NA : Petit OS écrit dans le cadre de la nuit FoF !
Automates. Petits pantins de chair, d'os et de vie. Petits êtres sans conscience. Nous étions devenus des corps, juste des corps. Nous n'étions plus des personnes à part entière avec des organes et des sentiments. Ils avaient fait de nous des soldats, de futurs combattants, pour une guerre que nous ne pourrions jamais comprendre. Des machines que l'on commande à distance, des armes que l'on déclenche au moment opportun… Nous n'étions plus humains.
Chaque année, on sert les dents, on retient son souffle, on voit un proche, un camarade de classe, une amie, un frère, une tante, un cousin, une copine partir et ne jamais revenir. On les revoit sur un écran, un amas de pixel, faisant d'eux des êtres irréels, alors que moi, je les ais connus en couleur, et en vraies. Pas sur ces artifices, pas sur cette grande toile tendue à l'hôtel de ville ou tout le monde s'agglutine pour voir le massacre.
Et moi, dans tout ça, je me demande quel est le but, quel est l'objectif. Qu'est-ce qu'on veut accomplir ? Pourquoi tant de massacre, pourquoi tant de haine, de peine ? Pourquoi eux, et pas moi ?
-Minerva ? Minerva !
Mon prénom, ce n'est même pas réellement le mien. C'est celui d'une ancienne gagnante. Mes parents ont voulu lui rendre hommage. Même ça, ça ne m'appartient pas réellement. Peut-être la vingtième édition, je ne sais trop rien. Je n'ai jamais suivi les cours d'Histoire, parce que ce n'est pas de l'Histoire. C'est de l'histoire. Ce sont des contes. Ce n'est que ce qu'on veut nous faire croire. Et croire, c'est se voiler la face, c'est condamner l'objectivité, c'est laisser place aux discours subjectifs. Le Capitole, c'est un nid de mensonges.
On punit les enfants d'une génération qui a existé il y a plus de trente ans maintenant. Et j'ai ces questions dans la tête, qui tourne et tourne en rond, qui font des ricochets dans ma boîte crânienne. Et je ne comprends pas, je cherche encore et toujours une réponse. Qu'est-ce qu'on a fait ? Est-ce que tout ceci est vraiment normal ? Peut-être que je suis la seule à penser ainsi. Sûrement. C'est moi, qui ne suis pas normale.
Et moi dans tout ça, je me demande comment on en est tous arrivé là. Comment peut-on envoyer des enfants mourir ? Comment peut rester de marbre face à une gamine de douze ans se faisant écorcher vive sous nos yeux ?
-Minerva ! Concentre-toi ! Tu n'as aucune chance d'être désignée pour participer aux Hunger Games ! C'est ta dernière année !
Je regarde Octave de haut en bas. Comme tous les enfants du District un, j'ai suivi un entrainement intensif et on m'a préparé toute ma vie pour faire de moi l'un de leurs précieux automates qu'ils pourront exhiber en public. Mais moi, je ne veux pas de ça. Je veux juste vivre. Je veux juste regarder ma petite sœur grandir, accompagner mon père dans ses derniers instants et admirer ma mère encore longtemps. Leur bain de sang, leur torture et leur spectacle morbide, je n'en veux pas.
« Il n'y a que le Roi qui dit je veux, Minerva »
Et pourtant, je devrais avoir le droit de disposer de ma propre vie. Je ne dispose que d'un crédit, je ne suis qu'en location. Je paye une goutte de sang tous les ans depuis maintenant sept ans. Je ne suis qu'en sursis. Heureusement que je suis dans le District Un, ou les volontaires se bousculent par centaines. Bande d'inconscients, si vous saviez.
Et moi dans tous ça, je me demande quand est-ce que l'on va comprendre. Quand allons-nous vivre sans la peur de voir quelqu'un que l'on connait mourir aussi violement ? Quand vais-je pouvoir souffler, pouvoir parler de mon angoisse face à Panem, ce monde ou je n'ai pas ma place ?
Je n'ai jamais été une enfant violente, comme pouvait l'être les autres. Mon père m'a toujours dit qu'avoir un peu de jugeote, c'est mieux que d'avoir des muscles. Ma mère, elle, a toujours fait primer l'intelligence et la malice face à la brutalité et aux mensonges. Et pourtant, je suis la seule à être répugnée par ce que je vois tous les ans. Ils sont comme le reste des habitants de Panem. Ils applaudissent, sifflent, huent, admirent, pleurent devant ces jeux de la faim.
« Tu le fais toi aussi, Minerva ! »
Peut-être qu'ils font semblant, comme moi. Peut-être que je ne suis pas la seule.
-Minerva ! Mais à quoi tu penses ?
Les lèvres d'Octave se posent sur les miennes pour me tirer de mes songes. Je lui souris pitoyablement et mon masque se fissure un peu. Octave sera sélectionné pour se porter volontaire cette année, tout le monde le sait. Octave, cet abruti de première…
-N'y participe Octave, je murmure malgré moi.
Octave lâche son glaive. Le métal de la lame tinte sur le sol. Il me prend par le bras et m'entraîne dans les vestiaires.
-Tu sais que c'est mon rêve depuis toujours, Minerva ! Pourquoi tu me dis ça ?
-Parce que je t'aime vivant ! Avec deux bras, deux jambes, deux yeux, deux oreilles, toutes tes dents, tes organes et ta santé mentale !
De trop nombreux vainqueurs sont revenus changés de ces maudits jeux. Ils ont tous plongé dans une douce folie, dans une espèce d'addiction qui les rend dangereux. Alcool, jeux, drogue, violence, complaisance, ignorance… Ils sont tous l'ombre d'une personne, l'ombre d'une ombre. Quoique. Pour qu'il y ait une ombre, il faut du soleil. Eux, ils n'ont pas de soleil.
-Tu as peur ! s'étonne le brun, les yeux grands ouverts par la surprise.
Je voudrais lui dire que je n'ai pas peur. Mais c'est faux. C'est la peur qui me fait prendre conscience de tout ce qui ne tourne pas rond ici. La pluie, ça mouille, le feu ça brûle, et vos putains de jeux, ça tue !
-Evidemment que j'ai peur !
-Je ne peux pas mourir, Minerva ! Tu le sais bien !
Je lui pince très fort au niveau du bras et lui assène un coup de poing brutal qui me fait mal aux phalanges. La douleur se répand dans toutes ma main et m'arrache une grimace.
-Ca, Octave, c'est de la souffrance. Tu vas avoir un bleu. Parce que du sang coule dans tes veines. Et ce sang, tu vois Octave, il suffit qu'on perce ton corps pour qu'il s'écoule et que tu meurs ! T'es humain Octave ! Tu peux mourir !
Il me sert dans ses bras et j'étouffe mes larmes dans son cou.
-Je n'abandonnerais pas mon rêve parce que tu as peur que je meure Minerva. Et tout se passera bien ! Je suis un Tribut de Carrière, je ne risque rien…
J'ai beau essayer de le raisonner, ça ne fonctionnera pas. Je le sais. Et moi, je me demande quelle sera la fin de cette histoire ?
Automates. Petits pantins de chair, d'os et de vie. Petits êtres sans conscience. Nous étions devenus des corps, juste des corps. Nous n'étions plus des personnes à part entière avec des organes et des sentiments. Ils nous ont bien fabriqués. Ils m'ont juste un peu raté, moi.
Je devrais être contente, je devrais être fière à l'idée de voir Octave sur cette estrade, en train de serrer la main de la fille qui sera choisie pour être Tribut. Je devrais lui montrer mon admiration. Et pourtant, je le regarde, aussi vide, aussi anéantie qu'il est possible de l'être. L'homme que j'aime…
Automate… Automate. Depuis toujours, c'est ce que nous sommes. Et je me demande ce que Panem va m'enlever ? Je touche mon abdomen encore plat. Je devrais dire à Octave ce qui grandit en moi. Je devrais lui avouer. Et pourtant je ne dis rien. Je ferme les yeux et je savoure un instant le goût de sa bouche sur la mienne.
Octave est l'un de leur automate. Mes parents, ma sœur le sont aussi. Tous, ils le sont tous. Tous des automates. Même moi… Et je me demande si je ne porte pas aussi la vie de l'un des leurs. La vie d'un futur automate.
