrouvée là. Un long silence suit son arrivée, jusqu'à ce que l'oncle Alphard éclate de rire et lève son verre en direction du ciel.
– À ma nièce et sa première magie involontaire !, lance-t-il, hilare.
Orion Black s'autorise un sourire orgueilleux.
o-oOo-o
À six ans, Aquila adore sa cousine Bellatrix.
Il faut dire que Bella a tout pour plaire à ses yeux d'enfant : elle est forte, grande, belle, et n'a pas peur de lui révéler ce que les adultes chuchotent entre eux. Elle a quinze ans et lui montre sa baguette avec fierté, décrivant avec force de détails tous les sorts qu'on peut jeter quand les professeurs ne regardent pas.
Aujourd'hui, elles sont assises sur le velours du lit d'Aquila, cernées par les emballages des bonbons que Bellatrix a offerts à sa jeune cousine pour Noël. Agitant de temps à autre sa longue chevelure bouclée, l'ainée rit, amusée par un souvenir de sa quatrième année.
« Une fois, j'ai lancé un Suffocor à une pimbêche de Serdaigle. Sa gorge s'est tellement resserrée qu'elle ne savait plus respirer. Elle était rouge comme une groseille enflée, c'était d'un drôle ! Si Dumbledore n'était pas arrivé si tôt, elle serait morte. Quelle joie ça aurait été pour moi !
– Et pourquoi tu la voulais morte, Bella ?, demande Aquila sur le ton de la curiosité.
L'ainée plisse le nez et déclare d'un ton dédaigneux :
– Parce que c'était une sang-de-bourbe. Un déchet. Il y a trop, à Poudlard, et le vieux Dippet ne semble pas décidé à les expulser. Alors, il faut bien que quelqu'un d'autre s'en charge. J'espère que tu en feras de même, lorsque tu seras à Poudlard. »
Aquila ne comprend pas vraiment ce que dit Bella – elle est trop jeune pour se rendre compte des horreurs que sa cousine lui narre le sourire aux lèvres. Dans sa tête, les nés-moldus sont d'affreuses créatures difformes qui se roulent dans la fange en aboyant comme des animaux.
Plus tard, quand elle se rendra compte de sa folie, elle haïra Bellatrix, et tous les Black avec. Mais pour l'instant, elle se glisse dans l'étreinte possessive de Bella, et lui souffle à l'oreille qu'elle est sa cousine préférée.
o-oOo-o
Sept ans est l'âge de la raison : l'âge où les adultes se permettent de parler devant vous de choses noires et sales qui font toute l'injustice de ce monde.
Sept ans, c'est l'âge où Aquila se rend compte qu'elle n'aime pas ses parents.
Mère est la glace et père est l'acier. Ils sont froids et mordants, au point que leur fille a l'impression de se couper à chaque fois qu'ils la touchent. Ils ont les yeux gris de Black, leur cheveux bruns, aussi, leur élégance et leur sang si pur, ils ont tellement en commun qu'on dirait des jumeaux. Ils le sont presque.
– C'est comme si j'épousais Regulus, lui souffle un jour Andromeda. Notre famille adore marier les cousins entre eux pour produire de beaux enfants. Mais ça ne nous réussit pas vraiment.
Andro ressemble de plus en plus à Bella, au fur et à mesure que le temps avance : même boucles épaisses, même paupières lourdes bordées de cils noirs, même visage noble, avec quelque chose de plus doux et plus accommodant. Cependant, Aquila se garde bien de le faire remarquer. Elle sait bien qu'Andro est mal à l'aise face à ce quasi-jumelage, surtout depuis que Bella martyrise avec un plaisir évident les nés-moldus de Poudlard.
Aquila aime bien Andromeda. Ses étreintes à elle sont chaudes et rassurantes, pas comme celles – inexistantes – de Père et Mère, ou celles – brutales, presque douloureuses – de Bellatrix. Mais elle a toujours cette espèce de tristesse au fond des yeux qui empêche Aquila de rechercher son contact. Andro n'a pas le cœur à rire, et Aquila est une enfant trop énergique pour se perdre dans ses songes comme le fait sa cousine. Elle préfère courir dans toute la maison, quitte à se faire sévèrement réprimander, plutôt que de rester à la fenêtre pour regarder la pluie tomber.
Elle ne le sait pas encore, mais si Andro passe son temps à regarder dehors, c'est parce qu'elle pense déjà à s'échapper.
o-oOo-o
Regulus a beau être l'Héritier, Aquila sait bien qu'elle est la plus forte des deux. Du haut de ses huit ans, elle le domine déjà d'une tête. Il est pâle, chétif, panique dans le noir et n'ose pas hausser le ton.
Et pourtant, grand-mère Irma n'a jamais de regard méprisant envers lui. Elle se contente de le fixer, l'air indéchiffrable, en touillant avec beaucoup de tenue dans sa tasse de thé. Grand-père Pollux fait de même, sauf que lui se préfère largement un des coûteux cigares que lui offrent chaque année ses partenaires cubains aux infusions de bonnes femmes. Tante Druella et oncle Cygnus ont toujours un cadeau pour lui quand ils viennent leur rendre visite. Orion a la voix emplie de fierté quand il dit "mon fils" devant ses amis.
Walburga, elle, semble ne réserver ses regards tendres qu'à son petit garçon. Elle lui caresse les cheveux quand il peine à s'endormir, et le serre même dans ses bras s'il fait un mauvais rêve.
Aquila ne se souvient pas avoir un jour été consolée ainsi. Elle n'a eu droit qu'à la voix tremblante de Quincky pour enterrer ses cauchemars, et jamais, au grand jamais, son père n'a été aussi fier de la présenter à ses relations.
Il n'y a qu'oncle Alphard pour jeter à Regulus des coups d'œil désolé en murmurant :
– Un enfant comme celui-ci n'est pas fait pour être un Black.
Mais on lui lance des regards assassins : le fils d'Orion est l'Héritier, il doit être à la hauteur.
o-oOo-o
Quand elle se prend sa première gifle, Aquila a neuf ans.
Profitant d'une partie de cache-cache, elle fausse compagnie à Quincky et sort discrètement de la maison par la porte de derrière. On est en juillet et il fait beau, alors la petite fille a mis sur pied un projet fou : rencontrer des moldus, des vrais. Elle espère qu'ils sont en vacances, comme les sorciers, comme ça elle pourra parler d'eux avec Bellatrix. Oh, elle ne leur jettera pas de sorts, mais rien que leur parler sera déjà une grande aventure.
Après quelques pas, elle tombe sur une petite plaine de jeux où quelques enfants s'amusent. Ils ont l'air normal, si ce n'est qu'aucun de leurs parents ne porte de robes ou de chapeaux. Est-ce que Bella s'est trompée ? Non, impossible, Bella ne se trompe jamais. Non ?
Intriguée, Aquila se rapproche. Une maman aux cheveux très frisés l'aperçoit, et lui demande :
– Ça va, ma chérie ? Tu es m'a l'air un peu pâle… tes parents sont là ?
Aquila garde le silence, un peu effrayée par tant d'inconnu. La dame appelle quelqu'un, et bientôt, un petit garçon d'à peu près son âge, aux cheveux aussi frisés que sa mère, s'approche d'elle.
– Bonjour, fait-il timidement. Je m'appelle Emmet Brown. Et toi ?
– A… Aquila Black, bégaie-t-elle.
Ni Emmet, ni sa mère ne réagissent à l'entente de son nom. N'importe quel sorcier aurait esquissé un geste de crainte ou de respect, mais pour les Moldus, il ne veut strictement rien dire.
– Les enfants, si vous alliez jouer ensemble ? Il me semble que le tourniquet est libre.
La petite fille acquiesce, même si elle n'a aucune idée de ce qu'est un "tourniquet". Elle suit Emmet jusqu'à un drôle d'engin rond hérissé de barres de métal.
– Monte, lui lance son compagnon de jeu. Je vais le faire tourner !
Elle s'exécute, mal assurée, et manque de glapir quand le "tourniquet" se met soudain à tourner. Emmet court en poussant sur une des barres de métal, avant de sauter à ses côtés en gloussant.
Un autre rire s'élève dans l'air, et Aquila se rend compte que c'est le sien.
Quand elle rentre au square Grimmaurd, trois heures plus tard, sa mère l'attend, le visage blanc de rage contenue. Elle l'interroge d'une voix lente et glaçante :
– Puis-je savoir où tu étais passée, jeune fille ?
Dans sa tête, Aquila entend sonner toutes les alarmes du monde. Doit-elle avouer la vérité ? Elle décide que oui après tout, elle était juste curieuse.
– J'étais dehors, Mère. Je m'amusais avec les Moldus.
Immédiatement, le regard meurtrier de Walburga lui apprend que ce n'était pas une bonne réponse. Elle lève sa main chargée de bagues coûteuses, et la gifle claque, résonnant étonnement fort dans le silence de la maison.
– Jamais. Ma fille. Ne trainera. Avec des Sang-de-bourbe, siffle-t-elle avec plus de haine qu'Aquila n'en a jamais entendue. File dans ta chambre. Ne m'inflige pas la honte de ta vue.
Il ne lui en faut pas plus pour fuir, quitter cet atroce salon qui lui donne la soudaine envie de vomir. Aquila court, terrorisée par cette femme qu'elle ne reconnait pas et qui la révulse. Elle court vers l'étage et sa chambre, court vers son sanctuaire. Mais dans la cage d'escalier, elle ne peut pas ignorer la nouvelle tête d'elfe qui orne le mur.
Elle manque d'hurler en reconnaissant les grands yeux globuleux de Quincky.
o-oOo-o
Aquila ne retourne jamais à la plaine de jeux.
Même si Kreattur, l'immonde vieil elfe que sa mère a chargé de la suivre à chaque seconde, mérite bien le même destin que la pauvre Quincky. Même si elle voudrait bien retrouver la bienheureuse chaleur qu'elle a découvert là-bas, elle n'y retourne pas. Parce que quelque chose dans la colère de sa mère l'a glacée, au point de lui couper toute envie de sortir à nouveau. Oh, elle savait depuis longtemps qu'on lui préfèrerait toujours Regulus, et qu'elle ne ressent plus la moindre affection pour ses parents. Mais quelque chose s'est brisé, ce jour-là. Quelque chose en quoi elle croyait encore : le fait qu'il ne peut pas y avoir d'aversion entre une mère et sa fille.
C'est terrible, pour une enfant de cet âge, de comprendre que maman peut la haïr.
Seulement, Aquila n'est pas de celles qui se morfondent, non : son sang brûle comme du feu, et sa colère la pousse à la rancune. Alors elle décide que si c'est comme ça, elle haïra sa mère en retour.
o-oOo-o
Un an lui suffit pour se mettre une bonne partie de la famille à dos.
Il ne suffisait pas de grand-chose. Cracher sur les valeurs familiales, amener le sujet "Sang-de-Bourbe" dans toutes les conversations, envoyer valser tout ce qui a fait son éducation jusque-là. Et elle le fait avec un plaisir certain.
Oncle Alphard revient hilare de chacune de ses visites chez eux. Explosions de couleurs, étrangetés capillaires, réparties cinglantes, animaux indésirables : son imagination ne semble pas avoir de limites. Son habileté à mettre au point des farces plus insolentes les unes que les autres la surprend elle-même. Elle ne se connaissait pas ainsi. Energique, peut-être, mais bravache ? Non, elle n'était pas comme ça avant.
Désormais, les regards de grand-mère Irma ne sont plus seulement méprisants. Ils ressemblent à des sorts noirs, mortels et haineux. Tante Druella répète à qui veut l'entendre qu'on ne pourra jamais la marier si elle persévère dans cette voie, et manque de s'étouffer d'horreur quand sa nièce lui rétorque qu'elle n'aura qu'à épouser un Moldu. Oncle Cygnus et grand-père Pollux l'ignorent, ou lui parlent comme à un déchet si elle a l'audace de leur adresser la parole. Orion semble se demander comment la chair de sa chair a pu devenir ainsi, et lui siffle souvent :
– Tu me déçois, ma fille. J'ose espérer que tu reviendras bientôt dans le droit chemin.
Parfois, quand elle croise le regard blessé de Bellatrix, celui, outré, de Narcissa, ou les yeux perdus de Regulus, Aquila en a envie. Revenir dans les bonnes grâces de la famille, oublier les mots durs de Walburga, être à nouveau une Black, tout cela a un certain attrait.
Mais la haine qu'elle sent couver sous le visage de pierre de sa mère, sa fureur quand elle parle de Moldus, toute cette colère et ce dégoût mêlés finissent toujours par la ramener vers des sentiments plus noirs.
Aquila ne veut plus être une Black.
o-oOo-o
Juillet étend ses longues mains chaudes sur l'Angleterre. Il pèse sur Londres une canicule comme on n'en a jamais vue, lourde, sèche, prompte à faire suffoquer les grandes dames de sang-pur dans leurs lourdes robes de soirée.
Aujourd'hui, toutes les femmes Black se sont réunies au Square Grimmaurd. Debout au milieu d'un fatras de tissus et de rubans, Narcissa écarte les bras pour permettre à la couturière d'ajuster la soie émeraude qui habille sa taille. Elle babille en tentant d'ignorer la piqure des aiguilles qui transpercent parfois l'étoffe fine.
– … En plus, il paraît que les Rosier ont fait venir des artificiers chinois. Nous allons vraiment avoir un beau feu d'artifice, cette fois-ci. Pas comme au dernier bal chez les Nott. Ceux-là, ils ont toujours été radins ! Leurs fusées avaient des couleurs très laides. Il faut dire qu'ils avaient choisi d'employer des Irlandais. Ces gens-là sont incapables de créer une autre couleur que le vert ! Pas que cela me dérange, mais c'est bien plus joli quand les couleurs sont variées…
Assise dans un coin de la pièce, Aquila soupire bruyamment. Elle n'en peut plus d'entendre les bavardages de sa cousine. Elle a parlé quand elle est arrivée, parlé en saluant la famille, parlé en attendant Madame Guipure, parlé quand l'habilleuse est apparue dans les flammes vertes de la cheminée, parlé quand Bellatrix et Andro sont passées entre les mains expertes de la couturière, et elle parle toujours depuis que son tour est arrivé. Malgré toute son aversion pour les prétendants que Druella Black fait défiler devant sa fille cadette, Aquila ne peut s'empêcher de les plaindre un peu.
– C'est fini, Mademoiselle, déclare Madame Guipure avec déférence.
Walburga lève la tête du livre dans lequel elle s'était plongée, et adresse un regard sévère à sa fille.
– C'est à toi, Aquila. Et tiens-toi droite, je te prie.
La petite fille se lève avec une moue boudeuse. Autrefois, quand elle était toute petite, les robes luxueuses de sa mère la remplissaient d'envie. Elle ne savait pas encore combien il était pénible de rester debout jusqu'à ce que vous ne sentiez plus vos pieds, alors que tout votre instinct vous pousse à courir vous amuser. De plus, elle sent les regards meurtriers de grand-mère Irma qui pèsent sur sa nuque, avides de réduire en poussière l'immonde cafard qu'elle est.
– Quels tissus avez-vous choisis, Madame ?, demande la couturière en l'aidant à monter sur la petite estrade dédiée aux ajustements vestimentaires.
– De l'organdi et du satin, répond Walburga. Dans les tons verts et blancs.
– Vous êtes sûre, Madame ? Il me semble que du bleu lui irait bien au teint…
Un silence glacé accueille sa proposition. Druella et ses filles semblent retenir leur souffle. Irma se retient visiblement d'arracher les yeux de la pauvre femme. Aquila glisse un coup d'œil vers sa mère, et constate qu'elle a pâlit au point de ressembler à un fantôme.
– Elle portera du vert, articule-t-elle péniblement, comme si chaque mot était un basilic qui risquerait de s'échapper de sa bouche. Mettez-vous au travail.
Bien sûr. Walburga Black n'a jamais laissé sa fille porter du bleu. Sans doute a-t-elle peur du nom donné à son enfant, ce nom de constellation qui se rapproche bien trop de Serdaigle. Aquila. Quelles idées étranges sont passées par la tête d'Orion pour qu'il choisisse ce nom-là ?
Silence, à nouveau. Madame Guipure se tait, mais Aquila peut sentir ses tremblements. Il faut dire que sa réputation est en jeu. Si jamais on apprend qu'elle a offensé les Black… Disons qu'elle pourra faire une croix sur sa clientèle sang-pur.
Soudain, un tapotement discret vient briser l'atmosphère tendue de la pièce. La petite tête fripée d'un elfe de maison apparait dans l'entrebâillement de la porte, et sa voix chuintante s'élève :
– Maitresse ? La lettre de Poudlard est arrivée.
o-oOo-o
– Dépêche-toi, Aquila ! Nous n'avons pas toute la journée !
Narcissa remonte le Chemin de Traverse d'un pas élégant, perchée sur les hauts talons de ses souliers en cuir de dragonneau. Derrière elle, sa cousine trottine en observant avec avidité chaque chose inconnue qu'elle croise. Et il y en a ! Chaque vitrine est un petit royaume de nouveauté, entre les oiseaux rares, les substances étranges, les objets enchantés, les livres millénaires et les balais étincelants. Les clients ne sont pas en reste : sorciers, gobelins, trolls, elfes de maison… Quelque part au fond d'une boutique de chaudrons, Aquila jurerait même avoir aperçu une dryade aux longs cheveux de lianes tressées.
La marche empressée de Narcissa s'achève devant la haute façade d'Ollivander. Elle plisse le nez un instant devant l'aspect poussiéreux de la boutique, avant de pousser sa porte grinçante avec un air résigné. Un carillon de vieux cristal retentit en écho au milieu des étagères débordantes d'étuis à baguettes.
Quelques minutes passent dans un silence à peine troublé par le bruit de la poussière qui tombe. Narcissa jette un regard à la petite chaise de bois qui trône entre deux étagères, mais finit par se diriger vers la vitrine pour observer la rue. Elle semble pensive, presque triste.
– Andro ne va pas bien, lâche-t-elle finalement.
– Comment ça ?
Aquila ne peut pas s'empêcher d'être étonnée. Narcissa n'est pas de celles qui veillent sur les autres : c'est plutôt le rôle d'Andromeda, en vérité. Mais si c'est elle qui a des problèmes…
– Elle… Elle a l'air malade, balbutie la jeune fille. Depuis qu'elle a quitté Poudlard, elle est de plus en plus pâle, ne dit presque plus rien, est tout le temps dans les nuages… Je sais qu'elle a toujours été un peu dans la lune, mais là ça commence vraiment à m'inquiéter… Il n'y a que quand elle reçoit du courrier qu'elle a l'air d'aller mieux… Ce n'est pas normal, non ? Ce n'est pas normal que j'aie l'impression que ma sœur se sent mal dans notre maison…
Aquila pense un instant à Walburga et ses yeux glacé, Walburga et sa colère, Walburga et son mépris. Non, ce n'est pas normal, a-t-elle envie de hurler. Ce n'est pas normal qu'un enfant ne se sente pas chez lui dans son propre foyer. Elle veut dire quelque chose, mais un bruit discret dans l'arrière-boutique la coupe dans son élan.
– Bien le bonjour, Mesdames. Bienvenue chez Ollivander. Que puis-je faire pour vous ?
Quand les deux filles se retournent, Garrick Ollivander les fixe de ses grands yeux délavés. Narcissa se dépêche de reprendre un air digne, et pousse nerveusement sa jeune cousine vers le commerçant.
– Ma cousine a besoin d'une baguette. Elle entre à Poudlard cette année.
Si Ollivander remarque son air crispé, il n'aborde pas le sujet.
– Aquila Black, n'est-ce pas ?, fit-il en se mettant à farfouiller dans ses étagères. Venez, venez. Connaissant votre famille, je me permets d'hasarder… Ceci. Bois de prunelier, ventricule de dragon, 28,75 centimètre. Idéale pour les duellistes. Tenez, essayez-la.
Aquila fixe la longue tige de bois un instant, avant de lui faire décrire une arabesque qui envoie voler à l'autre bout de la pièce la petite chaise ignorée par Narcissa. Elle n'a même pas le temps de s'excuser qu'Ollivander lui arrache l'objet des mains. Au bout de quelques minutes de fouille, il lui en tend une nouvelle.
– Hum, peut-être que ceci sera plus indiqué… Bois de charme, crin de licorne, 21,5 centimères. Plus élégante, certainement.
La baguette fait "élégamment" exploser la plupart des lampes au mur. Le commerçant fronce les sourcils.
– Ne nous affolons pas, mademoiselle. Je n'ai jamais laissé un seul sorcier sortir d'ici sans avoir trouvé ce qu'il cherchait. Essayez ceci : bois de cerisier, 23 centimètres, plume de phénix. Assurément très puissante. Je crois me souvenir que votre père en possédait une du même bois.
Une heure et de nombreux accidents plus tard, Aquila contemple la baguette qui l'a choisie, sa baguette.
– Bois de sycomore, ventricule de dragon, 29,5 centimètres, annonce Ollivander. Une baguette avide de découvertes et d'expériences.
Et pour une raison qui lui échappe, la petite fille sourit.
o-oOo-o
Finalement, on arrive en 1971, un premier septembre.
Sur la voie 9¾, on se presse dans tous les sens : des parents anxieux assomment leurs enfants de recommandations de dernières minutes, quelques adolescents bruyants cherchent leurs amis, les Préfets nouvellement nommés essayent de maintenir l'ordre,… Un hibou s'envole et va se percher sur le toit du Poudlard Express, mais est vite ramené dans les bras de son propriétaire par un Accio stupide piaf exaspéré. Une petite fille pleure à chaudes larmes dans les bras de son père. Plus loin, un septième année tente d'échapper à l'étreinte poulpesque de sa grand-mère.
Pas d'embrassades chez les Black, encore moins de larmes. Orion jauge sa fille d'un œil dur, tandis que Kreattur monte ses bagages dans le train.
– Je compte sur toi pour avoir une attitude exemplaire, jeune fille. Tiens-toi comme il convient à ton rang, et soit aimable avec les gens de ta caste. Narcissa t'introduira parmi la population convenable de l'école. Ne nous fait pas honte.
Le refrain est habituel. Avec l'âge, Aquila n'a rien changé de ses manières, mais ses parents semblent penser que Poudlard la changera. Elle est jeune, se disent-t-ils sans doute. Ce n'est qu'une mauvaise période. Serpentard nous la rendra. Elle s'y trouvera un mari au sang pur, et toutes ces années ne seront plus que des secrets de famille qu'on oubliera avec le temps.
Sauf qu'Aquila ne veut pas changer. Elle veut voir toujours plus de colère dans les yeux de sa mère, autant que dans ses yeux à elle. Et elle compte bien sortir de la fosse aux serpents sans ployer.
Alors elle monte dans le train sans se retourner.
