[STATEN ISLAND, NEW YORK, ÉTÉ 1982]
Le mois de juin était arrivé et les départs en vacances se faisaient nombreux. Dean essuya la sueur qui perlait sur son front du revers de la main. Les gens affluaient au garage en hurlant qu'ils partaient le lendemain, et qu'il fallait que tout soit prêt. Il soupira et se baissa pour examiner l'intérieur d'une Cadillac noire quand une voix l'interpella :
« - Excusez-moi ! »
Dean releva vivement la tête qui buta contre le capot relevé. Il ne put s'empêcher de lâcher un juron et tourna la tête vers l'endroit d'où lui semblait venir la voix. Ses yeux se figèrent sur l'homme qui attendait en se frottant le bras nerveusement. Il portait un jean trop grand pour lui, maintenu une ceinture. Sa chemise claire était rentrée dans ce jean délavé, et quand l'inconnu se tourna vers Dean pour parler, ce dernier eut un sursaut. Ses yeux se fixèrent dans l'immensité bleue qui semblait le dévisager. L'homme avança, ses cheveux noirs légèrement trop longs volaient devant ses yeux. Il était légèrement plus petit que Dean et lui demanda nerveusement :
« - Notre van est tombé en panne au coin de la rue, et je, enfin, je voulais savoir si je pouvais acheter de l'essence, comme il n'y a personne dans la boutique devant.
- Il y a tellement de gens qui viennent que nous sommes tous occupés dans le garage, lui répondit Dean en s'essuyant machinalement ses mains pleines d'huile à moteur sur le bout de tissus qui pendait accroché à sa ceinture. Combien de bidons vous faut-il ?
- Je n'en sais rien, bafouilla l'inconnu.
- Je vous en mets trois, au pire vous en aurez en rab !, lui dit Dean en souriant. Ça vous fera 37,5$. »
Il regarda l'inconnu plonger ses longs doigts fins dans sa poche pour en sortir quatre billets de dix dollars. Dean lui rendit la monnaie en souriant :
« - Merci, à bientôt. »
L'inconnu lui rendit son sourire et s'en alla. Dean ne le quitta des yeux que lorsque la voix de son employeur le rappela à l'ordre :
« - Dean, la Cadillac ne va pas se réparer toute seule ! »
Dean repartit vers la voiture noire en soupirant et se remit au travail.
[BRONX, NEW YORK, ÉTÉ 1982]
La nuit commençait à tomber quand Dean débarquait du ferry qui l'emmenait et le ramenait chaque matin et chaque soir à son travail, comme des centaines d'autres personnes. Il évitait les ruelles sombres, qui composaient une grande partie de son quartier. Les fenêtres commençaient à s'illuminer, laissant apparaître les tags noirs et rouges qui ornaient chaque centimètre carré de chaque mur. Il arriva au pied de son immeuble et leva la tête. Le gris du bâtiment se mêlait au orange pastel du ciel, et Dean trouva que ces couleurs ne pourraient jamais être unies. Il soupira et entra dans le hall mal éclairé de l'immeuble. Il ouvrit sa boîte aux lettres d'où une enveloppe verte tomba. Il la ramassa, l'ouvrit et sourit. La lettre était de Sam et Jessica, son frère et sa belle sœur. Ils lui envoyaient une lettre chaque semaine, demandant à Dean de leur répondre. Mais Dean ne le faisait que rarement, leur disant qu'il n'avait pas le temps. La vérité était le prix du papier, qui était trop élevé pour lui, à qui les fins de mois étaient justes. Il referma la petite porte de sa boîte aux lettres dont la peinture s'écaillait et monta les escaliers, la lettre toujours à la main. Il arriva au septième étage légèrement essoufflé, et inséra la clef de son appartement dans la serrure. Un claquement sec se fit entendre, indiquant que la porte était ouverte, et Dean s'engouffra dans le petit appartement qu'il louait. Il ferma la porte à clef derrière lui, jeta les clefs sur la commode blanc cassé qui se tenait près de la porte. L'appartement contenait une chambre, une salle de bain, une cuisine et une salle de séjour. La cuisine, à droite, était séparée par un muret de la salle de séjour qui s'étendait jusqu'à la fenêtre en face. Après la cuisine, se trouvaient deux portes, la première donnant sur une petite salle de bain, comportant toilette, baignoire et lavabo, la seconde donnant sur la chambre de Dean. Ce dernier jeta sa veste sur une des chaises qui entourait la petite table ronde en bois du salon et se dirigea rapidement vers la salle de bain, où il prit une douche rapide et glacée. La sueur et la crasse de cette journée coulaient avec l'eau claire le long de son corps pour s'engouffrer et tourbillonnant dans la bouche d'évacuation de la baignoire. Dean sortit rapidement de la salle de bain, enroulant une serviette autour de sa taille, laissant les gouttes d'eau qui tombaient de ses cheveux s'écraser et rouler sur son torse et ses épaules. Il enfila rapidement un boxer et un bas de survêtement sombre dans sa chambre et prit une bière dans le réfrigérateur qui se tenait dans un coin. Il ouvrit la fenêtre du salon qui donnait sur la rue et s'appuya sur le rebord. Le vent frais s'engouffrait dans ses cheveux pour déloger les dernières gouttelettes qui restaient. Dean ferma les yeux un instant, respirant à pleins poumons les relents de pétrole et de poussière qui se dégageaient en cette nuit de juin. Il pensa à la journée du lendemain, et se mit à espérer que l'inconnu au van en panne s'arrêterait encore pour de l'essence. Il soupira, ferma la fenêtre, finit sa bière et partit se coucher. La nuit n'était pas plus chaude que d'habitude, et pourtant Dean eu du mal à s'endormir cette nuit-là. L'inconnu aux yeux bleus le hantait. Il s'endormit finalement au beau milieu de la nuit, bercé par le bruit des moteurs et les cris qui résonnaient comme chaque nuit, dans le quartier du Bronx.
