Renji est impulsif, exubérant, fêtard, bruyant.

Byakuya est calme, froid, sérieux, discret.

Aucune compatibilité en apparence. Mais les contraires s'attirent…

Chapitre 1 : Prise de conscience.

Renji avançait vers les locaux de la sixième division avec l'énergie d'une larve anesthésiée. Les arrivées de Hollows, Menos Grandes et Arrancars étaient de plus en plus fréquentes en ce moment. Foutu Aizen, il menait une guerre d'usure, essayait de les avoir par l'épuisement. Parfois, Renji était tellement fatigué qu'il en arrivait à penser que l'ex-capitaine allait triompher. Les troupes étaient tellement épuisées, aussi bien physiquement que moralement…

Lui, en tant que lieutenant, était aux premières lignes, évidemment. Un haut-gradé se doit de protéger les plus faibles.

Suite logique, son capitaine, Kuchiki Byakuya, n'en menait pas large non plus.

Jamais le capitaine n'avouerait sa fatigue, mais Renji voyait bien que même son renommé supérieur était parfois à bout de forces. Alterner sans cesse combat sanglant et dossier barbant était un régime que ni lui ni son capitaine ne pourraient encore tenir longtemps.

Abarai en était là dans ses pensées quand les locaux de sa division entrèrent dans son champ de vision, le déprimant un peu plus. Il était fourbu, découragé d'avance par la montagne, l'Everest, l'Himalaya de paperasserie qui l'attendait.

Prenant son courage à deux mains, il poussa la porte de son bureau, commun à celui de son capitaine. La vision qui s'offrit à lui le troubla : Byakuya était là, inhabituellement vautré sur ses papiers. Endormi.

― Je le savais, murmura le lieutenant, qu'on tiendrait pas longtemps à collectionner les heures de boulot et les cernes.

Néanmoins, il se sentait bizarre à la vue d'un Byakuya Kuchiki, d'ordinaire si droit et irréprochable, en train de dormir sur ses dossiers comme n'importe quel homme fatigué.

Combien de fois lui-même avait-il piqué du nez sur ses rapports tandis que son capitaine ne flanchait pas, avide de donner le bon exemple à suivre ? Non vraiment, il était troublé de le voir ainsi, car en plus de paraître plus humain, en plus de s'être involontairement défait de son masque d'indifférence nobiliaire, Byakuya semblait soudainement plus accessible. Presque plus beau.

Renji se gifla mentalement. S'il commençait à fantasmer sur son supérieur, il allait au devant de sérieux problèmes. Et pourtant… pourtant il n'arrivait pas à imaginer qu'il existe plus beau spectacle que celui qui se déroulait sous ses yeux actuellement. Il était si unique, si idyllique.

Illuminaient le capitaine les quelques derniers rayons du soleil qui diffusaient une douce lumière orangée dans la pièce, atténuant les couleurs, faisant glisser sur les cheveux ébènes de douces rivières lumineuses et colorées, bronzant le teint pâle de l'endormi.

Renji lâcha un soupir d'admiration. Il voyait son capitaine sous un jour complètement nouveau, mais cela lui faisait zapper un petit détail : il ne pouvait décemment pas rester planté là à reluquer son supérieur en souriant niaisement.

― Je fais quoi ? Si je le réveille et qu'il est grognon, j'suis bon pour finir tous les dossiers seul… mais je peux pas le laisser dormir ici, il va se tuer le dos.

Abarai se dirigea donc vers le dormeur, le prenant maladroitement dans ses bras dans l'optique de le ramener chez lui, où le sommeil lui serait certainement plus doux.

― Faites que personne me voit… Faites que personne ne NOUS voit…, implora-t-il à voix basse en marchant d'un pas rapide vers la demeure Kuchiki. Et d'ailleurs je vais faire comment pour rentrer le foutre dans son lit moi ? Y'a sûrement des gardes… Qu'est-ce que je vais leur raconter ? « Salut, il dormait sur la paperasse donc je l'ai ramené avant qu'il ne tombe ou se défonce les lombaires. Je le pose sur le parquet ou vous le prenez ? » Dans quelle galère je me suis encore foutu… J'aurais mieux fait de le laisser là-bas et lui amener une couverture. Ou bien, aller chercher un futon, le ramener et l'y allonger… Mais je peux plus faire demi-tour maintenant, si jamais il se réveille…

Ce que le rouquin n'avait pas capté, c'était qu'à force de marcher comme une brute, Byakuya s'était retrouvé ballotté comme un mignon sac de pomme de terre. Du coup, le noble était parfaitement éveillé et écoutait sans piper mot le laïus de son subalterne. Il referma ses paupières sur ses orbes grises, s'autorisa un micro-sourire. Il n'aurait jamais imaginé que Renji soit une personne aussi attentionnée, surtout envers quelqu'un qui lui avait balancé son Bankai en pleine face pour l'empêcher d'aller sauver son amie d'enfance… Et puis, il y avait une autre raison à son sourire, car, inexplicablement, il se sentait bien dans les bras de Renji. La sensation de l'étreinte de son lieutenant était comme un bain chaud après une errance sous la pluie, un massage sur un nœud musculaire, un pansement sur une blessure, un chocolat chaud après une crise de larmes.

Abarai et son baluchon finirent par arriver à la demeure du noble. Par chance, Renji ne distingua aucun garde devant l'entrée. Il appuya son dos à la lourde porte et poussa. Elle s'ouvrit :

― Bizarre… J'aurais pensé que la maison d'une des quatre plus grandes familles nobles serait ultra-sécurisée… s'étonna le lieutenant.

Plutôt soulagé que personne ne le prenne en flagrant délit de ballottage nobiliaire, Renji fila dans les couloirs, à la recherche de la chambre de son supérieur.

― Bon sang… c'que c'est grand… Comment je vais savoir où il pieute moi ?

― A droite, deuxième porte. Répondit une voix moins polaire que d'habitude.

La surprise et l'infarctus d'Abarai furent tels qu'il en lâcha son mignon paquet. Byakuya atterrit douloureusement sur son auguste postérieur.

― Ah… p-pardon Taicho ! s'excusa Renji en aidant maladroitement son capitaine se relever.

Kuchiki ne répondit rien, lui tourna le dos et avança de quelques pas :

― Merci de m'avoir raccompagner, Renji.

― Ah…euh… C-c'est normal, répondit le lieutenant en s'inclinant en signe de respect.

Abarai n'en menait pas large. Il sentait le rouge envahir ses traits pour bientôt faire rivaliser son teint avec ses cheveux. Merde, qu'est-ce qu'il avait, au juste ? Il avait trouvé son capitaine endormi, avait décrété que le laisser pioncer ainsi ne sera pas très gentil et l'avait donc ramené chez lui. Pas de quoi en faire un plat, non ? Alors pourquoi son cœur battait-il si fort dans sa poitrine ? Pourquoi n'arrivait-il pas à admettre qu'il avait éprouvé un bonheur illimité à serrer Byakuya contre lui ?

Est-ce qu'il serait…amoureux, ou quelque chose comme ça ?

― Tu peux te relever, précisa Byakuya.

Renji réalisa alors qu'il était toujours incliné, et que son capitaine ne l'avait pas quitté des yeux depuis le début. Comme si c'était le moment de passer pour un con…

― S-si vous voulez bien m'excuser, je… je vais y aller.

Merde, il pouvait pas arrêter de bégayer deux secondes ?

― Vas-y, autorisa Byakuya dans sa grande mansuétude.

Renji ne se le fit pas dire deux fois et débarrassa le plancher d'un coup de shunpo. Il avait besoin d'être seul, de faire le point au calme, hors de portée de ces deux yeux d'encre qui le transperçaient et chamboulaient tout en lui.

Le lieutenant alla se poser dans un endroit qu'il avait découvert quelques mois plus tôt. Un petit coin de verdure, quelques dizaines mètres derrière les locaux de sa division. A l'origine, il s'était posé là avant le boulot pour décuver d'une soirée, et, une fois la sobriété revenue, il avait pu correctement apprécier la beauté des lieux. Aussi étonnant que cela puisse paraître vu le tempérament volcanique du vice-capitaine, il avait adoré la quiétude ambiante et l'odeur d'herbe fraîche. Depuis, quand il devait se creuser les méninges plus que d'ordinaire, il avait prit l'habitude de venir ici.

Et niveau torture mentale, il avait pas mal de pain sur la planche. Il voulait comprendre ce qu'il ressentait pour son capitaine depuis quelques semaines déjà. Quel était ce nouveau sentiment qui l'habitait ? Pourquoi s'inquiétait-il quand son capitaine partait en combat sans lui ? Pourquoi se faisait-il un sang d'encre quand Byakuya avait l'air fatigué ? Pourquoi voulait-il qu'il s'endorme encore sur son bureau, pour le ramener encore chez lui, encore le serrer dans ses bras ?

Une voix nasillarde clamait la réponse dans un recoin de son esprit : « t'es amoureux, mon grand. »

Amoureux… D'un homme… d'un noble… C'était proprement délirant. Amoureux de Byakuya Kuchiki, son capitaine, son ancien ennemi juré ? Cela aurait au moins le mérite d'expliquer pas mal de choses, ces soudains malaises quand les yeux du Kuchiki se posaient sur lui par exemple. Ou encore, les foutues migraines qu'il se prenait à force d'essayer d'imaginer son capitaine sourire.

― D'accord… On se calme, et surtout, on ne panique pas… Je suis amoureux, d'accord. D'un homme, passe encore. Du mec le plus réfrigérant de tout Soul Society qui est en plus un hétéro pur et dur… Rah, je me demande pourquoi je me prends la tête, même si je suis amoureux de lui, ce ne sera jamais réciproque.

Le lieutenant aurait aimé s'en moquer, être indifférent à cette peine de cœur naissante, pourtant, il sentait dans son cœur un arrière-goût de dépit et de frustration.

― 'Tin, ragea le lieutenant, pourquoi ça tombe toujours sur moi ce genre de merdes ? Faut que je me fasse une raison avant de virer dépressif... Quelqu'un qui a reçu l'éducation comme celle de Kuchiki Taicho ne peut même pas concevoir de partager sa vie avec un chien du Rukongai. Je suis son antithèse, là où il dit blanc, je dis noir. On est trop différents, ça n'aurait jamais marché…

Fait inhabituel, Byakuya dormait avec son hakama dans les bras. La raison d'un tel acte était très simple : l'odeur de Renji y était encore imprégnée, et il allait se faire une joie de la respirer jusqu'à ce que le parfum du roux ne se soit complètement évaporé.

Contrairement aux apparences, Byakuya se prenait nettement moins la tête que son lieutenant. Peut-être parce qu'il était plus facile pour un noble d'aimer un roturier que le contraire ? En effet, tous les problèmes qui se poseraient pour cet éventuel couple n'étaient des désavantages que du côté de Renji : écart de classe sociale, différence d'éducation. Byakuya n'avait pas à se soucier de ça, puisqu'il était le mieux pourvu à tous les niveaux.

La seule ombre au tableau du Kuchiki était qu'il ne savait absolument ce que Renji ressentait pour lui. Il se surprenait depuis quelques semaines déjà à regarder son lieutenant à la dérobée, à se demander l'effet que cela fera que d'être dans ses bras. L'expérience de ce soir ne lui avait donné qu'un aperçu furtif qui le laissait sur sa faim.

L'ambiance qui envahit la sixième capitainerie le lendemain fut spéciale. Pour une raison qui lui échappait totalement, Byakuya constatait que Renji fuyait ses regards, lui parlait le moins possible, guettait la moindre échappatoire pour instaurer de la distance entre eux. Alors que, tout au contraire, le capitaine cherchait ses regards, surveillait ses gestes. Il voulait savoir, savoir si Renji éprouvait quoi que ce soit pour lui.

Mais, de son côté, le lieutenant étant persuadé de n'avoir aucune chance avec son supérieur, essayait au maximum de l'écarter, de l'oublier. Et pour se faire, il avait besoin de ne plus le voir qu'au minimum. « Un cœur blessé prend souvent de la distance » dit-on.

Kuchiki n'était pas du genre à attendre ses réponses trop longtemps. Et si elles ne venaient pas à lui, il irait à elles. Il n'aimait pas être tiraillé entre deux options, il voulait être fixé, en avait besoin.

Alors, en fin de journée, lorsque Abarai s'apprêtait à prendre congé :

― Renji, appela une voix polaire.

Le lieutenant déglutit en voyant son échappatoire s'envoler. Il avait tellement besoin de sortir de là...

― Oui, capitaine ?

― Viens voir ici.

Renji haussa un sourcil : Byakuya s'était levé. D'ordinaire, quand il avait un ordre ou à dossier à donner, il le faisait sans prendre la peine de quitter son siège.

Mais, docile, le lieutenant approcha et se plaça devant le bureau de son supérieur. Byakuya le regarda, presque surpris :

― J'ai dit ici, répéta le capitaine en désignant le sol à ses pieds.

Renji blêmit et approcha sans un mot. Hier encore il aurait tout donné pour avoir une telle proximité avec Byakuya, alors pourquoi était-ce maintenant que ce genre d'opportunité se présentait ? Il devait être maudit, y'avait pas d'autre solution.

Les deux se retrouvèrent donc face à face, Byakuya étant obligé de lever un peu la tête pour que ses yeux puissent se planter dans ceux de son subalterne.

Renji frémit. Il détestait ça, quand Byakuya le fixait ainsi. Il avait l'impression que son capitaine déchiffrait ses pensées, lisait dans son cœur. Et vu ce qui s'y trouvait en ce moment, Renji préférait que Byakuya n'y ait pas accès.

Le capitaine observa le silence de longues minutes durant, étudiant la moindre réaction de son lieutenant. Celui-ci rougissait au fur et à mesure que le temps filait, semblait de plus en plus mal à l'aise.

― Je vois, dit platement Byakuya.

Le rouge aux joues, l'air encore plus coincé que lui, c'étaient là des signes qui ne trompaient pas. Le noble songea, dans un langage plus approprié, qu'il avait décroché le jackpot. Il ne laissait pas Renji insensible.

Le susnommé Renji ne sut jamais ce que son capitaine vit exactement, car, aussi surprenant que cela puisse paraître, il se retrouva plaqué contre le bureau.

― C-capitaine ? Vous vous sentez bien ? lâcha-t-il incontrôlablement, ayant de furieux doutes sur la sobriété toute relative de son supérieur.

Kuchiki haussa un sourcil amusé.

― Parfaitement bien. Et vous, Abarai Fukutaicho ? questionna-t-il laconiquement en se penchant sur lui pour susurrer ses mots près de son oreille.

― Euh…j-je…

Bégaiements, le retour.

― Tu ?

― Je… enfin… je…

Merde, ce n'était même pas qu'il n'arrivait pas à parler, c'était carrément qu'il ne savait pas quoi dire. « J'ai envie de vous, roulez-moi une pelle » lui semblait une formule un peu trop crue.

Byakuya vola à son secours à sa manière. Il l'embrassa dans le cou. Renji sursauta d'abord, puis se détendit. Le capitaine continua son exploration nucale.

― Embrassez-moi, lâcha inconsciemment Renji.

Le capitaine, légèrement surpris par la demande, y accéda sans protester. Son lieutenant abandonna dans la seconde toute volonté d'éloignement, se trouvant légèrement ridicule d'avoir parlé avec une voix si implorante. Sa fière image de mâle en prenait un coup. Mais bon, si ça lui permettait d'obtenir grâce aux yeux de Byakuya...

― Capitaine ? aventura timidement Renji.

― Oui ?

― Excusez-moi de vous interrompre mais… je suis allongé sur l'encrier…