Ne, Isaak... Comment appelle-t-on ce sentiment... lorsqu'on est déchiré entre l'envie de rire et l'envie de ne juste rien faire? Tu veux savoir ce qui m'a rendu dans cet état? Je suis en train de me demander si tu avais prévu tout ceci, si tu avais prévu que je finirais ainsi, quand tu m'a ramassé il y a de ça tant d'années. La pensée que tu ne l'avais pas vu venir, l'image qui me vient en tête en pensant à ta réaction lorsque tu sauras ma condition... me rend absoluement hilare. Je crois que ça s'appelle de l'ironie. Je n'ai jamais vraiment su ce genre de mots, même en faisant semblant de lire tes livres pour attirer ton attention, ton regard... essayer d'obtenir un mot d'encouragement, d'appréciation... Je me souviens encore de ce moment, quelques mois après que tu m'aies recueilli, où je t'ai demandé de m'apprendre à lire. Jamais je ne pourrais oublier l'éclat qui était apparu dans ton regard à ce moment-là. Jamais je ne pourrais oublier, non plus, cette première fois où j'ai tenté de te séduire. Tu sais, je ressens toujours les endroits où tu m'as marqué à ce moment-là, même si les blessures ont depuis longtemps disparues sans laisser de cicatrices. Je me rapelle également ce jour, il n'y a pas si longtemps, où ta cigarette s'est presque fichée dans mon oeil, Mein Herr me retenant la tête. La punition qui a suivie le départ de Mein Herr... j'en ai encore des frissons juste à y penser. Si nous nous revoyons, me puniras-tu de nouveau? Me feras-tu de nouveau goûter à cette souffrance si douce que je n'arrive plus à m'en passer? Me feras-tu hurler jusqu'à m'en casser la voix? Jusqu'à ce que j'aie l'impression que mes chordes vocales sont prêtes à exploser? Cette pensée constante, qui m'apporte le sourire, m'aide à continuer, ne serait-ce que quelques secondes de plus, ne serait-ce qu'un souffle plus longtemps. Mais je sais que tu ne viendras pas me chercher. Je sais que je vais mourir. C'est dingue tout ce qui peut nous passer par la tête lorsqu'on sait notre fin proche et inévitable. Me puniras-tu réellement, Isaak? Tiendras-tu seulement compte de mon échec, ou tiendras-tu également compte de ce que j'ai accompli dans ce dit échec? Prendras-tu pitié de moi? Me laisseras-tu sentir, ne serait-ce qu'une dernière fois, la chaleur de tes bras, de ton corps tout entier? Ou me laisseras-tu simplement mourir là, abandonné comme une vieille marionette à laquelle on a coupé les fils? Je sais que j'ai été contre ta volonté, Isaak. Je sais que je fais toujours quelque chose pour te contrarier, pour tenter de t'inciter à me punir, ô douce souffrance. Masochiste, oui, c'est sans doute ce que je suis. Quel autre trait pourrait te convenir chez une possession sinon celui-là, Isaak? Oui, je t'appartiens. Totalement, entièrement, advitam aeternam. Je ne voudrais jamais qu'il en soit autrement. Tu aurais pu penser que mon départ était une rébellion, une transgression. Sans doute même une giffle. Mais il n'en est rien. Je suis parti pour toi. J'ai infiltré le Vatican pour toi. Je suis en train de mourir pour toi, Isaak. Tout pour toi. Mais regarde, je ne serai pas le seul cadavre que tu découvriras si tu viens. Le palais est en ruines. Dame Catarina Sforza git quelque part sous les décombres, vidée de son sang par quelques trous que je lui ai faits moi-même, sans utiliser de marionette. Le Pape n'est plus ici, mais je sais que je l'ai blessé gravement. Cardinal DiMedici aussi est mort, ses morceaux éparpillés autour de moi. Plusieurs soldats gisent également pas très loin, dont ce robot humanoïde qui est si intéressant. Je ne crois pas l'avoir trop endommagé, si tu veux tenter d'en faire quelque chose. Et le mieux, c'est que j'ai même pensé à faire un présent à Mein Herr. Il est là, pendu dans mes fils, quelques mètres au-dessus de ma tête. Abel Nightroad. Krusnik 02. Lui, par contre, je plaide coupable, je l'ai un peu endommagé. Il le fallait bien, pour pouvoir le contrôler et l'utiliser dans ce massacre. Un autre élément qui devrait te faire plaisir: Esther est morte, elle aussi. J'ai pris mon temps pour bien le faire, pour la faire souffrir longtemps, proprement. C'était une telle jouissance, tous ses cris d'agonie, Isaak! Tu aurais dû voir l'expression d'horreur sur son visage alors que je traçais de jolis dessins sur sa peau douce et souple, et que j'y faisais ensuite couler de la cire... Je pense que personne ne la reconnaîtra quand ils découvriront son corps, par contre. Elle n'est plus du tout jolie, et plus du tout capable de cet esprit rebel qui m'excitait tant. Je lui ai tout enlevé, je l'ai brisée complètement à l'intérieur, tout en la mutilant tranquillement, prenant bien mon temps pour qu'elle ressente chaque incision, chaque brûlure. J'en frémirais encore si j'en étais capable, Isaak. Hélas, dans ma condition... Ah, mais je sais que tu vas me punir pour ce que je me suis fait. Tu m'avais prévenu, lorsque je t'en avais parlé. Tu m'avais menacé de m'enfermer dans une pièce humide et froide, pour toujours loin de la chaleur de tes bras, si je le faisais. Je me demande si c'est réellement ce que tu comptes me faire, à présent? Ceci dit, il est plus que probable que tu retrouves mon cadavre, pas vrai... L'aube approche, après tout... Ou cadavre est-il réellement le mot juste, à présent? Oui, je l'ai fait. Il le fallait, si je voulais mener mon plan à bien. J'ai échoué, mais j'étais à un cheveu. Néanmoins ça ne change rien à ma situation présente. Je suis étendu là, au milieu des décombre. Le toit s'est effondré il y a de cela déjà plusieurs heures. Je sens le virus qui a presque achevé son oeuvre sur mon corps. La soif me tenaille, mais j'ai toujours les idées claires, alors j'imagine qu'elle peut encore s'empirer. J'ai fais un mauvais calcul. Je croyais que le virus ferait effet moins rapidement, que j'aurais le temps d'en finir puis me mettre à l'abri. Mais je suis pourtant là, paralysé, mes bras ayant été tranchés par ces idiots de l'Inquisition, mes jambes ayant été broyées sous un morceau de toit qui m'a été projetté dessus pendant la bataille. Je ne peux rien faire, je ne peux qu'attendre. Attendre que le soleil se lève. Attendre qu'il fasse réagir le virus, qui dévorera tout mon corps en un rien de temps. Je suis déchiré entre l'envie d'être sauvé et cette curiosité de savoir ce que l'on ressent lorsqu'on est dévoré de l'intérieur. Ce doit être une souffrance attroce! Si je n'étais pas aussi exténué, que je n'aurais pas perdu autant de sang, je crois que j'aurais une érection. Dis-moi, Isaak. Me féliciteras-tu pour ce que j'ai accompli comme carnage ici, ou me feras-tu seulement payer ma transgression? Oh, et puis... à quoi bon me questionner puisque je vais mourir ici. J'espère seulement que tu arriveras avant qu'ils décrochent mon présent pour Mein Herr, que tu verras ce que j'ai fait pour toi. Je sais, de toute façon, que jamais tu ne me diras les mots que j'aimerais le plus entendre de ta bouche, mein liebe.
