TITRE: Renaissance

AUTEUR: Lady Blackwood

COUPLE: Sasuke & Naruto

NOTE: Cette histoire est en fait une sorte de "suite" à ma précédente fanfiction "Sur un tas de cendres". En réalité, je ne souhaitais pas faire de "suite" car j'estimais que "Sur un tas de cendres" se suffisait à elle-même. Mais plus j'y pensais, et plus j'imaginais des scènes dans le décor mis en place dans "Sur un tas de cendres". Ce qui m'a décidée à écrire cette fichue "suite" est d'imaginer le lemon qui s'ensuivrait inévitablement... Je sais, la honte, mais bon, j'avoue, c'est "ça" qui a été le déclencheur (non, non, pas taper!!!!).

Donc voilà, pour la petite histoire, cette fic peut se lire indépendamment de la première tout comme elle peut y être rattachée. Je pensais ne faire qu'un oneshot, mais au final, c'est plus long que prévu, donc je scinde en plusieurs chapitres. On verra bien jusqu'où ça me mènera, tout ça... Sur ce: bonne lecture! Lady B.

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Cela faisait déjà une semaine que Naruto était sorti pour la première fois de leur abri de fortune. Une semaine qu'il avait pris son courage à deux mains pour affronter de plain fouet la réalité de ce qu'était devenue Konoha.

Il avait serré les poings avec force et avait hésité longuement devant l'entrée. Sasuke ne pouvait pas l'accompagner car il était encore trop faible à ce moment-là. Malgré leur promesse d'y aller ensemble, ils avaient dû se résoudre à ne pas le faire. Cela faisait un moment qu'il n'avait pas eu de visite des membres du Taka et en général, c'étaient eux qui leur apportaient de quoi se sustenter et survivre. Or, leurs pauvres réserves de nourriture s'amenuisant de jour en jour, Naruto avait été obligé à se résoudre à franchir le pas de leur porte, sans Sasuke.

Il avait pris une grande inspiration, faisant pénétrer l'oxygène vicié dans sa cage thoracique afin de remplir ses poumons d'air –de courage- et il était sorti sans trembler. Sans même se retourner vers son compagnon d'infortune, bien calé dans un vieux fauteuil élimé qui avait survécu au désastre.

Il était sorti pendant des heures. Des heures que Sasuke avait comptées avec inquiétude et empressement. Durant toutes les heures qu'avaient duré son absence –et elles avaient sans doute été les pires de son existence- il avait senti tout le panthéon des émotions humaines combattre à l'intérieur de sa tête.

Impuissance à l'idée de ne pas pouvoir l'accompagner.

Culpabilité à l'idée de ne pas vouloir l'accompagner.

Regret à l'idée de ne pas l'avoir accompagné malgré tout.

Durant ces terribles heures qui l'avaient torturé, Sasuke s'en était voulu à mort de ne pas avoir pris sur lui pour tenir la main de Naruto. Il lui avait pourtant promis de sortir à l'extérieur en sa compagnie. Il lui avait fait la promesse inconsidérée d'être là, avec lui, lorsque tous deux constateraient le carnage. Il s'était juré de rester auprès de lui lorsqu'ils compteraient et enterreraient les cadavres de leurs anciens compagnons…

Et pourtant, il ne l'avait pas fait.

Il était resté là, seul et transi sur ce vieux fauteuil, à compter les heures, les minutes, les secondes… Il était resté figé devant ce qui servait de porte à écouter le moindre bruit, à ressentir le moindre changement dans l'air en guettant les pas de Naruto revenir vers lui. Il s'était crispé sur les accoudoirs jaunis du fauteuil à s'en blanchir les phalanges, sursautant au moindre cliquetis de pluie sur la tôle froissée.

Et il avait attendu.

Attendu des heures.

Attendu encore et encore, priant de toute son âme qu'il ne lui soit rien arrivé.

Priant pour qu'il rentre sain et sauf, sans aucune brûlure causée par les pluies acides.

Attendu jusqu'à ce que Naruto finisse par rentrer, le sourire aux lèvres, se précipitant vers lui comme une tornade orangée.

_ Sasuke ! lui avait-il dit alors. Sasuke ! Dehors, il y a des survivants ! Et la vie y a repris son cours !

***

Tous les jours, c'était devenu la même chose. Naruto avait pris l'habitude de sortir tôt le matin et de rentrer une fois à midi, et une autre fois le soir. Il laissait Sasuke seul toute la journée et lui racontait ce qu'il voyait à l'extérieur. Ses discours étaient chargés d'espoir et d'enthousiasme ; jamais il ne lui racontait les cadavres qu'ils découvraient sous les décombres. Jamais non plus il ne lui parlait des pluies acides qui avaient rongé certains bâtiments en même temps que de nombreuses victimes humaines.

Pourtant, Sasuke n'était pas dupe. Suigetsu, Karin et Juugo lui avaient longuement parlé de ce que devenaient les gens touchés par les pluies : ils fondaient peu à peu tandis que la peau se détachait de leur peau en une masse sanguinolente. Ils voyaient leurs chairs se détacher progressivement de leur corps, laissant les os à vif tandis qu'une sensation de brûlure terrible les consumait de part en part. Oh, bien sûr, tout le monde ne mourrait pas d'une attaque acide ; ceux dont les organes vitaux n'avaient pas été touchés ou dont la peau avait à peine été frôlée par les eaux brûlantes vivaient désormais défigurés ou amputés. On disait de certains qu'ils avaient des trous dans la figure… Sasuke feignait de rester froid devant les horreurs énoncées par ses compagnons du Taka mais au fond de lui, il s'angoissait terriblement pour Naruto. Et si les pluies le touchaient ? Et s'il lui revenait avec des trous dans la figure lui aussi ?

Non. Naruto est un ninja de Konoha. Il n'est pas toujours très futé, c'est vrai, mais il ne serait pas suffisamment con pour rester sous la pluie quand elle vient à éclater.

Du moins, c'était là ce qu'il espérait du fond de son cœur.

Car quoi qu'il en montrât, Sasuke mourrait de crainte chaque jour.

Chaque heure.

Chaque minute.

Chaque seconde durant laquelle Naruto était absent était pour lui un véritable supplice, une lente torture où il s'imaginait les pires scénarii tant l'inquiétude l'étreignait.

Car si Naruto disparaissait, alors il ne lui resterait désormais plus rien.

Vraiment rien.

Alors il restait là, immobile, sur son vieux fauteuil. Il attendait comme chaque jour qu'il rentre. Et ça faisait maintenant sept longues journées que ce schéma se répétait… Une semaine complète durant laquelle il se rongeait incessamment les sangs, paralysé à l'intérieur d'un vieil immeuble dévasté plongé dans le noir. Une grande pièce barrée par des poutres effondrées où les seuls bruits audibles étaient le pas des rats se faufilant entre les meubles et le clapotis des gouttes d'eau sale s'infiltrant entre les pierres froides.

Parfois, il entendait quelqu'un s'approcher de l'entrée sans pourtant oser le rejoindre. Il reconnaissait le chakra de ses compagnons du Taka mais il ne disait rien, désireux de rester seul dans son attente. Karin, Juugo et Suigetsu passaient de manière régulière, sans doute pour vérifier qu'il était encore en vie et qu'il n'avait besoin de rien. Sans doute s'inquiétaient-il pour lui, eux aussi, à leur manière. Sans doute ne comprenaient-ils pas son silence et son besoin de rester là, à attendre.

Mais cela n'avait pas d'importance.

Sasuke avait besoin de réfléchir, de faire le point.

Et d'être sûr que ce soir encore, Naruto rentrerait en un seul morceau et qu'il le rejoindrait, là, sur son vieux fauteuil usé, qu'il prendrait sa main dans la sienne, la réchauffant de sa douce chaleur. Et là, il lui raconterait sa journée. Il lui dirait comment il avait aidé des rescapés à dégager une voie, ce qu'il avait trouvé en fouillant des immeubles effondrés et il lui donnerait des nouvelles de leurs compagnons ninjas retrouvés vivants. Il lui expliquerait également que peu à peu Konoha redevenait viable et que la pluie tombait de moins en moins longtemps sur leurs têtes. Il lui dirait que la nature était en voie de reprendre ses droits et que la vie reprenait le dessus sur la mort.

Et lui, il l'écouterait sans l'interrompre. Il se noierait dans la chaleur de sa voix, se nourrirait de sa patience et de sa présence, imaginant ses beaux yeux bleus pétiller d'enthousiasme tandis qu'un immense sourire se dessinerait sur ses lèvres.

Et il resterait là, toujours immobile, fermant ses yeux morts en imaginant ce que pourrait être une vie à l'extérieur à ses côtés. Si seulement il pouvait à nouveau revoir l'azur de ses yeux clairs, il serait sorti sans hésiter. Il aurait laissé son corps se baigner de chaleur sous les rayons du soleil, oubliant par ce simple geste toutes les souffrances et les horreurs passées. Il aurait oublié son frère, renié son nom. Il aurait jeté d'un geste toutes ses erreurs, et cru en l'avenir.

Il serait resté avec lui, tout simplement.

Et peut-être qu'il aurait souri, d'être là, à ses côtés.

Il soupira.

Il avait pourtant promis à Naruto de l'accompagner dehors, de lui tenir la main lorsqu'ils découvriraient tous deux le champ de bataille qu'avait été Konoha.

Pourtant, il ne s'en était pas senti capable. Ce n'étaient pourtant pas les morts qui le préoccupaient –il savait qu'ils étaient nombreux. Lorsqu'il était arrivé dans la folie générale, Pain avait déjà tué de nombreux innocents. Il n'avait pas peur non plus du regard des autres ; être considéré comme un traître ne l'inquiétait pas vraiment, car il assumait parfaitement ses actes.

Non. Ce dont il avait peur, c'était de dévoiler à Naruto sa propre faiblesse.

Il craignait par-dessus tout que son ami ne s'aperçoive de sa cécité ; qu'il ne se rende compte que ses blessures allaient de mieux en mieux mais que s'il refusait de sortir, c'était juste pour ne pas lui montrer ses yeux défunts.

Pour ne pas que Naruto ne se rende compte que ses yeux autrefois porteurs du plus puissant des sharingan étaient désormais vides de toute émotion, que la vie les avait quittés graduellement depuis qu'il avait abusé de son don maudit. Le Mangenkyou Sharingan.

L'héritage d'Itachi.

Il soupira à nouveau, crispant ses doigts sur les accoudoirs poussiéreux.

Naruto ignorait ce qui le perturbait. Pour lui, il était juste convalescent et encore pas prêt à affronter le monde extérieur. Le jeune ninja avait pourtant décelé que quelque chose n'allait pas au niveau de ses yeux, mais Sasuke l'avait fait taire d'un baiser. Ce geste avait tellement détourné l'attention de Naruto qu'il n'avait plus jamais osé remettre le sujet sur le tapis.

Et heureusement. Je ne veux pas être un boulet pour lui.

Pourtant… Pourtant, Sasuke n'avait pas l'impression d'être autre chose. Bien entendu, Naruto ne lui faisait sentir qu'il était devenu un boulet, mais il avait des heures entières qu'il passait seul, ressassant des arguments lui faisant croire le contraire. Un boulet.

Depuis qu'il s'était réveillé après leur affrontement, Sasuke n'avait pas bougé de cet endroit qui les protégeait des pluies acides et des vents chargés de cendres, mais qui laissait passer le froid et l'humidité. Naruto lui avait décrit les lieux comme vétustes ; il n'y avait ni électricité, ni eau courante. Le désastre était tel à l'extérieur qu'ils devaient s'estimer heureux d'avoir un toit sur la tête, surtout durant les premiers jours où les éléments s'étaient déchaînés. La pluie était tombée sans discontinuer tandis que les bourrasques faisaient s'effondrer les toitures de tôle improvisées.

Avoir un toit avait été à ce moment-là une véritable nécessité. Faire le difficile était bien au-dessus de leurs moyens.

Sasuke soupira en se souvenant de son réveil initial, quelques heures après leur duel. Les premières heures avaient été difficiles ; entièrement recouvert de blessures, il avait eu beaucoup de mal à se mouvoir sans esquisser d'horribles grimaces de souffrance. La douleur était bien installée au plus profond de sa chair, vrillant ses nerfs comme une perceuse s'enfonçant dans chaque articulation, chaque muscle. Il avait serré les dents, retenant avec courage les cris de souffrance qui auraient dû s'échapper de sa gorge dans le simple but de ne pas inquiéter Naruto.

Non, il ne voulait pas l'inquiéter.

Naruto.

Il lui avait tant donné…

Il n'avait jamais cessé de croire en lui malgré les années, malgré sa trahison et sa tentative d'assassinat.

Il l'avait poursuivi au travers du monde, il s'était entraîné avec acharnement pour le ramener par la force s'il le fallait. Et jamais, non jamais il n'avait abandonné l'espoir de reconsolider leur amitié.

Aujourd'hui encore, malgré leur duel à mort dans les rues de Konoha, Naruto était là, à ses côtés. Il lui avait offert son soutien, il lui avait redonné foi en l'avenir et surtout, il lui avait donné envie d'espérer. L'espoir.

Au fond, Naruto lui avait offert ce que jamais personne ne lui avait donné avant lui : il avait partagé avec lui sa chaleur et son envie d'y croire.

Son envie de vivre.

Et c'était bien plus que Sasuke n'aurait jamais osé espérer.

Lui qui n'avait cru qu'en la vengeance, la puissance et la haine, aujourd'hui il avait envie d'avancer dans une autre direction. Il avait le désir d'aider Naruto à réaliser son rêve de devenir Hokage.

En y repensant, Sasuke ne put s'empêcher d'esquisser un sourire avec une nostalgie empreinte d'amertume. D'aussi loin que remontaient ses souvenirs, il avait toujours connu Naruto ainsi. Devenir Hokage était son ambition suprême, son rêve de gamin. Et ce n'était non pas pour être le plus fort de tous, contrairement à ce qu'il pouvait insinuer, mais bel et bien dans le seul but de devenir quelqu'un aux yeux des autres. D'être respecté. D'être apprécié et aimé.

Car s'il y avait bien quelque chose que Naruto ne supportait pas, c'était d'être seul. Rejeté de tous à cause de sa malédiction.

Non, il voulait juste être comme tous les autres ; un ninja sur qui on puisse compter, un ami fidèle et c'était exactement ce qu'il était devenu aux yeux de Sasuke. Un ami. Son meilleur ami.

Un frère.

Et à présent, c'était lui qui voulait l'aider à réaliser ses projets. Oh, bien sûr, devenir Hokage n'était pas quelque chose de banal et de facile à atteindre, mais en son for intérieur, Sasuke le savait capable d'une telle prouesse. De toutes façons, cela faisait déjà longtemps que Naruto était devenu le ninja le plus fort de Konoha, tout le monde le savait bien. Tout ce qui lui manquait pour devenir Hokage était la maturité et le sens des responsabilités. Sans doute que Tsunade –si elle était encore en vie quelque part dans les ruines du village- s'accorderait avec lui sur ce point.

Naruto

Depuis les sept jours que Naruto sortait, Sasuke ruminait. Sakura était passée le voir une fois pour constater le bon déroulement du processus de guérison de ses blessures, puis elle était repartie, un air de regret sur le visage. Le jeune Uchiwa n'avait pas pu s'en rendre compte visuellement, bien sûr, mais il avait senti dans ses gestes et ses paroles comme une vague d'hésitation. Il s'était également rendu compte de son trouble lorsqu'elle s'était approchée de lui, frôlant à peine la surface de sa peau pour examiner ses blessures, lui murmurant des « ça va aller » à tout bout de champs, cherchant sans doute par ces mots à se rassurer davantage elle-même que lui.

Depuis ce jour, il ne l'avait plus revue.

Naruto lui avait expliqué que c'était normal parce qu'elle avait énormément de blessés dont il fallait qu'elle s'occupe à l'extérieur. Comme en ce qui le concernait la convalescence se déroulait normalement, elle n'avait pas besoin d'être constamment derrière son dos.

_ C'est sans doute ça qu'elle regrette, l'avait taquiné Naruto. Elle aimerait n'avoir que toi comme patient pour être aux petits soins ! Seulement au vu de la situation à l'extérieur, elle ne peut pas se le permettre. Elle doit être déçue ; pour une fois qu'elle aurait pu être avec toi sans que tu la repousses, d'autres requièrent davantage sa présence !

Sasuke avait écouté son discours sans rien dire. Il connaissait les sentiments de Sakura à son égard depuis longtemps mais il en avait toujours fait fi ; la jeune fille ne l'intéressait pas. Cependant, au fil du temps, il avait fini par apprécier sa persévérance et sa force de volonté. Sakura avait énormément évolué depuis qu'il la connaissait, surtout depuis qu'il était parti en vérité. De jeune gamine lourde et pénible, elle était passée au statut de coéquipière puis d'amie sur qui on pouvait compter. À force de courage et de volonté, elle était devenue une medic-nin de renom : la disciple de la Cinquième en personne.

Au final, malgré leurs chemins diamétralement opposés, les trois amis avaient tous grandi et progressé à leur manière.

Ils étaient devenus des ninjas.

Des vrais shinobis.

Un bruit le tira soudainement de sa réflexion. Comme à son habitude, Naruto venait de rentrer dans le vieil immeuble désaffecté, les bras chargés de choses qu'il avait ramassées dans les décombres de Konoha.

_ Sasuke ! Je suis là !

Son enthousiasme était incroyable. Malgré les temps difficiles qu'ils traversaient et la crise omniprésente qui pesait sur leurs épaules, Naruto avait gardé une pêche et une volonté inébranlables. Il passait ses journées à aider les survivants à s'organiser. Peu à peu, ils consolidaient les toits des maisons, distribuaient les provisions tout en sauvant tout ce qu'il y avait à sauver dans les décombres disparates.

Et lorsqu'il rentrait le soir, épuisé, il s'occupait de Sasuke comme s'il était son véritable frère, son seul trésor. Il lui préparait de quoi se sustenter, changeait ses bandages et nettoyait ses plaies, l'aidait à faire une toilette minimale à l'aide d'une bassine d'eau à moitié croupie. Ce n'était pas le grand luxe, mais ils s'estimaient heureux d'avoir ce qu'ils avaient car leur vie, désormais emplie de petites habitudes, était devenu leur bien le plus précieux.

_ Okaeri, Naruto, murmura lentement le jeune Uchiwa alors que ce dernier le rejoignait.

Sasuke passait le plus clair de son temps dans un vieux fauteuil élimé à attendre que Naruto le rejoigne à la fin de la journée. Il comptait les heures, les minutes, voire même parfois les secondes en espérant entendre le pas familier de son coéquipier franchir le seuil de leur habitation de fortune. Aujourd'hui, le pas de Naruto était plus enjoué, plus rapide et léger que d'habitude. Peut-être était-il pressé de le revoir ? Ou peut-être que simplement, il avait une nouvelle à lui annoncer ? Si seulement…

Naruto vint s'installer sur l'accoudoir du fauteuil, comme d'habitude, aux côtés de son ami. Il trépignait d'impatience ; Sasuke pouvait sentir son agitation dans les moindres fibres de sa peau. C'était ça. Naruto voulait lui annoncer quelque chose de nouveau mais il se retenait –sans doute se demandant quels mots employer, mordillant nerveusement sa lèvre inférieure tandis que ses doigts se crispaient sur le tissu poussiéreux du fauteuil.

C'est alors que, ne pouvant plus se retenir, il craqua.

_ Sasuke, on va déménager !

Silence.

S'il l'avait pu, Sasuke aurait relevé de grands yeux interrogateurs sur son ami, lui demandant par-là ce qu'il voulait bien dire. Déménager ? Mais qu'est-ce qu'il racontait ? Il sentait son trouble et son impatience s'étendre dans la pièce comme des ondes atmosphériques. Il pouvait ressentir l'empressement de Naruto sans même le voir, tant il était grand. Il pouvait imaginer sans peine son grand sourire jusqu'aux oreilles qui dévoilait deux rangées de dents blanches aux canines acérées. Il pouvait se noyer dans ces deux grands océans azur qui se fermaient et s'ouvraient incessamment, ne sachant où se mettre tant la suggestion énoncée semblait incongrue. Et il sentait ses gestes maladroits, sa main qui allait se gratter le crâne machinalement, ne sachant que faire d'autre, tandis qu'il restait là, à le fixer en souriant bêtement, guettant la moindre réaction de sa part.

_ Pourquoi veux-tu déménager au juste ?

Naruto descendit alors de l'accoudoir prestement et se posta face à lui, plongeant ses yeux dans l'onyx mort de Sasuke. Il continuait de sourire d'un air béat, mais le jeune Uchiwa sentait bien que derrière cette joie feinte se dissimulait autre chose de plus profond.

Peine. Tristesse. Inquiétude.

Oui, sans aucun doute un peu des trois. Naruto s'inquiétait énormément pour lui. Il devait certainement se poser un tas de questions par rapport à son apparente apathie, à ses blessures qui prenaient tant de temps à se refermer, à son désintérêt visible du monde extérieur, son manque de volonté…

Mais ce n'est pas ça, Naruto. Je ne manque pas de désir de vivre, bien au contraire. Depuis que tu m'as redonné l'espoir, je crois en un avenir meilleur à tes côtés. Je veux me relever pour t'aider à atteindre tes objectifs. Je veux que tu deviennes Hokage et je t'aiderai à reconstruire cette ville qui a anéanti les miens. Je n'ai pas peur de la destruction de mon clan maudit et je ne crains pas non plus le regard que les gens pourraient avoir sur moi. Tout ça, je m'en fous complètement. C'est juste que…

… Que je ne veux pas devenir un poids pour toi. Je veux juste être ton égal.

_ Sasuke… je t'ai expliqué ce qui se passait dehors, pas vrai ?

Tout à ses pensées, le jeune Uchiwa releva brusquement les yeux vers son compagnon. Il avait de nombreux réflexes datant de la période où il y voyait encore qui consistaient à regarder les gens dans les yeux, notamment. Ces réflexes étaient une bénédiction pour lui ; au moins, Naruto ne se doutait pas de sa cécité. Pas encore.

_ Oui, acquiesça-t-il doucement. Tu m'as raconté qu'il y a de nombreux survivants et que tout le monde cherche à organiser la ville comme il le peut. Toi aussi tu les aides, et c'est pour ça que tu es absent toute la journée.

Il débita ces mots d'une traite, sans s'arrêter, et sur un ton faussement blasé. Il avait du mal à cacher que l'absence de Naruto lui pesait et que malgré l'habitude qu'il avait d'être seul, le blondinet lui manquait cruellement durant la journée.

Croyant percevoir une note d'amertume dans ces propos, ce dernier se saisit aussitôt de ses mains. Sasuke frissonna presque à ce simple contact. Pourtant, ce n'était pas la première fois que Naruto glissait ses mains dans les siennes mais depuis qu'ils s'étaient embrassés, la semaine dernière, il était devenu étrangement réactif à son toucher.

Ils n'en avaient pas parlé, bien sûr, c'était bien trop gênant. Ce baiser était arrivé entre eux sans que ni l'un ni l'autre ne l'ait prémédité et la question de savoir pourquoi il était arrivé les perturbait encore trop pour qu'ils puissent y répondre. Toujours était-il qu'aucun des deux garçons n'avait osé renouveler ce geste, sans doute par crainte de la réaction de l'autre, ou encore par peur de leur propre réaction.

Malgré tout, Sasuke n'oubliait pas la saveur des lèvres de son ami sur les siennes ; il y repensait tout le temps durant la longueur interminable de la journée, et lorsque le soir arrivait, c'était toujours avec joie qu'il se blottissait dans les bras de Naruto pour s'y endormir en paix. De ce fait, il attendait chaque jour le retour de Naruto avec impatience. Il attendait qu'il le frôle, qu'il vienne vers lui et lui raconte des banalités. Qu'il le touche lorsqu'il changeait ses bandages et lavait ses blessures, qu'il lui prenne ensuite la main pour le réconforter ou qu'il le serre tout contre lui lorsqu'ils se retrouvaient tous deux seuls dans le noir…

Leur relation était devenue étrange.

Ils étaient à la fois terriblement proches, prisonniers d'une intimité viscérale qui les obsédait l'un et l'autre, et pourtant en même temps, ils restaient très distants, se séparant toute la journée, incapables de comprendre ni pourquoi ils en venaient à agir ainsi ni pourquoi la présence de l'un était devenue à ce point indispensable à l'autre. Ils étaient devenus un peu comme des frères jumeaux, s'entendant sans se parler, souffrant ensemble sans le dire, cultivant à deux ce lien mystérieux qui avait toujours été là, tissé entre eux.

_ Je ne comprends toujours pas pourquoi tu veux déménager, soupira le jeune Uchiwa. Je n'ai pas envie de sortir. Je ne me sens pas prêt à lutter contre tout ça, Naruto.

Il l'entendit soupirer, exaspéré. Naruto avait tout tenté pour l'obliger à sortir prendre l'air, à rencontrer les autres pour se redonner le moral… Mais rien y avait fait : Sasuke s'obstinait dans son enfermement, aspirant à ne jamais affronter la lumière que ses ténèbres personnelles lui refusaient désormais.

_ Sasuke… On ne peut pas rester éternellement dans ce trou à rats ! C'était bon un moment, le temps de s'en remettre, mais maintenant… Maintenant il faut aller de l'avant ! Et puis, ce n'est pas bon pour tes blessures de rester dans le froid et l'humidité ! Comment tu veux que ça se referme si tu te complais là-dedans ?

Le jeune concerné ne répondit pas. Il se contentait d'écouter sans rien dire, sachant très bien que Naruto avait raison.

_ Et puis tu sais, reprit celui-ci, j'ai été faire un tour au manoir Uchiwa et j'ai trouvé un endroit resté debout. Je pensais que tu aurais apprécié de retourner chez toi et…

_ Ce n'est plus chez moi depuis longtemps ! le coupa sèchement Sasuke.

Ses sourcils s'étaient froncés et la colère se dessinait sur son visage. Ses mains, encore enserrées dans celles de Naruto, se crispaient sous le coup de la rage, tremblant fébrilement de manière imperceptible.

Naruto les serra davantage, tentant de le calmer.

_ Si c'est le fait d'être au manoir Uchiwa qui te dérange, on peut s'incruster ailleurs si tu veux. Neji a transformé tout ce qui restait du manoir Hyuuga en une sorte de pension-hôpital où de nombreux blessés et sans-abri sont accueillis. Si tu voulais, on pourrait y aller et…

_ Non.

Sasuke retira prestement ses mains de celles de Naruto.

Il ne voulait pas être avec les autres.

Il ne voulait ni les voir, ni même être confronté à leur simple présence.

À vrai dire, il préférait encore retourner dans la demeure familiale plutôt que de devoir supporter ça ! Pourquoi Naruto ne voulait-il pas comprendre qu'il se sentait bien comme ça ? Que le simple fait d'être là, avec lui, le rendait heureux ?

Pourquoi Naruto avait-il autant besoin des autres ? Ne se suffisaient-ils pas l'un à l'autre ?

_ Mais enfin, pourquoi tu veux pas ? grommela le démon-renard. Tu vas quand même pas me dire que tu veux rester moisir ici toute ta vie ?!

Non, bien sûr que non. Ce n'était pas ce qu'il voulait et ce n'était pas par choix qu'il avait décidé de rester là, bien dissimulé au regard des autres. Non, s'il le faisait c'était par nécessité. Par instinct. Il était mû par un besoin irrépressible de se protéger lui-même des autres et du regard qu'ils pourraient porter sur lui.

Que tu pourrais porter sur moi, Naruto.

Il soupira en baissant les yeux, ignorant l'impuissance qu'il suscitait chez son ami. Naruto avait pourtant tout fait pour lui, il ne le savait que trop bien. Il avait tant déjà fait…

Et moi, je voudrais à mon tour pouvoir faire quelque chose pour toi…

_ Sasuke… ? Tu m'écoutes, enfin ?!

Naruto grommela. Il avait poursuivi sa diatribe pendant dix bonnes minutes durant lesquelles Sasuke ne l'avait pas écouté. Vexé, il se redressa, bien décidé à prendre congé.

_ Autant parler à un mur ! s'exclama-t-il.

C'est alors qu'il sentit qu'on le retenait par la manche. Surpris, il baissa les yeux pour s'apercevoir que le bras bandé de Sasuke s'était fermement emparé du sien, agrippant le tissu orange de sa veste avec force.

_ Attends Naruto, te fâche pas ! Je… je veux bien partir d'ici si c'est si important pour toi, mais… on ne pourrait pas plutôt aller chez toi ?

Un énorme silence se posa soudainement sur eux alors que Naruto s'était figé, paralysé comme une statue. Il se mordilla la lèvre, fronça les sourcils et chercha par où commencer, hésitant sur les mots à dire. Il avait bien compris que Sasuke prenait sur lui en accédant à sa requête ; il sentait bien que ça lui en coûtait de quitter leur taudis pour un autre, mais…

_ Je suis désolé, Sasuke, mais… c'est impossible. Mon appart', tout comme le quartier où je vivais…. Tout a été détruit. Il n'en reste rien.