Un esprit désœuvré est un esprit qui ne peut que tourner en rond, qui ne peut que ressasser le passé, et se perdre dans ses regrets. C'est déjà une mauvaise nouvelle pour la plupart des gens. C'est l'enfer sur Terre pour quelqu'un comme Steve Rogers.

Evidemment, il avait été très occupé ses derniers temps à repousser une invasion alien provoquée par un dieu fou, tout ça à cause d'une arme secrète dont il avait lui même participé à la disparition temporaire des décennies auparavant en s'écrasant sur la banquise...Mais non, on ne laissait jamais le passé reposer en paix. On ne l'avait pas laissé, lui, reposer en paix. Et pourtant... il en avait eu envie. Et puis il y avait eu les Vengeurs, ce groupe si disparate qui n'aurait jamais dû marcher si ça n'avait été pour le sacrifice d'un homme. A croire qu'il fallait la mort de quelqu'un de bien pour que quelque chose se passe dans sa vie...Mais le monde était sauf, le monde tournait encore.

Une fois les évènements finis, ils avaient collectivement décidé de disparaître, de se faire oublier. Thor retournait en Asgard, Tony et Bruce étaient partis pour un séjour dans un lieu reculé "au nom de la science", Clint et Natasha avaient du se prendre des vacances comme les espions en ont le secret... Lui, il était parti voir le monde, ce monde qu'il n'avait plus vu pendant 70 ans. Il avait été impressionné, il avait été déçu, il avait vu, il avait senti, il avait goûté...Mais tout ça n'avait aucun intérêt sans personne avec qui le partager. Il savait que Peggy était toujours vivante. Il aurait dû aller la voir. Mais pourquoi faire? Pour se rappeler d'un passé définitivement perdu et se torturer avec une vie possible qui leur avait été arrachée? Il l'aimait, ça avait été une belle idée, et il ne voulait pas perdre ce à quoi il tenait au nom d'une froide et cruelle réalité. Il n'y était pas allé. Il avait décidé que pour elle, il resterait mort et enterré. Pour ne pas déranger, pour ne pas rappeler de bons souvenirs, mais qui ne feraient au final que du mal. Mais lui, il n'arrivait pas à chasser son visage de ses pensées. Il dessinait ses traits sur d'innombrables bouts de papier dès qu'il laissait son esprit vagabonder.

En parcourant le pays, il se rendait compte que personne ne se souvenait des sacrifices qu'ils avaient du faire. Et tous les vétérans étaient mal vus pour les gens qui n'avaient connu que leur confort grâce aux actions de ces hommes. Après tout, la guerre c'était mal, et ils devaient bien le savoir, alors ils étaient des méchants? Tous les soldats n'étaient que des hommes qui aimaient forcément tuer, ou alors ils ne seraient jamais aller au combat? Les premières fois que Steve avait entendu ce genre de raisonnement, ça s'était fini à coups de poings dans une ruelle comme d'habitude. Mais cette fois, il avait gagné. Et il n'en tirait aucun plaisir. Même s'il avait perdu, personne ne serait venu le sortir d'affaire cette fois. Son meilleur ami avait disparu dans le froid de la guerre. Il n'avait même jamais pu retrouver et ramener son corps au bercail. Et il s'en voudrait toute sa vie pour ça.

Et pour couronner le tout, son métabolisme l'empêchait de se soûler pour oublier tout ça. Alors il restait seul, à penser à ce qui était, à ce qui aurait pu être, à ce qu'il avait perdu, au fait qu'il n'avait plus rien à perdre désormais. Et il aurait voulu pleurer. Mais il était bien au delà des larmes.

Cela faisait 2 mois qu'il avait quitté New York et tout sa folie derrière lui. Il avait parcouru le pays, n'avait pas trouvé ce qui lui manquait, et avait compris qu'il ne le retrouverait jamais. Steve Rogers ne serait jamais comblé, et serait toujours seul. Par contre, Captain America avait encore des services à rendre à sa nation. Les vacances étaient finies. Il tendit la main vers le téléphone portable qu'on lui avait donné il y a ce qu'il lui semblait une éternité, se demandant qui appeler en premier. Il était prêt à reprendre contact avec le monde. Il sursauta quand celui-ci sonna. Il décrocha, surpris. En toute logique, personne n'avait ce numéro...

"Capitaine Rogers, le SHIELD a besoin de vous.

-Hein? Que..Quoi? (Brillant, Steve, pensa-t-il, tu n'as pas trouvé plus éloquent pour commencer la conversation)"

Il y eut une légère pause à l'autre bout du fil puis la voix (fémine, probablement l'agent Hill) continua.

"Effectivement, vous devez être surpris que l'on vous contacte de cette façon. Mais nous avons pensé que ce serait mieux que de débarquer à l'improviste dans votre chambre. Vous avez 5 minutes pour vous préparer avant le briefing."

Elle raccrocha. Steve resta assis bêtement, ne sachant pas quoi faire. Un briefing dans 5 minutes..Ici? Le SHIELD en était probablement capable mais...Le timing était beaucoup trop précis pour une heureuse coïncidence. Il n'avait plus qu'à attendre un peu. On frappa à la porte, il se leva, alla ouvrir pour laisser passer une Natasha Romanov en tenue de civil, simple jean et un débardeur blanc. Ses cheveux étaient détachés, et légèrement plus longs que la dernière fois qu'il l'avait vue.

"Natasha? S'exclama-t-il, surpris, mais content.

-J'ai repris du service un peu plus tôt que vous apparemment... dit-elle en se glissant avec une grâce féline dans la chambre. Je suis chargée de vous mettre au courant avant de vous ramener à la base du SHIELD la plus proche pour se préparer pour la mission.

-Quelle mission? D'un coup comme ça, vous arrivez et il y a une mission? Pourquoi moi?"

Steve ne comprenait plus trop ce qu'on lui voulait et tout semblait aller beaucoup trop vite.

"Ca va vite devenir plus clair. Mais je ne sais pas si vous allez apprécier. Bien, je vais faire dans les grandes lignes, de toute façon on a pas beaucoup plus d'éléments précis. J'étais en mission, avant même les évènements avec le Tesseract, sur une filière de trafic d'armes en provenance de Russie... Je suis apparemment la personne avec le meilleur profil pour ce genre d'infiltration.

-Vraiment? On se demande bien d'où ils sortent une telle idée, répondit-il avec autant de sarcasme qu'elle.

-J'ai l'habitude de l'exotisme, on va dire...Enfin, apparemment, ces traficants ont amené du gros, du très gros aux Etats-Unis. Je n'ai pas réussi à savoir quoi, mais c'est mauvais pour tout le monde. Les seuls indicateurs qui auraient pu me donner des informations ont été tués avant que je ne puisse les contacter.

-Une telle cargaison pourrait passer inaperçue?

-Une telle cargaison pourrait être composée de n'importe quoi. Armes, bombes, virus informatique, documents diplomatiques à fin de chantage... Tant qu'on ne sait pas ce que c'est, on ne sait pas quelle forme ça prendra.

-Je croyais que vous aviez parlé d'armes...

-Beaucoup de choses peuvent devenir des armes entre les mains de la bonne personne...Même un bouclier, après tout. Bref, j'ai essayé de remonter la piste et je pense que les armes sont déjà parties de Russie et doivent être sur le territoire. Le problème, c'est de savoir où, et quand elles vont être utilisées.

-Et par qui aussi...

-Ca... J'ai réussi à le savoir. Et vous n'allez pas aimer. On pense que c'est l'HYDRA."

Le dernier mot tomba comme un couperet. Steve n'était pas sur d'avoir bien entendu. Il ne pouvait pas avoir bien entendu. L'HYDRA avait forcément disparu... Sinon... Sinon... Il avait fait tout ça pour rien...

"Il n'y a plus d'HYDRA, dit-il simplement d'une voix blanche.

-C'est ce qu'on pensait aussi. Ce n'est apparemment pas aussi vrai que ce qu'on aurait voulu. Et le souci, c'est qu'ils sont aussi au courant qu'il y a encore un Captain America après nos exploits new-yorkais.

-Dans ce cas, pourquoi je ne les ai pas croisés?

-Parce que le SHIELD a fait son travail. Mais là, ils nous ont pris de vitesse. Ils sont proches, très proches et on doit partir vite. Une fois de retour à la base, on pourra reprendre l'initiative.

-Proches? Proches comment?"

Il y eut un bruit de verre qui se brise, et un objet tomba au sol avec un clung métallique. Un bruit que Steve connaissait trop bien. Il eut juste le temps d'attraper Natasha par le bras et de la tirer vers lui avant de se jeter au sol en criant: "GRENADE" avant que celle-ci n'explose. La réponse à sa question était donc: "Beaucoup trop proches".

Heureusement, elle aussi avait les réflexes d'une combattante. Ils s'aplatirent au sol autant qu'ils le pouvaient lors de l'explosion. Le souffle envoya valdinguer le lit au dessus d'eux, qui s'écrasa contre le mur en face dans une explosion d'échardes et de planches sur le point de se briser. Même eux se retrouvèrent soufflés comme des feuilles mortes par l'engin de mort. Le dos de Steve heurta le mur avant de recevoir Natasha contre lui, lui coupant le souffle. A cause du bruit de l'explosion, il avait les oreilles qui sifflaient, n'entendait plus et avait la tête qui tournait. Mais il fallait qu'il réagisse vite. Plus vite que ça. Il se redressa (trop long, soldat, pensa-t-il) et aida Natasha à se relever. Elle avait l'air aussi désorientée que lui mais semblait savoir aussi bien que lui qu'ils ne pouvaient pas se le permettre. Il indiqua la porte d'un signe de tête, elle hocha la tête en signe d'acquiescement. Ils eurent à peine le temps d'atteindre la porte avant que la tête d'un agent de l'HYDRA ne passe dans l'encadrure de la fenêtre. Steve ouvrit la porte à tout volée pendant que Natasha sortait le pistolet qu'elle avait garder caché dans son dos. Son tir suffit à faire reculer l'invité indésirable et nos deux héros purent prendre la fuite.

"On aurait mieux fait de passer par la fenêtre, ça aurait été plus rapide, cria-t-il pour se faire entendre au dessus du ce sifflement incessant.

-Le passage était occupé. Mauvaise idée, répondit-elle avec le même volume. J'espère que tu n'avais pas d'affaire importante dans cette chambre.

-Non, dit-il après avoir fait mentalement le compte.

-Parfait...Conduire sous le feu ennemi, ça te tente?

-Ça me rappellera des choses..."

Ils coururent à en perdre haleine dans le couloir, arrivèrent dans le hall et eurent juste le temps de se cacher derrière le coin du mur avant d'être accueillis de salves de fusils automatiques. Si seulement il avait son bouclier, ça n'aurait pas été un souci... Un coup d'oeil en arrière lui apprit qu'un détachement d'HYDRA était entré dans la chambre et commençait à emprunter le même couloir.

"On est encerclés, constata-t-il sobrement.

-Rien d'impossible. J'ai juste besoin d'un peu d'air, dit-elle avec un sourire.

-Comment ça? Non, attends!"

Il ne put pas la retenir avant qu'elle ne glisse hors de sa cachette. Alors agilement, sous le feu ennemi, elle se dirigea vers la grande baie vitrée qui éclairait toute la réception de l'hôtel. Elle esquivait, roulait, se cachait, feintait, dans une danse mortelle dont elle seule semblait entendre la musique. Une fois devant l'énorme baie vitrée, elle ralentit un peu son rythme, comme si elle cherchait quelque chose du regard. Les agents de l'HYDRA ne perdirent pas un seul instant pour tirer dans sa direction. Avec une dernière roulade, elle sortit de la ligne de feu, laissant les balles briser l'énorme fenêtre dans un bruit cristallin. Alors dans une cadence aussi précise que mortelle, des flèches balayèrent tout le contingent de l'HYDRA, pas une seule ne manquant sa cible. Steve n'eut pas le temps d'apprécier le sauvetage avant de voir arriver derrière lui en courant le reste de l'HYDRA, ceux qui avaient essayé de régler le problème de la manière forte. Une roulade, un bond, et il se retrouva à couvert derrière le bureau de la réception où Natasha le rejoignit vite.

"Je vois que tu n'es pas venue seule...

-Comme si Clint allait me laisser risquer ma peau sans rien faire. On va pouvoir le laisser finir tranquillement je pense."

Tirs, flèches, cris, tout se précipita dans un brouhaha fracassant. Steve n'était pourtant pas dépaysé. Il se sentait plus à sa place que depuis son réveil de la glace. Quand le silence retomba enfin aux alentours, il se risqua un regard par dessus sa couverture. Les agents de l'HYDRA étaient étalés par terre, tués avec une précision mortelle. Il ne put s'empêcher d'en être content. Il sentait une rage bouillir au fond de lui comme il ne pensait plus être capable de ressentir. Le retour de l'HYDRA... C'était comme une mauvaise blague jouée par le destin... Il se retourna vers Natasha, les poings serrés.

"C'était quoi la mission que Hill voulait me donner?"