Chapitre 1
J'ai Demandé à la Lune
Au sein de la Zone Grise d'Illusiocitadelle, affalé dans l'un des canapés en cuir blanc, Axel fixait le mur face à lui d'un air neutre, perdu dans ses pensées. Cela faisait exactement dix-sept jours. Dix-sept jours que son existence en tant que Simili avait été mise en pause et que les doutes l'assaillaient. Il avait compté... dix-sept jours que Roxas avait disparu. Et bien entendu, il n'était pas porté disparu, non… Il avait disparu, tout simplement, au sens où le prennent tous les Similis… Il était retourné dans le néant, comme s'il n'avait jamais existé.
Tout s'était passé soudainement, sans que personne n'eut pu faire quoi que ce soit - à la condition que c'eût effleuré l'esprit de l'un des membres. Un ennemi trop puissant, un stock de potions trop court et une expédition sans panacée avaient valu au Simili du Héros de la Keyblade de se faire terrasser. L'Assassin Cruel n'avait rien laissé de la Clé du Destin, si ce n'est, ironiquement, un unique bâton de glace sur le sol.
"WINNER". Tout ce qu'avait gagné Axel, c'était de tout perdre, à nouveau. A présent il ne comptait plus le nombre de désillusions qu'il avait vécues. Croire qu'il pouvait de nouveau avoir des amis, alors même qu'il n'avait plus de cœur, avait été sa plus grande erreur.
Sans qu'il ne s'en rendît compte, son regard dévia vers Isa. Non, pas Isa, Saïx. Il avait parfois tendance à croire que son ancien meilleur ami n'avait pas changé, qu'il était toujours le même, mais la réalité des faits ne pouvait que le contredire. Jamais son ami ne lui aurait parlé sur ce ton froid et distant que Saïx employait continuellement. Même lorsqu'Isa se moquait de lui autrefois, on pouvait ressentir la chaleur humaine de ses sarcasmes. Oui, humaine, là était la subtile nuance.
Deux iris dorés glissèrent sur lui, posant une question muette qu'il éluda en reportant ailleurs son regard. Pendant qu'il était perdu dans ses pensées, la salle s'était remplie au fur à mesure que le temps passait. Il n'avait rien remarqué, et pourtant, le bruit - il se refusait à appeler ça de la musique - provenant du sitar que s'évertuait à torturer le numéro 9 aurait pu réveiller un cimetière entier. Debout devant la vitre comme à son habitude, Saïx commençait à grincer des dents. Il était rare que ce dernier perdît son sang-froid, mais force était de constater que Demyx avait une nette prédisposition à le faire sortir de ses gonds.
Axel haussa un sourcil en découvrant Zexion dans la salle. Il était tout aussi peu fréquent de le croiser, encore plus sans l'un de ses bouquins, et pourtant il était là, fixant le vide avec un air d'intense réflexion sur le visage, et nul n'aurait su dire à quoi il pensait.
Depuis ce qu'il appelait « l'Incident Roxas », Xemnas n'était plus sorti de son bureau, ruminant de sombres pensées et planifiant divers missions pour pousser Sora à combattre les Sans-Cœurs. Et curieusement, plus l'absence de leur supérieur se faisait sentir, plus l'ambiance se détendait au sein de l'Organisation. En revanche, si Zexion daignait les honorer de sa présence, il était plus que regrettable que Larxene ne fît pas tout le contraire, et traverser la Zone Grise ne pouvait se faire sans entendre le son horripilant de sa voix.
- Le travail, c'est la santé. Rien faire, c'est la conserver, chantonna la Mélopée Nocturne, au grand dam de tous les autres.
Et en effet, tous ne se portaient que mieux en l'absence de missions. Bien que se demandant quand celles-ci allaient reprendre – « certainement le jour où Xemnas se déciderait à sortir de sa grotte », comme le faisait si subtilement remarquer la seule femme du groupe -, les onze membres restants ne s'en formalisaient pas. Bien au contraire, ils profitaient de ce moment de calme avant la tempête.
Le seul que ça semblait déranger étant, encore une fois, Saïx. Ne pouvant user à tout va de son autorité en donnant des missions, ni réprimander Demyx à chaque note que produisait son instrument, il semblait nourrir une colère sourde, bien que cela lui fût techniquement impossible.
- Ce serait l'approche de la pleine Lune qui te rendrait comme ça ? ricana Xigbar en s'approchant de l'homme aux cheveux bleus.
Il savait que ce genre d'attitudes familières avaient le don d'agacer prodigieusement le numéro 7, et c'était précisément pour cette raison qu'il continuait à l'aborder de la sorte, allant jusqu'à poser nonchalamment le coude sur l'épaule du Devin Lunaire qui le repoussait alors d'un geste sec tout en le gratifiant d'un regard noir et amer dont lui seul avait le secret.
Après avoir poussé un lourd soupir passablement irrité, Saïx s'écarta de l'Archer et reprit sa position quelques mètres plus loin, regardant tantôt le cœur géant brillant dans le ciel d'Illusiopolis, tantôt le reflet de la salle dans la vitre. Quoiqu'on en dît, il fallait reconnaître qu'il gardait toujours un œil sur les autres membres. En tant que bras droit de Xemnas, il n'avait pas d'autre choix que de les surveiller, tout particulièrement quand il n'avait aucun moyen de les éloigner.
Son principal soucis était de savoir quand il allait enfin pouvoir envoyer Demyx en mission, si possible quelque chose d'assez long pour pouvoir compenser la semaine infernale que lui et son arme avaient fait passer aux autres membres. Egalement, il espérait pouvoir donner à Larxene l'occasion de se défouler autrement qu'en tapant sur le musicien, aussi jouissif que cela fût pour les tympans de chacun. Malgré que plus aucun d'eux n'eût de cœur, Saïx avait l'impression de tenir une garderie peuplée de grands enfants, tous plus pénibles les uns que les autres. Les seuls qui ne lui avaient jamais posé de problème étaient Zexion et Lexaeus, les plus silencieux et discrets des Similis.
En parlant de personnes à problèmes, Luxord et Marluxia n'étaient pas dans le coin…
Axel se leva de son fauteuil et s'étira longuement, ne prêtant pas attention au regard insistant que la blonde lui lançait. Il commençait à reprendre ses esprits, ou plutôt à ne plus prêter attention à la voix qui hurlait dans son crâne et au monstre qui tentait de lui déchirer les entrailles de l'intérieur. S'avançant vers celui qui avait été son meilleur ami pendant une période qui semblait remonter à plusieurs siècles, il le regarda d'un air qu'il voulait détaché et passablement ennuyé.
- Une idée de quand on pourra retourner en mission ? s'enquit-il.
Pour une fois qu'il demandait du travail…
- Aucune. Tant que nous n'avons pas de porteur de Keyblade et que nous ignorons la position de Sora, il est inutile de faire quoi que ce soit, répondit l'autre de ce ton distant dont il usait perpétuellement.
Le roux soupira lourdement, frustré : il avait besoin de se changer les idées, et taper du Sans-Cœur semblait la meilleure option.
- Vexen est toujours en pleines recherches, lâcha Zexion quand le silence s'installa.
- Et il avance ? le questionna Larxene, qui effectivement commençait à trouver le temps fort long à la citadelle.
Le regard évasif qu'elle interpréta comme une réponse négative lui soutira un rire jaune et dédaigneux.
- C'est ça de compter sur des gamins débiles et des copies défectueuses, cracha-t-elle, venimeuse.
Xigbar lui accorda un regard en coin, curieux, tandis que la main de Demyx ripait sur les cordes de son instrument, soulignant encore la maladresse de la scène.
En une fraction de seconde, le pyromane avait saisi la Nymphe Furieuse par le col, énervé comme jamais, et la fixait droit dans les yeux, le visage à quelques centimètres du sien. Une intense étincelle luisait dans ses yeux verts, et s'il avait été capable d'émotions, on aurait donné à celle-ci le nom de haine.
- Répète ça et on sera plus que onze, la menaça-t-il. C'est bon, c'est retenu ?
Un sourire ravi et sadique s'étira lentement sur les lèvres de la jeune femme. Fière, elle ouvrit la bouche pour répéter ses mots, mais fut vite interrompue par la voix cinglante de Saïx. D'un geste, il força le roux à lâcher celle que Demyx qualifiait de sorcière, gratifiant son ami d'enfance d'un regard noir qu'il ne soutint pas.
- Qu'est-ce que ça peut bien te faire, qu'il ait disparu ? reprit encore la langue de vipère avec un sourire à la fois mauvais et victorieux. Tu ne peux pas être triste, Axel, acheva-t-elle, en insistant bien sur le prénom dont avait été doté le Simili à sa « renaissance ».
Larxene savait déceler les points faibles de ses adversaires, et ce en toutes circonstances, elle venait encore une fois de prouver qu'elle était capable de les utiliser avec brio.
Axel dégagea son bras de la prise de Saïx d'un geste sec, fusillant le sol à sa gauche du regard. Les dents serrées, il prit congé des autres, claquant la porte sur le rire cristallin de la blonde. Si Saïx pouvait lui ordonner de lui régler son compte, il en serait des plus ravis.
Fermant les yeux dans un accès de rage, il s'allongea sur son lit pour se calmer, priant pour qu'on ne le dérangeât pas. Il n'aurait toléré qu'une seule voix brisât son silence, hélas, plus jamais il ne serait en mesure de l'entendre.
- Tout ça à cause d'un foutu Sans-Cœur, se contint-il de hurler, serrant les poings à la place et fusillant finalement le Kingdom Hearts du regard.
Axel se réveilla le lendemain avec une migraine insoutenable, sans avoir souvenir de s'être endormi, Morphée avait dû le prendre par surprise. Cependant, à peine sa conscience refit-elle surface qu'il s'aperçut que quelque chose clochait. Se relevant d'un bond, il se retrouva nez à nez avec Saïx, l'air sérieux et armé de son sang-froid légendaire, et retomba en position assise sur son matelas.
- Qu'est-ce que tu fous dans ma chambre ? râla la Rafale de Flammes Dansantes en lui lançant un regard blasé et gêné de s'être fait surprendre.
- J'ai du nouveau, l'informa l'autre sans se départir de son air neutre. Des missions pour la majorité d'entre vous.
- Ça te fera des vacances, ricana le rouquin. J'ai du boulot, j'imagine ?
- Viens me voir plus tard, je t'en trouverai une.
Sur ces mots, il tourna les talons pour regagner son poste, indiquant dans le couloir à Vexen de le suivre par la même occasion. Ce ne fut que lorsqu'il eut franchi la porte qu'Axel remarqua un détail qui le tracassait : que faisait Saïx dans sa chambre ? Il ne pouvait décemment pas être venu le réveiller simplement pour lui dire que des missions étaient disponibles sans entrer plus dans les détails…
Quelques – dizaines de - minutes plus tard, après être enfin parvenu à lisser son manteau et dompter la crinière qui lui servait de chevelure, le numéro 8 se décida à rejoindre la Zone Grise, constatant avec soulagement que la furie sadique avait disparu du paysage.
- T'as envoyé Larxene en mission ? s'étonna-t-il.
- Avec Demyx.
Un ange passa, Axel se demandant s'il avait bien entendu.
- T'as reçu l'ordre de diminuer nos effectifs ? se moqua ouvertement Xigbar, sachant bien que confier une mission en duo à ces deux-là équivalait à les laisser s'entretuer.
Au moins avaient-ils le mérite de faire ça loin d'eux.
De nouveau, le bras droit du chef de l'Organisation XIII ne répondit pas, préférant feindre de n'avoir pas entendu.
- Luxord, aujourd'hui tu pars en mission seul, déclara-t-il à la place.
Le blond releva les yeux du paquet de cartes qu'il avait commencé à battre d'un air inspiré, avant de grimacer violemment et de les ranger d'un mouvement souple dans sa poche.
- Tu vas au Pays des Merveilles, une Ombre Nova y fait encore des ravages, répondit celui aux cheveux bleus à sa question muette. Pars dès que tu seras prêt.
Il se tourna ensuite vers celui aux longs cheveux bicolores.
- Xigbar, tu…
- Comme si j'avais le temps ! contesta l'Archer, ne riant plus du tout. Je suis déjà censé être à Agrabah et écrire trois rapports, aujourd'hui.
- Les ordres viennent de Xemnas, Xigbar, tu n'es pas en mesure de…
- J'y vais.
L'intervention d'Axel avait fait retomber la tension entre les deux hommes. Saïx le fixait d'un air plus choqué qu'il n'aurait dû, tandis que Xigbar semblait tenter de juger si oui ou non c'était une blague.
- Ce n'est pas ce qui est prévu, continua le numéro 7 après un silence.
- Et alors ? Ça arrange tout le monde, affirma l'homme aux chakrams.
Sur ses lèvres était accroché son sourire assuré, et il avait adopté une attitude sûre de lui qui donnait encore plus de poids à ses paroles. Après avoir fait semblant d'être humain, il portait désormais le masque de celui qu'il était lorsque Roxas était toujours des leurs.
- Très bien, concéda enfin son ancien ami, les sourcils froncés. Fais ce que tu veux.
- Et c'est où ?
- A la Cité du Crépuscule.
Axel perdit son sourire.
Quelques heures après le départ d'Axel, Saïx était toujours à la même place. Il constata avec stupéfaction que, bien que couvert de boue et ébouriffé pour le premier, et trempée pour la seconde, Demyx et Larxene étaient revenus vivants et entiers de leur mission au Colisée de l'Olympe. Sans doute le premier s'était-il habilement défilé, encore une fois.
- T'es complètement inutile, la prochaine fois je ne te raterai pas, siffla la jeune femme en partant se changer dans la seconde.
- Tu lui as fait quoi pour qu'elle soit aussi gentille ? demanda Xigbar au musicien, avec un fond de sincérité.
Absorbé dans sa contemplation de l'astre en forme de cœur, Saïx ne remarqua pas que la Mélopée Nocturne était reparti s'asseoir sur les canapés d'un blanc originellement immaculé.
- Puisque je dis que mon truc c'est les missions de reconnaissance, soupira-t-il encore une fois, recommençant déjà à user de son sitar avant d'entonner un air.
La salle était déserte et seules résonnaient les notes de musiques, bientôt suivies de la voix du musicien, l'accompagnant de paroles douces et mélancoliques. Curieusement, celles-ci n'étaient pas désagréables aux oreilles du Devin Lunaire, et il se surprit même à apprécier la mélodie, avant de prêter attention aux paroles.
- J'ai demandé à la Lune, et le Soleil ne le sait pas…
- Demyx ! tonna-t-il soudainement, brisant la magie de la musique.
Le blond n'argumenta pas, cette fois, et courut se réfugier dans sa chambre, ayant déjà trop risqué sa vie pour la journée.
Saïx soupira, avant de tourner de nouveau les yeux vers le Kingdom Hearts qui brillait de mille feux, songeur.
La blancheur pure de la lumière emprisonnée par les Ténèbres.
Un astre luisant dans le ciel nocturne.
Et dans son esprit, le Soleil qui se couchait à l'horizon, disparaissant de plus en plus, hors de portée.
