Hey ! Bonjour bonjour !

Cette fic est en réalité un OS, à la base. Je l'ai découpée en trois parties parce que, vu la taille du bouzin, je me doute que certains d'entre vous préféreront le lire en plusieurs fois (moi-même j'ai un peu la flemme quand je vois des textes de trouzmille mots ahahah).

Du coup voilà, vous pouvez le lire en plusieurs morceaux, mais je conseille quand même de lire cet OS d'une traite (il n'a pas vraiment été fait pour être coupé, à la base, du coup les fins de "chapitres" ne rendent pas forcément très bien).

Bêta lecture : Fexatsyn (on l'applaudit bien fort)

J'ai emprunté le titre à une fable de La Fontaine du même nom, qui n'a absolument rien à voir avec cette histoire, mais ça me paraissait approprié (manque d'inspiration, quand tu nous tiens... ) .

Sinon, c'est de l'humour un peu absurde, du VanNéo et euhm... Rien ne m'appartient, je pense. Je vous souhaite une bonne lecture !


Une chaleur étouffante régnait en ville, météo somme toute banale pour un mois de juillet. Et pourtant, malgré l'étrange normalité de la situation, les radiations du soleil semblaient faire le sujet de toutes les conversations. « Fait chaud, non ? Oh, la, la, c'est infernal, dis donc ! » Ceux qui attendaient autrefois avec impatience la venue de l'été en venaient à supplier pour le retour de l'hiver. S'ils avaient pu acheter quelques degrés de moins, sans doute l'auraient-ils fait.

S'il faisait chaud à l'air libre, imaginez devoir travailler dans un magasin sans climatisation pendant la plupart de la journée, à suffoquer derrière les grandes baies vitrées qui permettaient aux clients d'admirer la marchandise.

Imaginez maintenant que le magasin soit une librairie d'une petite ville et que les clients, déjà rares en temps ordinaires, soient carrément inexistants. Imaginez la frustration éprouvée à bouillir toute la journée parmi les livres poussiéreux, imaginez l'impression de vous noyer dans votre propre sueur et la rage qui en découle alors. Rage que, sans aucun scrupule, vous chercherez à déverser sur un individu plus mal loti que vous, cela va de soi. En l'occurrence, un petit jeune en job d'été dans votre librairie.

Imaginez à présent que vous êtes ce fameux petit jeune.

Le malchanceux se prénommait Néo et, après une semaine d'esclavage au profit des autres employés du magasin, il songeait fortement à démissionner. La seule chose le retenant de claquer la porte était le salaire promis, qui devait servir à payer ses études, et par conséquent à s'assurer un avenir plus radieux que ce qu'il subissait à ce moment.

Pourtant, entre deux épongeages de front, on l'entendait maugréer qu'il gâchait sa jeunesse enfermé là comme un homard dans une marmite d'eau. Ladite jeunesse consistant majoritairement à rester posé le cul devant son ordinateur, on peut se demander si cela changeait vraiment grand-chose, qu'il s'y adonne maintenant ou plus tard.

Bref, Néo s'ennuyait. Il triait des livres, déambulait dans les rayons pour s'assurer que tout était à sa place, portait les grosses caisses dont ses « collègues » (comprendre : supérieurs hiérarchiques officieux) ne daignaient pas se charger eux-même. Il soupira. Qu'est-ce qu'ils fichaient ceux-là encore, d'ailleurs ? Encore dans leur soi-disant salle de réunion ?

Et en vérité, il n'était pas très loin de la vérité avec cette hypothèse. Ses cinq collègues se trouvaient bien embêtés, à vrai dire, absorbés par un souci mystérieux, posé un mystérieux individu, donc Néo ignorait encore tout. Pour le moment, du moins.

« Bon alors, on fait quoi ?

-Bah on lui envoie la réponse du patron et basta, non ?

-Oh, pfff... T'es marrant toi, c'est jamais une partie d'plaisir d'aller là-bas !

-'Commence à faire chier ce mioche, aussi...

-Quelle histoire à la con, sérieux.

-J'ai pas envie d'y aller, moi !

-Ah, moi non plus ! On crève de chaud dehors. »

Dans le silence qui s'ensuivit, les rouages de leurs cerveaux respectifs s'activèrent comme à l'unisson, avant que l'une d'eux ne s'exclame :

« Le nouveau!

-Mais, c'est risqué, non ? J'veux dire, on a le droit de faire ça ? »

Haussement d'épaules général.

« Bof... Déjà que nous, on comprends rien à cette affaire, alors...

-Ouais pas faux. Mais c'est pas... Dangereux ? »

Silence. Puis :

« Nooooooooooon !

-Non, bien sûr.

-Non. »

C'est ainsi que, quelques minutes plus tard, une enveloppe orange vif assaillit le champ de vision de Néo. L'enveloppe était tenue par un bras, au bout duquel se tenait Xigbar, le collègue qu'il aimait le moins, notamment à cause de ses blagues assez douteuses et jamais très drôles. Une fois n'étant pas coutume, il semblait assez mal à l'aise.

« Oui ? demanda Néo de mauvaise grâce.

-Prend ça, fit l'autre en agitant l'enveloppe. Tu dois le livrer à l'adresse qui est notée dessus. »

Néo sentit rapidement, comme un instinct animal refaisant soudain surface, quelle immense galère cette petite mission allait être. Un pressentiment qui serait bien vite confirmé. De mauvaise grâce, il saisit l'enveloppe.

« Vous pouvez pas l'envoyer ? grogna-t-il avec amabilité.

-Disons que notre... correspondant, aime recevoir son courrier en main propre. »

Le jeune homme haussa un sourcil perplexe.

« Et puis quoi ? Vous cédez aux exigences de tous vos clients, comme ça ?

-Non, juste celui-là. Et ce n'est pas vraiment un... Enfin, tu verras bien, gamin !

-Je suis pas livreur...

-Bon, écoute. Juste... Fais-le, ok ? »

Un instant, Néo se demanda si la sacro-sainte Flemme n'allait pas l'emporter, lui aussi. Il ne désirait pas vraiment traverser la ville par cette chaleur infernale, même pour conserver son travail. Et puis, il y avait le Pressentiment.

Mais Néo avait toujours été un garçon assez docile, sans beaucoup de volonté. Il râlait beaucoup mais finissait toujours par faire ce qu'on lui disait. Cela le perdrait, un jour. Aujourd'hui, peut-être. Le problème était qu'il n'en avait pas vraiment conscience. Dans sa naïveté, il se considérait comme un jeune adulte plutôt récalcitrant.

« Ouais bon ok... s'entendit-il marmonner.

-Super ! sourit Xigbar. Et hm... Encore une chose.

-Quoi ? soupira Néo, excédé.

-Juste... Reviens en un seul morceau, ok ?

-Hein ?

-Oh, je ne voulais pas dire que tu allais mour- Enfin, tu sais ! C'était une blague, ahah ! Sois prudent... »

En sortant de la librairie, Néo se demanda si ses collègues ne le livraient pas tout simplement à un tueur en série cannibale. Si ça se trouve, ils formaient une secte, et il en serait le sacrifice hebdomadaire... Il examina ses options.

S'il ne livrait pas la lettre, sans doute allait-on le virer. Il n'aurait pas assez d'argent pour poursuivre ses études, n'aurait aucune carrière, aucun avenir, finirait seul et triste sous un pont avec des puces et des tiques pour toute compagnie. En gros, autant mourir maintenant. Foutu capitalisme.

Le trajet se passa dans les conditions que vous pouvez imaginer : à pied, sous un soleil de plomb, le t-shirt trempé de sueur collante, et en consultant l'application GPS de son téléphone toutes les cinq minutes.

Il se retrouva, après ce qui lui sembla une éternité (ce qui, dans l'unité de temps communément admise, équivaut à 30 minutes), devant un immeuble tout banal, gris, avec des balcons affublés de plantes en pot. La porte du hall d'entrée était grande ouverte.

Les cheveux de Néo lui collaient au front à cause de la chaleur. Baissant les yeux vers l'adresse inscrite sur l'enveloppe, à l'encre verte, il constata que l'appartement qu'il cherchait se trouvait au rez-de-chaussée, ce qui l'arrangeait bien.

Il dût encore traverser un long, très long couloir, pour parvenir à son but. Les murs blancs semblaient s'étirer de part et d'autre de lui, comme pour le dissuader d'atteindre la porte, comme si son destin allait être scellé au moment-même où il frapperait.

Et pourtant, après avoir prié une dernière fois que ses collègues ne le livrent pas à un dangereux psychopathe, il frappa.

De l'autre côté de la porte, un grognement, puis des bruits de pas, et enfin celle-ci s'ouvrit à la volée.

« Quoi ? » aboya la citrouille qui venait d'ouvrir la porte.

Où plutôt, l'homme à la tête de citrouille, puisque le légume était bel et bien doté d'un corps humain vêtu tout de noir et apparemment masculin. Quelques mèches noires s'échappaient également de l'écorce orange.

La citrouille dardait sur lui des yeux humains, mais d'une couleur ambrée étonnante, un peu comme du jus de pomme.

Néo se rendait bien compte qu'il devait dire un truc, n'importe quoi, mais ne parvenait pas à trouver les mots. Que pouvait-il bien avoir à dire à ce monstre ? A vrai dire, il avait déjà oublié la raison de sa visite impromptue.

La citrouille ne paraissait pas contente. Peut-être allait-elle le dévorer.

« Bon alors, quoi ? C'est mon physique de tombeur qui te rend muet à ce point ?

-Euh, non. »

Pourquoi venait-il, déjà ? Ah, oui ! Il tendit l'enveloppe orange et s'aperçut qu'il tremblait légèrement.

« J'ai... On m'a chargé de... vous remettre ça ?

-T'as l'air débile, toi, fit le monstre en lui prenant l'enveloppe des mains. Ca vient de qui ?

-De la librairie où je travaille... »

Une partie de son cerveau se demandait ce qu'il faisait planté là devant cette porte, à parler à cet être étrange comme si de rien n'était. L'autre moitié ne réfléchissait tout simplement plus. Peut-être s'agissait-il d'une espèce d'instinct de survie qui l'empêchait d'assimiler les situations improbables comme celles-ci ?

La citrouille releva les yeux vers lui avec un soudain intérêt ancré dans ses yeux ambrés.

« T'es un nouvel employé ?

-Euh o...

-Je leur avais dit de me prévenir, pourtant, ces abrutis ! pesta la chose. Quelle bande de sacs à foutre.

-Je ne travaille là que pour l'été, explicita Néo. Peut-être qu'ils ne pensaient pas ça indispensable...

-Allez, entre » soupira la citrouille.

Néo cligna des yeux.

« Je vous demande pardon ?

-T'es sourd ou quoi ? fit l'autre en s'écartant de la porte. Je t'ai dit d'entrer. Il faut que je te pose des questions, du coup. »

Oh, misère...

« Mais... Vous n'allez pas me manger ? »

C'était sorti tout seul. L'autre le darda d'un regard excédé.

« Qu'est-ce que tu racontes ? Et arrête de me vouvoyez, tu veux ? C'est nul. »

C'est vrai que, maintenant qu'il y pensait, l'autre possédait une voix assez jeune, pas d'adolescent mais presque. Les homme-citrouilles avaient-ils un âge ? Ou naissaient-ils tous avec cette taille et ce visage horrible ?

Le voyant hésiter, son vis-à-vis leva les yeux au ciel et le saisit par l'épaule pour le faire entrer de force.

« Allez, assied-toi » commanda-t-il sèchement.

L'appartement, si l'on pouvait appeler ça ainsi, était minuscule. Une petite cuisine ouverte faisait face à une table à manger qui semblait plutôt faite pour aller dans un jardin. Un canapé-lit grand ouvert, les draps défaits, reposait dans un coin, près d'une porte ouverte sur ce qui s'avérait être une salle de bain. Et voilà.

Néo resta là, les bras ballants, toujours en train d'essayer de comprendre ce qui lui arrivait. La porte claqua derrière lui.

« C'est tes collègues qui t'ont mis dans la tête que j'allais te bouffer ? questionna la voix amusée de l'homme-citrouille.

-Euh bah en fait... marmonna Néo. Ils m'ont pas dit grand-chose, j'ai juste déduit... C'est que, je n'avais encore jamais rencontré de... choses comme vous. Euh, pardon.

-J'comprend pas. »

Comment lui dire ça sans l'offenser ?

« Euh, votre visage... »

Un long silence gênant s'ensuivit. Et puis un éclair de compréhension traversa les yeux de la créature.

« Oh ! Je vois. Ok, toi t'es vraiment un crétin.

-Pardon ? »

Même venant d'un monstre étrange, passer sans cesse pour un débile devenait relativement vexant, à la longue.

« C'est un masque, ça.

-Un m... »

Maintenant qu'il le disait, il y avait de la peau humaine autour des yeux dorés de l'autre. Et en plus, ça n'existait pas, les hommes-citrouilles !

Il entreprit d'enlever son masque, révélant une masse conséquente de cheveux noire, qu'il ébouriffa. Le monstre se révéla être un garçon d'environ l'âge de Néo, aux traits fins,à l'air arrogant, et pas horrible du tout en fin de compte. Il conservait néanmoins ces yeux jaunes assez déroutants.

« Oh.

-Rassuré, maintenant ? » soupira le jeune homme.

Pas des masses, en vérité, songea Néo. Quelle espèce de malade porterait ce genre de choses seul chez lui, comme ça ? Il ignorait que, dans le monde, il existait des fétichismes bien plus étranges. Dans son innocence, un masque en forme de citrouille passait pour la chose la plus flippante au monde.

« Je suppose que oui... balbutia-t-il néanmoins.

-Bon allez, assied-toi ! J'ai pas que ça à faire, figure-toi. »

Néo émettait de sérieux doutes quant à cette dernière information. Il posa cependant ses fesses sur une chaise, bien docilement, pendant que son hôte fouillait dans une masse de papiers étalée sur le comptoir de la cuisine.

« Bordel de couilles, ronchonna-t-il tout bas. J'ai perdu le formulaire.

-Quel vocabulaire...

-Toi, chut.

-Eh ! protesta Néo. Je te signale que j'aurais dû déjà retourner à la librairie. Mon job, c'était juste de livrer cette lettre ! »

Etrangement, savoir qu'il existait un être humain, aussi tordu soit-il, sous ce masque, lui avait rendu sa langue.

« Reste assis ! ordonna son tortionnaire. Et t'inquiètes pas, je pense qu'ils ne s'attendent pas à te revoir si tôt.

-Et pourquoi ça ? répliqua Néo en croisant les bras.

-Oh, ils me connaissent, c'est tout, répondit-il avec un sourire en coin.

-Je comprends pourquoi personne ne voulait venir ici... »

L'homme-citrouille éclata d'un rire un peu trop aigu.

« Oui, je fais cet effet aux gens. Ah, j'ai retrouvé le formulaire. Super, on va pouvoir en finir avec ça. »

Néo le regarda d'un mauvais œil pendant qu'il s'installait face à lui et remettait en ordre ses papiers.

« C'est quoi, ce formulaire ? questionna-t-il. Un ticket d'entrée dans une secte ?

-Non, pas tout à fait. C'est juste que je tiens un fichier détaillé à propos de tous mes escl- de tous les employés de la librairie.

-Tes esclaves ?

-Hein ?

-C'est ce que tu allais dire, expliqua Néo. Un fichier détaillé de tous tes esclaves.

-Mais non.

-Si.

-C'est pas vrai.

-Si !

-C'est celui qui dit qui est.

-Mais ça n'a pas de sens...

-Bon allez ! Déjà, c'est quoi, ton nom ?

-Et si tu me disais le tien, avant ? » décréta Néo.

L'autre leva les yeux au ciel.

« Vanitas. T'es content ?

-Quoi Vanitas ?

-C'est mon nom.

-Oh... d'accord. »

En vérité, il n'avait posé la question que par esprit de contrariété.

« Et donc, toi ? insista Vanitas.

-Néo.

-Ridicule, comme nom, murmura l'autre tout en griffonnant sur le formulaire.

-Tu peux parler ! répliqua Néo, piqué au vif.

-Tais-toi. Nom de famille ?

-...

-Alors ? s'impatienta Vanitas.

-Tu m'as dit de me taire. »

Le restant du formulaire se remplit de cette façon, à force de chamailleries, très très lentement. Plus tard, Néo n'hésiterait pas à affirmer qu'il s'agissait de la tâche la plus pénible qu'on lui ait confié de tout l'été.

Les questions alternaient entre des renseignements assez classiques, et d'autres fort incongrus, comme son signe astrologique, sa couleur préférée, le nombre de fenêtres que comportaient sa maison.

« Presque fini. Quelle est ta plus grande peur ?

-Toi » répondit Néo sans hésiter.

Vanitas releva la tête de son papier pour le fixer avec des yeux ronds, et sans l'insulter pour une fois. Et puis, un sourire d'amusement transparut sur ses lèvres, en même temps qu'il penchait la tête sur le côté.

« Oh, vraiment ? susurra-t-il. C'est mignon ça, dis donc. »

Comme si tu ne le faisais pas exprès, qu'on ait peur de toi... pesta intérieurement Néo, avant de répondre :

« Allez, arrête ! A part à Halloween, ça fait peur, ce genre de trucs ! »

En parlant, il pointait du doigt le masque en forme de citrouille, affaissé dans un coin, qui paraissait le regarder de ses orbites vides. Il frissonna, se demandant si c'était bien une bonne idée d'insulter le passe-temps d'un malade mental, mais Vanitas haussa les épaules et se contenta de grogner :

« Si tu crois que ça m'amuse...

-Comment ça ?

-C'est mon boulot qui veut ça. Tu sais quoi, je suis même pas supposé l'enlever, là...

-Ne le remets pas ! s'écria Néo, soudain saisi d'angoisse.

-Pfff... Comme tu veux. De toute façon, j'en ai fini avec toi... Pour le moment.

-Quoi ? »

Le sourire de Vanitas s'étira.

« Oh, rien, je veux juste que tu reviennes demain. »

Pas croyable.

« Mais pourquoi ?

-J'ai envie, c'est tout. »

De quel droit lui ordonnait-il, comme ça, de lui tenir compagnie ? Se croyait-il tout permis ? Pensait-il vraiment qu'il pouvait exiger n'importe quoi de tout le monde ? Et puis, c'était quoi, ce formulaire bizarre ? Et quel « boulot » nécessitait donc un déguisement aussi affreux et malsain ?

Voilà ce qu'aurait dû répondre Néo, s'il avait eu une once de répartie. A la place, il protesta faiblement :

« Je travaille, demain. Je peux pas me permettre d'aller à droite et à gauche comme ça !

-Mais si, tu peux, sourit Vanitas. Ils ne t'en tiendront pas rigueur, si tu dis que c'est moi qui le demande. »

Néo haussa un sourcil.

« Et en quel honneur ?

-La librairie m'appartient, affirma-t-il.

-Tu n'es pas le patron.

-Le patron m'appartient.

-Hm... »

Pendant que Néo méditait ces paroles inquiétantes, tentant de savoir dans quelle mesure elles pourraient être vraies, Vanitas se leva et se dirigea vers la porte pour l'ouvrir.

« Allez, casse-toi, j'ai pas que ça à faire ! balança-t-il gentiment à son « invité ». Et pour demain, disons, début d'après-midi ?

-Mais... »

Et Néo fut jeté dehors, sans autre forme de cérémonie. Il passa quelques secondes à fixer le bois de la porte de l'appartement, sans savoir quoi ressentir à propos de cette rencontre.


« C'était qui, ce mec ? » demanda-t-il à ces collègues une fois de retour à la librairie.

La question installa un certain malaise, sans qu'il ne sache trop pourquoi. Certains détournèrent le regard.

« On l'appelle le Sale Gosse, répondit Xigbar. On ne sait pas trop qui... ce qu'il est.

-Pour moi, c'est juste un mec bizarre qui se balade avec un masque sur la tronche » soupira Néo en haussant les épaules.

Mais même à lui, ces paroles sonnaient fausses. Il devait y avoir plus. Mais, oh, quelle situation ridicule ! Qui se baladait avec une citrouille sur la tête pour harceler les employés d'une librairie ? Personne ne faisait ça.

« Ce n'est pas tout à fait vrai, marmonnait son collègue. Reste loin de lui, et tu ne devrais pas en entendre parler avant un moment. On est désolés, au fait, de t'avoir jeté dans ses griffes, mais hm... Oh, tu sais... Bref, ahah ! »

Bande de lâches...

« Il m'a demandé de revenir chez lui demain aprèm ! rit Néo. Vous vous rendez compte du toupet de ce mec ?

-Oh. Eh bien, bonne chance.

-Euh... Je ne compte pas y aller. »

L'autre fronça les sourcils, un air sérieux sur le visage, qu'il ne lui avait jamais vu.

« On ne plaisante pas avec ce gamin, Néo. S'il te dit d'aller le voir, fais ce qu'il dit. T'inquiètes, ça comptera comme des heures de travail. Peut-être même que le patron t'octoiera une prime... »

Le jeune homme n'en croyait pas ses oreilles.

« Mais... »

Il ne trouva même pas les mots pour exprimer toute la consternation qui l'envahissait. Vraiment surréaliste...

« Ecoute, on a déjà essayé de lui résister, tous au moins une fois, ici, intervint Vexen. Je l'ai insulté, une fois. Le lendemain, une citrouille géante avait poussé devant ma porte. J'ai dû passer par la fenêtre pour venir travailler. C'est un démon, je te le dis !

-Oh... »

Bizarrement, le témoignage ne l'effraya pas. Encore une fois, l'instinct de survie de son cerveau ne voulait pas y croire.

Ce soir là, il quitta son boulot des questions plein la tête et une certitude bien ancrée : il ne comptait pas retourner chez ce malade. Peut-être ses collègues tentaient-ils de lui faire une mauvaise blague ? Tout compte fait, ce serait bien leur genre, mais... Quelque chose ne tournait pas rond.


« Qu'est-ce que tu fais encore là ? »

Xigbar semblait prêt à le frapper.

« Je travaille, répondit bêtement Néo.

-Tu devais aller chez le gamin-citrouille !

-Mais enfin c'est rid- »

Avant même d'avoir fini sa phrase, il se retrouve propulsé à grand renforts de coups de pied au cul jusqu' à la porte de l'établissement.

« Dépêche-toi d'y aller, sinon tu seras viré ! »

Visiblement il n'avait pas trop le choix...


« Hum, Vanitas ? »

Le susnommé, en garçon bien élevé, termina sa poignée de pop-corn avant de répondre.

« Ouais ?

-Je peux savoir pourquoi tu m'as fait venir, en fait ? »

Son bourreau éclata de rire.

« Juste parce que ça m'amusait. Surtout en sachant que je te fais peur... »

Son sourire était assez effrayant, mais Néo commençait à s'habituer. C'est fou, comme le cerveau humain s'adapte bien aux situations incongrues.

Cela faisait une heure et demi, à en juger par l'heure affichée sur le décodeur télé, qu'ils regardaient une rediffusion d'une célèbre série du siècle dernier parlant d'un inspecteur réputé pour son manque de vitalité. Néo ne savait même pas pourquoi.

L'autre l'avait accueilli, sans son masque flippant cette fois-ci, lui avait ordonné de s'asseoir dans le canapé, tendu un jus de citrouille auquel il n'avait pas touché et allumé la télé. Et puis le silence, jusqu'à ce que le jeune homme se rende enfin compte de la bizarrerie de la situation.

« Sérieusement ? demanda Néo.

-Bah... Ouais ok, je comprends que ça puisse être chelou. Mais c'est pas que je t'aime bien ou quoi, hein !

-T'as pas besoin de le préciser, on se connaît depuis deux jours... Mais pourquoi, alors ? J'ai du mal à piger comment tu fonctionnes. »

Vanitas haussa les épaules, les yeux rivés sur la télé. Il reprit un peu du pop-corn auquel il interdisait Néo de toucher.

« Parce que je le peux, je suppose. C'est tout. »

Néo n'aurait pas su dire pourquoi, mais cet argument faisait sens, dans son esprit.

Il se demanda un moment si Vanitas n'était pas juste un pauvre type qui se sentait seul. Cependant, comme il n'avait jamais été fin psychologue, il ne chercha pas vraiment à approfondir cette idée.

« Tu n'as pas bu ton jus de citrouille, fit observe le garçon dont le masque traînait encore sur la table.

-Ah, euh, je suis pas sûr d'aimer ça.

-Tu es ridicule ! ronchonna Vanitas.

-Tu peux parler ! riposta-t-il. Et c'est quoi, cette obsession avec ce légume ? C'est super moche, en plus ! »

Il regretta aussitôt ses paroles rien qu'au regard jaune et perçant qui pesa sur lui. Vanitas ne desserra les dents que pour siffler :

« Les cucurbitacés sont des aliments nobles. Et ce sont des fruits, pour ta gouverne.

-Euh... Bon. »

Le silence, à nouveau. Néo n'aurait pas su dire pendant combien de temps. Peut-être s'assoupit-il à un moment donné, car l'après-midi toucha rapidement à sa fin.

« Euh, désolé, hein ? tenta-t-il au bout d'un moment.

-Je sais pas si j'peux pardonner un tel affront, marmonna Vanitas.

-C'est pas comme si c'était la première fois qu'on te le disait, si ? »

Puis lui vint à l'esprit que, peut-être, les gens avaient trop peur de lui pour lui dire la vérité sur les citrouilles. Si on les utilisait à Halloween, ce devait être pour une raison, non ?

« Bof, t'inquiètes, soupira Vanitas. Je vais juste devoir t'embêter encore plus. »

Il souriait encore de son sourire malsain. Néo eut un frisson qui remonta jusque sa nuque.

« Euh... Normalement je termine le boulot bientôt, hésita-t-il. Je devrais y aller, non ?

-Oh. Ouais. Je te libère pour aujourd'hui. Dans ma grande mansuétude.

-Pfff. Je suis sûr qu'elle est pas si grande que ça. »

Ce fut tout ce qu'il trouva à répondre.