Lee Sungyeol. Tout le monde connaît son nom.

Il n'a rien fait d'extraordinaire, n'a pas de talent particulier.

Juste connu publiquement par le fait que sa mère fréquente les aides sociales.

C'est une faiblesse, dans l'univers scolaire, qu'on en connaisse autant sur sa vie privée. Il ne fait pas attention à son apparence, et reste solitaire. Chaque jour, il subit des moqueries, et même des attaques physique.

Et moi, j'y assiste. Je le connaissais avant tout ça. Nous allions au même centre. Un centre spécialisé. Je m'y rendais à cause de mes dépressions nerveuses. Je pouvais passer d'un extrême à un autre. Comme quoi mes sautes d'humeur étaient dangereuses pour mon entourage.

Lui c'était pour dépression tout court. Son père a quitté sa mère à sa naissance, les laissant dans la merde. Elle n'avait pas fait de grandes études, et n'avait jamais travaillée de sa vie. Ses habits étaient toujours usés, et il ne parlait pas beaucoup.

Un enfant de neuf ans en pleine dépression. Même maintenant, ça me surprend encore. Pourtant, d'après ce que j'ai compris, c'est plutôt courant.

En sept ans notre relation a changée. Il n'y avait plus de sourire. Nous qui étions proche, avons commencés à nous ignorer. Je me refermais, et lui s'éloignait. Il s'ouvrait aux autres. J'en voulais, et j'en veux encore à tout le monde. Je leur en veux de respirer. De vivre. De me parler.

Mon souhait le plus cher serait qu'ils disparaissent. Tous. Lui y compris.

Jusqu'à nos années lycée. Là, c'est moi qui ai repris la domination. Il a enchaîné problème sur problème, et devenait de plus en plus asocial. Pendant ce temps là, ma popularité augmentait.

Je l'ai croisé. Au psy. C'était la première fois que je le voyais d'aussi près, depuis tout ce temps. Je m'y rendais le mercredi matin, un horaire où il y a très peu de monde. Il rentrait dans le cabinet , l'air ailleurs.

Nos regards se sont croisés. On ne s'est pas salué, ni rien. Juste fixé. Depuis, je l'observe, quand il essaye de se fondre dans le troupeau. C'est intéressant. Je me sens proche de lui, à nouveau. Comme si il pouvait comprendre. Comprendre ce que je ressens. Ce sentiment de gêne, lorsque je suis entouré.

Même mes amis, je ne les considère pas réellement comme tel. Ce sont des gens supportables, c'est tout. Ils ne me comprennent pas, et ne me comprendront jamais.

C'est toujours là. Une envie de me cacher, de rester seul. Loin des autres. Dans un endroit sombre et silencieux, sans personne pour m'approcher. Sans personne pour tisser des liens.

Mais lui c'est différent.

Nous allons au même soutien scolaire. De ce que j'entends des éducateurs, il n'en a absolument pas besoin. Mais il aime apprendre, découvrir.

Ce mardi n'échappe pas à la règle. Il est seize heure quarante cinq et je me rend au soutien. Le local se situe dans un immeuble habité. Le gardien nous demande d'attendre dehors. Qu'il vente, ou qu'il neige. Même sous la pluie.

Il ne veut pas que l'on embête les locataires, je suppose.

Comme d'habitude, j'arrive en avance. Tout comme lui. Il est assis à même le sol, la tête appuyé contre un mur, le regard dans le vague. Il ne se soucie pas de moi.

Un long cou, un visage allongé. Une pomme d'Adam proéminente. Un teint pâle, des joues rebondies, et une moue naturelle. Si il faisait des efforts, il pourrait être attirant. Mais ce n'est pas avec ses pulls trop grands, ses jeans usés, qu'il arrivera à quelque chose.

Et cette aura, aussi. Il dégage un malaise, un manque de confiance. Comme si ses jambes trop grandes, ne pouvaient pas le porter. Alors qu'il suffit de relever la tête vers ses yeux pour sombrer dans un abysse sombre et inquiétant.

Une fois son regard croisé, une gêne s'installe. Inévitablement. Comme si ces yeux n'appartenaient pas au même corps. Des yeux calculateurs.

-Myungsoo ?

Sungjong. Un simple signe de tête, et il trottine vers moi, un sourire aux lèvres. Sungyeol nous lance une œillade discrète, et replonge dans sa contemplation du vide. Sungjong me raconte sa journée, et ses projets pour le week-end. Je l'écoute en silence, toujours concentré sur Sungyeol. Sungyeol et sa peau pâle. Sungyeol et ses cheveux longs. Sungyeol et son cou d'homme. Sungyeol et ses épaules carrées, pourtant tombantes.

-Myungsoo, tu m'écoutes ?

Il paraît agacé. Je le sens suivre mon regard, et sourire d'un air malin.

-Tu passes ton temps à le fixer, ces derniers temps.

-Pas vrai.

-Si, si. À la cantine, au C.D.I, et même aux cours que nous avons en commun. C'est encore plus flagrant au soutien.

Je secoue la tête, et reporte à nouveau mon attention sur Sungyeol, en entendant une sonnerie de portable. Sungjong continu de parler, sans que je ne l'écoute vraiment.

Sungyeol sourit. Un beau sourire, un grand sourire. Un sourire gingival mettant en valeur ses lèvres. Si il souriait plus souvent, il serait entouré. C'est sûr. C'est un sourire confiant, pur. Loin de l'air blasé qu'il affiche continuellement. Comme si sa propre présence le mettait mal à l'aise.

Sa présence me met mal à l'aise. Ils me mettent tous mal à l'aise.

Je me souviens d'un jour où l'on nous avait comparés, tous les deux. Certaines personnes se sont tout de suite énervées, outrées par le fait qu'on me compare à lui. D'après elles, quelqu'un comme moi, quelqu'un de normal, quelqu'un de beau, quelqu'un ayant des moyens, ne devait pas être comparé à lui.

Qu'on les fasse taire. Ils ne savent rien, sur moi. Sur lui. Sur nous.

Je plonge facilement dans mes pensées. Loin d'ici. Dans un autre endroit que cette classe étouffante, avec tous ces regards curieux, presque affamés, qui me fixent.

Lui aussi, il est dans ses pensées. Ça se sent, ça se voit. Il s'échappe. Il se force, souvent, même. Quand tout le monde s'attroupe autour de lui, pour sa séance d'humiliation quotidienne, il ferme les yeux. Pour voir autre chose qu'une bande d'adolescents aux hormones bouillonnantes, prêts à tout pour un peu de reconnaissance.

-Les enfants, désolé du retard !

Junsu. Xiah Junsu. Un des éducateurs les plus apprécié. Il est très doux dans sa manière d'expliquer, et se comporte avec nous comme si nous étions ses propres frères, ou ses enfants. Il est suivi par Park Yoochun.

Je sais qu'il y a un truc entre eux. Il n'y a qu'à voir le regard qu'il lui lance. Dégoûtant.

-Myungsoo, dépêche toi, il caille ! Me presse Yoochun, me poussant légèrement.

À peine suis-je entré dans la salle que Sungyeol est déjà assis à part, sortant ses affaires. Il se plonge très vite dans ses cahiers, se coupant du reste du monde. Je vois Yuhno, un autre éducateur, se diriger doucement vers lui, un sourire paternel sur le visage.

Ils ont une relation particulière. Sungyeol semble plus ouvert à ses côtés. Yuhno fait parti des seuls qu'il laisse approcher, sans se refermer comme une huître. Il dégage plus d'assurance, et de gaieté, quand il est comme ça.

-Myungsoo, tu pourrais te concentrer sur moi, deux minutes ? Je ne comprends pas l'exercice.

-Sungjong … grognai-je. Ça va faire la quatrième fois que je t'explique.

-En même temps, vu son niveau .. Une quatrième ou une cinquième fois ne seront pas de trop, intervint Yoochun.

Sungjong fait la moue, et me désigne nos cahiers d'un coup de tête. Je recommence mon explication avec un sourire taquin. Remarquant mon sourire, il me fait une petite bourrade amicale. L'ambiance est décontractée.

C'est pour ça que j'aime venir ici. Les adultes sont à l'écoute, et ne passent pas leur temps à nous sonder, comme de vulgaire cobaye. Pas comme nos professeurs. Pas comme nos parents. Tout se dit ici.

L'heure passe , les devoirs finis, dix huit heure sonne. Une porte claque, et des pas pressés se font entendre. Un Dongwoo essoufflé fait son entré.

-J'ai fait le plus vite que j'ai pu, mais aujourd'hui l'entraînement a terminé plus tard que prévu.

-C'est rien, mais ne perd pas de temps. Mets toi où tu veux, ChangMin arrive dans quelques minutes, il t'aidera pour ton exposé.

Dongwoo acquiesce, et se dirige vers nous, souriant. Il a le même sourire que Sungyeol. Un sourire communicatif. À la différence que celui de Dongwoo est toujours plaqué sur son visage, rares sont les fois où on peut le voir aborder une expression sérieuse.

Quelques minutes plus tard, c'est autour de ChangMin de faire son entré, les bras remplis de livres. Son équilibre paraît précaire. Prêt de lui, Sungyeol se lève et saisit quelques bouquins, lançant un petit sourire timide à ChangMin.

Derrière lui, Yuhno paraît fier. Il fixe Sungyeol d'un regard protecteur. Le genre de regard que donnerait un père à son fils.

Mal à l'aise face à cette scène, je détourne les yeux. Je ne sais pas, comme une sorte de tension. Une tension qui me tiraille l'estomac.

[…]

-Les enfants, c'est fini pour aujourd'hui !

Vingt heure tapante. Une fois les adieux faits, nous quittons tous le local. Sungyeol est à quelques pas derrière moi, il jette des regards fréquents à son portable. Comme tout le long du soutien. Et le tiraillement est toujours là.

Un peu plus loin, une ombre joue sur les murs. Une odeur particulière se dégage, du parfum. Un parfum doux, très doux. La flagrance provient de ma gauche, et se fait plus forte quand Sungyeol nous bouscule.

-Sunggyu hyung !

Se jetant au cou de l'homme, il explose d'un rire heureux. Le type le prend par le bras, en lui ébouriffant les cheveux. Sungyeol rit plus fort.

-Eh bien, il a des amis en fait, dit Sungjong, en me poussant du coude.

Le tiraillement se fait plus fort. Douloureux. Ça fait mal.

Il s'extériorise. Pas moi. Il sait rire, sourire. Il ne fait pas semblant. Pas moi.

Il prend goût à la vie, et pas moi. L'air a du mal à passer, l'amertume comprime mes poumons. J'aurais pu être à sa place. À leur place. Et sourire.

-Myungsoo ? Qu'est-ce qui ne va pas ?

Sungjong s'approche de moi, et me serre l'épaule. Une prise légère, amicale. Je le repousse. Qu'il dégage. Qu'il aille en enfer. Accélérant le pas, j'ignore les regards que me lancent Sungjong, et Dongwoo.

Ainsi que ceux de Sungyeol.

Il me dépasse encore. Comme avant. Il y arrive mieux que moi. Comme en primaire, il me laisse encore derrière. Seul. Il s'en cogne de moi.

Il est heureux, lui.

Pas moi.