Le Dragon Pirate


Chapitre 1: Enfance

Il était une fois, il y a bien longtemps, un monde féerique peuplé de créatures extraordinaires cohabitant secrètement avec le monde des Hommes.

Notre histoire commence dans les hautes terres d'Écosse, au début du XVIIème siècle alors que l'ère de la piraterie commençait tout juste. Quelque part au milieu de landes verdoyantes entourés de montagnes, se trouvait une maisonnette de fortune loin de toute présence humaine. Et pourtant, en ce soir étoilé où la lune est assez haute pour se refléter sur le lac, des pleurs d'enfant troublent soudain le silence paisible de la nuit.

Dans cette maisonnette branlante, faite de bois, de rondins, de paille, de pierre et d'argile, la cheminée fume et le feu ronronne doucement, éclairant et réchauffant la modeste petite chambre maintenant remplie par trois enfants aux grands yeux verts ébahis autour du lit de leur mère.

Celle-ci, avec ses longs cheveux roux en bataille, sa peau jaunie et suante, et ses paupières tombants sur ses yeux verts étincelants elle qui est allongée sous ses draps blancs tâchés de sang, trouve la force de sourire malgré la fatigue évidente qui marque ses traits. Et même ainsi diminuée, ses trois garçons la trouvent toujours aussi divinement belle. Rayonnante.

Elle tient dans une petite couverture en tweed, le nouveau-né couverts d'écailles vertes ici et là qu'elle vient de mettre au monde, blotti dans ses bras protecteurs.

« _ Mes enfants. Dites bonjour à votre nouveau petit frère. Arthur. »


Le soleil du matin est clément, et le ciel est bleu. Tout près du lac, il y a un bosquet où le petit dernier de la famille Kirkland se plaît beaucoup à aller jouer. Il y a des lapins, des fées et des licornes avec qui parler et s'amuser, et plein de délicieuses baies à manger, ainsi que des jolies fleurs médicinales qui ne poussent que dans cet endroit précis de la vallée.

C'était le début du printemps, et ces fleurs ne poussent que durant les premiers jours. Arthur le savait, c'est sa maman qui le lui avait dit une fois. Et pour lui faire plaisir, le petit garçon blond aux yeux vert-clair avait décidé de se lever très tôt pour aller en cueillir un panier plein et lui faire une surprise.

Mais c'était sans compter sur ses frères, qui étaient arrivés près du lac peu de temps après pour se laver, et avaient surpris leur tout jeune frère dans sa cueillette. Ils avaient alors aussitôt décidé de profiter de l'occasion pour l'embêter, une fois de plus.

Comme toujours, tout était calme et le vent dansait librement mais ce matin, il n'est plus le seul : trois garnements déployant leurs ailes d'écailles dans leur dos, volettent tout autour d'un tout-petit en se passant un panier en osier comme un ballon, riant et narguant ce dernier qui lui est cloué au sol, essayant d'attraper son bien en tendant les bras et en sautant.

« _ Alors p'tit frère, t'arrives pas à suivre ? Fît l'aîné, Edwyn, avec un sourire narquois.

D'apparence un garçon de 13 ans, le cheveu roux-orangé, des taches de rousseur et des yeux vert-pomme pétillants de malice surplombés d'épais sourcils, il était sans conteste le plus espiègle de la fratrie.

« _ Dommage que tes p'tites ailes ne peuvent pas encore te faire voler, hein ? Renchérit Alistair sans vergogne.

Second né, le garçon paraissait presque aussi âgé physiquement, les cheveux roux également mais bien plus sombres, presque rouges. D'épais sourcils également au-dessus d'une paire d'yeux vert-forêt, perçants comme ceux d'un aigle et son caractère aussi sauvage et libre que ce même animal.

« _ C'que tu es p'tit, Arthur ! Allez, saute plus haut, du nerf ! » Ajouta Carwyn, à peine l'air plus jeune, riant tandis qu'il agita le panier sous le nez de son petit frère avant de le relancer à Edwyn.

Lui était châtain clair, avec aussi de gros sourcils et des yeux vert-émeraude très doux, en contraste avec sa personnalité hyperactive.

« _ Arrêtez ! C'est plus drôle ! Rendez-moi mon panier… sinon… sinon… !

S'indigna le petit Arthur à bout de souffle, serrant ses petits poings, tout tremblant, en essayant d'adresser à ses vilains grands frères le regard le plus noir dont il était capable malgré le fait qu'il retenait ses larmes.

« _ Sinon quoi ? Tu vas aller pleurer dans les jupes de maman ? Bébé, va !

« _ J-J'suis pas un bébé !

« _ Ah ouais ? Ben si t'es pas un bébé, déploie tes ailes et viens chercher ton panier alors ! »

Arthur accepta le défi, déterminé à ne pas se laisser faire. Il était un dragon lui aussi et il allait déployer ses ailes et s'envoler lui aussi, et alors ils ne pourront plus jamais se moquer ! Ils verront !

« Ah… mais peut-être que je devrais prendre un peu d'élan… »

Les trois grands frères regardèrent, étonnés, le petit ôter sa cape puis vivement grimper dans l'arbre le plus proche. Ce n'est que quand ce dernier eut atteint la plus haute branche, en un temps record, qu'ils comprirent ses intentions.

Carwyn regarda ses frères, mal à l'aise.

« _ C'est p'têt' pas une bonne idée de le laisser faire… non ?

Edwyn eut un petit rire nerveux.

« _ Mais non… c'est pas si haut qu'ça… il risque rien… »

Il semblait plutôt essayer de s'en convaincre, mais voir le petit au bout de la branche le fît déglutir.

Alistair ne dit rien, mais ne quitta pas Arthur des yeux, l'air très concentré.

« C'est haut quand même… » Se dit l'enfant, peu rassuré. Mais un simple coup d'œil sur ses frères, et le panier de fleurs au bras d'Edwyn suffit à lui rendre sa motivation.

Il ferma les yeux, se concentra très fort, en se remémorant les enseignements de leur mère quand le moment était venu pour Carwyn il y a un an.

Courbant légèrement le dos, il sentit soudain ses petites ailes fendre sa chair puis se déplier doucement. Le processus était indolore, la peau de dragon étant l'une des plus dures au monde. Seul un petit picotement au niveau des omoplates se faisait sentir, mais quoi de plus normal pour un enfant dragon qui déploie ses ailes pour la toute première fois ?

Arthur ouvrit les yeux, inspirant et expirant, puis il sourit, ravi de sentir le poids de ses ailes dans son dos. Mais il n'avait pas le temps de s'admirer pour l'instant.

Avec un regard volontaire, il fixa le ciel l'espace de quelques secondes puis s'élança, débordant d'assurance.

Les trois spectateurs s'étaient d'instinct rapprochés au moment du saut, le cœur battant et prêts à intervenir, craignant le pire.

Mais contre toute attente…

« _ Wouaaaah ! Je vole ! Je vole ! » S'écria Arthur, battant des ailes à tout rompre, et complètement euphorique.

Ils regardèrent bouche bée, le petit garçon voler maladroitement de plus en plus haut dans le ciel, en cercles et en loopings. Il riait aux éclats, insouciant et volant toujours plus haut tout à sa joie alors que ses frères se demandaient comment diable un enfant dragon si jeune, dont les ailes n'étaient même pas encore tout à fait formées, pouvait il voler aussi bien ? Voler tout-court, même ? Arthur était-il précoce ou bien un cas extraordinaire ?

Mais leurs réflexions furent vite interrompues.

« _ Hé ! Je vois maman en train de sécher le linge devant la maison ! Maman ! Coucou maman ! Appela joyeusement le petit en volant à sa rencontre.

Mais soudain, une bourrasque vint le frapper de plein fouet et il perdit l'équilibre, balloté par le vent quelques instants avant d'amorcer une chute vertigineuse vers le sol. Il cria, fermant les yeux et se protégeant le visage de ses bras ce faisant. Il crut entendre son nom appelé…

« Je ne veux pas mourir ! »

A cet instant, les frères qui s'étaient déjà élancés à sa rescousse d'un côté, leur mère de l'autre, tous virent le corps du garçon rayonner d'une étrange aura dorée. Et tout d'un coup, juste au-dessous de lui un haut et épais buisson vert poussa instantanément et amortit sa chute juste à temps.

La mère qui assista à ce tour de force en resta interdite un court instant avant de se ruer à tire d'aile sur le buisson et recueillir son fils évanouit, guettant la moindre trace de blessure. Ses autres garçons la rejoignirent en un éclair.

« _ Mère, est ce que-…

« _ Mais qu'est-ce que vous faisiez !? Vous étiez supposés le garder !

« _C-C'est pas notre faute ! C'est lui qui-…

« _ Je ne veux pas le savoir ! Votre petit frère aurait pu être sérieusement blessé, ou pire, à cause de vous ! Vous êtes PUNIS ! Vous dormirez dehors jusqu'à ce que vous ayez pris conscience de vos actes ! »

Sur ce, elle s'en retourna sans un regard pour ses trois enfants et claqua la porte de la mansarde avec fracas.

Edwyn soupira, tout déconfit. Carwyn se mordit les lèvres. Et Alistair émit un grognement. Leurs pensées étaient unanimes.

Ce n'est pas qu'ils détestaient leur tout petit frère. Mais depuis sa naissance, il occupait presque exclusivement toute l'attention de leur mère et cela les rendait secrètement jaloux, incapables de comprendre pourquoi Arthur avait droit à un traitement de faveur. C'était une injustice à leurs yeux et donc la raison pour laquelle ils étaient souvent si durs avec lui. Ils ne pouvaient pas s'en empêcher.

« … Chouchou… »

Pendant ce temps à l'intérieur de la maison, la mère-dragon épongeait pensivement le front de son fils endormi, bien confortablement installé dans son petit lit.

Elle repensait à ce qui s'était passé, ce qu'elle avait vu de ses propres yeux.

Arthur… son précieux petit Arthur, volant ! A seulement 5 ans et les ailes pas encore tout à fait développées et pourtant bel et bien fonctionnelles. Deux mignonnes petites ailes vertes, le même vert que ses yeux, transparentes à certains endroits du à leur jeunesse. Combien de dragons pouvaient-ils encore aujourd'hui se vanter d'un tel exploit ? Son petit garçon promettait de devenir un dragon habile.

Mais il y avait plus incroyable encore : Arthur avait utilisé de la magie ! D'accord, c'était visiblement inconscient mais cela rendait précisément la chose encore plus extraordinaire ! Les dragons ne développent leur magie qu'à l'adolescence, normalement, après tout.

La maman contempla le visage serein de l'enfant, à la fois songeuse et émerveillée.

Les étoiles ne l'avaient donc pas trompée.

« _ Quelles autres surprises nous réserves-tu mon Arthur… ? Murmura-t-elle doucement en un tendre sourire tout en caressant sa joue.

Elle se mit alors à chanter sa berceuse préférée, emplissant l'air de sa voix mélodieuse pour mieux envelopper l'enfant-dragon de chaleur et d'amour, et veiller sur son sommeil.

"Lay down your head, and I'll sing you a lullaby,

Back to the years, of loo-li lai-lay.

And I'll sing you to sleep, and I'll sing you tomorrow,

Bless you with love, for the road that you go…"*


"Le Dragon Pirate" est une histoire originellement inspirée de celle du même nom, écrite par "Dragonna"; à qui je dédie en espérant que cela lui plaise et la remercie de sa bénédiction pour la publier ici.


* La chanson que chante Madame Kirkland est une berceuse irlandaise de toute beauté du nom de "Sleepsong" de l'artiste "Secret Garden".