Blue in you, Red in me
Light on : Aoi sky
1 – the end
Nom véritable : Takeshima Atsuaki. Nom de code : Uruha. Arme : Beretta '999.7'. Rang : bras droit. Et c'était tout ce qu'il y avait à savoir. En fait, c'était même le maximum. Son vrai nom, seul le Haut Siège le connaissait. Son arme et son rang étaient connus de son équipe. Point. Son existence... De quelques malchanceux.
Encore une journée de pluie sur Tokyo. Tokyo la moche. Tokyo la dépravée. Qu'il aimait cette putain de ville. A chaque fois qu'il devait foutre les pieds à l'extérieur, il déprimait sec et se gavait de café. Le café. Son deuxième meilleur ami. Après Tokyo. Ensuite, il y avait Nine, son flingue. Mais tous deux avaient des relations de travail, ça foutait un peu l'amitié en l'air. Il préférait ne pas être trop proche. C'était tout. Pas de bolide à faire reluire, pas de chien, ni même de poisson rouge. Pas d'ami humain. Ceux-là, c'étaient les pires. Toujours à vous dire quoi dire et quoi faire pour faire plaisir aux autres. Il haïssait les humains, pourquoi devrait-il chercher à leur faire plaisir ? Ou même à leur ressembler ? Les humains... Ne servaient qu'à jouer. Une clique de pétasses pour la nuit, son contrat les jours de travail, un péquenot dans un bar de temps en temps. Chacune de ces catégories recevant un traitement différent des autres. Il fallait bien varier les plaisirs.
Ce soir, c'était la clique de pétasses. Nine était encore dans son holster, elles allaient bientôt le découvrir, s'émerveiller, le coller un peu plus et oh oui ! Vive Tokyo la dépravée, la débauchée. Il y avait toujours un coup à tirer quelque part. Les trois nanas n'arrêtaient pas de babiller et lui... ben il regardait sous les jupes. Facile, il était vautré dans son siège, elles étaient en face de lui, les fesses à peine recouvertes de bouts de tissus ultra-minis, ultra-tendus, ultra-inutiles. Tiens, il y en avait une qui avait commis l'erreur de mettre un sous-vêtement en soie. Tant pis pour elle, elle allait sûrement le perdre.
-Bon, les filles ! Il est temps pour moi de rentrer !
Il se leva en s'étirant, sous un concert de « oooh ». C'était mignon comme elles minaudaient. Il s'excusa rapidement, tourna les talons, atteignit la porte puis... Il fit semblant d'hésiter, de réfléchir, la main sur la poignée. Un petit coup d'œil par-dessus son épaule. Voilà, elles croisèrent son regard. Espérance. Il afficha un sourire timide. Et revint vers leur table.
-Bon... Je dois nourrir mon chat mais si vous voulez venir, je peux vous offrir un petit truc à boire à la maison. Et je vous montrerai ma collection de guitares.
Elles étaient ra-vies. Pas dupes. Mais c'était le jeu. On inventait des excuses pourries pour se taper du bon temps. Il trouvait ça stupide. Les gens perdraient moins de temps s'ils se disaient tout de suite qu'ils avaient envie de baiser. Un coup tiré vite fait dans les chiottes du bar et c'était réglé. Mais non. La mode était à la fausse subtilité. Et il devait bien avouer qu'il aimait ça. Jouer. Manipuler. Se faire désirer. Aguicher. Tout ça.
Le chat n'avait jamais existé et la collection de guitares était plutôt une collection de flingues. Tous ceux qu'il avait utilisés. Une trentaine, qui recouvrait les murs de son bureau. Enfin, bureau... Ca ressemblait plutôt à un magasin d'armes, avec tout le métal qui traînait partout. Il y avait même un couteau fiché depuis des semaines dans la table. Il trouvait ça joli. Il avait même scotché une petite fleur sur le manche. Okay, elle était fanée. Mais il n'avait pas que ça à foutre que de jardiner.
-Allez, allez ! Par ici les filles !
-C'est où par là ?
Comment elle s'appelait déjà la blonde ? Caroline ? Céline ? Crétine ? Un truc comme ça.
-Pas « là » mais « ici » j'ai dit. Et bien, on va voir le chat.
Qui ressemblait plutôt à un loup mais soit. Il aurait plutôt dût parler d'un chien, ça aurait été de la même famille au moins.
Il poussa la porte de sa chambre. Merveilleuse chambre. Avec un merveilleux lit, merveilleusement grand, merveilleusement moelleux et aux ressorts merveilleusement tout neufs qui ne grinçaient pas. Et malgré tous ces atouts, il fallut que sa soirée soit gâchée.
Il avait à peine commencé les festivités, puisqu'une seule des filles avait eu le droit à sa ration, qu'on toqua furieusement à sa porte. Il hurla un « QUOI ? » qui voulait clairement dire « fous le camp ». Mais l'autre insista :
-T'es pas tout seul Uruha !
-T'es pas tout seul Uruha ! reprit-il d'une voix exagérément aiguë. Gnagnagna. On n'est pas tous puceaux ici ! Retournes jouer avec tes puzzles et fous-moi la paix !
-Je ferais un rapport à Ruki !
-Qu'il fasse, qu'il fasse... murmura-t-il. Du moment qu'il se barre.
-Oh mais tu t'appelles Uruha !
-Heu... Ouais ! Oublie-ça chérie, c'est sans importance. Viens là plutôt.
Ils reprirent les réjouissances très rapidement, pour son plus grand bonheur. Et pour son plus grand malheur, son voisin ne comptait pas baisser les bras. Cette fois, il ne prit pas la peine de frapper. Il fit carrément irruption dans son sanctuaire sacré de la baise pour menacer ses cruches persos de ses deux gros calibres. Bourrin.
-Dégagez les filles.
Marrant comme sa tête et sa voix n'allaient pas du tout avec ses armes. Il parlait beaucoup trop poliment. Doucement, si bien que le trio n'était nullement impressionné, elles étaient persuadées qu'il ne s'agissait que d'un coup de bluff. En un sens, elles n'avaient pas tord. Non, les filles, il fallait les insulter, leur dire qu'elles étaient moches et tout leur sens superficiel s'indignait assez pour ordonner à leurs jambes de déguerpir loin des rustres qu'ils étaient. Uruha décida de prendre les choses en main, parce que franchement son apprenti lui faisait pitié. Il porta quelques tapes sur les fessiers de deux des demoiselles les moins habillées.
-Oh, mais serait-ce de la cellulite que je sens là ?
SBAF ! Et de une.
-Ah mais j'avais pas remarqué, t'as des hanches super larges. J'ai dû décuver entre temps.
SBAF ! SBAF ! Au tour de la dernière.
-Tu comptes laisser tes copines toutes seules ?
Bien sûr que non. La chambre se vida bien plus vite qu'elle ne s'était remplie. Uruha soupira longuement. Aoi. Ce petit con avait foutu en l'air une demi-heure entière de préparation au bar. Il devrait se rendre compte. Parfois, claquer des doigts ne suffisait pas.
Il se rapprocha du petit brun, l'air menaçant. Ca ne suffit pas à le déstabiliser. Il devait se croire à l'abri avec ses deux flingues.
-Tu peux pas t'habiller ?
-Pourquoi ? Tu comptes rester là ? T'as envie de te faire défoncer le cul ?
-Yeurk. Pas franchement. Mais j'ai à te parler.
Hop. Une petite clope. Ca détendrait un peu ses nerfs légèrement mis à l'épreuve.
-Sérieux ? Ca te décoincerait un peu je suis sûr. Regarde un peu comment t'es fringué.
-Ben quoi ? Je dormais.
-Je ne dors pas en pyjamas bleu clair avec des petits nuages ! Et... OH MON DIEU ! Est-ce que tu pionce VRAIMENT avec des chaussettes de lit ? Ohlala, ça ne va plus. Tu me fais trop honte !
Pour toute réponse, il se reçut son peignoir en soie dans la figure. S'il insistait. Et puis, il aimait le contact de la soie sur sa peau. Ca l'excitait. Comme tout un tas de choses d'ailleurs.
-Monsieur est heureux ? Monsieur ne se sent plus agressé par cette magnificence ?
Il eut alors une idée qui étira ses lèvres en un sourire particulièrement moqueur.
-Ou alors... t'es jaloux ?
-Débande un peu putain ! Tu me gonfles.
-Ben quoi ? C'est plutôt un bel attirail. Il serait pas dans cet état si tu avais laissé les trois hôtesses s'en occuper.
Aoi se décida à poser ses fesses sur le lit. Personnellement, il aurait préféré qu'il se décide carrément à dégager. Mais il était dans un bon jour, alors il prit place lui aussi.
-Bon alors ? Accouche, tu veux ?
Aoi avait l'air déprimé. Il refusa même une cigarette. C'était grave. Il s'en foutait mais dans un groupe, il fallait maintenir les liens à peu près soudés. Ce genre d'occasions servait précisément à ça.
-Le Haut Siège nous a confié une nouvelle mission.
-Ah cool. Du blé. Ca paie bien ? On doit tuer qui ?
-Ben, c'est ça qui me chiffonne. Personne.
-Personne ?! Tu rigoles là ? Mais c'est à ça qu'on sert ! Tuer des gens ! Et il faut qu'on fasse quoi ?
-Protéger un convoi.
Oh merde. Il allait devoir sortir de Tokyo. Bon, demain, à la première heure, il ferait sa réserve de café. Et de clopes aussi. Desfois, ils n'avaient pas sa marque. Et c'était inadmissible.
-Il va où ce convoi ?
-Nulle part. Enfin, faut juste traverser Tokyo. Le souci, c'est que c'est des prisonniers de la mafia.
Outch. En effet. Aoi avait soulevé un grave problème. Le pauvre avait dût faire dans son froc en apprenant ça.
-Et il en pense quoi Ruki ?
-Il était furax. Il est encore dehors.
Tu m'étonnes. Si Ruki n'avait pas été furieux, ça aurait été qu'un truc tournait pas rond. Il devait certainement être en train de réfléchir à un moyen de les tirer de la mouise.
-Vas te coucher Aoi. Et t'inquiètes pas. On se fera pas descendre.
Ce n'était plus le moment de délirer. Uruha se leva, la mine grave, et commença à rassembler quelques fringues. Il devait absolument retrouver Ruki. Ca ne devrait pas être trop difficile. Il traînait toujours dans les mêmes coins sordides pas drôles.
Ca faisait huit ans qu'il faisait partie de la section ultra-confidentielle des forces armées du Haut Siège. Ils étaient cinq agents gouvernementaux, payés au contrat, qui n'avaient aucun droit de refus sur ces contrats et ne pouvaient rien réclamer. Ils avaient le permis de tuer... uniquement les contrats. En fait, ils devaient tuer les noms qu'ils recevaient, point. Il y avait quelques inconvénients. Par exemple, leur identité était effacée de tous les organismes sociaux, bancaires et autres. Leurs véritables noms n'étaient connus que du Haut Siège. Il leur était bien sûr interdit de le révéler à qui que ce soit, y compris aux autres membres de la section. Ils ne pouvaient pas se marier, faire des gosses, ce genre de choses. Normalement, ils n'avaient pas trop le droit d'emmener des gens chez eux. Mais que pouvaient faire quelques filles, franchement ? Il y avait tout de même quelques avantages. Ils étaient payés chers, n'avaient pas de compte à rendre à la justice du moment qu'ils ne descendaient personne sur un coup de folie... C'était à peu près tout. Oh, et ça lui permettait de libérer ses pulsions meurtrières.
Tous les cinq avaient été recrutés le même jour, rassemblés dans une pièce avec une nana en tailleur, chignon et lunettes carrées. La fonctionnaire de base. Pas moche. Pas jolie. Pas humaine. Et elle leur avait expliqué qu'ils formaient maintenant les GAZE. Bien sûr, il s'agissait d'un sigle. Qu'elle n'avait pas pris la peine de leur expliquer. Reita passait son temps à émettre des hypothèses sur le sujet. Il n'avait pas beaucoup de distractions dans sa vie le pauvre garçon. Après, la secrétaire, qui était restée leur point de liaison avec le Haut Siège, avait fait les présentations.
Ruki. Le chef. Arme : le '69', sixty-nine. Un revolver en argent à deux canons, une seule gâchette. L'astuce ? L'un de ces canons était dirigé vers le tireur. Il n'y avait que Ruki qui savait comment faire partir la balle dans le bon tuyau. Passé ? Apparemment, il aurait fait l'armée. Mais c'était confidentiel.
Lui, Uruha. Bras droit de Ruki. Avait tué sa petite sœur par accident, avec la tondeuse à gazon. Depuis, était traumatisé, avait cherché à tuer d'autres gens pour une raison incomprise des spécialistes. Pourtant, ça l'aurait bien arrangé qu'on perce le mystère de sa tête, parce que lui non plus n'y comprenait que dalle.
Aoi. Bras gauche. Son apprenti. Armes : deux gros calibres, Omoi et Kokoro. Des noms de tafiole. Un jour, il lui apprendrait comment être un homme. A ce qu'il savait, toujours puceau. Mais en couple, donc pas puceau. Enfin, il avait quand même trente-et-un balais et une queue (il avait vérifié). Ils étaient juste... discrets. Coincés ! Il ignorait tout du passé d'Aoi, qui semblait blanc comme neige. Mais il avait bien dût faire quelque chose de mal pour avoir intégré GAZE.
Reita. Soutien. Arme : fusil à deux canons. Lui, il était là pour faire du lourd. Veiller à ce que tout se passe bien autour, qu'ils ne se fassent pas prendre par surprise dans le feu de l'action. Plutôt tireur d'élite, il l'avait vu atteindre une cible avec son fusil pas précis du tout à une distance incroyable. Et sans transpirer. Petit détail : se fringuait comme un cow-boy, avec un foulard sur le nez. Il serait sensible aux graminées.
Kai. Le nettoyeur. Arme : mitraillette. Il passait derrière eux pour finir le sale boulot, éliminer les témoins gênants... enfin les témoins. Un soleil sur pattes. Toujours de bon poil. Uruha le soupçonnait d'avoir été clown. Prenait un air renfrogné quand il se concentrait sur ses dessins et sa peinture (sa passion). Son préféré. Parce qu'il faisait pas chier et qu'il lui donnait plein de trucs sans rien demander en retour. Des biscuits qu'il faisait lui-même par exemple.
GAZE. Ruki, Uruha, Aoi, Reita et Kai. Cinq hommes réunis pour tuer. Tout ça pour cacher les magouilles du nouveau gouvernement de Tokyo. Et personne ne s'en plaignait.
Ruki. Blond. Les cheveux en épouvantail. Avec des tas de bijoux dedans. Des fringues voyantes, du genre avec des paillettes, du tissu doré, des foulards ici ou là, un peu trop de ceintures pour quelqu'un de sa corpulence. C'était sûr, ce mec avait été obligé de porter l'uniforme et maintenant il se défoulait. Même ce qu'il buvait lui faisait mal aux yeux.
-Hey ! l'apostropha Uruha.
Il posa ses délicates petites fesses enroulées dans du cuir moulant sur la chaise qui faisait face à son boss et pour s'intégrer immédiatement à l'ambiance du lieu, s'alluma une cigarette.
-'lu. T'es au courant ? C'est trop la merde.
Bon. Ruki n'y allait pas par quatre chemins. Droit au but. Comme toujours.
-Ouais, le petit m'a raconté. Paraît que t'étais en rage.
Silence. Ils n'avaient pas besoin de rajouter autre chose. Ruki vida son verre d'un trait. Est-ce qu'il pisserait en bleu fluo ?
-Sur le coup, j'ai pas d'idée tu vois. J'ai l'impression qu'on s'est déjà sorti d'un merdier pire que ça pourtant. A l'impro, j'ai des doutes. On risque de se prendre le lourd de la mafia là. Et ils nous épargneront pas si on se met en travers de leur route. Ils ont rien à gagner.
-Qui aurait cru que jouer double-jeu serait aussi risqué ? Franchement.
-Ta gueule. Je sais que j'ai fait une connerie. Mais je croyais qu'on ramasserait des bons trucs au final. Qu'on réussirait à se libérer de l'emprise du Haut Siège.
-Et qu'on irait faire bronzette sur une plage des Bahamas en dépensant le blé qu'on aurait récupéré au passage. Je sais tout ça. J'ai pas validé ta décision pour rien. Alors culpabilise pas. Faut plutôt essayer de trouver une solution. Ou on va tous y passer. Le gamin aussi.
-Il est plus vieux que toi je te rappelle. Et il fornique pas comme un ado désaxé à droite à gauche.
Uruha était plutôt habitué à ce genre de remarques, alors ça ne lui fit absolument rien. Il tapota néanmoins le centre de la table avec son ongle manucuré, histoire de rappeler Ruki à ses devoirs.
-Ouais bah plutôt que de me chercher des poux, trouve des solutions. C'est toi le cerveau. Je ne suis qu'un pauvre bras tout juste bon à viser entre les deux yeux.
Deux heures plus tard les deux hommes sortirent du bar mal famé. Ils savaient quoi faire. Ce n'était pas glorieux. La réputation de GAZE allait en prendre un coup. Au moins, ils n'étaient connus que par le Haut Siège. Ca réduisait les dégâts sur son ego majestueux. Maintenant, il devait mettre Reita et Kai au point avant le matin. Il n'avait pas envie que demain voit les derniers instants de GAZE. Et surtout, que ce soit la fin de sa vie.
