Chapitre 1 : Cauchemar

Le jour se levait, dissipant le spectre du cauchemar qui s'accrochait encore à ma conscience, je me retournais sur le dos enroulant mes jambes dans les draps blancs de mon lit.

-Toujours ce cauchemar marmonnais-je en me frottant les yeux.

Soupirant je laissais errer mon regard au-delà des rideaux mauves qui obstruaient la fenêtre, une pâle lumière filtrais, annonciatrice d'une journée ensoleillée et chaude.

Pourquoi faisais-je ce mauvais rêve chaque nuit depuis deux semaines ? Cela me paraissait de plus en plus étrange, rien ne venait perturber la chronologie implacable de ce cauchemar. Cela commençait toujours de la même manière.

Un lieu ensoleillé, de hautes tours entourées de remparts couleur sienne. J'avance dans une ruelle au sol pavé tournant la tête de gauche et de droite me demandant pourquoi aucun badaud ne croise ma route ? Le soleil darde ses rayons brulant réchauffant ma peau, j'accélère le pas peu rassuré afin de sortir au plus vite de cette venelle déserte. Elle ne semble pas avoir de fin, la chaleur devient étouffante. Enfin j'aperçois la sortie. Je débouche sur une place, une fontaine coule doucement en son centre, le soleil m'éblouit un instant. Je lève la main pour protéger mes yeux et m'aperçois ébahie que c'est ma peau qui projette cette lumière, que c'est de moi que vient cette chaleur grandissante. Je regarde avec horreur mes doigts d'où s'échappe une lueur blanchâtre de plus en plus intense. La panique me gagne, m'a respiration s'accélère, je me sens oppressé, un voile noir obscurci ma vue. Je tombe à genoux sur le parvis. C'est à ce moment que je la vois, haute silhouette drapé dans une cape noire, sa tête encapuchonné baissée de telle sorte que je ne peu apercevoir qu'un faible scintillement s'échapper d'en dessous. Tout mon corps tremble de terreur. J'ouvre la bouche sur un cri silencieux… et ouvre les yeux sur les murs blancs de ma chambre le cœur battant.

En soupirant, je dégage mes jambes entortillées dans les draps et me lève en baillant à me décrocher la mâchoire, tout ça n'avait ni queue ni tête.

Reléguant mon cauchemar dans un coin de ma tête, j'attrape mon nécessaire de toilette et fonce dans la salle de bain avant que « tante » Susan n'y élise domicile.

Je vivais à Phœnix avec Susan depuis l'accident de voiture qui avait emporté ma mère et mon père il y avait quatre ans. Jeune sœur de ma mère, elle avait accepté de s'occuper de l'ado traumatisé de quatorze ans que j'étais alors. C'était la seule parente vivante qui me restait encore et nous nous entendions comme larron en foire. Rien d'étonnant à cela, cependant n'ayant que douze ans de plus que moi la cohabitation en était facilité. Nous étions pourtant aussi différentes que le jour et la nuit. Elle est aussi blonde que je suis brune, plus petite que moi, qui ne fais pourtant qu'un mètre soixante-cinq, mais tout aussi mince. Nos yeux vert mouchetés d'éclats dorés restaient notre seule ressemblance. Son gout prononcé pour la mode et le maquillage en faisait mon exact opposé. Alors que les vêtements et les chaussures tenaient la vedette dans les deux grandes armoires de la chambre de Susan, mes affaires occupaient la moitié de la mienne ; l'autre était envahi par mes livres de cours.

C'était l'année du bac et je tenais à étudier sérieusement pour avoir mes entrées dans les plus prestigieuses universités du pays, afin d'y étudier l'histoire. Je trouvais fascinant le passé de gens ayant vécu il y avait des centaines d'année. Je passais mon temps libre à la bibliothèque déambulant à travers les siècles par le biais de gros livres, aux couvertures de cuir et aux enluminures dorée. Je me perdais dans les pages jauni par le temps, d'où une légère odeur de renfermé s'échappait, comme pour rappeler qu'elles avaient été lues en dernier lieu par quelques moines érudits, dans un monastère reculé ou dans le temple d'un peuple oublier aujourd'hui.

Je m'aspergeais le visage d'eau froide, effaçant les dernières traces de sommeil, me lavais les dents avec soin et enfilais les vêtements simples, mais confortable, un jean clair et un pull bleu foncé, que j'avais préparé la veille. Je tentais de discipliner ma tignasse brune de sauvageonne à l'aide d'une brosse, y renonçais finalement en grimassent.

Je descendais à la cuisine martelant les escaliers de mes converses blanches.

La voiture de Susan n'était plus garée dans l'allée. Elle avait dû partir tôt. Ma tante passait douze heures par jour derrière les fourneaux, à contenter le palais d'inconnu dans le petit restaurant familial qu'elle avait ouvert deux ans plus tôt. Le weekend J'endossais un tablier de serveuse, afin de la soulager un peu.

J'attrapais un bol et la boite de céréales dans le placard blanc de la petite cuisine et m'installais à table, tout en mastiquant. Je repensais au cauchemar que j'avais fait. Pourquoi revenait il nuit après nuit ? J'avais la sensation de sentir s'attarder la chaleur ressentie au bout de mes doigts. Je les regardais m'attendant presque à les voir irradier cette lumière blanche et aveuglante, peuh n'importe quoi, tu dérailles ma pauvre Livie ! Après tout ce n'était qu'un rêve aussi étrange soit-il.

J'avalais le contenu de mon bol en vitesse, le lavais et attrapais mon sac de cour au pied de l'escalier. Je verrouillais la porte d'entrée et m'engouffrais dans mon véhicule cadeau de Susan. C'était une petite citadine Blanche facile à conduire, j'en étais littéralement tombé amoureuse quand je l'avais aperçue de la fenêtre de ma chambre le matin de mes dix-sept ans garé dans l'allée devant la maison.

Arrivée sur le parking du lycée de Phoenix, je trouvais une place à côté d'une voiture noire rutilante. Ici les véhicules de sport et autre bolides étaient légions et il était rare de croiser un modèle vieux de plus de cinq ans. Prenant mon sac sur le siège côté passager, je me hâtais vers le petit groupe formé par mes trois amis. Angela grand brune toute en jambes plutôt mignonne, si on aime le style mannequin anorexique. Elle triturait une mèche de ses longs cheveux bouclés, tout en conversant avec Jade petite rousse rondelette débordante d'enthousiasme. À sa droite se tenait Lauryn aussi grande et brune que moi, mais aussi écervelée que je suis sérieuse. L'excitation s'était apparemment emparée de Jade. Je la voyais agiter un tract sous le nez d'Angela qui affichait un air passablement ennuyé.

-Salut les filles lançais-je.

- Livie tu tombes à pic, Mr Barthélemy organise un concours, tien toi bien le gagnant remporte un voyage en Italie. M'annonça-t-elle en sautillant sur place enthousiasmé par la nouvelle, je comprenais tout à coup le peu d'intérêt d'Angela. Celle-ci détestait par-dessus tout, l'histoire. Hors c'était la matière que Mr Barthélemy enseignait.

-Que doit-on faire ? Lui demandais-je tendant la main vers le tract qu'elle tenait encore. Je m'en emparais excitée par la perspective du voyage en Italie. Je rêvais depuis longtemps de visiter Florence et sa citée phocéenne, Venise et le pont des soupires, ainsi que quelques villes moins touristiques, mais très intéressantes.

Je pris connaissance des modalités du concours imprimé sur la feuille verte dans ma main. Il s'agissait de choisir une ville d'Italie et d'en retracer toute son histoire et ses légendes.

-Magnifique ! Balança Angela écœuré en mettant les mains sur les hanches. Ça promet de longues semaines à la bibliothèque. Comme si on n'y passait pas déjà suffisamment de temps !

Je lui adressais un sourire désolé. Angela n'était pas contre passer du temps à la bibliothèque elle ne rechignait jamais à nous y suivre. Cependant, elle avait instauré une règle sacrée, le weekend c'est détente, sortie shopping ou cinéma. Le concours allait nous obliger à trahir « la » règle d'or.

Les inscriptions débutaient le lendemain. Les rouages de mon cerveau se mettaient déjà en marche. Je me demandais quelle ville allais-je bien pouvoir choisir ? Il allait de soi que je ne pouvais passer à côté d'un voyage en Italie.

Perdu dans mes pensées, je n'entendais pas les filles converser près de moi. Revenant à la réalité, je réalisais que nous allions être en retard en cours d'anglais. Les langues me passionnaient tout autant. Elle me permettait de déchiffrer les vieux livres d'histoires rédigées dans tous les dialectes jamais parlés. Je maîtrisais couramment quatre langues, l'anglais, l'espagnol, le portugais, l'italien. J'avais également quelques notions de latin et d'autre langue morte.

M. Driver n'était pas encore arrivé. Je pris place à côté d'Angela la seule de mes amis à partager tous mes cours cette année et cela me convenait. Nous n'étions pas du genre à bavarder contrairement à Jade qui parlait sans jamais s'interrompre qu'on l'écouta ou non. Auprès d'Angela je ne me sentais pas obligé d'alimenter la conversation.

Le cours d'anglais finit. Je me rendis en histoire talonnée par une Angela boudeuseµ. Les couloirs bourdonnaient des conversations d'autres élèves. Nous rejoignîmes les filles déjà installées derrière leur bureau. Nous nous installâmes toutes les deux à la table de derrière et sortîmes nos livres et cahiers.

-Livie ! M'apostropha Jade, en ce retournant sur sa chaise. Quelle ville as-tu choisi de présenter au concours ?
-je ne sais pas encore, dis-je avec un haussement d'épaule faussement désintéressé. Et toi ?
-Venise bien-sur ! Me dit-elle comme si c'était une évidence. La ville des amoureux ajouta-t-elle rêveuse.
Nous rîmes toutes les trois devant son air béat. Jade était une inconditionnelle fleure bleu bercé de romantisme. Je ne m'étonnais pas de son choix. Quant à moi, je préférais les petites villes moins touristiques, mais bien plus intéressante sur un plan historique. Elles regorgeaient généralement d'histoires médiévales, d'intrigues politiques, de légendes abracadabrantes. J'entamerais des recherche dès ce soir pensai-je. En attendant, je me tournais vers l'estrade ou Mr Barthélemy commençait son cours qui portait sur Florence, berceau de la renaissance Italienne.
Les cours prirent fin et je regagnais ma voiture accompagnée de Jade, Lauryn et Angela. Nous nous rendions à la bibliothèque, notre QG en quelque sorte. Nous y passions des heures chaque semaine à étudier en conversant à voie basse, souvent des garçons du lycée, sujet pour lequel je me désintéressais totalement. Le désert de ma vie sentimentale me convenait tout à fait, au grand damne de Jade. Ma passion occupait tout mon temps.

Nous nous installâmes à notre table habituelle. Derrière nous de longues étagères croulaient sous les livres d'histoire. En face les mêmes étagères contenaient les ouvrages portant sur l'histoire de l'art, matière préférée de Jade. Nous avions une dissertation à rendre pour le lendemain. Le sujet de philosophie ne me passionnait pas plus que ça : « étions-nous vraiment maître de notre destin ».

Susan avait pour habitude de dire « Nous croyons conduire le destin par nos choix, mais c'est toujours lui qui nous mène ». Je n'étais pas de son avis jusqu'à l'accident de mes parents. Aucun choix ne les avaient conduit à mourir dans cet accident de voiture. Le conducteur de l'autre véhicule n'avais pas fait le choix de tuer mes parents en ce tuant lui-même, de même qu'aucun choix ne m'avais amené à vivre sans eux. Où était le choix dans la tragédie de nos vies ? Prendre des céréales au petit-déjeuner plutôt qu'une tasse de café bien serrée ou avoir une voiture rouge au lieu d'une bleue, habiter une maison plutôt qu'un appartement restait nos seul choix en définitif. Les grand fils qui constituaient la trame de nos vies, étaient tissés par le destin. Nos choix n'avait que peut de prise sur notre existence.

Sur ce je me mis à mon devoir. Celui-ci terminé, j'errais entre les étagères surchargées à la recherche d'une carte de l'Italie du seizième siècle pour le cours de Mr Barthelemy. Mon regard fut attiré par l'ombre entre deux gros volumes. Curieuse je m'approchais des étagères à ma droite. Niché contre la paroi du fond en bois je trouvais un petit livre à la couverture rouge foncé et aux enluminures noires. Je m'en emparais, l'ouvris délicatement à la première page et parcouru les quelques lignes manuscrites. Il était écrit-Raccolta di un vampiro- « recueil d'un vampire ». Je le feuilletais délicatement. Le papier en était jauni et friable. Il semblait très ancien. Que pouvait-il bien faire au milieu des livres de science ? Il aurait certainement eut ca place dans un musée. Amusé par le titre je tentais de déchiffrer la première ligne : « En des temps très ancien, je me nommais Arnaldo Gianni quatrième du nom, ainé de l'illustre famille Gianni, pilier politique et social de la Toscan, aujourd'hui je suis une créature immortelle… » Il émanait de ces quelques lignes une telle aura de mystère que je le coinçais sous mon bras dans l'intention de le lire plus tard. J'attrapais l'ouvrage que j'étais venu chercher et repartie vers la table ou les filles bavardaient doucement.