Bras dessus bras dessous, ils avaient continué à chanter jusqu'à leur sortie du poste, sans porter la moindre attention aux regards amusés des officiers de garde croisés sur leur chemin. Une fois dehors, tandis que le Capitaine Montgomery et les gars rejoignaient le parking pour récupérer leurs véhicules respectifs, Castle et Beckett décidèrent d'un commun accord de partager un taxi qui les conduisit jusqu'au Old Haunt.
Durant le trajet, Beckett remarqua que Castle ne cessait de la fixer.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle au bout d'un moment.
- Rien, c'est juste que...Alors, comme ça, vous avez un...tatouage ?
Beckett sourit mais ne répondit pas, préférant regarder par la fenêtre.
- Allez, sérieusement, Beckett ! Ça représente quoi ? Où est-ce que vous l'avez?
Elle se retourna vers lui et lui lança un regard amusé.
- Ça vous intrigue, hein? Mais je ne dirai rien.
- OK, peu importe. Vous savez quoi ? Je finirai bien par savoir.
- Dans vos rêves, Castle !
- Faites attention, Lieutenant. Mes rêves finissent toujours par se réaliser !
Tous deux amusés par cette petite joute verbale, ils se défièrent un instant du regard, le sourire aux lèvres, puis le trajet se termina sans un mot.
Une fois à destination, ils attendirent sur le trottoir l'arrivée de leurs amis, et alors que Castle ouvrait la porte pour les laisser entrer, Kate eut un temps d'hésitation :
- Allez-y, je vous rejoins dans un instant. J'ai...
Elle sortit son téléphone de sa poche.
- Je dois passer un appel. J'en ai pour cinq minutes.
Castle hocha la tête et suivit ses compagnons de soirée. Kate ne pénétra dans le bar qu'une quinzaine de minutes plus tard. Rick, qui avait la faculté quasi-innée de savoir analyser chaque micro-expression de sa partenaire, fut le seul à remarquer son air contrarié, et ce malgré le sourire qu'elle affichait tandis qu'elle les rejoignait à leur table. Prenant place à côté de lui, elle constata qu'ils l'avaient attendu.
- Vous auriez pu commencer sans moi.
- Nous sommes des gentlemen, Lieutenant, rétorqua Montgomery.
- Merci Capitaine, se contenta-t-elle de répondre.
- Beckett, ça va? Murmura alors Castle, afin que leurs compagnons, qui finissaient de discuter de leur dernière enquête, n'entendent pas.
- Humm, oui, Castle, c'est bon. Alors, vous nous le faites goûter, cet élixir de 130 ans d'âge ?
Au regard qu'il lui lança, elle sut qu'elle n'avait pas réussi à le berner. Rien de bien surprenant à cela. Après tout, il lisait en elle comme dans un livre ouvert depuis le début de leur collaboration. Pourtant, il ne releva pas et se contenta d'un :
- Je vais chercher les verres.
- C'est ça, fait comme chez toi, Bro, rétorqua aussitôt Esposito, ce qui eut le don de faire rire l'assemblée.
Castle se dirigea vers le bar et passa derrière. Ils le virent échanger quelques mots avec le serveur, regardant tous deux dans leur direction. Brian hocha la tête et tendit un plateau à Castle. Celui-ci s'en saisit, disposa 5 verres de scotch dessus et revint vers eux.
- Alors, Castle, si vous nous racontiez pourquoi vous avez acheté ce bar ? Demanda le Capitaine tandis que celui-ci faisait le service.
- Portons d'abord un toast.
Il leva son verre, imité par ses invités.
- À Donny ! Et à nous !
- À Donny, et à nous ! Reprirent-ils en cœur avant de boire une gorgée du fameux scotch.
- Mmmmh, excellent ! S'exclama Ryan.
- Si c'est un Irlandais qui le dit, ce doit être vrai ! Ce qui est sûr, c'est que je suis honoré de partager ce St Miriam 1875 avec vous, rétorqua Castle.
- Alors, Castle, on attend ! Relança Montgomery.
- Quoi ?
- Ce bar ! Pourquoi l'avoir acheté?
- Comment ! Intervint Beckett, faussement outrée. Vous ne l'avez pas remarqué ?
- Remarqué quoi ? Répondirent les trois autres.
- Outch ! Ça doit faire mal à votre égo, ça, Castle ! Se moqua-t-elle.
Il lui répondit d'une grimace.
- Remarqué quoi ? Répéta Esposito
- Le mur des célébrités, là-bas, indiqua Beckett du doigt. Devinez qui est le beau gosse, 2 rangs au-dessus d'Hemingway ! Reprenant ainsi mot pour mot ce que lui avait dit Castle la première fois qu'ils étaient entrés ici.
Les trois têtes se tournèrent à l'unisson vers le mur de photos.
- C'est vous, Castle ? Demanda Ryan. Ça date de quand ?
- Mon premier roman. Il a presque entièrement été écrit ici. Je vous l'ai dit : ce bar est légendaire. À une époque, tous les grands écrivains venaient ici. Mais pour répondre à votre question, Capitaine...Contrairement à ce que pense un certain Lieutenant ici présent, reprit Castle en jetant un coup d'oeil en direction de Beckett, je n'ai pas acheté ce bar pour flatter mon égo. Non. Comme je l'ai déjà expliqué à Beckett, le Old Haunt n'est pas un bar ordinaire. C'est un lieu chargé d'histoire. Tenez, vous saviez que c'était d'abord une forge, et ensuite un bordel ? Ça n'est devenu un bar qu'à la Prohibition, un bar clandestin, et sûrement l'un des meilleurs. C'est le dernier de son espèce, une véritable institution ! Sentez cette odeur...et non, Beckett, pas celle de la bière éventée!
Tous se mirent à rire.
- Enfin, bref. Maintenant que Donny n'est plus là, je ne voulais pas que ce bar tombe dans de mauvaises mains. Voilà la raison pour laquelle je l'ai acheté.
- Je vois que vous avez gardé Brian, le serveur. Et Eddie, le pianiste, nota Beckett.
- Oui, Eddie est un vieil ami, et il fait presque partie des murs.
- Et Brian ? Vous n'avez pas peur qu'il continue à faire son « truc » avec les fruits ?
- Quel « truc » ? demanda Esposito.
- Oh, juste une petite arnaque pour arrondir ses fins de mois, je vous expliquerai.
Castle se tourna vers Beckett.
- J'ai eu disons...une petite conversation avec lui. Je lui ai expliqué que j'étais quelqu'un de très occupé, entre mon métier d'écrivain et mon rôle de consultant auprès des Services de Police de notre chère ville. Et que j'allais avoir besoin de quelqu'un de confiance pour gérer le bar, de préférence quelqu'un qui connaissait parfaitement bien les lieux ainsi que la clientèle. Nous avons finalement trouvé un accord, moyennant une augmentation substantielle de son salaire.
- Tout ça a du vous coûter une fortune, Castle! Remarqua Montgomery.
- Plus les petits aménagements que j'ai fait faire en bas, dans le bureau. Mais peu importe, préserver l'histoire n'a pas de prix. En parlant des aménagements, vous voulez que je vous montre ?
- Pour moi, ça sera pour une autre fois, répondit Ryan en vidant son verre avant de se lever. Je dois vraiment y aller. J'ai rendez-vous avec Jenny.
- Je te suis, bro, renchérit Esposito. Moi aussi, j'ai r...quelque chose à faire, se reprit-il en voyant les regards et les sourires amusés de ses amis.
- Tu n'aurais pas rendez-vous avec une légiste super-sexy, par hasard ? Questionna Beckett malicieusement.
- J'vois pas de quoi tu parles ! Tenta de feinter Esposito.
- Et en plus, il nous prend pour des imbéciles ! Répliqua le Capitaine en se levant à son tour. Moi aussi, je rentre. Castle, merci pour cette soirée, et n'oubliez pas : vous avez encore un chèque à faire aux Oeuvres de la Police pour cette bouteille !
- Dès demain matin, Capitaine, c'est juré ! Promit Castle.
- Et vous, Beckett, vous ne rentrez pas ? Demanda Montgomery.
Elle échangea un regard avec Castle et répondit :
- Non. Je crois que...je vais rester ici encore un petit moment.
- OK. Bonne soirée alors.
Castle serra la main de ses amis et les raccompagna à la porte du bar.
- Bonne soirée à tous et soyez prudents en rentrant !
Puis il retourna s'asseoir auprès de Beckett. Sans un mot, il lui montra la bouteille de scotch pour savoir si elle voulait une autre tournée, et remplit son verre lorsqu'elle le lui tendit. Il se servit à son tour et trinquèrent silencieusement. Ils restèrent un instant à se regarder, sans dire un mot. Mais ce n'était pas un silence pesant, non. C'était une fois de plus une de leur petite discussion silencieuse :
- On a passé un bon moment ! C'était chouette !
- Oui, c'était sympa. Rien de tel qu'une petite soirée entre amis pour décompresser après une journée de boulot.
- Exactement ! Il n'y a pas que le travail dans la vie. Il faut savoir prendre du bon temps aussi. À ce propos, je suis content que vous soyez venue.
- Moi aussi, je suis contente de ...d'être là.
Finalement, Beckett décida de « rompre » le silence.
- Alors, Castle, vous n'aviez pas d'autres projets pour la soirée ? Avec...Gina?
- Non, aucun. Et je n'aurai plus aucun projet de soirée avec elle à l'avenir. Enfin, en dehors de mes soirées de promotion, cela va s'en dire ! rajouta-t-il en finissant son verre d'une traite.
- Pourquoi ? Demanda Beckett, surprise.
- Je...j'ai...j'ai rompu avec Gina, voilà pourquoi.
- Quand est-ce arrivé?
- Oh, c'est tout récent. Hier soir, pour être précis.
Voyant un petit sourire se dessiner sur les lèvres de sa partenaire, il reprit aussitôt d'un air légèrement dépité.
- Vous pourriez au moins faire semblant d'éprouver un peu de compassion à mon égard, au lieu de vous moquer de moi!
- Je ne me moque pas de vous, Castle. C'est juste que je trouve la situation plutôt...cocasse.
- Cocasse ? Pour quelle raison ?
- Parce que moi aussi, je...j'ai...j'ai rompu avec Josh, lâcha-t-elle avant de finir elle aussi son verre d'une traite.
- Et...quand est-ce arrivé ? Demanda-t-il à son tour, tout aussi surprit qu'elle avait pu l'être un instant auparavant.
- Oh, c'est tout récent. Une heure trente, pour être précise, répondit-elle après avoir jeté un coup d'oeil à sa montre.
- Vous voulez dire...tout à l'heure...le coup de téléphone...Je comprends mieux maintenant pourquoi vous sembliez contrariée, reprit Castle après qu'elle eut acquiescé. Et...humm, vous voulez en parler ?
- Et vous, Castle, éluda Kate, vous voulez en parler ? Je pensais que tout allait bien entre Gina et vous.
- Oui, justement, tout allait bien, vraiment très bien ! Dit-il avec un petit rire. C'est là toute l'ironie.
Devant le regard interrogateur qu'elle affichait, il poursuivit.
- Ce que je vivais avec elle, c'était ...très banal. Le problème, c'est que je n'ai pas envie de banalité. Ce que je veux, c'est...de la magie. Et j'ai compris que s'il n'y en avait pas entre nous, c'est parce qu'il n'y avait plus d'amour. Alors j'ai rompu. Voilà.
- Je suis désolée, Castle.
- Oh, mais ne le soyez pas. Tout va très bien. Alors, et vous, Lieutenant ? Qu'est-ce qui s'est passé avec...Docteur Mobylette?
- Qu'est-ce que vous diriez de me montrer ce que vous avez fait faire en bas, Castle ? Demanda Kate en éludant à nouveau sa question.
Castle n'insista pas. Il avait bien noté comment, par deux fois, Beckett avait évité de répondre à ses questions. Il la connaissait. Il savait qu'elle n'aimait pas parler d'elle, de sa vie privée, et plus que tout, il savait qu'il ne fallait pas la brusquer au risque de la voir se replier sur elle-même. Aussi se contenta-t-il de se lever et de lui tendre la main afin de l'inviter à l'accompagner. Ils empruntèrent la trappe qui menait au sous-sol, après que Castle ait pris soin de mettre la bouteille de son précieux élixir à l'abri derrière le bar. Arrivés en bas des escaliers, Beckett se rendit compte du peu de changement effectué par Castle. Ce dernier lui expliqua que, souhaitant garder l'âme du lieu intact, il avait décidé de se contenter de changer une petite partie du mobilier. Ainsi, il lui montra fièrement le canapé en cuir qu'il avait fait mettre à la place du vieux fauteuil, le grand écran plat dernier cri qu'il avait fait installer sur le mur d'en face, astucieusement dissimulé dans une niche aménagée derrière des étagères, ainsi que l'ordinateur portable tout neuf servant à faire les comptes du bar, posé sur le bureau. Tandis qu'elle s'asseyait sur le canapé, il ouvrit la porte d'un autre meuble qui s'avéra être un petit réfrigérateur. Il attrapa deux bières et vint s'installer à ses côtés. Il lui tendit une des bouteilles et sans un mot, ils trinquèrent.
Beckett s'installa un peu plus confortablement, repliant ses jambes sous ses fesses, comme elle le faisait souvent chez elle, signe qu'elle se sentait bien ici, dans l'intimité de ce bureau. Elle avait l'impression d'être dans une petite bulle, un cocon. Légèrement tourné vers Castle, le coude sur le dossier, elle posa sa tête dans sa main, détendue. Et sans qu'elle s'y attende, les mots commencèrent à sortir tout seuls :
- Nous avions rendez-vous ce soir. Lorsque je l'ai appelé pour lui dire que j'aurais du retard, parce que je m'arrêtais boire un verre avec mes collègues, il s'est mis en colère. On a commencé à se disputer. Le ton est monté, et de fil en aiguille, j'ai fini par lâcher que je n'étais pas à sa disposition et que si ça ne lui plaisait pas, il valait mieux qu'on en reste là.
- Je suis désolé, répondit Castle.
- Ne le soyez pas. De toute façon, je savais que ça finirait par arriver.
- Vraiment ? Se contenta-t-il de demander.
Attentif, il s'était tourné vers elle. Juste avant qu'elle ne se mette à parler, il avait noté le léger changement d'attitude. Il avait vu les traits de son visage s'adoucir, son corps se détendre. Comme si d'un seul coup, elle se laissait aller. Alors, pour une fois qu'elle lâchait prise, il souhaitait la laisser poursuivre à son rythme.
- Oui. J'aurais juste préféré que ça se fasse autrement que par téléphone.
- Tout ne se passe jamais vraiment comme on le souhaiterait.
Elle sembla un instant se perdre dans ses pensées, les yeux posés sur sa bouteille de bière, gratouillant du bout de l'ongle l'étiquette de celle-ci.
- Pourquoi est-ce que ce qui vous attire le plus chez quelqu'un finit toujours par vous rendre complètement dingue ?...Je veux dire...Il va, il vient, il sauve des vies dans le monde entier. Et au début, j'appréciais son côté hyperactif, cette passion, cette énergie qu'il met dans son travail. Mais aujourd'hui...je ne sais plus...Pourtant, je ne demande pas grand-chose. J'aimerais juste rencontrer un homme qui serait présent pour moi, et pour lequel je serai présente, afin qu'on puisse construire quelque chose ensemble. Pourquoi est-ce si difficile à trouver ?
- Peut-être parce que vous ne regardez pas dans la bonne direction ?
À ces mots à peine murmurés, elle leva les yeux et se noya dans le regard azur de Castle, un regard rempli de douceur et de tendresse. Elle sentit les battements de son cœur s'accélérer.
- Peut-être que...ce que vous cherchez est juste à côté de vous, mais que vous refusez de le voir ?
Le cœur de Beckett s'emballa. Elle voyait très bien où il voulait en venir, mais elle ne s'y attendait pas. Prise au dépourvu, la peur s'empara d'elle.
- Castle, je...commença-t-elle avant qu'il ne la coupe.
- Kate, je sais que le moment peut sembler mal choisi...Je veux dire...vous venez à peine de rompre, et moi aussi mais...je suis là, à vos côtés, depuis un peu plus de 2 ans. À votre avis, pourquoi ?
Cela rappela à Beckett ce que lui avait dit Esposito quelques mois plus tôt.
Flash back
« Pourquoi vous croyez qu'il est encore là depuis tout ce temps ? Pour ses recherches, peut-être ? Ce type a suivi assez d'enquêtes pour écrire au moins cinquante bouquins. Ecoutez quelles que soient ses vraies raisons, je parie que vous voir sortir avec un autre mec n'en fait pas partie ! »
Fin du flashback
Oh oui, elle savait très bien où il voulait en venir ! Mais elle n'était pas prête. Alors elle tenta de bluffer.
- Nous sommes...partenaires.
Il sourit légèrement, dépité, mais pour autant pas dupe de sa parade. C'est vrai que ce n'était peut-être pas le bon moment pour parler de cela, des sentiments réels qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre, mais maintenant qu'il avait commencé, il ne pouvait plus, il ne voulait plus reculer. Alors, il insista :
- Est-ce vraiment tout ce que nous sommes, Kate ?
