Trois heures du matin, dans une cité universitaire de la banlieue de New York. Angel Bain, la vingtaine, tapait des mots sans suite sur son ordinateur. Quelque part dans le bâtiment à côté, une bande d'étudiants faisaient la fête à n'en plus finir. Entre les profs qui corrigeaient des devoirs jusque pas d'heure, ceux qui révisaient et ceux qui dansaient, peu d'habitants avaient l'oeil fermé. Mais personne n'était dehors. Et pour cause, il faisait moins cinq.

Quand une mystérieuse boîte bleue s'écrasa dans les poubelles de la résidence F, Angel ne leva pas les yeux tout de suite. Elle avait l'habitude des bruits bizarres causés par des étudiants bourrés ou des profs un peu dérangés – à moins que ce ne soit l'inverse. Ce fut plutôt la lumière au sommet du vaisseau qui lui fit lever la tête. Elle perçait directement à travers ses rideaux de voile blanc, comme un signal de détresse. Angel Bain leva la tête, et vit la lueur au-dessus d'une cabine de téléphone de police bleue lui faire un clin d'oeil. Elle secoua la tête pour chasser la vision, mais elle était toujours là.

Angel poussa un soupir. Ce n'était définitivement pas des étudiants ivres.
Elle sortit d'un tiroir de son bureau une lampe de poche et descendit au pied de l'immeuble E. En ouvrant la porte, elle eut un frisson. Ah oui, c'est vrai, il faisait moins cinq et elle ne portait qu'une chemise blanche comme la neige et un jean délavé. Le gel commençait déjà à recouvrir ses orteils. Elle remonta prendre un pull et des chaussures. Pas de doudoune. Il faisait froid, mais elle était habituée au froid. Ses parents étaient des immigrés scandinaves. La neige, chez elle, c'était comme une seconde nature.

Elle s'approcha de la boîte, sa torche à la main. Alors qu'elle n'était plus qu'à quelques mètres, la porte s'ouvrit. Angel recula. Un homme sortit alors de la cabine bleue en titubant. Il s'étala par terre sur le bitume gelé et tenta en vain de se relever. Angel se précipita pour l'aider et le releva tant bien que mal.
Il était conscient, mais très affaibli. Il avait besoin de s'allonger quelque part. Angel le soutint jusqu'au perron de l'immeuble. C'est alors qu'une tête familière apparut dans le petit hall.

-Hé, psssst, Angel, c'est toi qui fait tout ce boucan avec les poubelles ?

Piers avait quinze ans. C'était le plus jeune locataire du campus, et un beau petit surdoué un peu nerd sur les bords.

-Piers, qu'est-ce que tu fait encore debout ? Va te coucher ! rétorqua Angel.
-Je pourrais t'en dire autant, fit-il d'un ton blasé. C'est qui ? ajouta-t-il, désignant du menton l'homme en manteau de daim qu'elle soutenait tant bien que mal. C'est ton nouveau petit ami ? Remarque, il serait tem...
-T'occupe, souffla-t-elle. Et aide-moi à le porter jusque dans ma chambre.

Piers haussa les épaules. Il n'était plus à ça près, avec Angel. Alors qu'ils essayait de monter les trois étages en ahanant, il demanda :

-Dis, t'as entendu le boucan tout à l'heure ?
-Quel boucan ?
-Bien, les poubelles...
-C'était lui.

Elle poussa un soupir et poussa la porte de son mini-appartement, et retint l'homme pendant que Piers dégageait grossièrement le foutoir sur le lit.

-Bon sang, Angel, tu dors jamais dans ton lit ou quoi ? s'exclama le garçon. Et comment ça c'était lui ?

Elle l'allongea sur le lit et s'écroula sur sa chaise de bureau, épuisée.

-Je sais... pas... Il est arrivé comme ça, dans sa boîte bleue, il a explosé les poubelles, et est sortit un pied devant l'autre, à moitié bourré.

Les yeux de Piers devinrent ronds comme des billes. Il ouvrit le rideau et jeta un oeil à la cour. Dans la clarté nocturne, derrière une benne renversée, la lumière au sommet de la cabine de téléphone distillait une lumière rassurante.

-Bordel de merde ! s'exclama l'adolescent en la voyant.
-Comme tu dis.
-Tu crois que c'est un alien ivre ? Il se serait transformé en humain juste pour découvrir ce que ça faisait de se beurrer la gueule !

Angel poussa un soupir. Elle aimait bien Piers, mais ses idées sorties tout droit d'un film de SF quelconque étaient parfois franchement tirées par les cheveux.
Le pire, c'était que Piers n'était pas si loin de la vérité.