- POV Omniscient -

Ses pieds se balançant de droite à gauche sur sa planche de skate, la casquette vissée à l'envers, elle regarde la ville s'endormir petit à petit. Du point de vue panoramique, dont elle seule sait où il se situe, elle admire les lumières s'éteindre, laissant les lampadaires illuminer, seuls, les rues de la ville. Sa ville. Elle esquisse un sourire en voyant Paolo, le gérant de la pizzeria fermer boutique pour la nuit. Parce qu'elle y a passé beaucoup de temps là-bas. Seule mais aussi avec ses amis ou ses cousins. Et puis, parce qu'il a été le premier à lui laisser une chance quand elle a commencé à chercher un petit boulot, il y a quatre ans. Le seul qui a su lui faire confiance alors qu'elle n'avait aucune expérience. Alors qu'elle avait la réputation de la petite dure du quartier. Alors que personne n'aurait misé un centime sur elle. Elle sait qu'elle n'aurait jamais assez d'une vie pour le remercier pour tout ce qu'il a pu faire pour elle. Jamais assez d'une vie pour le remercier de l'avoir recadrer quand personne n'y arrivait. Même pas son oncle Nyko.

Quand elle repense à tout ce qu'elle a vécu jusqu'à aujourd'hui, elle sent son cœur se serrer. De la tristesse, de la colère mais aussi une pointe de nostalgie la submergent. Pourtant, elle ne peut s'empêcher de ressentir aussi de la joie, de la fierté et de l'amour pour ces personnes qui ont su l'aider avec les moyens du bord. Parce qu'ils ne l'ont jamais abandonné. Ils ont tout fait pour qu'elle ait la meilleure vie possible. Tout. Et aujourd'hui – aujourd'hui, oui – elle veut leur rendre la pareille. Elle ne sait pas si elle y arrivera mais elle se donnera à fond pour que son rêve se réalise. Pour leur montrer que la fille rebelle et colérique d'il y a cinq ans a bien disparu et laissé place à celle qu'elle est à présent.


Le lendemain matin.

Le réveil sonne et tu pousses un cri de désespoir. Il ne pouvait déjà être l'heure de se lever. Pas maintenant alors que tu faisais un si beau rêve. Tu ouvres difficilement les yeux et regardes que ce maudit appareil indique effectivement six heures trente du matin, heure à laquelle tu te lèves tous les matins quand tu as cours. Quand tu y penses, tu n'as dormi que trois heures à peine. Trois petites heures. La journée risque d'être longue mais que peux-tu y faire, hein ? Rien. Tu poses ta tête contre ton oreiller tout en poussant un soupir. Aujourd'hui, c'est la rentrée des classes mais pas n'importe laquelle. Celle où tu vas devoir tout donner pour décrocher à la fin de l'année ce bout de papier – ce Graal – que tout le monde rêve d'avoir pour pouvoir quitter ce trou perdu. Parce que tu t'es jurée de partir une fois le lycée fini. Parce que tu as promis que quoiqu'il arrive, tu y arriverais coûte que coûte. Peu importe les sacrifices, peu importe les coups difficiles que tu devras surmonter.

D'un pas décidé, tu te lèves enfin. Tu fais quelques exercices de musculation, première étape d'un long rituel pour bien commencer la journée avant de filer sous la douche. C'est quelque chose dont tu as besoin pour te canaliser. Un besoin que tu ressens au plus profond de toi. Paolo a été celui qui t'a transmis ce goût du sport et t'a, dès le départ, concocté un programme à ton image. Et depuis, tu l'as amélioré, modifiant quelques exercices et augmentant le nombre de mouvements. D'ailleurs, aujourd'hui, tu as peut-être trop poussé parce que tu le ressens quelque peu. Peut-être un besoin d'évacuer cette nuit courte ou d'expulser ce magnifique rêve de ta tête ? Peut-être un peu des deux, tu n'en sais trop rien. Une fois la douche finie, tu finis de te préparer avant de faire ton sac et de filer direct au lycée.

Tu es quelque peu stressée par cette nouvelle année. Parce que tu entames ta cinquième année dans ce bahut de ville moyenne et que tu es un peu plus âgée que tout le monde. Tu seras sûrement la plus vieille des dernières années. Pourtant, d'habitude, tu t'en fous royalement. Tu es du genre à laisser de côté les on-dits, les rumeurs et tutti quanti. Mais là, ce n'est pas pareil. La plupart de tes congénères sont déjà loin alors que tu es encore ici, bloquée dans cette ville – ta ville –, à vagabonder entre les bâtiments en te demandant si ça ne serait pas mieux que tu ailles ailleurs faire ta dernière année. Tu es celle qui a redoublé deux fois, préférant sécher les cours et draguer à tout va. Celle qui préfère regarder dehors – voire dormir – plutôt qu'écouter le prof. Celle qui préfère faire la fête plutôt que réviser ses cours. Pourtant, aujourd'hui tu es bien décidée à changer. Tronquer cette vie de fête pour celle d'une élève plus ou moins studieuse.

Aujourd'hui est un nouveau jour.