Note : Ne laissons pas des personnes aussi sympathique que Nuity se languir de leur OTP ! Voici un Zemyx/Dexion assez tragique, mais qui inaugure cependant une série de quelques OS sur ce couple. Pour toi, Nuity ! Et pour tous ceux qui aiment ce pairing adorable.
Note 2 : Un immense merci à Wa, comme toujours. Ecrivez lui un petit mot, ça lui fera plaisir !
Disclaimer : Les personnages ne sont évidement pas les miens. Ils sont la propriété des Studios Square Enix et Disney.
Edit du 05/05/2019 : Hey. J'ai effectué quelques corrections sur ces vieux textes, notamment sur le nombre astronomiques de virgules et la concordance des temps. Pas d'inquiétudes le fond reste, bien entendu, le même. J'espère que vous prendrez toujours autant de plaisir à lire ces OS, bonne lecture !
Those stars who breathe.
La nuit était si calme, ce soir-là. Quelques fleurs des neiges pointaient même le bout de leurs pétales en cette période glaciale, prêtent à l'éclosion de leur cœur de cristal.
C'était beau.
Tout se muait dans un silence profond, les habitants du village marchant avec la lenteur douce et paisible des fantômes, errant au travers de longues rues pavées, étroites et congelées. L'hiver avait quelque chose de magique ici, un petit côté enchanteur et désolant, comme si la glace avait un jour eu le pouvoir de stopper et la vie et le temps. Un mouvement éternel qui revenait chaque année avec ses malheurs, ses joies et ses larmes, ponctuait la vie des gamins de ce bourg trop calme.
Jusqu'à ce soir-là.
Le bleu du ciel d'hiver s'était soudainement embrasé, avec la violence de la foudre qui déchire le ciel, virant tour à tour à l'orange puissant, au rouge éclatant, au gris sale presque poussiéreux. Le village brûlait, simplement. Nul n'en sut jamais la raison. Quelques cris étouffés dans les flammes, des centaines de corps disloqués happés par les bouches béantes de leurs propres maisons. Le ronflement des nuages de cendres qui irritaient les poumons et écorchaient la gorge, brûlaient les yeux des hommes jusqu'à les rendre aveugles. Cet incendie fit fondre les corps dans le froid, plongeant ce monde miniature dans un état de délabrement à peine croyable. Le silence présent n'avait désormais plus rien de celui, tiède et serein, qui couvait jusqu'alors les habitants. Ce silence-là suintait le mutisme sourd des spectres gémissants, créait aux alentours une couverture moite de mort et de charbon.
Désormais tout était laid, même aux yeux des enfants.
_o_
« — J'ai mal.
— T'en fais pas, je vais t'aider. Attends un peu… »
C'était lourd. Bien trop lourd, et il le savait. Plus il essayait de soulever cette poutre en bois, plus le petit Demyx se disait qu'il n'arriverait à rien. C'était dans sa nature. Il avait toujours été faible, fuyait le combat comme la peste et échangeait volontiers des dizaines de ses billes à ses camarades juste pour éviter d'avoir affaire à quelques gros durs après l'école. Ça avait toujours été comme ça. Un règne naturel selon lui, ou le rêveur passif qu'il était finirait par s'éteindre lentement, sans laisser de traces.
Quand tout s'était consumé et qu'il avait vu grandir le torrent de flammes, scinder le ciel et bouffer les âmes, il n'avait rien pensé. C'était assez joli, plutôt poétique, et mis à part l'odeur de chair grillé qui avait tapissé les murs de sa maison en ruines, il n'y avait pas eu grand-chose de dérangeant. Demyx était un petit garçon enjoué, parfois trop insouciant, et tout ça lui passait royalement au-dessus de la tête.
Une fois la frénésie flamboyante passée, il était sorti des décombres en se tortillant vigoureusement et avait vite essuyé les traces noirâtres qui salissaient son pyjama, ordonnant à son cœur de se calmer un peu. S'il arrivait à trouver papa et maman il n'y aurait plus de problèmes, pas vrai ? Confiant, il se faufila donc à l'extérieur de la bâtisse, une main en visière, et s'époumona un quart d'heure durant.
Personne ne répondit.
Demyx ne comprit pas tout de suite. Pieds nus, il fit le tour du pâté de maison en ignorant les quelques membres calcinés qui semblaient pousser un peu partout sur son passage, négligeant la terre qui chauffait sous ses pieds autant que le craquement des arbres rendant leur dernier souffle. Le ciel était gris et moche, il ne prit même pas la peine de lever le nez. Une main près du cœur, l'autre près de sa hanche, le garçon respirait vite et ses yeux parcouraient les alentours en tous sens. Trouver un visage, entendre une voix, sentir un mouvement, quelque part. La tranquillité ambiante le mettait étrangement mal à l'aise, tout comme les particules stagnantes posées sur le bord de ses paupières l'empêchaient de voir correctement. Il secoua la tête, hurla un moment puis s'assit par terre. La plante de ses pieds prenait une sale teinte cuisante et les quelques échardes qui s'étaient logées sous son talon lui causaient une souffrance atroce.
Cependant il fallait bien plus que cela pour décourager le petit garçon. Après une pause de courte durée, celui-ci se remit debout et continua ses recherches avec dynamisme, sifflotant un air clair et enjoué pour se donner du courage. Ni sous les pierres, ni près de la boulangerie, ni sous le verre, ni parmi les bocaux renversés de l'épicerie. Tant pis. Une heure passa, puis deux. Le froid clément de l'aube courait dans son cou et mordait ses mollets, lui arrachant quelques jurons enfantins, mais il continua. Il trouverait forcément. Pourtant, au fur et à mesure que le temps passait, la lueur dans les yeux de Demyx se perdit. Malgré les chansons qu'il fredonnait pour troubler le silence, malgré le sourire en demi-lune qu'il affichait lorsqu'un petit bruissement, même infime, se faisait entendre, il n'y avait toujours rien.
Lorsque le clocher carbonisé sonna les deux coups éraillés du petit matin, ses yeux étaient devenus gris.
A force de marche, il avait fini par trouver papa et maman. Il préférait ne pas s'en souvenir. Papa, encore, avait été reconnaissable. Les doigts atrophiés, le nez enfoncé dans le crâne, les tendons des poignets ouverts et du sang plein la bouche, certes. Mais il avait encore les traits doux de son père et sa tendre peau blanche d'autrefois. Maman, elle, lui avait soulevé le cœur.
Etendue près d'un plant d'asphodèles flétris, un bras passé dans ses courts cheveux blonds, elle semblait hurler mille douleurs de par sa bouche sèche et distendue. Ses yeux, autrefois d'une limpide couleur amande, oscillaient entre le blanc et le rouge comme deux boutons de veste plantés dans son visage immonde et bouffi. Devait-il parler de son corps ? Un amas de chair à l'odeur insoutenable de brûlé, luisant et grumeleux, tirant tantôt sur le noir, tantôt sur le cramoisi. Une immondice douloureuse. Un cadavre. Un monstre calciné et immobile qui avait remplacé sa mère à la voix douce, le parfum du souffre dévoré sa délicate odeur de violette.
Il se souvint l'avoir regardé, vaguement, avant de poser un baiser dégoûté dans sa chevelure éparse. Un ultime au revoir.
Il était ensuite reparti faire un dernier tour, juste pour s'assurer qu'il ne restait que lui. C'est en trainant des pieds jusqu'à l'ancienne bibliothèque qu'il avait entendu un cri. Un peu comme un feulement, un pleur contrarié. Il avait couru, oubliant les restes de papier éparpillés qui se froissaient sous ses orteils, et s'était approché le plus près possible. Une immense poutrelle s'étalait en travers d'un amas d'ouvrages et, écrasé sous ceux-là, un gamin grognait faiblement. Un large sourire avait barré le visage de Demyx malgré lui. Il n'était pas tout seul. Après un temps interminable de recherches, il avait enfin trouvé une personne et il allait la sauver, coûte que coûte.
« — Merci, chuchota-t-il, gonflé de gratitude, en levant les yeux vers le ciel assombri.
L'être en question se trouva bizarrement être un garçon de son âge. Il avait le visage rougi par l'effort, des yeux ardoises remplis d'une intelligence éclatante et de déconcertants cheveux bleutés, dont une mèche plus longue que les autres lui mangeait la moitié de la face. Cela fit rire Demyx, et il eut l'impression de ne plus avoir été heureux comme ça depuis des lustres. L'autre fronça les sourcils et le regarda sautiller vers lui, essayant d'éviter tant bien que mal les multiples débris qui les séparaient.
Une fois à moins d'un mètre l'un de l'autre, le garçon effleura le bois du bout des doigts et se gratta la tempe. Que faire, à présent ?
Demyx se retrouvait ainsi à tenter l'impossible, ses bras minces agrippant faiblement une charge bien trop pesante, les mains couvertes d'échardes, le souffle court. Sa respiration faisait trembler l'atmosphère et de temps à autre il regardait en direction du gamin aux cheveux bleus, juste pour s'assurer que celui-ci vivait encore.
« — Accroches-toi, mentit-il, ça ne prendra qu'une minute !
Le petit garçon, dont les cheveux blonds couverts de poussière tombaient à présent en travers de ses yeux, essaya d'avoir l'air heureux en disant ça. C'était ça à chaque fois : il ne pouvait pas s'empêcher d'affirmer une ânerie pour paraitre plus sûr de lui, ou simplement pour se donner courage. Parfois il mentait juste pour se plus sentir léger, pour ne plus endosser le poids d'une vie trop lourde. Parce que ça faisait du bien. Bien sûr, il lui faudrait sans doute plusieurs heures. Peut-être même devrait-il abandonner le seul être encore vivant à ses côtés, à cause de son échec. Pourtant il s'efforçait de ne pas y penser, concentrant toute son énergie et tout son poids sur la poutre de bois.
La soulever, ôter cette charge immense. Vivre libres.
— Tu sais, d'après Isaac Newton, si deux corps ponctuels de masses respectives Ma et Mb s'attirent avec des forces de mêmes valeurs vectoriellement opposées d'une part, mais proportionnelles à chacune des masses, tout en étant inversement proportionnelles au carré de la distance qui les sépare et si cette force a pour direction la droite passant par le centre de gravité de ces deux corps, alors, en considérant que tu es Ma et la poutrelle Mb, tu devrais pouvoir me sortir de là assez rapidement. »
Demyx ouvrit très grand la bouche et en oublia même la poutre qui lui sciait actuellement le bout des doigts. En contrebas, une joue contre la terre cendrée, l'enfant aux yeux sombres le fixait désormais avec insistance, une expression désabusée peinte sur le visage. Il avait les lèvres pincées, sûrement autant de douleur que de mépris, et le fixait doucement, un peu dans le vague. Comme s'il s'attendait à ce que Demyx comprenne un traitre mot de son charabia.
« — Quoi ?
—Tire la poutre vers le haut à l'aide d'un levier et pousse là de toutes tes forces en t'appuyant sur ta jambe droite. J'ai lu ça dans un livre. »
Ça, c'était déjà plus à sa portée. Même s'il avait du mal à voir en quoi pousser un gros truc vers le sol tout en reculant pouvait avoir un effet quelconque, il obtempéra en hochant de la tête, partant derechef à la recherche de quelque chose susceptible de ressembler à un levier. Un quart d'heure plus tard, ses maigres bras étaient cramponnés à une épaisse plaque de bois qu'il avait déniché non loin de là. Rassemblant tout son courage, Demyx ferma ensuite les yeux avant d'enfoncer ses ongles durs dans la matière brute, faisant basculer tout son corps en arrière tandis que l'autre propulsait difficilement l'objet de ses souffrances en avant.
Après deux essais, la poutre de bois chuta finalement sur le côté, libérant enfin son prisonnier. Celui-ci se traina mollement sur le sol sans un regard à son sauveur et, essoufflé, commença à chercher un appui potable pour se relever. De bonne grâce Demyx s'approcha puis, tout sourire, lui offrit sa main.
« — Non, ça ira.
La voix du garçon aux cheveux bleus, à la fois rêche et satinée, claqua comme un fouet dans le vide de la nuit. Aidé d'une imposante pierre appartenant autrefois à la bâtisse, celui-ci se releva finalement très dignement avant de lui tourner le dos sans plus de cérémonie.
Pourtant, Demyx sentait que quelque chose clochait. Bien que ce refus ne l'ai pas froissé outre mesure, le jeune garçon ne put alors s'empêcher de se sentir profondément déçu. Pourquoi cette incompréhensible envie de solitude ?
— Je suis Demyx. Il n'y a plus que toi et moi, maintenant et…
— Je sais. »
A l'entente de cette phrase, ce court assemblement de mots prononcés faiblement, les prunelles de Demyx s'écarquillèrent. Son vis-à-vis, dos à lui il y a quelques secondes, venait de se raviser pour lui faire face. Il était droit, mais avait les poings si serrés que ses ongles avaient pénétré sa chair. Son unique œil, bleu du sel des larmes, était brillant d'une douleur irréelle. Demyx, malgré son jeune âge, devina sans peine qu'il ne s'agissait pas là d'une blessure physique. Il secoua la tête et s'approcha à nouveau de lui. Les lèvres noircies, le menton tremblant, le garçon aux iris éteints fit craquer la faible distance qui les séparait en se laissant glisser contre son cœur, pressant de ses mains le tissu fin et crasseux de sa chemise.
Demyx laissa faire tandis qu'ils s'étreignaient, enlaçant les frêles épaules qui s'offraient à lui, glissant ses doigts dans les cheveux de l'autre avec le mince espoir de pouvoir le réconforter ne serait-ce qu'un moment. Il l'attira à lui, cacha ses propres larmes, chacun enfonçant son nez dans le cou de l'autre.
Peu importait la saleté, la sueur ou la cendre, à la lueur de cet instant présent. Ils étaient deux.
_o_
« — On m'appelle Zexion. Tu sais, t'es pas obligé de me tenir la main.
Voilà un quart d'heure que les deux enfants marchaient côte à côte, les doigts étroitement noués. Un mince sourire planait sur les lèvres de Demyx qui de temps à autre se frottait énergiquement le visage du bras, se remettant alors presque aussitôt à fixer le vide avec conviction pour impressionner l'autre, tel un grand personnage de roman. Cela amusa beaucoup Zexion qui, même s'il avait une partie du visage cachée, possédait un sourire clair et relativement expressif. Certes, il n'avait jamais été bon public et l'humour n'était pas son point fort, mais savoir que la personne à ses côtés avait le don magique de pouvoir faire sourire n'importe qui –même les morts- le rassurait étrangement. Demyx hocha la tête pour signifier qu'il avait bien comprit, sans pour autant songer à se détacher de son nouveau camarade.
— C'est bizarre, Zexion. Je suis pas obligé, mais j'aime bien. Et puis, tu pourrais te perdre. »
La phrase s'acheva dans un souffle trop doux, et le garçon gris stoppa sa marche. Il avait remarqué, après avoir un peu parlé avec lui, que Demyx n'était pas de ces enfants fatalistes et fainéants qu'il avait pu rencontrer le dimanche sur le chemin de la bibliothèque. Il était joyeux, enthousiaste et compréhensif. Pourtant, il lui arrivait d'apercevoir une infime lueur de solitude dans son regard bleu-vert, comme nichée dans les recoins troubles de sa pupille.
Une hirondelle de tristesse faisait peu à peu son nid dans l'âme de son compagnon, et Zexion n'aimait pas ça.
« — Je ne me perdrais pas. J'ai appris à me guider à l'aide des étoiles. » murmura-t-il avec pragmatisme, resserrant sa prise sur les paumes du blond. Dans un autre de mes livres, il était écrit que les constellations étaient les points de repères ancestraux des Mayas, une tribu savante d'antan.
Il continua avec plus de douceur comme son ami paraissait se rembrunir à peine, cherchant dans sa mémoire une histoire qui, peut-être, lui conviendrait mieux.
— Ces alignements d'étoiles donnaient l'air de danser dans le ciel, et les Mayas commencèrent ensuite à les répertorier. Une légende raconte que c'est parce que la respiration des étoiles change en fonction de leurs danses que les constellations ne sont pas visibles à chaque saison. Tu savais aussi que...»
Et ni une ni deux, au fur et à mesure que Zexion racontait, les yeux de Demyx se remirent à briller.
_o_
Deux jours, sans manger ni boire. Un ciel toujours aussi maussade et des nuits toujours aussi froides. Allongés sous les ruines d'un grenier miteux où ils avaient trouvé refuge, les deux garçons grelotaient, resserrés l'un contre l'autre. Parfois Demyx chantait, la tête de Zexion posé sur ses genoux, ou bien créait toutes sortes de devinettes que son compagnon résolvait en un clin d'œil. A chaque fois, le garçon rêveur ne pouvait s'empêcher d'admirer la fertilité d'esprit de son ami, sa propre intelligence se limitant à fabriquer des traquenards à poissons ou quelques lance-pierres mal dégrossis.
Zexion lisait des poèmes. Il les écrivait à la suie sur les murs de leurs divers abris de fortune puis, couché dans le noir, le front posé contre celui de Demyx, les récitait à voix haute, son souffle faisant vibrer son corps entier. C'était chaud, rassurant.
Au cours de leur errance, les deux garçons avaient maigris et de larges poches violacées leurs couvraient désormais le dessous de leurs paupières, la fatigue creusant peu à peu leurs traits, la faim gagnant chaque jour du terrain sur la course folle du sommeil. Vers le milieu de ces journées identiques il leur arrivait parfois de sortir du grenier pour prendre l'air mais aussi et avant tout pour tromper la faim. Si Zexion connaissait le nom de nombreuses baies et racines la forêt alentour semblait avoir subi le même sort que le village et, bientôt, il ne fut plus possible de s'alimenter de façon régulière. Il fallut faire un choix.
« — Par quoi on commence, Zexion ? »
— Je sais pas. C'est… beurk.
— Ils ont tous les yeux si vides.
— Si tu fermes bien les tiens, tu ne verras rien.
— Bof. Et pour le goût ?
— C'est comme quelque chose de cuit au barbecue. Imagine un goût…
— Fumé ? Un peu pas bon, mais salé. Comme du bacon ?
— Voilà, comme du bacon. Allez, Demyx. »
Accroupis près d'un corps informe rongé par une multitude d'asticots lisses et gluants, les deux garçons regardaient avec avidité cette ultime chance de survie. C'était Demyx qui, en trainant par inadvertance entre les décombres, avait buté sur un cadavre moins endommagé que les autres. Un adolescent, à en juger par sa taille convenable. Une chair en voie de putréfaction à l'odeur douteuse, des os visibles par endroits et deux-trois ligaments pas trop difficiles à mâcher. Après un instant de réflexion, l'enfant à la mine réjouie avait fini par appeler son compère, plutôt fier d'avoir trouvé de quoi subsister pendant trois jours au moins.
Ils se retrouvaient ainsi à débattre sur le goût probable de la chair humaine, faute de quoi ils se retrouveraient le ventre vide, obligés de se dévorer l'un l'autre.
Demyx eut un haut le cœur.
« — Je prends ce truc là, ça se détache mieux. Ok ?
— Moi la main gauche. Expire un bon coup, Demyx. On y va ?
— Pas de… problèmes. Pas de problèmes ! »
Chacun munit de leurs morceaux respectifs, les deux enfants croquèrent alors lentement dans la chair, mâchant, avalant. Il semblait à Demyx que son estomac devenait de plomb, une chape de métal rouillé recouvrant ses tripes. Un feu glacé dégoulinait dans sa gorge à chaque bouchée. Il mangeait un être humain. Un membre du village. Un être qui, s'il avait eu quelques années de moins et un peu plus de chance, aurait pu être leur ami. Zexion, à ses côtés, ne baissait pas les yeux sur son repas. Il regardait droit devant lui, essuyait consciencieusement les croûtes âcres de sang qui parsemaient le dessus de sa propre portion d'un air distrait.
Sans prévenir, il planta soudain son œil profond dans le sien.
« — Dem', tu sais comment les hommes appellent ce qu'on fait ?
Son vis-à-vis pencha la tête, la bouche pleine, l'invitant à continuer en silence.
— Du cannibalisme. »
Il avait dit cela placidement, sans expression, mais ses mains tremblaient. Il ne les voyait pas, ces tremblements, ne voulait pas les voir. Ni le bout de viande pourri qui pliait sous l'assaut de sa mâchoire, ni ses mains graisseuses couvertes d'huile humaine, ni le regard apitoyé de son ami si heureux de pouvoir enfin se mettre quelque chose sous la dent. Il se dégoûtait. Demyx le regardait.
Alors, pris d'un vertige, il se leva.
Le jeune garçon parcouru un bon mètre avant de s'étouffer bruyamment contre une souche, vomissant par à-coup l'intégralité de ce qu'il venait d'avaler.
Ce n'était pas tant la saveur de la chose, l'aspect ou même la texture. Ce qui l'effrayait, c'était la perte d'humanité qui grandissait en lui par ce simple geste. La cassure dans son cœur qui l'incitait à vouloir mélanger différents organes, et pire, à les cuisiner. A vouloir en faire quelque chose de bon.
« — Zexion ! Zexion, ça va pas ?
Le blond, inquiet, lâcha immédiatement ce qu'il avait dans les mains, crachant le petit vers blanchâtre qui gigotait entre ses dents pour accourir auprès de son ami, pâle comme un drap de literie propre.
« — Hé ! Zexion. Tu m'entends ?
Il se sentait glisser. Comme quand son parrain, un homme blond, creusé, aux prunelles vert poison, se prenait à lui lire de beaux vers en latin sur la physique quantique. Un voile nébuleux de sommeil, un parfum abject plein la bouche, l'impression de flotter sur un lit de plumes…
— Vexen ? Tu as… mis de l'opium là-dedans, non ? Je…connais…
— Non, pas Vexen. Demyx. Qu'est-ce que tu as ? Zexion !
Zexion.
Zexion.
— Zexion… »
_o_
Son front était brûlant. Plus le garçon blond y posait la paume, plus il lui semblait qu'un feu crépitait sous la peau du crâne de son acolyte. Fébrile, il le regardait de haut en bas, recouvrait son corps frissonnant d'une couverture arrachée à un lit quelconque, attendait sans comprendre. Après sa brusque perte de connaissance, que Demyx attribuait à la déshydratation, ils avaient frénétiquement cherché une source d'eau potable dans les environs. La faute à son sens de l'orientation inexistant, le blond avait bien failli se perdre, mais sa mésaventure lui avait tout de même permis de recueillir une maigre quantité d'eau bénite, confinée au cœur d'une église délabrée apparue au détour d'un chemin. Un vrai trésor. Comme il avait dû se contenir pour ne pas tout boire d'un coup !
Mû par l'espoir de ce premier miracle Demyx, retourné au grenier, avait glissé quelques lampées dans la gorge de Zexion, pantelant. Celui-ci avait à peine bougé. Il respirait mal, et le petit garçon se demandait bien pourquoi il n'avait pas remarqué ça plus tôt. Il est vrai que son compagnon parlait peu et n'était pas du genre à pousser la chansonnette, mais tout de même. Ses lèvres étaient blanchies et tirées, son souffle court. Certaines fois il se mettait à tressauter bizarrement, et Demyx commençait à avoir un peu peur. Dans ces moments là se calait prudemment au-dessus de lui, écartait les pans de sa tunique et écrasait le creux de ses mains sur le torse mince de l'autre. Zexion se cambrait alors brusquement, un râle d'outre-tombe sortant des profondeurs de ses poumons, et de longues trainées visqueuses, couleur de rouille, découlaient de sa bouche. C'était immonde. Effrayant.
Oui, dans ces moments là, Demyx aurait tout donné pour qu'il lui parle encore des étoiles.
_o_
« — Demyx. Demyx. Réveilles toi…
Pressé contre le corps avachi de son ami, le susnommé ouvrit des yeux englués par la nuit.
— Aide-moi. Je dois sortir.
— Gnnh ?
— Dehors. Sur le toit. Vite. »
Ce fut la respiration sifflante, hachée et brusque de Zexion acheva de réveiller Demyx. Il se redressa en panique, une étrange odeur le prenant peu à peu à la gorge. Un parfum métallique, fort et écœurant, se déposait dans ses narines au compte-gouttes et imprégnait chaque parcelle de son cerveau malmené par les vapeurs du sommeil.
Ce n'est que lorsqu'il leva les yeux vers le malade qu'il comprit. Du sang. La paillasse qui les recouvrait tous les deux en était imprégnée, l'éclat brillant des fluides infectieux la faisant luire à la lumière pâle de la lune.
Une main devant la bouche, les pupilles dilatées, Zexion le fixait en silence, une tristesse infinie logée au fond de son regard gris. Demyx acquiesça sans dire un mot, prit sa main dans la sienne.
« — Tu m'expliqueras quand on sera là-haut.
A cause de la faiblesse grandissante du malade, ils mirent une bonne éternité à grimper sur le toit. Le garçon aux mèches blondes le trainait difficilement, se forçant à ignorer les gémissements erratiques de son compagnon, ses cris de détresse, ses raclements de gorge douloureux. Pour accéder au toit ils avaient dû traverser une petite lucarne d'où pendait une antique échelle, avant de se hisser sur les anciennes fondations de la bâtisse. Dehors l'air était vif et le nuage de poussière qui subsistait dans le village faisait voleter les particules en masse, tournoyant dans le vent, semblables à un blizzard neigeux doux et tranquille.
« — Là, ça ira, soupira Zexion lorsqu'ils parvinrent à se hisser sur les restes de la vieille toiture. On voit bien les étoiles.
Demyx, à bout de forces, lâcha le corps qui s'appuyait jusque là sur lui, le visage grimaçant de douleur. Une quinte de toux rauque suivit les paroles de Zexion qui tomba lourdement, sa tête cognant sur les uniques tuiles qui meublaient la structure. Le souffle court, Demyx avança vers lui pour passer une main autour de ses épaules.
— Tu peux me dire, maintenant ? S'il te plait ? »
— D'accord. Tout. »
Zexion l'invita à se pencher d'un geste de la main, une main agile et froide, amicale et douce.
Amical, il ne l'avait jamais vraiment été, jusqu'à Demyx.
Ni avec les autres lorsqu'il se rendait en solitaire à la bibliothèque, son sanctuaire, pour étudier l'astrologie, les sciences, la poésie. Ni avec ses parents qu'il avait presque totalement ignorés jusqu'à leur mort subite, assassinés au prix de leur savoir. Son parrain, ce saint homme, l'avait par la suite élevé avec amour et considération, lui enseignant l'insensibilité la plus totale et un goût particulièrement étrange pour les expériences. Zexion ne s'en plaignit pas. Il n'aimait pas les gens, mais il aimait apprendre.
Un jour, il attrapa un rhume. Il simple rhume, vraiment. Sa santé déclinait peu à peu cependant, son infection dégénérant en grippe sévère, son état empirant. Bientôt, son parrain l'empêcha de sortir. Le petit garçon qu'il était resta donc au lit toute la journée, à l'abri des vents et dans l'obscurité, lisant, lisant, lisant toujours. Il avait appris tant de choses, oublié tellement d'autres.
Et un matin Vexen entra, un filtre à la main, le sourcil plissé et le sourire aux lèvres.
« J'ai trouvé un remède. »
Grâce à la science, Zexion guérit. Il retourna à la bibliothèque, continua à ignorer les autres. Puis vient l'incendie. Ses précieux ouvrages brûlés, son parrain pulvérisé dans le laboratoire, les mains encore serrées sur son éclatant bec bunsen. La fuite à travers le village, la course jusqu'à son refuge littéraire, la poutre du lieu qui s'écrase sur son corps mais qui, curieusement, ne le blesse pas.
Et puis Demyx. Demyx.
« — Toi, marmonna t-il faiblement, c'est un peu ta faute, finalement. Tu aurais dû me laisser où j'étais sans rien faire, et je serais mort. A cause de toi, à cause de ces nuits froides, peut-être même à cause de ton eau dégoûtante, je suis de nouveau tombé malade.
Demyx ouvrit la bouche pour protester, mais Zexion le fit taire d'un regard.
— Ça fait mal. Avant, je ne savais pas ce que j'avais. Mon lit, mes poumons étaient devenus comme une prison. C'est une pneumonie qui me tue, Demyx. Je vais mourir. Et ce sera ta faute. Mais… T'es là. Tu chantes des chansons, tes cheveux blonds sont désordonnés et mille fois plus antigravitationnels que les miens. Tu siffles dans un brin d'herbe, il devient comme une flûte. Tu es crédule et tu comprends rien, mais ta joie de vivre surpasse tout le savoir que je n'aurai jamais. Tu… »
— Arrêtes de parler ! Tu vas t'essouffler, t'es vraiment trop bête pour quelqu'un qui utilise des mots si compliqués. »
Le visage à quelques centimètres du sien, Demyx affichait désormais un sourire heureux, un sourire niais. Ses dents parvenaient presque à éblouir l'autre garçon, qui en oublia de tousser. Dans ses yeux, ses deux purs iris à la couleur indéfinissable, un océan de souffrance se plaisait à côtoyer de belles vagues vertes, aux teintes du bonheur.
Un instant, Zexion se noya. Il avait froid, il n'était pas seul.
« — Tu peux mourir ce soir. C'est pas trop grave, je veillerais sur toi comme une étoile. Par contre tu me jures de ne pas rester dans ton coin quand tu seras là-haut. Je veux que tu danses avec les constellations comme chez les Mayas, ok ? »
L'enfant aux cheveux bleus contint un sourire. Cette histoire… Il y avait réellement cru ?
— Ok, Demyx. Je promets, je danserais avec les autres étoiles. »
Les heures qui suivirent, aucun des deux ne parla. Le souffle de Zexion, de plus en plus fragile, se mélangeait aux gémissements du vent tandis que Demyx lui caressait les cheveux, chantonnant dans le vide une petite comptine.
« — Brille brille petite étoile, dans la nuit qui se dévoile. Tout là-haut au firmament, tu scintilles comme un diamant, brille brille petite étoile,
veille sur ceux qui dorment en bas… »
Vers les premières lueurs de l'aube, le corps de Zexion devint froid. Demyx passa une dernière fois ses doigts dans la chevelure bleutée, arrangeant patiemment l'unique mèche. Puis, doucement, il embrassa ses lèvres dans un baiser chaste, y déposant son dernier souffle.
Dans le silence de ce village d'hiver embrumé par les cendres et la mort une petit voix d'enfant s'éleva, un matin. Solitaire, elle osa briser la quiétude glacée de l'endroit.
« — Si les étoiles respirent, chuchota Demyx, j'espère que je pourrais un jour danser avec toi. »
