NOTE : Encore un effet "version longue", je le crains... D'ailleurs je pense que le titre et le résumé sont suffisamment explicites. Quatre parties prévues.
Bonne lecture.
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- Votre Majesté ? Est-ce que tout va bien ?
Fili cligna des yeux, interloqué par la question impromptue de l'ambassadeur, lequel venait d'interrompre son argumentation pour la poser. Le prince héritier qui se tenait, comme il se devait, debout à côté du trône, tourna brièvement les yeux vers son oncle et comprit aussitôt pourquoi le seigneur Morek avait ainsi changé de sujet sans crier gare : Thorin était très pâle et malgré tous ses efforts pour se tenir droit, il s'était affaissé sur lui-même. Fili vit que ses doigts se crispaient convulsivement sur les accoudoirs du trône, comme s'il cherchait à maîtriser son corps.
- Thorin ? Thorin !
Il n'était pas supposé prendre la parole, à moins que son oncle sollicite son avis, mais en la circonstance, fi du protocole ! Se penchant vers le roi, le prince héritier entendit un râle monter de sa poitrine, qui se soulevait avec difficulté.
- Mon oncle ?
L'intéressé se tourna vers lui, avec peine, semblait-il. Son visage que l'âge avait parcheminé, encadré de mèches désormais entièrement grises, presque blanches, de pâle était devenu livide. Ses yeux bleus, qui avaient conservé leur acuité et leur vivacité, avaient soudain un regard vide, presque égaré. Fili ne perdit pas la tête. Il avait toujours été un nain de sang-froid et les quarante années passées à épauler son oncle depuis qu'ils avaient repris Erebor, et à apprendre peu à peu toutes les arcanes de la politique et du gouvernement, n'avaient fait que renforcer ce trait de caractère. Il se redressa, fit discrètement signe à Dwalin, commandant des armées, qui se tenait à quelques pas derrière le trône, puis fit un pas en avant, se plaçant devant son oncle et le dissimulant ainsi aux regards.
- Je regrette, Seigneur Morek, dit-il d'une voix courtoise mais ferme, mais cet entretien va devoir être ajourné.
- Bien sûr, Votre Altesse, je comprends, répondit l'ambassadeur en s'inclinant poliment.
Tandis qu'il s'éloignait, suivi des dignitaires qui l'accompagnaient, Dwalin avait, sans bruit, rameuté quelques gardes qui se tenaient non loin.
- Raccompagnez le roi dans ses appartements, dit Fili. Je vais chercher un guérisseur. Dwalin, reste avec lui.
Une personne étrangère à Erebor aurait sans doute trouvé étrange que le prince héritier, celui qui d'ores et déjà était en charge de plusieurs secteurs très importants de la vie politique, se déplace lui-même quand il n'aurait eu qu'un ordre à donner. Mais Fili n'avait jamais eu cet esprit-là. Il partit à grands pas, préoccupé, et fonça à travers les galeries de la cité, sans même voir les nains qui s'inclinaient sur son passage. Cela l'avait horriblement gêné au début, tout au début, lorsqu'Erebor avait commencé à se repeupler. Il avait toujours envie de dire à tout un chacun de ne pas faire tant de manières avec lui. Mais Thorin lui avait fait remarquer qu'à présent qu'ils avaient repris la montagne et réinstauré leur dynastie sur le trône, tout était différent et qu'il devait en prendre son parti. Avec le temps, Fili avait fini par s'habituer. D'habitude il s'efforçait de se montrer cordial mais en cet instant il était trop préoccupé et trop pressé.
- Il n'y a pas de quoi s'affoler, se dit-il avec conviction. Thorin commence à prendre de l'âge... (enfin, il atteignait tout de même les 235 ans !). Il est sans doute épuisé par ces trois jours de discussions et de négociations. Sa santé est excellente... il a besoin d'un peu de repos, voilà tout. Il est trop têtu, aussi. Il ne se ménage pas suffisamment.
N'empêche que Fili hâta le pas.
Il trouva Hrolf occupé à examiner les yeux d'un mineur. Ce dernier avait reçu des éclats de roche dans la figure et ses yeux étaient très rouges et larmoyants. En temps normal Fili aurait attendu poliment sans rien dire, mais pas aujourd'hui.
- Je m'excuse, dit-il, mais le roi a eu un malaise. Il ne semble pas bien du tout.
Le guérisseur se redressa posément et le regarda :
- Quel genre de malaise ?
Hrolf avait été formé par Oïn et il était très compétent. C'était en outre un nain de grand sang-froid. Il était dans la force de l'âge et une imposante barbe brune, aux multiples nattes, s'étalait sur sa poitrine. Il avait repris le poste de principal guérisseur de la cour depuis déjà près de vingt-cinq ans, lorsqu'Oïn avait décidé qu'il devenait trop vieux pour exercer ses talents, que ses yeux n'y voyaient plus suffisamment bien et que sa main n'était plus assez sûre. Hrolf avait très vite obtenu la confiance des siens, même si certains s'entêtaient à vouloir encore consulter son mentor, qui voulait bien donner un conseil à l'occasion mais se refusait à intervenir vraiment sur un malade ou un blessé. Oïn s'était éteint onze ans plus tôt, des suites d'une mauvaise chute : le vieux nain avait voulu sortir à cheval et sa monture avait glissé sur une plaque de glace, désarçonnant son cavalier qui s'était blessé à la tête et aux jambes et avait perdu beaucoup de sang, incapable de se relever, avant qu'on le retrouve des heures plus tard.
- Il a paru sur le point de perdre connaissance, répondit brièvement Fili. Il semble avoir des difficultés à respirer et il est blanc comme… enfin…
- Je vois. Où se trouve-t-il ?
- J'ai demandé à Dwalin de le reconduire à ses appartements et de rester auprès de lui.
- J'arrive dans un tout petit instant, Votre Altesse.
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Inquiet, Fili regardait les yeux fermés de son oncle, ses traits tirés que toute couleur paraissait avoir désertés, sa respiration oppressée...
Depuis la veille, c'est-à-dire depuis qu'il s'était trouvé mal en plein entretien diplomatique, Thorin ne paraissait pas aller mieux, en dépit du repos auquel il était forcé puisqu'il semblait incapable de marcher sans aide, et malgré le remède que lui avait donné Hrolf.
- Fili...
C'était un murmure rauque, à peine audible. Les paupières du roi ne s'étaient pas soulevées. Le prince saisit la main abandonnée sur les draps. Une main autrefois si forte et aujourd'hui émaciée, aussi faible que celle d'un enfant.
- Je suis là, mon oncle. Tout va bien.
- Kili...
Le cœur de Fili se serra. Ce sujet était toujours sensible. En tous cas pour lui.
- Kili, répéta Thorin. Kili….
- Mon oncle, tu sais bien que Kili…
- Envoie-le chercher.
- Bien sûr, si c'est ce que tu veux. Mais...
- Je veux le... revoir... une dernière fois.
- Dernière ? Allons donc. Tu le reverras, bien entendu. De nombreuses fois. Le temps a passé et je suis sûr que vous pourrez…
- Non.
Fili eut un frémissement de joie. Il connaissait ce ton-là : autoritaire, ferme, déterminé. Ça, c'était vraiment Thorin.
- Non, envoie-le chercher... maintenant. Qu'on lui dise de... se hâter. Fili, mon heure est venue. Je le sens.
- Mon oncle, ce n'était qu'un malaise. Tu t'es surmené. Tu vas...
- ... c'est la fin, je le sais. La vie se retire de moi comme... l'eau d'une... outre percée.
La voix, déjà faible, vacillait comme une chandelle dans le vent. Fili dut se pencher et approcher son oreille des lèvres sèches de son oncle pour les percevoir.
Au bout d'un instant, n'entendant plus rien, il conclut que Thorin s'était endormi. Tant mieux. Le sommeil lui ferait le plus grand bien. Soucieux, le prince regarda le malade. Son nez était pincé et un cerne violet ourlait sa bouche. Bien qu'il soit surélevé par plusieurs oreillers, sa respiration était pénible et sa poitrine se soulevait avec peine.
Fili se leva sans bruit et gagna la porte.
- Dites à Hrolf de venir tout de suite, dit-il au garde qui te tenait à l'extérieur. Et dites-lui de venir me rendre compte dès qu'il en aura terminé.
Il se tourna ensuite vers Dwalin : le vieux guerrier s'était fait apporté un tabouret, placé près de la porte, et n'en bougeait quasiment plus depuis la veille.
- Dwalin, dit Fili en hésitant. Envoie un de tes soldats chercher Kili. Choisis-en un qui soit rapide et dégourdi. Peu importe où peut bien se trouver mon frère actuellement, qu'il le trouve rapidement et lui dise de revenir à Erebor sans perdre de temps, aussi vite que possible.
Devant le regard, sombre comme un puits mais contenant une interrogation muette qui se levait vers lui, il ajouta, un peu trop vite :
- C'est Thorin qui le veut.
Dwalin acquiesça d'un grognement.
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Fili tournait nerveusement en rond dans ses appartements, de long en large puis de large en long. Il s'immobilisa un moment devant la fenêtre et sentit Maély, son épouse, se couler contre lui :
- Va-t-il plus mal ? demanda-t-elle d'une voix tendre.
- Il ne va pas bien, ça au moins c'est une certitude. Mais…. Hrolf est auprès de lui. Il doit venir me dire ce qu'il en est.
Fili avait parlé d'une voix brève, presque sèche. Maély enroula son bras autour du sien et colla sa joue contre son épaule, sans rien dire.
- Il… commença Fili, il veut que je fasse revenir Kili au plus vite… Il dit que… enfin, il croit que c'est la fin.
Devant le silence de son épouse il baissa les yeux vers elle, inquiet : il s'attendait à ce qu'elle tente de le rassurer, qu'elle lui réponde qu'il ne devait pas prendre trop à cœur les paroles d'un vieillard affaibli, mais il vit qu'elle se mordait les lèvres et que son regard s'était fait grave.
- Naturellement, se hâta-t-il d'ajouter, surtout dans le but de meubler le silence, cela ne veut rien dire. Ce n'est pas parce qu'il le croit que….
Maély leva les yeux et lui sourit. Un sourire un peu crispé, un peu forcé, en même temps qu'elle lui serrait le bras en signe de réconfort.
- C'est une bonne chose, dit-elle. Il est temps que Kili et lui viennent à bout de leur différend. Tout cela ne rime vraiment à rien.
Il y eut un petit silence et Maély demanda, plus bas, sans pouvoir dissimuler la trace d'inquiétude qui perçait dans sa voix :
- Crois-tu que Kili va accepter de revenir ?
- Oui, répondit Fili sans hésiter. Kili est têtu et ne changera pas d'avis, mais il ne se dérobera pas. Il viendra.
- C'est une très bonne chose. Cela ne peut faire que du bien à ton oncle. J'ai toujours pensé qu'il souffrait de cet éloignement plus qu'il ne voulait l'admettre.
Maély entretenait d'excellents rapports avec Thorin, qu'elle considérait comme son beau-père plus que comme un oncle par alliance. Il en était de même pour ses trois enfants, respectivement âgés de vingt-deux, seize et treize ans, qui voyaient en lui leur grand-père. Quant à Kili, tout le monde l'appréciait. Et Fili n'était pas le seul à déplorer l'éloignement volontaire de son petit frère.
Nerveux, inquiet, le prince héritier alla se planter devant la fenêtre devant laquelle il demeura un long moment immobile, plongé dans ses pensées, jusqu'à ce que n'y tenant plus il recommence à tourner de long en large. Il n'interrompit son va et vient que lorsqu'on frappa à la porte.
- Entrez !
Le guérisseur entra et Fili nota tout de suite son expression très grave.
- Eh bien ? aboya-t-il sans même lui laisser le temps de refermer la porte.
Hrolf n'en repoussa pas moins soigneusement le battant, avant de se tourner vers Fili et de chercher son regard.
- Je n'irai pas par quatre chemins, Votre Altesse, dit-il avec tristesse. Le roi se meurt.
Fili tituba. Maély lui serra à nouveau le bras, comme si elle essayait de lui communiquer de nouvelles forces. Son époux dut s'y reprendre à deux fois pour pouvoir finalement articuler :
- Vous êtes sûr de vous ? N'y a-t-il aucun espoir ?
Hrolf hocha lentement la tête de droite à gauche :
- Non, je regrette. Croyez bien que je ne me permettrais pas de vous annoncer une telle chose à la légère. Et que je suis navré d'avoir à vous l'apprendre.
Fili avait l'impression que sa gorge resserrée ne laissait plus passer aucun son, que chaque mot lui coûtait un effort surhumain :
- Mais qu'est-ce que… qu'est-ce qu'il a ? Il se portait très bien, comment se peut-il que si brusquement… ?
Hrolf eut un geste évasif :
- Ce qu'il a ? Il a qu'il est âgé et que son corps est à bout, voilà tout. Quant au reste, vous savez, cela ne veut rien dire. Certains s'affaiblissent petit à petit, d'autres, comme lui, tiennent bon, tiennent bon… et s'effondrent d'un seul coup.
- Comme un chêne, murmura encore Fili. Son surnom.
- C'est un peu ça.
- Est-ce que vous le saviez déjà ? Hier ?
Le guérisseur soutint calmement le regard accusateur du prince :
- Je le craignais. Mais je ne pouvais me prononcer sans avoir rien tenté. Malheureusement, le remède que je lui ai donné n'a eu aucun effet. Je dis bien aucun. Pas la plus légère amélioration. En réalité, Sa Majesté est bien plus faible aujourd'hui qu'hier. Il est inutile de se leurrer davantage, Votre Altesse. Je suis hélas certain de mon diagnostic.
Il y eut un long et pénible silence.
- Combien de temps…. ? émit encore Fili, non sans peine.
- Je ne saurais le dire. Quelques jours ? Un peu moins, un peu plus ? Tout ce que je peux affirmer, c'est qu'il ne vivra plus jusqu'à la prochaine lune.
Maély, qui s'était rapprochée de son mari, se cramponna à son bras et leva son visage vers lui, sans parler, les yeux emplis de tristesse. Elle le serra fort, avant d'appuyer sa tête contre son épaule.
- Souffre-t-il ? demanda encore le prince.
Hrolf secoua à nouveau la tête :
- Il éprouve de grandes difficultés à respirer. Je lui ai donné quelque chose pour l'y aider. Je pense qu'il va à présent s'affaiblir de plus en plus, jusqu'à ce que son cœur cesse simplement de battre. Ne craignez rien, il ne souffre pas.
Fili dut prendre sur lui pour continuer. Il repoussa le chagrin et toutes les perspectives terrifiantes qui commençaient à envahir son esprit, tout ce qui allait découler de la situation présente et de ce qui allait arriver…. après, puis il dit simplement :
- Ne l'ébruitez pas. Pas encore.
Hrolf s'inclina très bas, ce qu'il n'avait encore jamais fait devant Fili :
- Comptez sur moi, Votre Altesse, répondit-il avant de quitter la pièce.
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Fili ne se souvenait pas s'être déjà trouvé aussi désemparé et aussi effrayé qu'en ce jour. Il y avait une telle multitude de pensées qui se bousculait dans son cerveau qu'il avait l'impression que celui-ci allait éclater sous la pression. Il s'efforça de se montrer pragmatique et de classer les choses par ordre de priorité. La première chose à faire était de se débarrasser de l'angoisse qui lui serrait la gorge et lui comprimait la poitrine. Indépendamment du chagrin, Fili savait ce que signifiait la mort de Thorin : cela signifiait que tout désormais allait reposer sur lui. Il était préparé à cela depuis des années, entendu, mais cela ne rendait pas cette perspective moins effrayante. Cela signifiait aussi que désormais il serait seul et avancerait sans garde-fou. Tout le monde aurait en permanence les yeux fixés sur lui et certains, il le savait, guetterait avidement son premier faux pas, sa première erreur, pour en profiter s'ils le pouvaient. Fili en eut la chair de poule.
Il inspira longuement. Une chose après l'autre. Le plus urgent à ses yeux était le retour de son frère. Un messager lui avait été envoyé. Bon. Ensuite ? Ah oui… il avait demandé à Hrolf de garder le silence quant à l'état réel de son oncle, mais il savait que des rumeurs devaient quand même avoir déjà commencé à circuler. Tant pis. Fili ne comptait pas rendre la vérité officielle tant qu'il ne se sentirait pas prêt à faire face aux réactions des gens. Et de toute manière, décida-t-il, pas avant que Kili soit à Erebor. Hum… étant donné les circonstances, le retour du prince cadet allait alimenter les rumeurs et faire couler beaucoup de salive. Kili n'était pas revenu à Erebor depuis près de cinq ans. Fili n'ignorait pas que l'on racontait beaucoup de choses à son sujet. Chacun y allait de sa petite hypothèse. Certaines totalement fantasques. La plus répandue toutefois était que Thorin l'avait chassé et lui avait interdit de jamais revenir. Quant aux raisons qui auraient motivé sa sentence, honnêtement, Fili préférait ne pas savoir tout ce que l'on pouvait bien raconter là-dessus. Beaucoup de bêtises, sans le moindre doute. Il en avait entendu quelques unes : par exemple, que Kili était atteint d'une maladie incurable qui l'avait totalement défiguré et qui rongeait son corps jour après jour, à tel point que sa famille avait tellement honte de l'image qu'il renvoyait qu'elle l'avait éloigné à jamais. Naturellement, le mot de trahison était souvent prononcé également. Certains assuraient que si Kili n'avait pas été de sang royal, si Thorin n'avait pas eu tant d'affection pour lui, sa tête aurait quitté ses épaules depuis longtemps... Mais le roi, affirmaient ceux qui colportaient cette rumeur, n'avait pas eu le courage de condamner à mort son neveu. Il avait préféré l'envoyer en exil on ne savait où. On affirmait parfois que Kili, renié par les siens, avait trouvé refuge dans la Comté, auprès du légendaire Cambrioleur. Il devait y avoir beaucoup d'autres histoires encore. L'imagination des foules est sans limite. Mais allez donc empêcher les gens de parler.
- Tant pis, décida Fili. Qu'ils disent ce qu'ils veulent, après tout. Il y a plus important que leurs commérages.
Pourtant, songea-t-il, il allait bien falloir informer le cercle restreint de l'entourage immédiat du roi. A commencer par ses propres enfants. Non. Si. Oui ? Fallait-il vraiment le leur dire ? Ils étaient tous les trois très attachés à Thorin. Fallait-il les préparer à l'inéluctable ? Oh misère, gémit intérieurement Fili. Voilà que ça commençait, il ne savait déjà pas résoudre ce premier dilemme ! Il y avait aussi Dwalin et les anciens de la Compagnie. Oui, eux devaient être prévenus. Fili sentit sa gorge s'assécher. Au nom de Durin, comment allait-il leur annoncer ça ?!
- Que j'aimerais que Balin soit encore parmi nous ! pensa-t-il.
A défaut de Thorin, il aurait pu trouver auprès de Balin des conseils avisés et un soutien moral solide. Hélas, Balin s'était éteint lui aussi, depuis déjà longtemps, après une longue vie bien remplie. Lorsque Fili disait que désormais il serait seul, ce n'était hélas pas des mots en l'air. Il savait qu'il pourrait toujours compter sur l'amour de ses proches et la fidélité de ses vieux amis, mais pour naviguer dans les eaux troubles et dangereuses de la politique et du gouvernement…. Il ne pourrait plus hélas compter que sur lui-même. Une sueur froide lui coula le long des tempes. Une fois encore, il repoussa l'anxiété qui menaçait de le submerger. Les priorités, Fili. Tu auras peur plus tard, pour le moment il y a des mesures à prendre.
Ah oui… il allait falloir organiser des… des… funérailles. Fili repoussa cette pensée avec horreur. Thorin n'était pas encore mort ! Il ne voulait pas penser à ça maintenant. Sauf que voilà, des funérailles royales, c'est autant dire une affaire d'état. Ca ne s'improvise pas comme cela. Il allait falloir prévenir Bain fils de Bard, l'actuel maître de Dale. Et Dain, le seigneur des Monts de Fer. Mouais... Dain se faisait très âgé, lui aussi. Il ne pourrait peut-être pas se déplacer. N'importe, il devait être prévenu. Ainsi que Thranduil, le roi des elfes, et leur parenté plus éloignée. Il allait falloir…
- Plus tard ! décida Fili.
Penser à cela alors que son oncle respirait encore l'emplissait de dégoût. Pourtant, il savait qu'il ne pourrait pas attendre que tout soit terminé pour au moins décider des mesures à prendre. Quitte à remettre leur exécution à plus tard.
Euh, encore autre chose ? Oh là là, et les négociations en cours, les ambassadeurs qui se trouvaient à Erebor ! Qu'allait-il faire de ceux-là ? Il ne pouvait pas les renvoyer, ç'aurait été une très grosse faute diplomatique. Ce qui signifiait qu'il allait les avoir dans les pieds pendant encore un très long moment. Et le conseil royal ? Ceux-là aussi, il allait falloir les avertir sans tarder. Et il savait d'avance que ça allait être houleux. Et dans tout cela, pourrait-il passer un peu de temps auprès de son oncle avant que ce dernier les quitte à jamais ? Lui laisserait-on seulement l'opportunité de le pleurer quand tout serait fini ? Hélas, Fili connaissait déjà la réponse à cette question. Thorin le lui avait répété mille et mille fois : un roi ne s'appartient pas. Quoi qu'il puisse éprouver, il ne peut se permettre de laisser ses sentiments guider ses actes, ni interférer avec le gouvernement de son royaume.
- Je ne suis pas roi, se dit Fili. Pas encore.
Là-dessus, il sentit la bile lui brûler la gorge à tel point qu'il eut envie de vomir. Il venait de réaliser que même s'il n'était pas le roi en titre, c'était à lui qu'incombait dès à présent de prendre toutes les décisions qui s'imposaient.
Cette pensée ne lui apporta aucun réconfort.
