Brooklyn Baby

Les premiers rayons du jour filtrèrent à travers le store. Le sol était jonché de vêtements, skateboard et paquets de chewing-gum, un amas d'affaires éparpillé. On distinguait plus loin quelques ballons et maillots de basket. Aux murs, des posters de sportifs et des autocollants de voyage, des photos punaisées, des traces du temps. En tendant l'oreille, on entendait le bourdonnement de quelques grillons et le chant lointain d'oiseaux matinaux. Mais en soit, tout était parfaitement paisible. Encore plongé dans un demi-sommeil, il sentait quelque chose bouger à coté de lui. Il se retourna sous ses draps blancs tandis que cette forme se mouvait lentement. Elle commençait par s'engouffrer doucement sous la couverture, puis, glissait sur lui pour finir par l'enlacer. Il sentait son odeur, la douceur de ses cheveux, la douceur de sa peau. Mais encore trop endormi, il ne pouvait ouvrir les yeux. Elle murmurait quelque chose et se tut, recommençant à lui caresser les cheveux. Il entendait également son cœur battre. Il sentait qu'elle était vivante. Son corps chaud et malléable ne tenait pas en place. Cette fille ne tenait pas en place. Il grogna lorsqu'elle tenta de le chatouiller puis elle se laissa tomber sur le côté. Il ouvrit alors les yeux et la prit dans ses bras, la ramener contre lui. Il ne voyait rien d'autre que la barrière de ses cheveux. Un coin de ses lèvres et sa peau blanche. Il inspira cette odeur qu'il connaissait par cœur maintenant. Il se remémorait ce moment où il l'a sentie pour la première fois. C'était au bord de l'eau un matin de canicule d'enfer. Il faisait tellement chaud que le monde semblait fondre sous cette chaleur démentielle. La seule solution de survie fut sa piscine. Bien entendu, tous ses amis avaient pensé à la même chose. Ace avait pris soin d'emmener toute la troupe jusqu'à chez lui. C'est à ce moment-là qu'il la remarqua. Car il y avait parmi eux, cette fille qu'il avait aperçu quelques fois au bord du terrain de basket où il avait l'habitude d'aller jouer. Elle ne semblait cependant pas s'amuser comme les autres, elle ignorait même les gesticulations de Luffy. Seule dans son coin, elle ruminait son chewing-gum, ses yeux dissimulés derrière ses lunettes fixaient certainement un point invisible. Bien entendu, elle ne l'intéressait pas plus particulièrement. Il n'avait pas vraiment d'intérêt pour les filles beaucoup plus jeunes que lui. C'était la plupart du temps des bébés dont il fallait s'occuper. Mais elle, n'était pas un bébé comme les autres.

Il la sentit se dégager de son emprise et rouler hors du lit. Ramassant ses vêtements, elle se dirigea vers la salle de bain. Il distinguait son profil face à la lumière du jour, ses traits d'enfant et de femme, la courbure de ses formes. La fragilité de son corps.

-Hey babe.

Bonney lui répondit par un sourire avant de disparaître. Marco fixa le plafond encore sombre. La lumière du jour gagnait peu à peu contre l'obscurité, et il pouvait sentir les premiers rayons courir sur ses cheveux blonds. Il entendit le bruit de l'eau couler, et bientôt un parfum agréable envahir la pièce. Non ce n'était pas un bébé comme les autres, il l'apprit au cours de leurs moments passés en communs, avec leurs amis. A vrai dire, elle traînait avec cet imbécile de Law et parfois avec Ace. Luffy avait l'air de bien l'aimer, enfaite, ils s'entendaient bien pour manger des pizzas ensemble. Elle n'avait pas de copine et ne semblait pas apprécier les filles de son âge. Bref, cette fille était bizarre. Seulement, la première fois qu'elle lui adressa la parole, c'était pour le traiter d'ananas. Elle n'avait pas froid aux yeux, elle n'avait peur de rien.

Marco se releva et s'adossa à son lit. Jetant un rapide coup d'œil au réveil, porta ensuite le regard sur le store en face de lui. La matinée avançait doucement, il n'avait rien prévu de spécial à faire mise à part profiter de ses vacances. C'était dans ces moments-là qu'il avait l'impression de vivre au ralenti. L'eau de la douche cessa de couler. Il cligna un instant des yeux puis aperçut la silhouette de Bonney lorsqu'il les rouvrit. Elle portait un de ses maillots de basket deux fois trop grand pour elle. S'approchant du lit, elle s'assied à califourchon sur lui. La lumière à contre jour dessina les contours du visage de la jeune fille. D'une main, elle repoussa les cheveux du blond en arrière. Elle avait toujours aimé toucher ses cheveux. Ses petits doigts parcouraient ces mèches longuement et soigneusement, puis sa main descendit jusqu'à sa mâchoire et caressa son visage. Marco se laissa faire, ferma les yeux, puis la saisit par les hanches et la fit basculer sur les draps. Bonney contemplait le corps qu'elle connaissait bien maintenant, ses muscles, sa peau, ses veines, ses cicatrices, ses tatouages. Elle se sentait si petite dans ses bras, comme une poupée de cire, malléable et manipulable. Mais le plus étrange était que ce sentiment ne lui procurait aucune peur. Au contraire, elle sentait qu'elle pouvait s'abandonner à lui, qu'il ne lui ferait jamais rien de mal. Réflexion pathétique de jeune fille amoureuse, ou bien amour aveugle. Il y avait certainement de ça, mais elle savait que Marco n'était pas tout à fait comme les autres. Il affirmait avoir plus de cent ans et que son animal totem était le phénix.

-A quoi tu penses ?

-Au fait que tu étais bizarre.

Méditant cette réponse, Marco caressa du bout de son index la ligne de son cou. Il sentait sa peau vibrer sous son contact. Tout cela réveilla quelques sens en lui. Bonney avait fermé les yeux, le flot de lumière qui ne cessait de croître à l'horizon se déversait sur son corps tout entier. Elle semblait se pétrifier et se magnifier en quelque sorte. Il lui avait demandé un soir ce qui lui plaisait chez lui. Elle répondit qu'elle aimait son mauvais genre. Elle dit cela en marchand au bord de la route déserte, tournant dans les airs à un rythme si lent qu'il pouvait scruter les moindres plis et mouvements de ses fins vêtements. Elle avait ce pouvoir de le transporter dans un monde parallèle à celui-ci, où la réalité avait une pesanteur différente. Elle était tout ce qu'il y avait de plus singulier sur terre, même son regard n'avait rien de commun. Marco se leva et ouvrit la fenêtre. Le parfum atypique d'une matinée ensoleillé pénétra ses poumons. Il n'y avait personne dehors, ils étaient les maîtres de leur univers.

- Toi aussi tu n'es pas comme les autres 'bé.

Elle ouvrit les yeux et le fixa à l'envers. Sa cascade de cheveux ondulait le long du lit. Cela lui rappelait à quel point il aimait la faire tomber au bord du matelas et découvrir son cou gracile. Elle se leva lentement et s'approcha de lui. La profondeur de son regard ne le quittait pas un instant. Ses mains le repoussa contre la vitre et il sentit la fraîcheur parcourir son dos, sa peau frissonner sous le contact de ces deux entités différentes. Les mains brûlantes de Bonney traçaient des cicatrices invisibles sur son torse. Ses lèvres formaient un sourire provocateur.

-A ce jeu-là, nous ne pouvons qu'être deux Marco. Il ne peut y avoir que toi et moi de différent, honey.

Elle susurra ces mots au creux de l'oreille du blond qui l'a saisie par la taille. Il sourit espièglement.

-Tu es sûre qu'il n'y a personne d'autre ?

-S'il y avait eu une autre je l'aurais déjà tuée.

Bonney reposa son menton sur l'épaule de Marco qu'elle ne dépassait guère. Elle inspira son odeur suave. Bien sûr qu'il n'y avait personne d'autre, elle était la seule et l'unique, comme si une chaîne invisible les liait. Une chaîne qu'elle lui avait elle-même accroché aux mains, relié à ses propres poignets et jeté la clé au fond de la tamise. Marco saisit son délicat visage et la regarda longuement. Elle semblait déceler une fragile mélancolie au fond de ses yeux, lorsque par moment son esprit s'égarait. Il était d'un tempérament calme et mystérieux, il ne laissait pas paraître ses sentiments ni ses réelles pensées. Elle avait déjà décelé ce masque de gentillesse naturelle qu'il mettait en avant, certainement pour cacher ses propres défauts. Car oui Marco n'était pas uniquement le type sympathique et sociable que tout le monde connaissait. Il avait quelque chose en lui de plus sombre qu'il se gardait bien de révéler. Bonney l'embrassa longuement. Elle avait trouvé ce danger latent caché en lui car elle-même avait enterré un tempérament lent et redoutable. Ils étaient telles deux petites bombes à retardement discrètes, silencieuses, se fondant dans un décor constitué par leurs amis, s'attirant l'un l'autre par leurs fils entremêlés.