– J'aime le piano.
Aurore releva les yeux vers la jeune femme blonde, une mine indéchiffrable sur le minois. Celle-ci ne lui accordait par ailleurs aucun regard. Elle observait le plafond, comme soudainement fascinée.
Elles étaient capitonnées dans ce petit ascenseur qui, dans moins d'une minute, les mènerait toutes deux jusque dans la salle du Panthéon.
Aurore gardait les poings serrés le long de son corps et traduisait sa nervosité en tremblant légèrement. L'adrénaline la quittait doucement : la frénésie du combat s'estompait peu à peu à mesure que la cabine grimpait en hauteur. Cynthia, dont le calme et la patience lui avaient fait croiser les bras, jetait discrètement des coups d'œil vers sa jeune comparse avant de reporter sa totale attention ailleurs.
Elle avait lâché ces quelques mots dans l'espoir, un peu vain peut-être, de briser le silence lourd qui s'était installé trop brusquement. Or, sa comparse paraissait bien trop absorbée par ses propres pensées pour daigner répondre à son aînée.
Pourtant, lorsque les portes s'ouvrirent dans un tintement, une voix — un murmure presque — retentit entre elles :
– J'aimerais bien t'entendre jouer.
Le Maître de la Ligue eut un léger sourire mais n'ajouta rien. Elle s'avança alors dans la pièce et entraîna à sa suite sa cadette. Le professeur Sorbier les attendait dans un coin de la pièce. Il se tenait droit, sa mine légèrement sévère côtoyant ses yeux, pour une fois, étincelants.
Cynthia fit quelques pas avant de faire volte-face pour désigner d'un mouvement vague de la main une invention dans son dos.
– Aurore, commença-t-elle d'un ton solennel, bienvenue au Panthéon des Dresseurs. Ton nom et ceux de tes Pokémons seront inscrits ici à jamais.
Elle distinguait un timbre particulier s'égosillant lors d'un certain match, scandant un nom d'une créature, cherchant à raviver une flamme trop fébrile, presque éteinte.
– Les souvenirs de tes aventures resteront gravés ici.
Elle restait figée face à ces deux prunelles qui la fixaient intensément. Elle y avait discerné une force encore endormie, un œil encore clos. Puis, elle y avait enfin lu une détermination ardente, sans faille, une fleur épanouie dans sa globalité. Elle avait été soudainement frappée par cette évidence : elle ne gagnerait pas cette fois-là.
– Rappelle-toi que tes Pokémons sont tes partenaires, qu'ils grandissent avec toi, à travers toutes les épreuves.
Elle l'avait observée de loin devenir. Elle lui avait confié des sbires, puis des chefs, Hélio et enfin le monde. Elle avait simplement décidé de lui accorder ses plus intimes convictions. Aurore en était capable. C'était la première fois que Cynthia l'avait réalisé.
– Cette machine va enregistres vos prouesses pour l'éternité, conclut-elle
L'éternité ne serait jamais longue pour raconter dignement ses prouesses. C'était ingrat et indigne de ce jeune génie. Et malheureusement, c'était ainsi. Elle ne serait qu'un fichier de plus, dans un ordinateur. Peut-être serait-elle juste une croix dans un tableau. Son récit, son vécu, son réel, ne seraient que de vagues lignes, que personne ne lirait, que tout le monde oublierait. Il ne resterait derrière cet être qu'un but toujours plus haut à atteindre, toujours plus coriace. Elle n'était plus de ceux qui attendaient : elle était celle qui provoquait l'attente. Elle le méritait bien, elle s'était tant endurcie. Mais cette victoire avait un goût amer, était un sourire crispé sur une face livide. Même Cynthia, en fixant ce jeune prodige, parvenait à déceler une rage contenue. Ce n'était pas cette fièvre enivrante et destructrice du combat, à laquelle elle avait fait face un instant plus tôt. C'était seulement une colère bouillonnante, trop latente pour exploser subitement. En face d'elle se dressait l'inachèvement. Elle avait cru, lors de leur fusion, leur combat, mais finalement que quelques minutes, pouvoir calmer les ardeurs de son adversaire. Elle avait prétendu être son objectif ultime, être une dernière frénésie. Elle avait cru lui livrer une bataille digne d'elle, de son niveau et de sa carrure.
Pourtant, maintenant, elle comprenait qu'elle n'avait pas été à la hauteur. Elle n'avait pas été satisfaisante. Battre le Maître de la Ligue et devenir le premier dresseur de Sinnoh ? Ce n'était pas assez pour Aurore. Cynthia le constatait durement à présent. Elle le comprenait lorsque l'aura de puissance de son ancienne adversaire lui sautait à la gorge comme une dernière provocation. Le temps où de grands saphirs se plantaient dans ses pupilles, une lueur indescriptible dansant joyeusement à travers eux, lui sembla bien loin. Elle aurait dû s'en douter : les voyages ne préservaient jamais personne et ne laissaient pas les enfants intacts.
Aurore avait connu des épreuves bien trop difficiles pour ses frêles épaules et aujourd'hui, la jeune femme blonde déplorait pour sa comparse son innocence.
L'adolescente avait fait son deuil depuis bien longtemps, constata amèrement Cynthia. Elle avait une soif avide de pouvoir, de puissance, de découverte. Un besoin que le Maître de la Ligue ne pourrait plus jamais combler.
Cette dernière incita alors sa comparse à s'avancer. Elle l'observa glisser ses Pokéballs dans la machine qui produisaient de légers bruits. Rien ne lui échappa. Ni le changement brusque de l'air. Ni les tremblements de la main qui déposait les boules rouges et blanches.
Dans cette salle devenue trop silencieuse, Aurore tourna la tête dans la direction de son aînée et celle-ci, sous les couches d'amertume, décela enfin ce qui lui avait échappé dans ce regard.
La jeune fille sourit de toutes ses dents et Cynthia ne put que lui répondre de la même manière. La Ligue venait d'enregistrer son nouveau vainqueur.
La dresseuse déclara son désir de retourner auprès de sa mère, après avoir salué poliment ses aînés. Le Maître de la Ligue l'avait laissée partir sans un mot, ne lui donnant pour salutation que son titre de champion. Elle n'avait pas osé lui dire au revoir. Professeur Sorbier lui avait touché l'épaule solennellement, comme s'il comprenait. Elle l'avait alors simplement remercié d'un hochement de tête.
Elle repartit aussitôt pour Célestia, décidant de prendre une pause. Elle pensait qu'aucun autre challenger ne viendrait la défier avant un moment. Elle se permit donc cette retraite.
Son repos fut de courte durée. Lorsqu'un Topdresseur frappa à la porte de sa grand-mère, demandant à la vieille femme si sa petite-fille était bien présente, elle comprit que ses fonctions ne la délaisseraient pas si aisément. Seulement, elle ne reçut de cet homme qu'une lettre cosmos et il n'exigea rien d'elle. Sa curiosité, si elle s'était éveillée lorsque l'enveloppe s'était glissée entre les doigts de la jeune femme, s'était cependant aussitôt tue lorsqu'elle déchiffra le nom de l'expéditeur du papier. Elle avait souri tendrement. Mais ne l'avait pas ouverte pour autant. Alors, elle était simplement rentrée.
Aurore était arrivée une semaine plus tard, à dos de son Togekiss. Cynthia l'avait invitée à prendre un thé. Elles s'étaient installées silencieusement dans le salon de la vieille dame, qui avait préféré s'éclipser pour leur laisser de l'intimité. Ainsi, elles étaient assises l'une en face de l'autre alors que l'hôte versait gracieusement de l'eau chaude dans la tasse emplie de jasmin de son invitée.
– Laisse infuser quelques instants, conseilla-t-elle à celle-ci
La brunette hocha simplement la tête en guise de réponse. Elle attendit toujours aussi silencieusement que son aînée s'assît enfin, saisissant entre ses mains la porcelaine brûlante. La jeune fille récupéra son sac, délaissé un instant plus tôt, et en sortit des fleurs roses qu'elle tendit avec un large sourire à sa comparse. Elles étaient légèrement abîmées : quelques pétales avaient déjà noirci.
– Des hortensias, commenta Cynthia
Reposant sa tasse, elle les prit doucement pour les porter dans un vase.
– J'ai pensé qu'elles te plairaient, ajouta maladroitement la seconde
Un rire doux retentit entre elles.
– C'est le cas.
Elle s'installa à nouveau en face de sa cadette et reprit :
– Je ne m'attendais pas à te revoir de sitôt.
– Je n'avais pas réellement prévu non plus, assura gauchement Aurore en souriant
Sa main gratta sa nuque tandis qu'un nouveau rire gêné résonnait dans la pièce.
– Terry m'a prévenue que tu n'étais pas à la Ligue, précisa-t-elle, je me suis dit que tu devais être ici.
Les paupières de Cynthia se plissèrent joyeusement pour toute réponse.
– Tu ne m'as pas répondu.
– Répondu ?, répéta incrédule la jeune femme
Sa cadette indiqua du doigt un meuble à l'entrée du salon sur lequel un papier mauve criard trônait.
– Ma lettre, souligna-t-elle
Seule une bouche se déformant dans un "O" de surprise lui fit écho.
– Je suppose que tu n'as pas eu le temps, s'empressa-t-elle d'ajouter, Après tout, tu as beaucoup de responsabilités.
Cynthia aurait voulu la contredire et s'excuser. Mais elle ne trouva pas le courage de lui avouer sa faute. Alors, elle se contenta d'approuver d'une inclinaison douce de la tête, tout en portant la porcelaine à ses lèvres.
– Je vais reprendre la route.
Elle haussa un sourcil interrogateur.
– Vas-tu explorer à nouveau Sinnoh ?
Elle avait ouïe dire que celle qui l'avait battue avait encore une fois démontré ses talents lorsqu'un membre de la Team Galaxie — Pluton, si elle avait bonne mémoire, — avait réveillé Heatran.
En un peu moins d'un mois, Aurore avait-elle eu le temps d'explorer cette partie de la région ?
– Je ne sais pas encore, répondit avec sérieux la dresseuse
Le Maître de la Ligue reposa presque trop brusquement sa tasse, après en avoir absorbé une gorgée.
– Le monde est vaste, continua-t-elle
– Trop vaste.
Ses doigts se resserraient autour de la porcelaine.
– Sais-tu ce que l'on dit ?, demanda-t-elle soudainement
La jeune femme répondit par la négative d'un geste de la tête.
– La Grotte Retour mènerait au Monde Distorsion.
Elle blêmit. Puis fronça les sourcils.
– Je ne peux pas te laisser y aller.
– Je ne t'écouterai pas.
Elle frappa la table du poing : les tasses sursautèrent alors que l'invitée était restée stoïque. Elle tenait toujours la hanse du récipient tandis que son visage s'était assombri.
– Je t'interdis d'y retourner, répéta-t-elle
Elle n'avait pas haussé le ton. Mais sa voix était devenue tout à coup polaire.
– Tu ne peux pas, prononça calmement sa comparse tout en buvant son thé
– Aurore, c'est trop dangereux !
– Je sais.
Sa mâchoire s'était resserrée.
– Et ta mère ? As-tu seulement pensé à elle ?
Cynthia n'avait été contactée par cette femme qu'une seule fois. Hélio avait disparu dans le monde distorsion tandis qu'Aurore était revenue silencieuse. Elle-même avait eu beaucoup de mal à ne pas être abattue par ce qu'elle avait vu. Ce monde était malsain. Trop malsain pour tout être humain. Elle avait été glacée d'effroi tout du long et si l'adrénaline avait couvé un moment cette sensation, lorsqu'elle était enfin rentrée, les frissons dans son dos n'avaient pas cessé pendant plusieurs semaines. Elle n'osait même pas imaginer comment cette enfant pouvait gérer cette expérience. Celle-ci n'avait pas voulu en parler et par respect pour elle, personne n'avait insisté.
Seulement, un mois environ après, Cynthia reçut l'appel d'une femme se présentant comme la mère d'Aurore. Cette dernière, qui avait récupéré les coordonnés du Maître auprès du professeur Sorbier, l'avait alors interrogée longuement sur sa fille. La jeune femme comprit ce jour-là que sa protégée, autrefois éternellement vibrante d'une espièglerie, avait perdu son esprit enjoué. Elle écouta les inquiétudes de la génitrice et pourtant, elle ne put la rassurer : elle se savait coupable. Elle avait été beaucoup trop exigeante envers cette adolescente.
La voix sanglotant à l'autre bout du fil s'était imprégnée en elle comme une marque indélébile. La détresse de cette inconnue l'avait ébranlée de plein fouet. Elle avait partagé avec cette mère cette peine lancinante pour cette fille que personne ne reconnaissait, cette fille qui ne s'ouvrait plus autant, cette fille qui demeurait l'ombre d'elle-même.
Elle s'était alors jurée qu'elle ne laisserait plus sa protégée inquiéter cette femme.
– As-tu seulement pensé à moi ?
Cynthia resta muette d'incompréhension.
– J'en ai besoin.
Et elle n'ajouta rien lorsque cette plainte lui transperça le cœur. Que pouvait-elle y faire ? Elle avait surestimé le mental de cette enfant. La fillette en avait été capable et hélas, ici résidait le problème. Personne d'autre qu'elle n'aurait été apte à remplir cette tâche.
– Tu n'y trouveras pas ce que tu cherches, objecta après un instant le Maître de la Ligue
Qui pourrait drainer et dompter sa frustration dans ce monde parallèle ? Qui pourrait satisfaire ses plus intimes et infimes désirs ?
– Il sera capable de m'aider.
– Par "il", tu veux dire...
Aurore plongea son attention sur sa tasse, évitant tout contact avec la mine déconfite qui lui faisait face.
– C'est du suicide, murmura Cynthia
– C'est un nouveau départ, contra l'adolescente
Cette dernière se releva, ajustant sur son dos son sac.
– Merci pour le thé.
Elle se dirigeait déjà vers l'entrée alors que le Maître de la Ligue se hâtait de la suivre.
Lorsqu'elles furent dehors, leurs regards s'accrochèrent. Et Cynthia lut une lueur familière dans ses yeux. Celle qu'elle avait aperçue lors de leur première rencontre, puis lorsqu'elles avaient pénétré ensemble dans ce monde de chaos, lorsqu'elles s'étaient faites face dans un dernier duel et enfin, lorsqu'elles s'étaient tenues côte à côte dans la salle du Panthéon.
– Quand je rentrerai, je voudrai t'écouter jouer du piano.
La dresseuse appela Togekiss et la créature, docile, emporta sa maîtresse vers une destination que Cynthia ignorait. Ou du moins, que cette dernière préférait ignorer.
Heyo, jeunes internautes et bienvenue dans ce nda de fin !
Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas lancée dans une fiction à chapitres et l'univers de Pokémon m'a bien motivée pour m'y lancer à nouveau. Cette fiction ne sera malheureusement (ou pas) très longue mais je tiens absolument à l'achever !
J'espère que ce premier chapitre a su attirer votre attention et si c'est le cas, n'hésitez pas à laisser votre avis !
A bientôt (je l'espère) !
Biporeo.
