Le soleil rayonnait au-dessus du National Mall et cet après-midi du mois de mai s'annonçait des plus radieux. Les enfants trop jeunes pour être à l'école jouaient et riaient aux éclats sous le regard attentif de leurs parents. Les vastes allées longeant la pelouse regorgeaient de promeneurs, de joggers et, au grand amusement des passants, d'un labrador couleur chocolat poursuivant un des nombreux écureuils du parc. Le petit rongeur vint se percher sur un banc puis, de là, sauta sur une branche basse et termina sa course dans un grand chêne, loin des jappements du chien. Ce dernier, ne désespérant pas, s'était assis au pied de l'arbre et attendait, la langue pendante.

« Winston ! », s'écria une voix au loin, « Winston, reviens ici ! »

Winston reconnut bien la voix de son maître mais s'abstient de bouger. Il n'allait tout de même pas laisser gagner cette affreuse petite boule de poils : elle allait bien descendre un jour, et il n'avait rien de mieux à faire que de l'attendre.

« Winston ! »

La voix se fit plus pressante. Elle appartenait à un jeune homme d'une trentaine d'années, légèrement essoufflé. Son regard se posa alternativement sur le chêne abritant la proie de Winston, sur ledit garnement, et enfin sur l'occupante du banc, une jeune femme aux longs cheveux bruns.

« Ce chien ne tient pas en place. », lança-t-il. « Mettez-lui sous le nez un écureuil ou une souris, et vous pouvez être sûr qu'il va aller l'attraper ! ».

Vanessa leva la tête vers lui et un mince sourire éclaira son visage. Un jour ordinaire, elle aurait suivi toutes les aventures de Winston et de son ami l'écureuil avec passion. Elle se serait probablement levée de son banc pour aller gratter le chien entre les oreilles et aurait échangé des banalités avec son maître. Mais ce vendredi après-midi du mois de mai si ensoleillé ne répondait pas à la définition de jour ordinaire et Vanessa était trop préoccupée pour engager la conversation. Mark, car c'est ainsi que le jeune homme s'appelait, vit qu'il était préférable de ne pas insister. Il tira doucement Winston par le collier et, après quelques tentatives, celui-ci accepta enfin de bouger. Juste avant de tourner au coin de l'allée suivante, Mark laissa son regard dériver vers la jeune femme qu'il n'avait connu qu'un instant. Malgré la distance, il pouvait sentir la tension qui l'enveloppait à la manière d'une brume des matins d'hiver et, pendant une fraction de seconde, juste avant qu'elle ne disparaisse à jamais, il crut la voir le regarder, comme si ses yeux lui demandaient à sa place de revenir vers elle.

La scène n'avait pas duré plus de deux minutes et Vanessa aurait aimé qu'elle se prolonge. Elle se sentait si seule sur ce banc et n'aurait pas été contre un peu de compagnie. Cependant, les instructions qu'elle avait reçues sur son téléphone la veille étaient claires : elle devait venir seule et s'assurer de le rester. Un bref coup d'œil à sa montre lui indiqua 14h59. Dans moins d'une minute, elle serait fixée. Son estomac se tordit un peu plus et elle se sentit nauséeuse, bien qu'elle n'ait rien mangé depuis son déjeuner avec Linda le midi précédent.

« Vanessa Hardgrave ? »

Elle sursauta. Une mince silhouette vêtue d'un costume bleu sombre s'était glissée à côté d'elle et avait prononcé son nom dans un murmure.

« O… Oui, c'est bien moi. », parvint-elle à balbutier.

Le messager lui remit une longue enveloppe de papier kraft et s'en alla comme il était reparti, sans un bruit, sans un mot, sans qu'elle n'ait eu le temps de poser la moindre question. Vanessa décacheta le pli et en tira d'abord une photographie. Deux yeux sombres incrustés dans une face porcine la fixaient. Au recto étaient inscrits un nom, une adresse en ville et une heure. Elle secoua l'enveloppe et fit tomber dans sa main une petite fiole emplie d'un liquide incolore. Elle glissa le tout dans son sac à main puis se leva. Elle se sentait fiévreuse. Cela faisait à présent quatre mois qu'elle attendait ce moment. La peur d'échouer la tourmentait mais elle était si près du but. Elle ne pouvait plus faire marche arrière et, en vérité, elle n'en avait pas envie. Sa vie était sur le point de changer radicalement et, au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient depuis sa rencontre avec le messager, sa peur elle-même se transformait en excitation. Si Mark l'avait croisée à nouveau à ce moment-là, il aurait pu ne pas reconnaître la jeune femme d'apparence frêle et apeurée qu'elle était quelques instants auparavant. Laissant ses craintes faner sur le banc de bois verni, elle se dirigea vers la sortie du parc.

À 15h05, en ce vendredi après-midi du mois de mai si ensoleillé qui n'était pas un jour ordinaire, Vanessa Hardgrave quittait le National Mall pour la dernière fois de sa vie. Cinq heures plus tard, si tout se déroulait comme prévu, Vanessa Hardgrave serait connue de tous les habitants de Washington. Plus important encore, Vanessa Hardgrave serait connue de Raymond Reddington.