Sauvages

Rah, je sais, je ne devrais pas faire ça. J'ai déjà ACC en cours mais je ne peux pas m'en empêcher… Et Sedna sait être insistante, quand elle veut xD

Me voici donc repartie pour une mini-fic en trois parties, si je ne m'abuse. Sorte de petit cadeau pour elle.

Paring : Et un virage à 180 degrés, un ! Laven, principalement. Avec mentions de Yuvi, de LavixLenalee, de Lenallen, de LavixOC. Un beau bordel quoi.

Inspirations : Une célèbre citation de Plaute, un épisode de la saison deux de Supernatural et Blair Witch Project.

Avertissements : Seinen AOC. Thèmes matures, langage ordurier. Mention de viols, scènes de cul, violence extrême et torture sur la fin. Ames sensibles, FUYEZ. Si vous voulez de la guimauve, rendez-vous sur le fandom Barbapapa.

Autres : Ceci est un POV Lavi. Je préviens d'avance pour les amateurs de son côté happy-go-lucky que vous allez déchanter très vite. J'en ai fait un magnifique sociopathe. Idem pour Allen, je reprends le même que j'avais décrit dans Le Sang des Hommes, vous étonnez pas de voir des « gros mots » sortir de sa jolie bouche.

L'histoire n'a pas vraiment de place précise dans le manga. On dirait juste que ça se situe avant Edo.

Je crois avoir tout dit. Pour ceux qui ont encore le courage de continuer, la fic, c'est par ici.

Bonne lecture !

« Hey you, what do you see ?

Something beautiful, something free?

Hey you, are you trying to be mean?

If you live with apes men it's hard to be clean."

Marylin Manson, The Beautiful People

oOo

Il est vingt heures passées. J'ai froid. J'ai la dalle. Ca fait des plombes que j'ai pas bougé de cette putain de bibliothèque et la moitié des bouquins que Panda m'a donné à lire pour demain matin reposent encore tranquillement sur la table, inviolés. J'y arriverai jamais.

Evidemment, c'est faux. J'y arriverai mais j'en ai marre. J'en peux plus. Je craque. Si je bouffe une ligne de plus à propos de l'aristocratie du XVIème, je vais devenir cinglé. J'ai beau avoir la chance de posséder une mémoire eidétique, ça veut pas dire que mes yeux sont invincibles et comme toute personne normalement constituée, quand je les laisse fixes trop longtemps, j'expérimente la sécheresse oculaire. J'ai mal, mes muscles crient grâce. J'ai besoin de bouger, d'aller m'entraîner, peu importe. Elle servira à quoi, toute cette belle connaissance, quand je sortirai les pieds devant d'une bataille un peu trop rude ? A rien. Voilà, c'est dit. Et cette constante épée de Damoclès au-dessus de ma tête commence à me courir sur le haricot.

J'ai besoin d'un miracle, pitié, que quelqu'un me vienne en aide. J'ai plus envie de m'arracher les mirettes sur des bouquins dont tout le monde se fout, plus envie que ma cervelle bouillonne sous un flot continu de dates et de noms. J'en ai rien à cirer de tous ces gens et de leurs petits tracas. Je veux qu'on me laisse pioncer en paix ou au moins m'étendre dehors sur l'herbe et observer les constellations. Cassiopée, la Grande Ourse, la Ceinture d'Orion et toutes les autres. Oublier que je serai bientôt un Bookman. Juste pour ce soir.

C'est mal barré. Où que je sois, je me sentirai obligé d'appeler les choses par leur nom. Cette nuit, beaucoup de couples se promèneront sous les étoiles et les admireront simplement, sans savoir quoi que ce soit à leur sujet. Et ils seront heureux ainsi. Moi, je connais tous leurs rouages, les noms que les astronomes leur ont donnés et même les noms des astronomes, biographie incluse. J'admire la candeur des Hommes, parfois. Eux ils sont encore capable de percevoir la magie de ce monde. C'est le seul bienfait qu'on peut accorder à l'ignorance.

« Hé, le lapin, tu rêves ? »

Soupirant de soulagement, je me tourne vers mon sauveur avec un grand sourire : faux le sourire, bien entendu, quoique je n'en suis plus très sûr. Kanda Yuu, ou l'incarnation parfaite de la beauté creuse. Des traits fins, une chevelure de princesse, un corps à se damner : il est magnifique. Je ne pense pas qu'il le sache et, si oui, honnêtement je crois qu'il s'en tape. Il fait toujours le fier parce qu'il se croit le plus fort. Physiquement il l'est, je ne peux pas dire le contraire mais derrière, c'est le vide sidéral. Sous son air pincé et ses monosyllabes assassines, il cache sa totale absence d'éducation. Je pourrais facilement l'embobiner ou l'écraser avec des mots si je le voulais mais je ne le ferai pas. Je l'aime bien, malgré tout. On se ressemble bien qu'on ait choisi deux parcours différents. Et puis c'est tellement marrant de le titiller, je ne voudrais pas bouder ce plaisir.

« Yuu-chan ! Quelle surprise ! Qu'est-ce que tu fais ici ? J'ignorais que tu savais lire ! »

« Che. Idiot, tu as de la chance que je sois pressé, » dis-tu en fronçant ton joli nez. « Je te réglerai ton compte la prochaine fois ! »

C'est ça, cause toujours, tu ne me fais pas peur. Nous savons tous les deux que tu ne lèveras jamais la main sur moi, pas sérieusement, en tous cas. Tu m'as accepté à ta manière. En fait, je crois que je te fascine. Mais je crois… Je crois bien que tu es jaloux, mon petit Yuu.

Pour toi qui as de grosses lacunes de ce côté-là, c'est vrai que ça doit être dur de voir quelqu'un d'aussi intelligent que moi se faire passer pour un abruti. Limite insultant. D'ailleurs, là, je t'ai blessé. Tu le dissimules bien mais je peux lire en toi, question d'habitude.

« Yuuuu, tu es méchant ! J'étais content de te voir, moi, et tu as tout gâché ! Je te parle plus, na ! »

« La ferme, arrête tes conneries. Komui veut te voir. Mission. »

« Avec toi, mon Yuu-chan ? »

« Plutôt crever. »

Et tu t'éloignes de ta démarche féline. Comme toujours, mon regard s'attarde sur tes fesses. Je n'y peux rien : si Lavi fait mine d'aimer les gonzesses à gros seins, moi j'aime juste ce qui est beau. Je sais que tu le sens. Tu balances tes hanches un peu plus que de raison et ta cadence ralentit presque imperceptiblement. Ce n'est peut-être pas conscient mais tu aimes que je te regarde. Pas avec l'oeil de Lavi, avec mon oeil à moi. Dès que tu as le dos tourné, tu minaudes et m'aguiches comme une chatte en chaleur. Si je te retenais maintenant et que je te sautais par derrière en encastrant ton visage dans le mur, tu ne me repousserais pas, tu n'attends que ça. Tant qu'on est pas face à face, tout va bien : tu as tellement honte d'avoir envie de moi que tu me tuerais sûrement si j'essayais de t'embrasser. Yuu, t'es vraiment bizarre des fois.

Cela dit, ne t'en fais pas, tu ne m'intéresses pas. Pas comme ça. Pas dans la réalité. Je continuerai à te baiser dans mes fantasmes et tu continueras à faire la gueule parce que tu es frustré. Lenalee m'excite aussi, ça m'arrive souvent de me branler en pensant à elle et à ses minijupes mais j'irai pas la toucher pour autant. Désolé, on reste amis ?

Tu claques la porte derrière toi ; je t'ai vraiment mis en rogne cette fois pas vrai ?

Je m'étire longuement : ça me fait un bien fou. Cette mission tombe à pic, je vais enfin pouvoir me défouler.

*

Le bureau de Komui est toujours autant en bordel. Je me demande comment il fait pour ne pas suffoquer sous la masse. En entrant, j'aperçois un des mes rapports qui traîne sur le sol. Il marche dessus en venant à ma rencontre. Je hais ce type.

« Lavi, tu tombes bien ! » s'écrie-t-il en posant sa main son mon épaule. Ne me touche pas, enfoiré. « On attendait plus que toi. Je savais que Kanda arriverait à te trouver. »

J'ai envie, vraiment envie, de lui dire que ça n'était pas bien compliqué même pour un benêt comme Yuu sachant que je ne squatte généralement que deux endroits dans tout le QG : ma chambre et la bibliothèque. J'ai envie d'ajouter que son meilleur élément me trouvera n'importe où tant qu'il gardera l'espoir qu'un jour je lui écarte les cuisses. Mais je m'abstiens : Komui est dangereux et il ne vaut mieux pas que je me le mette à dos. Et puis il y a une autre paire d'oreilles chastes qui m'écoute, en ce moment.

Allen se tient là, installé bien droit sur l'un des canapés. Ses cheveux ont poussé depuis la dernière fois que je l'ai vu, ça lui donne un petit air débraillé. Ses yeux gris sont braqués sur moi mais son regard est un peu voilé, comme s'il rêvait éveillé. Je déteste quand il me regarde comme ça. Malheureusement, ça arrive assez souvent.

Il est tellement mignon que ça en devient terrifiant. Il ressemble à un petit chiot perdu qu'on voudrait consoler et câliner. A chaque fois que je le vois, je ressens le besoin impératif de lui ébouriffer les cheveux et de lui gratouiller le ventre. Et je m'attendrais presque à ce qu'il aboie en tirant la langue.

« Salut Lavi, » me dit-il en s'étendant de tout son long sur le sofa. S'il n'était pas la vierge intouchable de la Congrégation, je jurerais qu'il me fait du gringue. Ils se sont tous donné le mot ce soir ou quoi ?

« Salut Allen ! Comment tu… »

« Les garçons, vous aurez tout le temps de vous raconter votre vie dans le train. Venons-en aux faits, je n'ai pas que ça à faire, moi. »

« Mais bien sûr… » commente discrètement Allen. Nous échangeons un sourire complice. C'est ce qu'il attend de moi, après tout.

« Il est où le vieux ? »

« Bookman est légèrement souffrant, Lavi. Il ne vous accompagnera pas sur cette mission. »

« Panda est malade ? C'est grave ? »

« Non, c'est juste un rhume mais à son âge il vaut mieux ne pas prendre de risques. »

Je sais qu'il me ment. Panda doit être sacrément dans le brouillard pour me laisser partir en solo. C'est regrettable mais au moins je ne perdrai plus de neurones avant un bout de temps. D'un autre côté, il faudra que je me trimballe Allen-petit-chiot-abandonné-sur-le-bord-de-la-route-Walker. Génial. Vraiment génial. Où est parti le sublime cul de Yuu déjà ? Et les jambes interminables de Lenalee ?

« Bref, » reprend Komui. « Votre mission se déroulera dans la périphérie de Bucarest. Un groupe de Traqueurs a entendu des rumeurs étranges à propos de disparitions soudaines et de cérémonies par nettes qui se tiennent dans un manoir du coin. C'est plutôt vague, je sais, mais ils m'ont assuré que ça valait le coup d'y jeter un coup d'œil. On a perdu la communication avec eux juste après, c'est à dire il y a deux jours. C'est peut-être une fausse alerte mais je veux que vous tiriez cette affaire au clair. Voici les derniers rapports. Votre train passe dans trois heures. Allez vous préparer. »

Plan B les gars.

« Loin de moi l'idée de contester, hein, mais si on est même pas sûrs qu'il y ait une Innocence en jeu, ça vaut vraiment le coup de le faire en duo ? »

« Dans la mesure où on ignore totalement ce qui se passe là-bas, je pense, au contraire, que vous ne serez pas trop de deux. Mais merci de te préoccuper de notre manque d'effectifs à ce point Lavi, ça fait chaud au cœur. »

Le rat. Prends-nous pour des cons surtout, on te dira rien. Tout ce qui t'intéresse, c'est de réduire la paperasse. Forcément, ça fera un rapport commun au lieu de deux. Non mais quelle feignasse…

En sortant, je remarque qu'Allen me regarde avec un air mauvais.

« Je rêve là ou tu viens d'essayer de m'évincer ? Si je t'emmerde, dis-le tout de suite, ça nous évitera les politesses d'usage. »

J'hallucine, Pousse de Soja est vexé comme un pou. Et on dirait bien qu'il boude. Walker, tu es vraiment adorable.

« Alleeeen, le prends pas comme ça ! C'est juste que j'avais pas envie de bouger ce soir et que quelques jours de repos en plus m'auraient pas fait de mal. C'était pas contre toi. Tu sais bien que je t'adore. »

« En gros, tu es en train de me dire que tu voulais me refiler tout le boulot, j'apprécie. T'es chiant Lavi. »

« Allez gueule d'ange, arrête de faire du boudin et montre-moi ton joli sourire ! »

Il se retient, le petit monstre, mais les coins de ses lèvres qui tremblent légèrement parlent pour lui. Il ne fait la tête que pour la forme, ça se voit. C'est trop facile.

« Ne m'appelle pas comme ça ! »

*

Ca n'en finit plus, c'est une horreur. Ca fait trois jours que j'ai le derrière posé sur une banquette, trois jours qu'on se les gèle sur les quais de gare en attendant les correspondances, trois jours que j'arbore mon sourire le plus niais sans interruption. J'ai une crampe à la mâchoire, le train fait des bonds inquiétants toutes les vingt secondes et l'espèce de bougeoir antique qui nous sert de lanterne a déjà failli me tomber quatre fois sur le coin de la gueule.

La vie est belle.

Walker, cet enfoiré, s'est endormi tout net après notre seizième partie de belote. Il est roulé en boule dans le manteau d'hermine qu'il a gagné hier au poker et ronfle de tout son soûl. Son ventre émet de légers gargouillis assez suspects : il a mangé deux fois plus que d'habitude aujourd'hui, faut croire que le froid l'affaiblit aussi.

C'est drôle, la couleur de ses cheveux se confond avec celle de la fourrure.

Ca fait plusieurs minutes que je l'observe. Je dois passer pour un pervers mais la nuit est tombée et je n'ai que ça à faire. Je ne prends jamais de livres quand je pars en mission. Ca ne colle pas avec mon personnage. Je dois jouer celui qui trouverait n'importe quel prétexte pour éviter d'étudier avec Bookman. En l'occurrence, ce n'est pas faux mais c'est rarement le cas.

Contrairement à ce que tout le monde pense, être un membre de la lignée des Bookmen est une situation enviable. Qui peut se vanter d'avoir vu tout ce que j'ai vu, d'avoir fait tout ce que j'ai fait ? Bien sûr, je ne dois pas m'attacher aux personnes que je rencontre mais qui le fait vraiment ? Ils savent tous qu'un ami pourra toujours les trahir. Ils vivent tous dans la crainte de retrouver un jour leur femme dans les bras d'un autre. Sans vraiment s'en rendre compte, ils en souffrent. Au moins mes livres ne sont pas conçus pour décevoir qui que ce soit.

C'est pour ça qu'Allen Walker est un problème. D'accord, Lenalee est une chouette fille, courageuse, mignonne avec tout ce qu'il faut où il faut. Ok, Yuu me fait rire avec ses colères mémorables et me fait saliver grâce à son statut de bombe anatomique. Mais je les oublierai sans problème. Il y a des milliers de jolies filles et de beaux bruns taciturnes sur cette planète. J'en ai rencontré des dizaines. J'ai couché avec quelques-uns. Et le matin au réveil je ne me souvenais déjà plus de leur nom.

Avec Allen, c'est différent. Son physique hors normes et sa bouille d'enfant égaré le rendent…attachant. Le genre qu'on oublie pas si facilement. Le genre qui se creuse un trou dans les cœurs les plus durs et s'y installe confortablement.

Je tremble un peu. Ca caille. Je suis sûr qu'il fait plus chaud dehors que dans le compartiment.

« Tu sais, il y a de la place pour deux là-dessous. »

Là, je suis soufflé. Il m'invite à le rejoindre ? Tu veux ma mort Walker, c'est ça ? Tu vas me rendre chèvre.

« Je suis sérieux Lavi, si tu restes comme ça tu vas attraper la crève. »

« Mais non t'inquiète. Je suis robuste ! Et puis on est bientôt arrivés de toute façon. »

« Il n'est même pas minuit et on y sera pas avant l'aube. Arrête de faire le con et viens là. Aux dernières nouvelles, je ne mords pas. »

Que répondre à ça ? Lentement, très lentement, je me lève et vais me placer à ses côtés, à une distance respectable. Il me regarde comme s'il venait de me pousser une deuxième tête. Ca ne me ressemble pas de jouer les pucelles effarouchées. Il faut que je me reprenne.

« Tu as peur de quoi au juste ? »

Si tu savais Allen. Si tu savais…

*

Il fait bon ici, je me sens bien. Son corps est brûlant contre le mien. Il n'a pas l'air d'avoir de la fièvre, pourtant. Peut-être que c'est ma peau qui est glacée.

Il a posé ses mains sur mon torse et sa tête sur mon épaule. Pour plus de confort, sans doute. C'est pas possible, il doit le faire exprès. Personne au monde n'est innocent à ce point. Son souffle chaud, vivant, caresse les cheveux à la base de ma nuque. Je bouge. Je tente de m'éloigner. Il est trop près. Beaucoup trop près.

« T'as pas bientôt fini de gigoter ? Je voudrais dormir, merde. »

Je me souviens d'un jour où Yuu et moi nous sommes retrouvés dans la même position. Il était salement blessé, à tel point qu'il s'était évanoui dans mes bras et il faisait froid, aussi froid qu'aujourd'hui. Je l'avais allongé contre moi, je voulais juste lui donner un peu de chaleur.

Et, tout d'un coup, j'ai eu envie de lui. Un truc terrible. Sans pouvoir me contrôler, j'ai senti mes doigts glisser jusqu'à la fermeture de son pantalon. Si le Traqueur qui nous accompagnait n'était pas entré à ce moment-là, je sais que je l'aurais violé. Ca n'aurait pas été le premier.

Le type m'a regardé avec une moue dégoûtée et j'ai su qu'il allait me dénoncer. J'ai eu de la chance : des Akuma ont attaqué le convoi et il est mort dans la bataille.

Walker, si tu joues trop avec le feu, je vais finir par te brûler. Il n'y aura pas de Traqueur pour m'arrêter si je déraille, cette fois.

« Lavi, je te préviens, si tu continues je vais devoir t'assommer. Dors ! »

*

Nous venons de quitter sans regret la « ville de la joie ». Nous sommes assis face à face dans une carriole d'un autre âge et le silence s'éternise. Il ne m'a pas pardonné de l'avoir tenu éveillé presque toute la nuit. Nous nous dirigeons doucement vers Chiajna, charmante bourgade de la banlieue de Bucarest et notre cocher porte un long pistolet à sa ceinture. Sympa, l'accueil.

Ca me rappelle les vers d'un poète inconnu : « Je me suis fait sauter l'caisson, faut voir mes pieds en éventails. Morose, la cervelle en étoile sur le trottoir. Et pan ! et pan ! et pan ! Jolie méduse rose. Et pan ! et pan ! S'en est passé des choses dans la pauvre coquille. Eparpillées maintenant, mes joies, mes peines, doucement, glissent mes rêves sur le pavé mouillé. Et pan ! et pan ! et pan ! »

C'est à peu près la seule chose que m'inspire ce pays.

Il y avait tellement de putes dans les rues de la ville qu'on a cru que c'était l'ensemble des femmes du coin. Pas impossible, d'ailleurs. J'étais étonné mais Walker ne leur a même pas accordé un regard. Ce petit a plus de ressources que j'aurais pu le croire.

Toutes des filles magnifiques, belles et fraîches comme des roses. Elles me lançaient des œillades éloquentes et j'aurais pu vouloir d'elles si je n'avais pas été contre l'idée de payer pour du cul. Je veux, je prends, point. Le fric n'a rien à voir là-dedans.

Il y a longtemps, quand j'étais Matt ou peut-être Samuel, j'ai connu cette fille, Sarah. Elle n'avait pas plus de treize ans, moi j'en avais quatorze. C'était une superbe tunisienne : tous les hommes de la région la hélaient et se retournaient sur elle à chaque fois qu'elle passait dans la rue. Bookman et moi logions chez ses parents, de riches exploitants qui vivaient dans une immense médina en bord de mer. Chaque jour, elle s'amusait à me frôler, à me tourner autour, me laissant languissant derrière elle quand elle se lassait de ce petit manège. J'étais au bord de la rupture. Il me la fallait, absolument. Et je n'ai pas attendu. La veille de notre départ, Bookman et les parents étaient partis à un quelconque dîner, nous laissant seuls dans la maison. Alors je suis allé dans sa chambre, je l'ai jetée sur le lit, j'ai soulevé sa jupe et j'ai fait ma petite affaire. Juste comme ça. C'était ma première fois. Je crois qu'elle n'était pas consentante mais fière comme elle était, elle n'a pas moufté, la salope. Elle a dû comprendre qu'elle le méritait. Je ne vois pas pourquoi j'aurais eu des remords, mon connard de père ne s'était jamais gêné pour le faire, lui. Même pas devant moi.

Des années plus tard, j'ai appris par hasard que son nouveau mari l'avait faite lapider en place publique parce qu'elle n'était pas vierge le jour de leur mariage. Elle était morte à cause de moi et je m'en foutais complètement. Je veux, je prends et je ne m'attache pas.

« On est bientôt arrivés ? »

Les yeux gris se posent sur moi avec lassitude. Visiblement, il hésite entre m'ignorer et m'en coller une. Au final, il opte pour un compromis.

« Ta gueule. »

*

Il n'y a que la bouffe pour rendre sa bonne humeur à Allen Walker. Il ingurgite son ragoût avec tellement d'appétit que je n'ai pas le courage de lui dire qu'il est sûrement coupé à la pisse de renard. Ils n'aiment pas beaucoup les étrangers, ici.

L'auberge est glauque. Ca me rappelle mon village natal : les mêmes paysans aux tronches patibulaires, les mêmes femmes grosses et moches qui trimballent leurs douze marmots à bout de bras. Et parmi eux, la beauté fragile qui ira, à peine adolescente, rejoindre ses copines sur les trottoirs de la ville la plus proche pour rapporter de l'argent au foyer familial.

Entre deux bouchées de pain rassis, j'ai expliqué à voix basse à Allen pourquoi il ne fallait pas laisser nos affaires ici pendant la journée. Il a haussé les épaules et m'a répliqué qu'il n'était pas né de la dernière pluie. On aurait qu'à aller les planquer dans la forêt après le repas. Bon plan. Les gens de ces régions reculées refusent d'y entrer par crainte d'y trouver des esprits maléfiques et autres vampires.

« Et on fera quoi ensuite ? »

« Je pense que la priorité c'est de découvrir ce qui est arrivé aux Traqueurs, » me répond-il en se resservant. « Il va falloir poser quelques questions aux habitants qu'on rencontrera. »

« Sans vouloir jouer les rabat-joie ça m'étonnerait qu'ils soient très coopératifs. T'as vu des Akuma ? »

« Non, pas un seul, c'est étrange. Mais il y a cette odeur… »

« Quelle odeur ? »

« Je ne sais pas. C'est comme… »

« Tout se passe bien, messieurs ? »

L'aubergiste qui vient de nous interrompre a le sourire édenté et l'œil perçant. Il dégouline tellement d'hypocrisie que c'en est écœurant. Il fixe Allen avec insistance et Allen lui-même me fixe, l'air désorienté. J'aurais dû me douter que son silence prolongé était suspect : il ne parle pas un mot de roumain. Chouette, on va se marrer.

« Tout va bien, je vous remercie. Ce ragoût est vraiment délicieux ! »

« N'est-ce pas ? Je dirai vot' compliment à ma Eva. Elle s'ra contente. En tous cas, j'dois dire que vot' compagne a très bon appétit. On en voit pas tous les jours des comme ça ! Pour sûr, elle vous fera de beaux enfants. »

Je manque de m'étouffer avec ma croûte. C'est la meilleure de l'année, il croit qu'Allen est une fille !

« Ce n'est pas ma femme, » je précise à l'aubergiste qui paraissait étonné que je parte dans un grand éclat de rire.

« Ah, pardon. C'est pas plus mal. »

« Pas plus mal ? »

Il s'éloigne sans répondre et rejoint un groupe d'individus près du bar. Il leur parle deux minutes en faisant de grands gestes et désigne Allen de son doigt noueux. Ca sent mauvais.

« Il a dit quoi ? » me demande l'intéressé en fronçant les sourcils.

« Que tes cheveux étaient bizarres. » je réponds en riant.

« Va te faire foutre. »

*

Comme je le pensais, notre petite escapade dans les rues du village s'est soldée par un fiasco monumental. Les habitants fermaient leurs volets sur notre passage et au mieux nous claquaient la porte au nez. Nous avons fini par retourner à l'auberge, bredouilles et dépités. L'aubergiste, dans un accès de bonté assez étrange, nous a proposé, et a même lourdement insisté pour nous louer deux chambres pour le prix d'une. Soi-disant qu'il n'y pas grand monde qui passe dans le coin et que ça ne les dérange pas, lui et sa femme. Et puis, a-t-il ajouté en regardant Allen, une dame a besoin d'intimité.

J'ai poliment décliné son offre, bien sûr. Aussi tentante que soit la vision d'un peu de solitude, je n'aime pas l'idée qu'on soit séparés. L'atmosphère ici ne me plaît pas du tout. Il est reparti l'air contrarié.

Là, soit un quart d'heure plus tard, il revient à la charge en nous apportant nos repas sur un plateau. Heureuse initiative qui semble convenir à Walker, perturbé qu'il était de devoir choisir entre l'appel de son pieu et celui de son estomac.

« Ma Eva y tient, » il dit d'un ton bourru. « Goûtez-moi ce thé, vous m'en direz des nouvelles ! Bonne nuit ! »

Il y a quelque chose qui cloche. Il me convaincrait presque mais il met trop d'entrain derrière ses paroles. C'est comme essayer de bluffer un bluffeur, ça ne marche pas à tous les coups. Pourtant, Walker ne m'a pas attendu pour manger et il n'est pas encore tombé raide mort. Je suis peut-être un peu parano.

Il a déjà presque fini. Le ventre bien plein, il se laisse finalement tomber sur le matelas et lâche un rot sonore, s'excusant automatiquement. Il se serait bien entendu avec Sarah, tiens.

Le temps que j'aille jusqu'au broc d'eau pour me débarbouiller, il s'est endormi. Je m'autorise un sourire coupable et attendri : il était vraiment crevé le pauvre.

J'enlève le plateau de ses genoux et tire les couvertures sur lui, comme maman faisait quand j'étais petit. Sa bouche est entrouverte, je n'avais jamais remarqué à quel point ses lèvres étaient rouges. Je ne sais pas pourquoi mais ça me calme de le regarder dormir. Vraiment.

Je n'avais eu cet instant de connivence qu'avec une seule autre personne auparavant, Lenalee. C'était il y a deux ans environ, je venais juste d'entrer à l'Ordre. Elle était venue dans ma chambre un soir, complètement paniquée. Je ne l'avais pas vue depuis deux mois et sa poitrine avait triplé de volume comme ça, sans prévenir. Elle n'osait pas aller voir son frère pour lui en parler ni les infirmières parce qu'elle connaissait leur tendance à lancer des rumeurs. Il n'y avait pas d'autre fille exorciste à part Cloud et Gwen qui n'étaient jamais là et elle ne savait pas vers qui se tourner. Elle avait peur, peur qu'on la regarde différemment. Alors j'ai pris ses seins entre mes mains, doucement, pour ne pas l'effrayer et je les ai caressés. Elle a grimacé, c'était encore douloureux. Et puis j'ai dit :

« Je ne vois pas où est le problème. Ils sont très beaux Lenalee. »

Je n'avais aucun désir pour elle à ce moment-là, c'est venu plus tard. Je voulais seulement la rassurer et ça a marché. Elle m'a remercié et est sortie toute contente. Moi je n'en revenais pas. N'importe quelle autre fille m'aurait foutu une baffe en me traitant de pervers et je me serais senti obligé de la baiser pour la faire taire. Je suis quand même assez fier d'être le seul homme au monde à les avoir touchés. Même si d'après ce j'ai vu, Walker aura aussi ce privilège dans un avenir proche.

Je me rassois sur mon lit et regarde mon propre plateau. Je n'ai pas très faim mais un peu de thé chaud me fera le plus grand bien. Je le sirote tranquillement. L'aubergiste n'avait pas menti, il n'est vraiment pas mauvais. Ca sent la sauge fraîchement cueillie et il y a un arrière-goût indéfinissable.

J'ai l'impression que ça fait des décennies que je n'ai pas dormi dans un bon lit. J'ai sommeil…sommeil…

*

Le soleil est déjà haut. Mon crâne pèse une tonne. Pourquoi Allen ne m'a pas réveillé ? Je tourne difficilement la tête, il n'est même plus dans la chambre. Il est sûrement descendu prendre son petit-déjeuner et n'a pas eu le courage de me secouer. Ca doit être ça. Mais c'est étrange, pendant les missions il est toujours très consciencieux. On ne peut pas se permettre de traîner au lit quand la vie d'innocents est en jeu.

C'est ce qu'il dit.

Je me lève, fais un rapide tour d'horizon. Son manteau est encore là. Vraiment bizarre. Les murs bougent. Le sol n'est pas stable. Je me sens comme après une cuite monumentale. Ca ne va pas du tout.

Je descends les marches en me tenant au mur. J'ai envie de vomir. La femme de l'aubergiste est en bas, elle me regarde en souriant. Ca te dirait pas de m'aider conasse ?

La salle est vide, désespérément vide. Une étrange sensation me tord les boyaux et ce n'est pas la nausée. Allen ne serait pas parti sans me prévenir. Il fait froid, il n'a même pas son manteau. Il ne parle pas la langue. Allen…

« Bonjour monsieur. Bien dormi ? »

Le sourire de l'aubergiste est effrayant. On est tombés dans un putain de piège. Pourtant Allen a dit que ce n'était pas des Akuma. C'est quoi ce plan ?

« Où est-il ? »

« Qui ça ? »

Je réalise qu'il ne peut pas savoir de qui je parle. Il croit toujours qu'Allen… Oh merde.

« La fille qui m'accompagnait. Ou est-elle ?! »

« Pas vue, m'sieur. Si elle est partie, c'était avant qu'ma femme et moi on s'lève. Ca m'étonne pas. Vous savez comment sont les gonzesses… Le prenez pas mal, vous êtes plutôt beau garçon mais c'est ben compliqué que de les satisfaire.»

Il se fout de ma gueule, l'enflure.

« Au fait vous m'avez pas dit. Comment vous l'avez trouvé le thé de ma femme ? A mourir, hein ? »

Le thé… Oh. Bordel. Mais quel con ! On s'est fait avoir comme des bleus. Si j'en avais la force, je me foutrais des baffes.

« Vous allez me dire où elle est sinon je vais vous faire cracher le peu de dents qui vous restent enfoiré ! »

Je n'ai pas le temps de parer le coup. Je m'écrase sur la table la plus proche. La douleur est atroce mais elle me remet un peu d'aplomb. Je prends mon marteau. J'ai les mains qui tremblent mais ça suffira. Je le fais grandir et l'écrase contre la tempe du type. Il ne sourcille même pas, il est vraiment humain. Chier. Je ne suis pas en état de me lancer dans un corps à corps. Il ne me reste que la fuite. Je me relève péniblement et fonce en direction de la porte. Une dizaine d'autres gorilles me barrent la route. C'est vraiment pas ma journée.

Sans réfléchir, je m'élance vers la fenêtre à ma gauche et passe au travers. Comme papa. Comme papa qui tombe et tombe et s'écrase. Les gorilles hurlent de rage. Il y a des gouttes de sang qui flottent autour de moi. J'ai mal. Pardon, Allen.

oOo

Et voilà. La suite viendra assez rapidement. J'ai déjà écrit la deuxième partie et la troisième est en bonne voie.

Petite précision, les vers du « poète inconnu » ne sont pas de moi. Ils appartiennent à Romual le bélier de la génialissime BD « Le Génie des Alpages » et par extension à son créateur, F'murr.

Pour ceux qui ont survécu à la lecture, n'oubliez pas que je raffole des commentaires encourageants (même des critiques, d'ailleurs, je chercher toujours à m'améliorer) !

A bientôt.