METRO

POV Dean

Tout avait commencé par un drame.

Ces malédictions qui vous entrainent dans une spirale infernale de dépression et d'auto-flagellation.

Baby, ma précieuse Baby était tombée en panne. Et pas la panne classique qui m'aurait permis de la réparer en deux temps trois mouvements. Non, la panne qui vous oblige à redevenir piéton pendant un mois environ.
Une bête pièce du moteur avait cassée. Et mon Impala étant passée dans la catégorie « voiture de collection », - entendez par là qu'elle n'est plus de prime jeunesse – la pièce devenue rare n'était disponible qu'en import.

Voilà pourquoi je me retrouve aujourd'hui dans ce métro surchargé. Un lundi qui plus est.
Véritable opération sardine en boîte : la rame est bondée, des dizaines de personnes sont debout, collées les unes aux autres. Je me retrouve acculé à une des portes. Ça va être sympa au prochain arrêt si le quai est de mon côté.
Je n'ai même pas la place d'enlever ma veste en cuir, je risquerais d'assommer deux ou trois personnes avec mes coudes. Quoi que le mec à côté de moi le mériterait.
Eh mec ! T'as une barre à côté de la porte, elle est pas faite pour les chiens ! Tu me tombes encore une fois dessus et je te refais le portrait.

Un mois comme ça… Je lève les yeux au ciel. Ou plutôt au plafond, qui n'a pas été nettoyé depuis longtemps à ce que je vois. C'est quoi ce truc qui pend ? Beurk.
Avec mes 1m85 je pourrais presque le toucher. Le métro a dû être fait pour des hobbits, j'ai dû me pencher en avant pour y entrer.
Le bon côté, c'est que je n'ai pas à subir les aisselles de mes voisins. Et j'ai une excellente vision panoramique.
La moitié du wagon somnole. J'en vois un qui bave sur son siège. Un autre bon quart a le regard fixé sur son téléphone. Si seulement je pouvais accéder au mien… Merveilleuse idée Dean de l'avoir mis dans la poche du pantalon. Pour demain tu le garderas à la main. Et tu penseras à enlever ta veste avant d'entrer dans la rame.

Le métro ralenti. On arrive à une station.
Pitié pas de mon côté. Pitié pas de mon côté.
Cool. C'est la porte en face. Je regarde le bandeau des arrêts. Encore quatre. Vivement que je sorte de cette boîte de conserve.
Quelques personnes se fraient un chemin vers la sortie, d'autres tentent d'entrer. Vous n'y arriverez pas tous… J'ai envie d'hurler « C'est complet ! ». Les potes se referment, on repart.
Baby pourquoi tu m'as fait ça… ? Je ferme les yeux alors qu'un profond soupir franchi mes lèvres.

C'est en les rouvrant que je le vis.

Plus loin dans la rame, adossé au strapontin, la porte opposée.
Le regard plongé dans un livre, un homme en trench-coat couleur crème trop grand pour lui, costard cravate en dessous. Il n'a pas chaud habillé comme ça ?
La barde de deux jours, quelques rides autour des yeux, des cheveux plus longs que les miens, presque noirs, coiffés…artistiquement. Ce genre de coupe que vous ne pouvez vraiment décrire. En bataille ? Style coiffé-décoiffé ? Toutes ces mèches rebelles me font penser au lendemain d'une nuit torride, les doigts glissant dans cette masse sombre, s'y agrippant…
STOOOOP ! Penser à autre chose, maintenant !
Ses fines lèvres roses…
Non plus Dean !

Je sens une agitation autour de moi. Je sors de ma rêverie.
Les portes du métro s'ouvrent. Pas de mon côté, chance !
Je réalise que j'ai passé une station à fixer ce type sans même m'en rendre compte.
Ah mais ! Si les portes ne s'ouvrent pas de mon côté, alors...

Mon estomac se noue brièvement. Je me mords le coin de la lèvre inconsciemment.
Je cherche l'homme au trench-coat du regard.
Je le vois se coller un peu plus au strapontin derrière lui et lever son livre pour laisser sortir une petite blonde. Un fin sourire gêné se dessine sur ses lèvres alors qu'il l'accompagne du regard.

J'entends les portes se refermer. Je me sens un peu plus oppressé, il doit y avoir encore plus de monde dans la rame que tout à l'heure. Mais je ne peux décrocher mes yeux de lui pour vérifier.

C'est alors que nos regards se croisent. Il redresse la tête, lentement. Ses paupières se relèvent pour dévoiler deux orbes d'un bleu incroyable.
Je crois que mon cœur rate un battement. Ou peut-être deux. J'ai encore plus de mal à respirer.
Ce n'est pas humain, c'est de l'ordre du divin.
Le bleu sombre d'une nuit sans nuage et des profonds océans. Presque noir. Seule la lumière du néon du wagon au dessus de lui révèle cette teinte bleutée.
Son regard est perçant. Je sens comme un malaise, j'ai dû mal à le soutenir.
Je ne sais pas depuis combien de temps on se fixe ainsi. Quelques secondes, quelques minutes ? Je ne sais même pas si on a passé une nouvelle station. Je devrais peut-être regarder où on en est. Après tout je n'ai pas encore l'habitude de faire ce trajet. Mais cette idée est rapidement balayée par la vue d'un nouveau sourire se dessinant sur ses lèvres. Ses yeux se plissent légèrement.
Ok, c'est définitivement de l'ordre du divin tout ça.
Mes jambes flageolent, j'ai les mains moites. Je crois que je ne respire plus.
Je me sens tomber en arrière.
L'expression de cet ange en trench-coat change subitement. De la peur ? Ses yeux s'ouvrent en grands, ses lèvres rosées s'entrouvrent. Mon visage mime le sien.
Il me semble entendre un « Attention ! ».

Je sors juste à temps de ma transe pour comprendre ce qu'il se passe. On vient de s'arrêter à une nouvelle station, les portes contrent lesquelles j'étais adossés viennent de s'ouvrir. Je pense avoir bousculé quelques personnes en tombant en arrière si je tiens compte des regards assassins qu'on me lance.
J'essaye de me mettre sur le côté pour laisser les gens sortir. Je joue des coudes pour remonter. Désolé mon vieux, mais je fais une tête de plus que toi et ton bras fait pas la moitié du mien. Je le toise du regard, dédaigneux, avant de chercher mon ange du regard.
Il est là. On dirait qu'il s'est redressé. Lorsque ses yeux me posent sur moi, je crois voir ses épaules s'abaisser, sa mâchoire se desserrer. S'est-il inquiété pour moi ? Ou est-ce que je fantasme toute la situation ?
Je lui offre un sourire en coin et un clin d'œil. Toujours rester digne. Un de mes nombreux leitmotives. Je m'adosse nonchalamment contre la porte. Comme si rien ne s'était passé.
Il m'offre un sourire amusé.
J'adore la façon dont le coin de ses yeux se plisse quand il sourit, comme le bord de sa lèvre se relève…

Je détourne le regard. Je suis sûr que je rougis. Je passe une main dans mes cheveux courts toujours impeccablement coiffés. Elle finie sur ma nuque, que je masse légèrement.
Qu'est-ce qui va pas chez moi ? Je me fais tout un film pour un simple regard échangé.
Alors oui ce mec est canon, oui je suis intéressé, mais eh oh ! C'est la première fois que je le vois. Et peut-être la dernière. Et qui me dit qu'il serait intéressé ? Il m'a juste souri. Comme il l'a fait pour la fille qu'il a laissé sortir tout à l'heure. Il est juste poli et souriant. Oui c'est ça, il est juste poli. Et canon.

Lorsque j'ose à nouveau le regarder, je le vois à nouveau plongé dans son livre.

Juste poli.

Je baisse la tête.
Vivement que j'arrive à destination. C'est la prochaine station si j'ai bien compté.
J'entends les freins s'enclencher. On arrive. Je me retourne pour faire face à la porte. Je suppose que je sors par ce côté vu que bon nombre d'autres personnes se sont tournées vers moi.

Un dernier crissement strident et la rame s'immobilise. J'attends le bruit caractéristique de la dépressurisation des portes pour l'ouvrir. Je jette un dernier regard à mon ange en trench-coat.
Il a la tête baissée mais pas ses yeux. J'aperçois une dernière fois ces deux orbes divines avant de sortir.

A suivre