Description : UA, three-shots, school-fic, Sasunaru. Sakura décide de rompre avec Naruto pour tenter sa chance avec un nouvel élève : Sasuke Uchiha. Abattu, Naruto finit par rejeter sa tristesse pour se contenter de la colère, bien plus facile à supporter. Celle-ci prend naturellement pour objet Sasuke et se transforme rapidement en une véritable obsession.

Disclaimer : Naruto appartient à Masashi Kishimoto. Je ne tire aucun profit pécuniaire de cette fanfiction.

Mot de l'auteur : Bonjour à tous ! J'ai le plaisir de vous présenter aujourd'hui Qu'est-ce qu'il a de si extraordinaire, ce type ? Un long titre pour un tree-shots qui sera bien moins conséquent qu'Au sommet de la montagne. J'avais commencé à l'écrire en même temps que la deuxième de ce dernier et je me suis dit qu'il était tout à fait possible que je les publie simultanément.

Il s'agit ni plus ni moins d'une school-fic, tout ce qu'il y a de plus basique. Pas franchement d'originalité et surtout écrite pour le plaisir – parce que j'ai toujours un peu rêvé d'écrire une school-fic. Voilà chose faite !

L'histoire se déroule sur trois mois : octobre, novembre et décembre. C'est pourquoi j'ai décidé de publier la première partie pour ce 1er octobre. La deuxième et la troisième parties seront donc publiées respectivement le 1er novembre et le 1er décembre. Quant à Au sommet de la montagne, la deuxième partie devrait sortir fin décembre.

Je profite de la publication de ce chapitre pour vous informer que j'ai répondu aux commentaires anonymes de Programmes sur mon profil. Et le temps passant, je me dis qu'il vaut mieux que je réponde à tout ce que j'ai reçu sur mes fictions maintenant plutôt que d'attendre la publication de la deuxième partie d'Au sommet de la montagne – ce que j'avais initialement prévu. Je m'attèlerai donc à répondre à chacun de vous dans la semaine : par message privé pour les inscrits ; sur mon profil pour les autres.

Je vous souhaite à toutes et à tous une excellente lecture.

Amicalement,

Désespérine


QU'EST-CE QU'IL A DE SI EXTRAORDINAIRE, CE TYPE ?

Première phase – Octobre


Son cœur se resserra subitement. Son souffle se coupa. Ses grands yeux bleus s'écarquillèrent. Et un long silence s'étira entre eux. Il vit les prunelles vertes de Sakura se brouiller, sa tête se baisser, ses mains serrer nerveusement le bas de sa jupe. Cette jupe. Il s'en souvenait : ils l'avaient achetée ensemble il y avait six mois environ. C'était lui qui l'avait convaincue de la prendre tant elle lui seyait. Il aurait pu sourire à ce souvenir si sa petite-amie ne venait pas de lui annoncer qu'elle souhaitait rompre avec lui.

Cette jupe…

C'était impossible.

Il déglutit péniblement, fut secoué d'un léger rire nerveux. Et, un fol espoir encore au cœur, il demanda :

« Quoi ? »

Sa voix croassa horriblement. Son épaule, de laquelle il n'avait pas encore enlevé la bandoulière de son sac, lui faisait mal. Sa veste d'uniforme, qu'il n'avait pas retirée, manquait de retomber sur son bras. Il vit les épaules de Sakura se tendre. Elle était si belle : elle avait pris le temps, en sortant du lycée, de se rendre chez elle, de se changer, de se faire belle. Belle pour lui ? Pour adoucir quelque peu ce moment pénible qu'elle lui imposait ? Naruto serra les dents. Cela ne faisait que le rendre plus difficile encore.

« Je veux qu'on rompe, Naruto, entendit-il, soufflé entre les lèvres roses qu'il connaissait si bien. »

La douleur se fit plus forte encore et, un air désespéré sur le visage, il demanda :

« Mais… pourquoi ? Ça se passait bien, nous deux ! »

Sakura garda la tête résolument baissée. Il inspira. Il avait une subite envie de pleurer.

« J'ai fait quelque chose de mal ? hasarda-t-il. »

Elle releva les yeux vers lui, l'air désolé.

« Non, bien sûr que non, répondit-elle doucement. Tu es le meilleur petit-ami qui existe dans ce monde. »

Alors pourquoi ?mourait-il de lui hurler.

« Ce n'est pas toi, poursuivit-elle, détournant le regard sur le reste du parc où ils s'étaient donné rendez-vous. C'est moi… qui ai changé. »

Il s'approcha d'elle, hésita à la prendre dans ses bras pour s'assurer qu'elle était toujours là, qu'elle lui appartenait encore, qu'ils n'étaient pas en train de se séparer. Il n'en fit rien.

« En fait… j'aime quelqu'un d'autre. »

La nouvelle lui donna l'impression qu'une chape de plomb venait de retomber sur son cœur sanguinolent, finissant de l'écraser et de le briser pour de bon. Il écarquilla d'autant plus les yeux. Il n'avait rien vu venir.

« Mais… »

Il ne trouva pas ses mots. Il se retourna, se prit la tête entre les mains, perdu. Sakura, derrière lui, le fixait, l'air inquiet. Il resta un long temps ainsi, à tenter de mettre un semblant d'ordre dans ses idées. Il coula un regard vers Sakura. Et ses beaux yeux verts brillants de culpabilité le firent ciller et le confortèrent dans l'idée qu'il était fou d'elle et qu'il ne pouvait pas s'en passer. Sa bouche se crispa en un semblant de sourire, il lui fit de nouveau face et, d'une voix mal assurée, il dit :

« C'est pas grave, je peux ne maîtrise pas ces choses-là. »

Le soulagement éclata sur le visage de la jeune fille et un léger mais sincère sourire resplendit sur ses lèvres. Mais avant qu'elle eût pu répondre, Naruto ajouta :

« On peut rester ensemble, ça n'empêche pas. Je te promets que ça ne changera rien entre nous. »

En quelques secondes, les couleurs retrouvées désertèrent les joues de la jeune fille et ses yeux s'agrandirent.

« Pardon ? murmura-t-elle. »

Naruto la saisit par les épaules.

« Je ne veux pas te perdre, Sakura ! Je ne veux pas qu'on se quitte ! Je… je t'aime trop pour ça. Mettons ça de côté, n'en parlons plus. Je suis sûr qu'on peut tout arranger. Je… »

Sakura se dégagea de sa prise.

« Qu'est-ce que tu racontes ? On ne peut pas faire ça, ce ne serait pas honnête ! »

Naruto en resta sonné. Elle poursuivit :

« Si j'ai décidé de te le dire… c'est parce que je voulais être franche avec toi ! Je suis tombée amoureuse d'un autre garçon, Naruto, je… je veux tenter ma chance avec lui. Je ne peux pas rester avec toi. Je ne peux pas te faire ça. Ce… je ne peux pas. »

Ses lèvres tremblèrent, sa vue se brouilla. Il ferma brusquement les yeux et serra les poings pour se contenir. Un nouveau silence, douloureux, s'installa entre eux. Jusqu'à ce qu'il entrouvrît la bouche et laissât échapper :

« Qui ? »

Sakura ne parut pas comprendre.

« Qui quoi ?

-C'est qui, ce garçon dont tu es tombée amoureuse ? »

Ses pommettes prirent une teinte écarlate tandis qu'elle le fixait avec stupéfaction. Sans doute ne s'attendait-elle pas à ce qu'il lui demandât ceci. Comme elle ne daignait pas répondre, Naruto serra plus encore les poings, ses ongles rencontrant sa chair avec brusquerie, et hurla alors :

« Tu me plaques pour lui, j'ai bien le droit de savoir, non ? »

Un hoquet de surprise échappa à Sakura et elle eut un mouvement de recul, une main levée devant le visage, comme pour se protéger d'un coup. Elle ausculta le corps tendu et tremblant de rage de Naruto et, abaissant le bras, répondit douloureusement :

« Sasuke Uchiha. »

Les tremblements de Naruto cessèrent aussitôt.

« Le nouveau ? demanda-t-il d'une voix blanche. »

Sakura baissa la tête.

« Oui, murmura-t-elle d'une petite voix. »

Un dernier silence parut avant que, sans plus de parole, Narutone tournât les talons et ne quittât le parc. Il en sortit sans trop en avoir conscience, prit à droite, poursuivit quelques temps avant de se mettre à courir sans s'excuser auprès du conducteur qui avait brusquement freiné pour éviter de le percuter lorsqu'il avait traversé la route comme un fou. Son cœur tambourinait douloureusement dans sa poitrine et il ne ressentait que l'horrible mal qui lui rongeait le corps, cognait dans sa tête, et cette insupportable voix qui lui répétait, inlassablement :

« C'est fini. »

Il parvint au pied de son immeuble tant bien que mal, monta les escaliers quatre à quatre, ouvrit la porte sans répondre au salut de Jiraya qui lui demandait, assis devant son ordinateur à taper sans doute un nouveau roman, comment s'était passée sa journée. Il s'enferma dans sa chambre, jeta son sac de cours dans un coin, ne prit pas la peine de rajuster sa veste dont le col tombait dorénavant sur son bras, se laissa tomber plus qu'il ne s'assit sur son lit, la tête entre les mains, renifla, saisit son portable, chercha le nom de Shikamaru, pressa la touche d'appel, attendit. Et lorsque la voix traînante de son ami se fit entendre dans un paresseux « allô », il éclata en sanglots. Seul le silence lui répondit alors que, tentant de se calmer, il annonçait :

« Elle m'a plaqué, Shika. Sakura m'a plaqué… »


Ce fut dans un soupir fatigué que Naruto se laissa tomber sur sa chaise, ce lundi-là. Il avait passé le week-end entier enfermé dans sa chambre, allongé sur son lit, le visage morne et le corps lourd. Ç'avait été comme si toutes ses forces avaient disparu. Il avait parfois pleuré, en silence, écoutant les craquements de son cœur qui n'en finissait pas de se désagréger dans de terribles gé avait proposé de passer le voir. Naruto n'avait pas voulu. Il avait juste eu envie d'avoir quelqu'un avec qui parler. Ils étaient restés longuement au téléphone ensemble. Puis Jiraya avait timidement toqué à sa porte, était entré sans bruit et était venu s'asseoir sur son lit, à côté de lui. Il avait posé une de ses grosses mains sur son épaule et l'avait tendrement attiré contre lui. Naruto avait de nouveau craqué contre le torse de son tuteur. Aucun mot n'avait eu à être prononcé, ils s'étaient simplement compris.

Il n'avait, en fin de compte, pas beaucoup dormi. Et de larges cernes se dessinaient maintenant sous ses yeux. Dans un nouveau soupir, il croisa les bras sur son bureau et y enfouit la tête. Il écouta d'une oreille distraite les conversations des autres lycéens l'entourant. Il n'y avait pas encore beaucoup de monde. Il était arrivé en avance, pour la première fois depuis la rentrée de septembre.

Il coula un regard vers la fenêtre à côté de laquelle il se trouvait et jeta un œil à la cour où quelques feuilles parsemaient déjà le sol. On serait demain en octobre et l'automne prenait peu à peu définitivement sa place à Konoha.

La porte d'entrée coulissa. Et lorsque Naruto tourna lentement la tête vers elle, il aperçut Shikamaru et Choji le chercher du regard. Quand enfin ils le virent, un sourire désolé teignit les lèvres du dernier tandis qu'un air sombre occupa le visage du premier. Ils le rejoignirent rapidement et prirent place à leurs bureaux respectifs : Shikamaru derrière Naruto, au dernier rang, et Choji à côté de lui, dans l'autre colonne.

Naruto se tourna vers eux.

« Comment tu te sens ? demanda Shikamaru, l'air sérieux, en le fixant. »

Naruto haussa les épaules.

« Je survivrai, répondit-il. »

Ses deux amis hochèrent la tête, sans trop savoir pourquoi. La porte s'ouvrit à nouveau et Naruto n'eut pas même le temps de se retourner qu'on lui sautait déjà dessus et l'étouffait dans l'étreinte de deux bras.

« Ah ! Kiba ! protesta-t-il. Arrête de faire ça, tu sais bien que ça m'énerve ! »

L'interpellé répondit par un rire et se décida à relâcher son ami avant de prendre place au bureau situé devant celui de Choji.

« Quoi de neuf ? demanda-t-il en tapant la main de Choji de la sienne et en faisant un signe de tête à Shikamaru. »

Un silence gêné s'installa entre les quatre amis. Kiba cligna des yeux avant de les fixer tour à tour.

« Ben… c'est quoi, ces têtes ? Quelqu'un est mort ou quoi ? »

Shikamaru et Choji détournèrent les yeux et Naruto poussa un long soupir avant de répondre :

« Sakura et moi, on a rompu vendredi. »

Kiba ouvrit de grands yeux et resta un temps bouche bée avant de s'exclamer :

« Quoi ? Mais pourquoi ? »

Naruto serra les poings et répondit hargneusement :

« A cause de cet enfoiré d'Uchiha.

-Hein ? Le nouveau ? »

Les derniers élèves entrèrent en classe, à grand renfort de cris et de rires. Parmi eux se détacha une silhouette qui attira bien vite l'attention de la bande. Grand, mince, les cheveux noirs désordonnés, les yeux d'un brun foncé et la peau cadavérique, Sasuke Uchiwa se dirigea vers son bureau sans accorder un regard à personne. Il ne fit pas attention à celui meurtrier que lui lança Naruto et s'installa deux rangs devant lui, dans sa colonne, avant de sortir ses affaires puis de se lancer dans la contemplation de la cour par la fenêtre à côté de laquelle il était assis.

« Lui-même, souffla Naruto, sans le quitter une seule fois de ses yeux haineux. »

Sasuke Uchiha. Un nouvel élève étrangement transféré en cours d'année. Il était arrivé à la rentrée de septembre et avait aussitôt intégré sa classe. Personne ne savait d'où il venait, qui il était vraiment ni ce qu'il aimait faire. Sa présentation avait été très brève et il se plaisait à rester des plus mystérieux. Il avait cependant rapidement fait parler de lui. Toutes les filles ou presque lui trouvaient un charme incroyable. Ses yeux et ses cheveux sombres lui avaient valu le surnom de « prince des ténèbres », enjôleur dans la bouche des filles, moqueur dans celles des garçons qui lui avaient rapidement voué une jalousie certaine.

Car si Sasuke avait reçu plus de propositions de filles qui rêvaient de sortir avec lui en un mois que la bande de Naruto réunie en deux ans et quelques de lycée, il les dédaignait toutes. Son seul intérêt semblait à l'extérieur puisqu'il passait son temps à rêvasser, le menton posé dans sa main, un air las sur le visage et le regard accroché à la fenêtre. Cela ne l'empêchait pourtant pas d'être deuxième de sa classe derrière Shikamaru Nara qui, tout le monde le savait, avait un quotient intellectuel supérieur à la normale. Et non seulement il était bon élève mais également sportif. Naruto se rappelait les cours de gymnastique du mois de septembre passé au cours duquel l'Uchiha s'était démarqué en se montrant capable d'enchaîner plusieurs figures acrobatiques et en faisant montre d'une force certaine au cours des exercices.

S'il restait plus froid que jamais, il suscitait l'intérêt de tous. Et en particulier celui de Sakura. Naruto serra les poings. Il le détestait.

Il entendit à peine la sonnerie qui marquait le début des cours. De toute façon, ils commençaient par deux heures de mathématiques, ce matin-là, et tout le monde savait que le professeur Hatake, qui leur dispensait cette matière, était toujours en retard d'un quart d'heure au moins.

Jusqu'à l'arrivée de l'enseignant, tout sembla disparaître autour de Naruto : ses trois amis qui discutaient du dernier jeu vidéo sorti, les gloussements des filles qui jetaient des regards en biais à Sasuke, les éclats de voix de garçons qui faisaient une partie de cartes au centre de la salle de classe, le vent qui à l'extérieur avait forci et balayait les premières feuilles mortes et agitait les branches. Rien, pas même le « bonjour » timide d'Hinata lorsqu'elle s'assit devant lui et se plongea aussitôt dans ses cahiers de cours.

Son attention entière restait posée sur le garçon placé juste devant elle, sur les pics sauvages que formaient ses cheveux noirs au dos de sa tête, sur les épaules voûtées couvertes par la veste bleu marine de son uniforme, sur le col blanc de la chemise qu'il portait en-dessous et qui paraissait autour de sa nuque, sur le profil de sa pommette blanche qu'il distinguait comme il regardait au-dehors.

Il ne remarqua pas même l'arrivée du professeur Hatake, perçut à peine le mouvement de Sasuke lorsqu'il se détourna de la fenêtre pour saluer, avec les autres élèves, l'homme et commencer à prendre des notes quand le cours débuta. Adieu les moqueries qu'il échangeait habituellement avec Kiba quant aux excuses toutes plus improbables les unes que les autres du professeur lorsqu'il cherchait à justifier son retard ; adieu les idées farfelues pour lui ôter le masque qu'il portait toujours sur le bas du visage qu'ils se donnaient par petits bouts de papier ; adieu les rires étouffés lorsque le ventre de Choji gargouillait bruyamment ; adieu les coups d'œil jetés à Shikamaru qui, derrière lui, s'assoupissait sur son pupitre et les encouragements muets de Kiba lorsqu'il s'amusait à ôter discrètement l'élastique qui retenait en une haute queue de cheval ses cheveux noirs hirsutes ; adieu le spectacle de la cour qui était couramment plus intéressant que les leçons ; adieu les petits dessins faits sur son cahier ; adieu la main nerveuse passée dans ses cheveux blonds en bataille lorsqu'il tentait vainement de comprendre ses exercices.

Son monde, à l'heure actuelle, ne se résumait qu'au dos de ce mec que Sakura avait souvent dû côtoyer tout au long du mois de septembre ; ce mec dont elle était tombée amoureuse ; ce mec qui l'avait sans doute séduite ; ce mec qui l'avait amenée à rompre avec lui ; ce mec qui était à l'origine de toute la souffrance qu'il éprouvait, de toute la colère, la rancœur, l'injustice qui lui déchiraient les entrailles.

Froissant les pages de son cahier qu'il tenait sans s'en rendre compte, il serra les poings. Ses yeux se plissèrent, son regard se fit plus acéré, s'accrocha encore à la silhouette altière. Il souhaita ardemment avoir le pouvoir de l'atteindre, rien qu'en la fixant, et qu'à ce contact, elle se consumât par les flammes de sa colère.

Sa haine, son ressentiment furent-ils suffisamment forts pour que l'Uchiha les ressentît ? Naruto ne sut le dire. Mais lorsqu'il vit son nouvel ennemi tressauter et se retourner vers lui, les sourcils légèrement froncés par la curiosité, il ne cilla pas. Et ses traits se contentèrent de se durcir. Il y eut un moment blanc entre eux pendant lequel les iris noirs s'écarquillèrent légèrement, surpris de voir leurs vis-à-vis pareils à un ciel orageux, avant que le visage opalin de Sasuke ne se froissât à son tour et ne retournât à Naruto son air mauvais.

Le temps se suspendit pour les deux jeunes hommes et ils restèrent ainsi, à se fixer un long temps. Hinata, entre eux, gardait la tête baissée sur son cahier et ne semblait pas même s'être rendue compte que son voisin de devant s'était retourné, ni qu'une palpable tensionse profilait entre les deux garçons.

Seule la voix, d'abord lointaine, puis plus précise, du professeur Hatake parvint à les arracher à leur duel.

« Monsieur Uchiha, appela-t-il d'une voix forte. »

De nouveau, les yeux sombres se firent ronds avant que l'impassibilité ne reprît ses droits sur les traits du lycéen. Il se retourna, ses mèches noires se balançant sur son front et ses joues. Il ne répondit rien. Le professeur de mathématiques se tenait droit, sur l'estrade, les bras croisés, et le toisait autoritairement.

« Dois-je vous rappeler que votre attention doit se porter sur mon cours et non sur vos camarades de classe ? »

Sasuke fronça les sourcils. Un léger ricanement retentit derrière lui. Il n'eut pas à se retourner pour deviner à qui il appartenait.

« Et si vous veniez corriger cette équation ? proposa l'enseignant, en haussant un sourcil moqueur. »

Quelques murmures traversèrent les rangs alors que, imperturbable, Sasuke se levait de son bureau, faisant reculer et grincer sa chaise. Il se dégagea, se tourna à moitié et eut un dernier regard mauvais à l'adresse de Naruto qui, il s'y attendait, n'affichait plus qu'un sourireméchant, semblant se délecter à l'idée qu'il fût puni. Il serra les dents et les poings et, détournant dédaigneusement la tête, gagna l'estrade sur laquelle le professeur l'attendait. Celui-ci lui tendit une craie et s'écarta pour lui laisser l'accès au tableau. Sasuke se posta devant ce dernier et lut rapidement l'équation.

Le temps s'étira. De sa chaise, Naruto jubilait. Il ne s'attendait pas à cette intervention mais c'était une aubaine pour lui, l'occasion de mettre à mal son adversaire. Lui, si adulé des professeurs qui trouvaient cela extraordinaire qu'un nouvel élève s'adaptât si rapidement à leur programme et obtînt de si bonnes notes en un mois seulement, était pour la première fois repris par un enseignant et humilié devant toute la classe.

Du moins le crut-il jusqu'à ce qu'il vît l'adolescent lever le bras et silencieusement commencé à écrire au tableau. Il fronça les sourcils, tendit le cou pour tenter de lire les chiffres et signes qui apparaissaient lentement comme la craie glissait sur le tableau dans un léger crissement. Avant qu'il eût pu finir de les déchiffrer, Sasuke se décala, laissant le temps au professeur et au reste de la classe de contempler son travail. Naruto plissa les yeux, cherchant l'erreur qui discréditerait son camarade. Mais à son grand malheur, il n'y en eut pas. Tout du moins le sut-il lorsque Monsieur Hatake dit :

« Excellent. Vous vous rattrapez quelque peu, Monsieur Uchiha. Mais que cela ne vous serve pas d'excuse. Et la prochaine fois, je ne me montrerai pas aussi clément. Vous pouvez regagner votre place. »

Sans un mot, Sasuke quitta l'estrade. Lorsqu'il leva la tête, il aperçut ce même jeune homme blond qui le regardait plus tôt avec hostilité et eut un sourire narquois quand il se rendit compte de l'air surpris qu'il affichait. Il croisa ses yeux bleus et vit une moue boudeuse marquer ses lèvres tandis qu'il arrivait à hauteur de son bureau. Il lui jeta un dernier regard, victorieux et orgueilleux, avant de s'asseoir sans plus lui accorder la moindre attention.

Naruto serra les poings, sa colère se décuplant. Il montra les dents et siffla un juron, se promettant de le coincer à la pause de dix heures dans un coin de la cour pour le ruer de coups. De nouveau, il fixa, avec plus de rage encore, le dos de l'Uchiha. Le temps passa sans qu'il en prît conscience et lorsque la sonnerie retentit, il en fut si déconcerté qu'il ne vit pas son adversaire sortir précipitamment de la pièce. Il voulut lui courir après mais Kiba le retint par le bras en lui proposant une virée à l'échoppe de ramen le soir même. A la plus grande surprise de son ami, il refusa précipitamment, courut jusqu'à la porte en évitant tant bien que mal les élèves qui quittaient paresseusement la salle et s'enfuit dans le couloir.


Le mois de septembre s'achevait à peine et déjà l'air se tiédissait. Les premières feuilles d'automne commençaient tout juste à joncher le sol. Mais la brise qui soufflait dans la cour où les élèves affluaient peu à peu pour prendre l'air avant de retourner dans leurs salles avait quelque chose d'appréciable et Sasuke se laissa aller à fermer les yeux, les bras croisés, assis sur un banc. Sakura le voyait nettement, l'air faussement détendu – elle sentait encore comme une tension dans ses épaules, sa posture, le léger froncement de ses sourcils. C'était quelque chose de particulier qu'elle avait très vite remarqué chez lui et qui ne l'avait jamais quitté, comme s'il n'était jamais tranquille. Elle aurait bien été incapable d'en expliquer la raison : Sasuke ne parlait que peu et certainement pas de lui. Et elle avait beau être présidente du conseil des élèves et l'avoir côtoyé durant un mois pour lui faire découvrir le lycée et l'aider à s'intégrer à sa classe, il lui était toujours aussi mystérieux. Et sans doute était-ce une des raisons pour lesquelles elle en était tombée amoureuse.

Elle déglutit et ses mains se resserrèrent sur sa poitrine. Elle ne pouvait plus reculer, à présent. Elle désirait ardemment être honnête : avec elle-même, avec Naruto, avec Sasuke. Elle devait lui dire ; elle devait oser. Et bien peu importait – se disait-elle – l'issue de tout ceci : il lui fallait libérer son cœur trop pris d'amour.

Elle inspira une dernière fois, ne vit pas Ino, sa meilleure amie, qui sortait de sa propre salle de cours et lui adressait un signe de la main. Elle se décida à faire un pas. Puis un autre. Et encore un. Et inexorablement, elle arriva bientôt près du banc où se tenait Sasuke.

Le soleil, derrière elle, projeta son ombre sur le garçon qui, lentement, releva la tête vers elle. Elle cilla devant l'attitude défensive qu'il adopta d'abord avant de la reconnaître et de nettement se détendre.

« Madame la présidente, dit-il, un sourcil relevé. »

Sakura rougit.

« Bonjour, Sasuke. »

Elle passa nerveusement une main dans ses cheveux pour les replacer derrière son oreille.

« Comment vas-tu ? demanda-t-elle. »

Sasuke haussa les épaules.

« Ça va. »

La lassitude et la concision de cette simple réponse la mirent mal à l'aise. Elle aurait dû s'y habituer, au bout d'un mois, mais elle espérait toujours qu'il se dévoilât enfin à elle.

« Est-ce que je peux te parler ? »

Sasuke plissa les yeux, curieux.

« Oui. Un problème avec le conseil ? »

Elle secoua la tête.

« Non, je… je ne suis pas là en tant que présidente. »

Elle tritura un temps ses doigts avant de jeter un coup d'œil autour d'elle. Elle reconnut cette fois-ci Ino et sa longue chevelure blond pâle qui, ayant enfin intercepté son regard, semblait vouloir la rejoindre – ainsi que Sasuke. Et surtout lui, certainement. Elle se crispa.

« Est-ce qu'on pourrait faire ça en privé ? »

Sasuke suivit son regard, sembla reconnaître Ino et se leva aussitôt.

« Ok. »

Il la suivit sans mot dire jusqu'à l'étroit passage entre le bâtiment administratif et le gymnase. Il débouchait sur une petite cour intérieure que les élèves occupaient rarement car elle était souvent traversée par le personnel du lycée. Et comme Sakura s'y attendait, elle était déserte.

Quand elle fut arrivée en son centre, elle se tint coite tandis que Sasuke s'asseyait sur le rebord de la petite fontaine qu'il y avait devant les bureaux. Il reprit la même posture que plus tôt : bras croisés, une jambe pliée, le pied nonchalamment posé sur le genou. Puis il fixa ses yeux sur elle. Et attendit.

Sakura déglutit de nouveau. Puis détourna la tête.

« Hum… En fait… ça va faire un mois, maintenant, qu'on se connaît, toi et moi. »

Sasuke acquiesça.

« Je suis vraiment contente que tu te sois aussi rapidement adapté au lycée de Konoha et j'espère que tu t'y plais. »

Elle coula un regard à son vis-à-vis et remarqua comme un sourire amer sur ses lèvres et une pointe de rancune ou de mélancolie dans ses yeux noirs qui balayaient le sol.

« Ce mois que nous avons passé ensemble, les fois où tu m'as aidée lors des réunions du conseil des élèves… Tout ça m'a permis d'apprendre à te connaître un peu. Même si je ne sais pas encore grand-chose de toi. »

Elle prit une profonde inspiration avant de poursuivre :

« Et je… n'avais encore jamais croisé un garçon aussi agréable que toi dans ce lycée, Sasuke. »

Elle ferma les yeux. Si au début elle avait assimilé l'attitude du lycéen à une certaine méfiance due à son arrivée impromptue au cours de l'année dans un nouvel établissement scolaire, celle-ci ne l'avait pourtant pas quitté ces dernières semaines : il était poli et ne s'était jamais montré offensant envers elle. Elle savait bien qu'il ignorait la plupart des autres élèves, qu'il restait seul le plus clair du temps. Qu'il ne parlait que s'il y était obligé. Que son regard se perdait souvent au dehors lorsqu'il assistait aux rassemblements du conseil. Qu'il ne lui avait jamais montré le moindre signe d'attention aiguë. Cependant…

« Je suis… »

Elle croisa les mains nerveusement.

« Je suis tombée amoureuse de toi. »

Il n'émit pas le moindre son. Les joues en feu, elle ne devina que le léger écarquillement de ses yeux avant que son visage ne devînt aussi impassible qu'il l'était le plus souvent. Puis il baissa la tête et le mouvement que firent ses mèches noires l'envoûtèrent. Ses lèvres se tordirent légèrement.

Le vent souffla, s'engouffra dans le passage qu'ils avaient plus tôt emprunté, fit claquer la jupe bleu marine de son uniforme contre ses jambes blanches, voleter ses cheveux, tournoyer les feuilles mortes. Le silence entre eux s'étira. Et plus le temps passait, plus son cœur s'emballait, plus son visage s'enflammait et plus l'appréhension se saisissait d'elle.

Un soupir échappa finalement à Sasuke et il plongea son regard sombre dans le sien.

« Je suis désolé, Sakura. »

Elle entrouvrit les lèvres.

« Je ne peux pas répondre à tes sentiments. »

Sa gorge se serra.

« Pourquoi ? souffla-t-elle. »

Le visage de Sasuke se froissa et un rictus – de gêne – s'y dessina avant de s'effacer.

« C'est un peu abrupt, dit comme ça, mais… »

Elle se tendit.

« Tu n'es pas mon type. »

Son cœur se pressa douloureusement à l'accablante vérité.

Il ne veut pas de toi.

Ses yeux se fermèrent avec force et une irrépressible envie de pleurer la submergea.

« Ton… type ? hoqueta-t-elle. »

Sa vue se brouilla.

« Mais je… »

Une larme roula sur sa joue.

« Peut-être que si… »

Elle chercha ses mots.

« Peut-être que si tu me disais quel genre de fille tu aimes, je pourrais… essayer de changer pour te plaire ? »

Sa voix n'était que murmures, qu'hésitation, que fol espoir. Mais Sasuke, face à elle, restait imperturbable. Et lorsqu'il croisa son regard, elle sut que c'était peine perdue. Un sourire désolé précéda la réponse.

« Ce n'est pas possible. »

Une grande sensation de froid se saisit d'elle tandis qu'un millier d'aiguilles se plantait entre ses os et se fichait dans son cœur déjà blessé.

« Je suis désolé. »

Une autre larme serpenta sur sa peau. Elle renifla. Et sentant ses dernières défenses céder, elle pivota et quitta les lieux en courant. Comme elle débouchait dans la grande cour, son chagrin explosa dans sa gorge et un son étouffé s'échappa d'entre ses lèvres avant qu'un brusque soubresaut la secouât de part en part et qu'elle éclatât en sanglots.

« Sakura ! »

Elle reconnut à peine Ino qui, affolée de la voir effondrée, venait de la rejoindre et lui prenait les mains.

« Hé ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Calme-toi, dis-moi tout. »

Elle peina, entre ses larmes, à répondre :

« Il m'a… Il m'a dit non.

-Quoi ? De quoi tu parles ? Tu as parlé à Sasuke ? »

Elle hocha les yeux tandis qu'Ino la pressait contre elle et passait une main dans ses cheveux.

« Oh mon dieu, tu l'as fait.

-Il… Il a dit… que je n'étais pas son type, émit-elle parmi ses pleurs. »

Elle se réfugia contre la chemise blanche de sa meilleure amie. Son cœur la lançait affreusement.


Jamais il n'avait autant détesté les autres élèves du lycée. D'habitude, durant les pauses, il aimait flâner dans sa salle de cours pour parler jeux vidéo avec Kiba ou ramen avec Choji. Il leur arrivait aussi de sortir dans la cour pour prendre l'air et discuter avec d'autres de leurs amis qui n'étaient pas dans leur classe. Ils laissaient alors Shikamaru à ses siestes journalières, affalé à son bureau, ou le voyaient disparaître pour discrètement monter sur le toit et fumer en toute clandestinité une de ses cigarettes.

Naruto était quelqu'un de sociable. Il avait si souvent, plus jeune, souffert du rejet, de l'exclusion, de l'intolérance que maintenant que tout cela était derrière lui, il se plaisait à parler au plus grand nombre de personnes possible et à échanger avec ses pairs. Cela faisait partie de sa personnalité, sans doute, et il savait que la solitude lui pesait bien trop pour penser à vouloir s'écarter des autres – et il était de nature bien trop empathique pour songer à leur vouloir du mal.

Mais présentement, le jeune homme n'allait pas bien : tout le chagrin qu'il ressentait suite à sa rupture était bien trop difficile à supporter. Il était naturel qu'inconsciemment il eût cherché à le transformer. Sa peine s'était muée en ressentiment. Car la colère est un sentiment bien plus facile à supporter que la tristesse et elle lui laissait le temps d'accepter celle-ci pour mieux l'affronter plus tard.

Il était cependant impossible pour son cœur de se porter contre Sakura. Et une fois de plus, c'était bien naturellement qu'il avait choisi une autre cible : Sasuke Uchiwa, le garçon dont son ex-petite-amie était tombée amoureuse. Le garçon qui avait quitté plus tôt la salle de classe pour s'échapper dans la cour.

Repoussant le groupe d'élèves qui avait jugé bon de bloquer le passage dans le hall d'entrée – et sans prêter la moindre attention à ses protestations -, il déboucha dans celle-ci et chercha frénétiquement du regard les mèches brunes et rebelles de sa cible.

Il s'avança, tourna la tête, s'arrêta sur chaque élève qui avait les cheveux noirs.

Ses recherches furent vaines et il poussa un juron avant de s'immobiliser : près du passage – comme on le nommait – situé entre le bâtiment administratif et le gymnase se tenait Ino. Il la connaissait bien : ils avaient été dans la même classe au collège et elle était la meilleure amie de Sakura. Il l'avait donc souvent fréquentée.

Il allait détourner la tête, nullement intéressé car à la recherche d'une autre personne, lorsqu'il reconnut aux côtés de la jeune fille celle à cause de laquelle il souffrait tant.

Sakura.

Et elle pleurait.

Mu par une inquiétude soudaine, il se précipita vers elles. Ino leva les yeux vers lui et lorsqu'il fut près d'elles et qu'il porta une main à l'épaule tremblante de Sakura, elle eut un petit sourire contrit.

« Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi elle est dans cet état ? demanda précipitamment Naruto. »

L'éclat mourut sur les lèvres d'Ino et elle ne parut que plus désolée encore.

« C'est Sasuke. Elle est allée lui faire sa déclaration et il lui a répondu qu'elle n'était pas son type. »

Il se figea. Coula un regard vers les yeux verts et boursouflés de Sakura. Et serra durement les poings.

« Cet enfoiré… Où il est ? »

Ino parut surprise et indiqua vaguement le passage du doigt.

« Pourquoi tu demandes ça ? osa-t-elle. »

Mais comme elle cherchait le regard de Naruto, il les dépassa et marcha rapidement vers le lieu indiqué.

« Hé, Naruto ! Où tu vas ? »

Il ne répondit pas et se mit à courir. Il pénétra l'ombre qui s'étendait peu à peu entre les deux bâtiments aux murs hauts. Les fenêtres défilèrent, quelques feuilles mortes amenées là par le vent crissèrent sous ses pas et la lumière de la cour intérieure l'aveugla un court instant avant qu'il ne débouchât dans cet espace clos où Sasuke se tenait toujours, assis sur le rebord de la fontaine, voûté, les coudes posés sur les genoux et un air songeur sur le visage.

Naruto y fit à peine attention. Et s'il s'arrêta un temps pour examiner son vis-à-vis, il reprit rapidement sa marche.

« Toi ! vociféra-t-il. »

Il vit l'autre sursauter puis lever des yeux interrogateurs vers lui, les sourcils froncés. Il sembla le reconnaître car il se leva nonchalamment, les mains dans les poches, et sembla sur le point de lui demander ce qu'il lui voulait – car après tout, eux qui ne se connaissaient que de vue à peine avant ce matin, s'invectivaient désormais d'un simple regard.

Naruto ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce fût. Il serra le poing droit. Et dans un large mouvement du bras, il en percuta sa joue.

Sonné, surpris, estomaqué, Sasuke le fut – il ne s'était sans doute pas attendu à cela ! Et sans poser la moindre question, simplement révolté par un tel geste, il se redressa et avant même que sa vue ne lui fût totalement revenue, il prépara à son tour son coup et l'envoya au même endroit que son vis-à-vis.

Naruto chancela, se reprit rapidement, découvrit les dents et, dans un cri de rage, se jeta sur Sasuke. Et comme ils échangeaient coup sur coup, Ino sortit du passage. Ses grands yeux bleu pâle s'écarquillèrent lorsqu'elle les vit faire.

« Mais… mais qu'est-ce que vous faites ? s'égosilla-t-elle. »

Elle s'approcha d'eux, chercha à les séparer. L'un d'eux la repoussa contre la fontaine. Son dos percuta violemment le rebord. Elle grimaça de douleur, ferma les yeux sur l'instant, les rouvrit en se redressant et vit Sasuke s'abattre sur un mur avant que Naruto ne lui fonçât dessus pour lui donner un coup dans le ventre. Un temps, il resta plié en deux, laissant échapper quelques grognements, avant de se redresser et de faire basculer Naruto à terre. Ils se mirent à rouler au sol, toujours se frappant, se griffant, s'agrippant.

Bouche bée, impuissante, Ino les observa encore un temps avant de retrouver ses esprits et de se jeter sur la porte qui venait de s'ouvrir. Le surveillant qui la réceptionna ouvrit de grands yeux tandis qu'elle lui indiquait la scène du doigt et la suite se déroula pour elle dans un certain flou.

« Non mais ça va pas, vous deux ! Arrêtez ça tout de suite ! »

Elle reprit son souffle. Distingua à peine le surveillant séparer difficilement les deux élèves. Puis elle se crispa sous un regain de douleur, posa une main sur ses reins élancés. Et comme elle relevait les yeux vers le passage, elle vit Sakura. Et ses yeux verts embués de larmes.


Izumo les fit brusquement asseoir dans un même mouvement face au bureau de la proviseure. Tsunade Senju, splendide dans son tailleur brun, les cheveux impeccablement noués et rejetés derrière ses épaules, les coudes posés sur le bois lustré de son meuble, les mains croisées devant le visage, fixait de ses yeux brun clair les deux adolescents mal en point que le surveillant venait de lui amener. Elle retint un soupir.

D'un geste de la tête, elle indiqua à Izumo qu'il pouvait quitter la salle. Puis elle jeta un œil à Kotetsu, son assistant, qui était venu déposer quelques documents dans son bureau ce matin-là et s'entretenait avec elle lorsqu'elle avait vu entrer dans son bureau Naruto Uzumaki et Sasuke Uchiha. Elle n'aurait jamais cru les recevoir ensemble. Ses lèvres se froissèrent en un léger rictus.

Elle les fixa encore un temps, passant de l'un à l'autre, observant leurs visages boudeurs et fermés et la façon qu'ils avaient l'un l'autre, faussement avachis sur leurs chaises, de se détourner le plus possible de l'autre. Elle haussa un sourcil, sa curiosité piquée, puis desserra les doigts et se laissa aller contre le dossier de sa chaise.

« Naruto Uzumaki, commença-t-elle. Quelle surprise de te voir dans mon bureau… Depuis combien de temps n'y étais-tu pas venu ? Une semaine peut-être ? »

Naruto tiqua mais n'osa pas relever les yeux vers elle.

« J'ai l'habitude qu'on t'amène ici pour toutes les bêtises que tu t'amuses encore à faire à ton âge, les mauvais tours joués à tes professeurs, tes bagarres… Mais il me semblait que tu ne t'étais encore jamais attaqué à un nouveau de ta classe – transféré en cours d'année, qui plus est ! On ne t'a pas demandé de tout faire pour l'aider à s'intégrer ? Je ne suis pas certaine que ce genre de pratique participe de sa bonne insertion… »

Elle vit ses épaules légèrement s'affaisser et le toisa encore avant de tourner la tête vers son voisin.

« Quant à toi, Sasuke… Hé bien, je mentirais si je disais que je ne m'attendais pas à te voir ici. Après tout, au vu de ton dossier, il ne semble pas étrange que tu te battes avec tes camarades. C'était, paraît-il, courant dans ton ancien lycée et c'est d'ailleurs ce qui a causé ton exclusion. »

Si le jeune homme ne réagit pas à ce constat, Naruto ouvrit brusquement de grands yeux et se tourna vers son voisin, surpris. Silencieusement, Tsunade suivit la scène jusqu'à ce que son visage ne se crispât de nouveau de colère. Elle fit la moue. Que s'était-il donc passé entre ces deux-là ?

« Je pensais cependant, reprit-elle, que tu aurais retenu la leçon et que tu te serais abstenu de reprendre du service à Konoha. Ton comportement a jusque-là été exemplaire alors je vais te laisser une chance de m'expliquer ce qui t'a poussé à recommencer à te battre. »

Une fois de plus, Sasuke ne réagit pas. Et une once d'agacement se saisit de la proviseure.

« Je t'écoute. »

Elle vit l'élève soupirer puis relever des yeux effrontés vers elle et répondre, apparemment à contrecœur :

« J'ai rendu les coups que je recevais. Je n'ai pas franchement pour habitude de me laisser frapper sans rien dire. »

Elle eut un nouveau haussement de sourcil intéressé et se tourna vers Naruto.

« De la provocation ? Comme c'est étonnant de ta part, Naruto… susurra-t-elle avec ironie. »

Les poings du blond se serrèrent et il releva brusquement la tête vers elle avant de répondre :

« Si je l'ai frappé, c'est qu'il y avait une raison ! »

Ah oui ? C'était justement ce qu'elle cherchait à connaître. Mais avant qu'elle eût pu ajouter quoi que ce fût, Sasuke se tourna vers son voisin et grogna :

« Et on peut savoir laquelle ? On s'est jamais parlé et ça y est, ce matin, c'est la fête : tu passes ton temps à me fixer avec un air que tu veux méchant et tu t'éclates à me foutre un poing dans la gueule ? Là, 'va falloir que tu m'expliques parce que ton raisonnement m'échappe complètement. »

Naruto serra les dents avant de rétorquer :

« Y'en a une, enfoiré, et c'est Sakura ! T'as vu dans quel état tu l'as mise ?

-Hein ? Mais de quoi tu parles ? demanda Sasuke, les sourcils froncés.

-Tu l'as fait pleurer ce matin ! »

Sasuke ouvrit la bouche pour répondre, ne le fit pas immédiatement, comme pris de court, puis dit :

« Peut-être mais c'était pas voulu.

-T'avais pas le droit ! s'enflamma Naruto.

-Quoi ? Mais tu te fous de moi ? Elle est venue me voir pour me demander de sortir avec elle, j'ai dit non et ça te donne le droit de me cogner ?

-Pourquoi tu lui as dit non ? »

Sasuke écarquilla les yeux, estomaqué, avant de riposter :

« Mais parce qu'elle m'intéresse pas, quelle question ! Je vaispas me forcer quand même ! »

Le visage de Naruto s'empourpra de colère retenue :

« Elle t'intéresse pas ? Tu te fous de moi ? Elle m'a plaqué pour ta gueule ! Et c'est pas le genre de fille à s'accrocher à un gars qui n'a rien fait derrière pour. »

Les épaules de Sasuke se tendirent.

« T'insinues quoi, là ? »

Naruto plissa les yeux.

« T'as passé un mois entier collé à elle. Tu veux me faire croire que t'en as pas profité ? Alors que c'est une des filles les plus canons du lycée ? »

Une fois de plus, Sasuke ouvrit la bouche, dépassé par ce qu'il entendait.

« Tu me prends la tête depuis ce matin parce qu'elle t'a plaqué ? Mais grandis un peu, mec ! J'y suis pour rien, là-dedans.

-Bien sûr ! Prends-moi pour un con !

-J'ai pas besoin de ça pour ça ! »

Naruto se leva avec brusquerie, renversant sa chaise, et empoigna Sasuke par le col de sa chemise.

« Répète un peu, connard ! s'insurgea-t-il en levant le poing pour frapper.

-Ça suffit ! »

Les mains de Tsunade claquèrent sur le bois et ils tournèrent la tête vers elle. Elle s'était levée, le visage froissé par l'énervement, et ses yeux lançaient des éclairs.

« Rasseyez-vous. Tout de suite ! s'écria-t-elle. »

Les deux lycéens se jetèrent un dernier regard mauvais avant d'obtempérer. Face à eux, la proviseure semblait au bord de la crise de nerfs et se massait les tempes, les yeux fermés, tout en soupirant.

« Bon, dit-elle, récapitulons. Si j'ai bien compris, la source de votre conflit, c'est une fille ? »

Elle leva aussitôt une main pour faire taire toute contestation.

« Vous n'êtes que deux idiots – et des gamins, de surcroît ! »

Leurs yeux se plissèrent et, au bout d'un long temps durant lequel elle ne cessa de les fixer, ils baissèrent la tête.

« Faut-il vous rappeler que le règlement intérieur interdit que les élèves en viennent entre eux aux mains ? Qu'on soit clair : je ne tolèrerai pas ce genre de comportement dans mon établissement ! Et pour la peine, je vous donne deux semaines de retenue : vous effectuerez l'ensemble des corvées de votre classe et vous servirez d'aide à Monsieur Mitokado dans ses divers travaux. En binôme. Ça vous apprendra un peu à travailler ensemble.

-Mais… »

Elle adressa un regard noir à Naruto pour le dissuader de poursuivre.

« Je ne veux plus entendre parler de vous deux : est-ce que c'est clair ? Vous êtes deux élèves à problèmes et je me contenterai de traiter vos cas séparément. Si vous avez le malheur de revenir ici suite à une nouvelle dispute, j'ajouterai à chaque fois une semaine à votre punition. Je me suis bien fait comprendre ? »

Seul le silence lui répondit et elle s'assura de la docilité des deux jeunes garçons en les voyant garder la tête résolument baissée.

« Parfait. Kotetsu ? Aurais-tu l'amabilité de bien vouloir reconduire ces messieurs à leur salle de cours ?

-Bien sûr, Madame la proviseure. »

L'assistant s'avança vers la porte et l'ouvrit avant d'inviter les deux garçons à se lever et à le suivre. Ils adressèrent à tour de rôle un dernier coup d'œil à leur directrice: mécontent pour Sasuke, presque suppliant pour Naruto. Mais elle chassa les plaintes muettes d'un geste de la main. Et lorsque la porte de son bureau fut close, elle ferma les yeux et poussa un profond soupir.


La semaine s'était écoulée sans trop d'anicroches : aucun d'eux ne souhaitait véritablement passer plus de temps encore à exercer les corvées de ménage de leur classe avec l'autre. Il leur était déjà difficile de venir chaque matin plus tôt pour arranger leur salle et voir la pause dont ils bénéficiaient autrefois entre la fin des cours et le début des clubs s'envoler pour passer le balai. En outre, ils devaient toujours y repasser pour s'assurer que rien n'y avait été oublié lorsqu'ils avaient fini leur entraînement de base-ball pour Naruto et de judo pour Sasuke.

Ils étaient également réquisitionnés par Homura Mitokado, le vieux concierge du lycée, qui se faisait un plaisir de leur faire effectuer les pires tâches – celles, soupçonnait Naruto, qu'il aurait dû remplir depuis des mois mais qu'il avait toujours reportées par paresse ou par dégoût : et entre le nettoyage, la réparation des vieux cabinets du troisième étage – ceux, précisément, que les élèves n'utilisaient jamais tant ils étaient insalubres – et le désherbage du terrain vague de la pointe Nord du lycée, ils avaient été plus que gâtés.

Entre les deux garçons s'était installée une profonde froideur. Ils ne supportaient toujours pas d'être côte à côte et se jetaient des regards noirs dès qu'ils se croisaient. Mais ils avaient communément et sans en avoir parlé pris la décision de ne plus s'adresser la parole. La simple hostilité qu'ils affichaient pour l'autre avait renseigné leurs camarades sur la nouvelle relation qu'ils entretenaient. Kiba, Shikamaru et Choji avaient appris ce qu'il s'était passé entre eux par Ino, dont ils étaient également proches, et lorsqu'ils avaient voulu demander à Naruto ce qui en avait découlé, il leur avait sèchement répondu et les avait laissés en plan pour aller décolérer dans un coin désert. C'était la première fois qu'ils le voyaient aussi énervé et ils n'avaient plus tenté de lui soutirer d'informations à ce sujet.

Le silence était maître, aussi glacial et claquant que le vent d'hiver. Car, inconsciemment, ils savaient tous deux que s'ils se parlaient de nouveau, rien de bon n'en résulterait.


Le ballon passa la boucle du panier, se balança un temps entre les filets, retomba doucement et rebondit sur le sol.

« L'équipe 3 remporte le match ! s'écria Shino, un camarade de classe de Naruto qui, son équipe n'ayant personne à combattre pour l'instant, servait d'arbitre durant la rencontre. »

Avec un cri de joie, Kiba et Naruto s'étreignirent en se tapant brusquement sur le dos, taquins et stupidement fiers. Hinata, en retrait, les regardait et souriait timidement. Leur équipe n'avait pas encore perdu un seul match depuis le début du cours de sport.

Ce vendredi-là, leur classe avait rejoint le professeur Maito, un homme exubérant et passablement laid qui leur enseignait le sport : il portait des cheveux noirs en bol et ses petits yeux, toujours pétillants de vie – ce qu'elle appréciait, somme toute, assez chez lui – étaient surmontés d'épais sourcils de même teinte. Dynamique, convaincu que l'effort physique faisait l'Homme, il les avait entraînés avec acharnement à l'art de la gymnastique ces derniers mois. Mais avec le mois d'octobre, ce cycle avait vu sa fin. Et le commencement d'un autre : celui du basket-ball.

Hinata n'avait rien dit. Mais tout comme en gymnastique, elle ne se sentait pas à l'aise. Et s'était trouvée d'autant plus mal lorsque le professeur leur avait demandé de se répartir par trinôme et avait arbitrairement décidé de l'ordre des rencontres. C'était, bien sûr, une première approche de ce sport collectif. Et travailler à trois semblait un bon compromis.

C'était tout naturellement que Naruto et Kiba, deux adeptes de la plupart des sports collectifs, s'étaient mis ensemble, laissant Shikamaru et Choji, leurs deux amis de toujours, se retrouver. Elle n'avait pas été loin, épiant comme elle en avait l'habitude le jeune homme blond dont elle était follement amoureuse depuis le plus jeune âge.

C'était lui qui lui avait proposé de se joindre à eux : il l'appréciait assez parce qu'elle était sympathique et calme – et que jamais elle ne cherchait à faire de mal aux autres. Kiba avait approuvé ; il entretenait avec elle une amitié solide et préférait de loin faire équipe avec elle qu'avec une autre fille de la classe.

Ils avaient ainsi débuté leurs matches. Et même si elle n'y arrivait pas toujours, Naruto et Kiba tentaient de la faire participer et rattrapaient sans cesse ses faux pas ; de telle sorte qu'ils portaient véritablement l'équipe et la rendaient imbattable.

Les deux garçons, quant à eux, loin de toutes ces tergiversations, savouraient simplement le fait de jouer ensemble : ils se connaissaient bien, savaient pouvoir compter sur l'autre, que leur travail d'équipe était excellent ; et toutes ces victoires plaisaient à leur orgueil. Les mains sur les hanches, ce fut donc avec enthousiasme que Naruto vit l'équipe qu'ils avaient combattue quitter le terrain et demanda, un grand sourire aux lèvres :

« Bon, c'est qui les prochains ? »

Trois autres élèves se placèrent face à eux dont Shino, un air passablement ennuyé sur le visage. Et l'éclat sur ses lèvres mourut aussitôt.

Il n'avait rien contre Tenten, la fille qui terminait l'équipe. Non. Il était simplement dérangé par la présence du troisième élève.

« Uchiha, maugréa-t-il. »

Kiba jeta un œil désolé et presque inquiet à son ami dont il vit les poings se serrer. Hinata, percevant également le froid qui venait de s'installer, ramena ses mains tremblantes devant ses lèvres.

« Na-Naruto ? bégaya-t-elle. »

Mais l'attention de celui-ci était toute portée sur son vis-à-vis, impeccable dans son uniforme de sport : le tee-shirt bleu marine frappé du blason de l'école lui allait trop bien, le short de même teinte qui l'accompagnait dévoilait ses jambes puissantes. Il le vit ramasser la balle qui avait roulé jusqu'à ses pieds. Puis se redresser et planter ses yeux sombres dans les siens.

Impassible, il s'avança jusqu'au centre du terrain. Sans le quitter des yeux, Naruto l'imita.

« Hé, Naruto ! appela Kiba, craignant une nouvelle échauffourée. »

Mais Naruto ne l'écouta pas. Se contenta de dévisager son vis-à-vis qui le lui rendit bien. Un autre élève s'avança pour jouer l'arbitre. Se saisit de la balle sans parvenir à les séparer. Il annonça le début du match. Puis la lança.

Sasuke fut le premier à réagir. Il jeta un dernier regard appuyé à Naruto, leva les yeux vers le ballon qui lentement retombait sur eux. Prit son élan. S'élança.

« Naruto, réveille-toi, putain ! »

Le jeune homme reprit alors ses esprits. Mais Sasuke passait déjà à côté de lui, tel un souffle de vent. Sans cesser de dribbler, il évita Kiba, ne fit pas grand cas d'Hinata, parvint au panier. Lança. Marqua.

« Deux – zéro pour l'équipe 7 ! »

Abasourdi, Naruto resta un temps figé, ayant du mal à comprendre ce qu'il venait de se passer. Le ballon avait cessé de rebondir et même de rouler au sol lorsqu'il se retourna, interceptant les regards interloqués de ses coéquipiers. Sasuke, un sourire moqueur aux lèvres, mains dans les poches, resta un temps à le dévisager. Puis il passa à ses côtés le menton levé et rejoignit son équipe pour l'échange suivant.

« Naruto ? appela l'arbitre. »

L'interpellé secoua la tête pour se remettre les idées en place. Il l'avait surpris ? Très bien. Cela ne se reproduirait plus. Et plein d'une détermination nouvelle, il rendit à Sasuke son regard – un regard qui appelait clairement au défi, au défi de prouver ce dont il était capable et, surtout, qu'il pouvait être meilleur que lui. Naruto serra les dents.

« Très bien, c'est parti ! »

La balle orange s'éleva de nouveau dans les airs. Naruto prit appui sur ses jambes. Sauta. Sasuke l'imita. Bondit à peine plus haut. La paume de sa main claqua contre le ballon et celui-ci rebondit à terre. Déjà, Shino s'en emparait et partait, dribblant, pour confronter Kiba. L'Uchiha disparut aussitôt de son champ de vision pour rejoindre son camarade. Une fois de plus, surpris de sa rapidité, Naruto ne réagit pas immédiatement.

Lorsqu'il le fit, à coup de passes successives, Sasuke et l'autre garçon avançaient progressivement vers leur panier. Kiba, perdu, tentait de les marquer tour à tour et Hinata, apeurée, avait ramené ses mains contre ses lèvres tremblantes. Elle ferma tout à fait les yeux lorsqu'un des garçons s'approcha d'elle. Une dernière passe et Sasuke envoya la balle sur le panier. Il y eut un premier rebond contre la surface arrière, un second à l'intérieur du filet contre le cercle orangé qui le retenait. Et la balle, lentement, s'en alla ricocher sur le sol du gymnase dans un bruit qui fut insupportable pour Naruto.

« Quatre – zéro ! »

Un juron lui échappa, son poing se serra compulsivement. La fière équipe 7, rictus narquois sur les lèvres, remonta le terrain jusqu'à ses côtés. Naruto se retint de lui sauter à la gorge. Un regard trop appuyé de Sasuke faillit lui faire perdre ses moyens. Mais une main sur son épaule le retint. Naruto se tourna vers Kiba.

« Du calme, lui dit celui-ci. Et concentre-toi un peu. Choppe la prochaine balle. Je m'arrangerai pour me démarquer et tu me la passes à ce moment-là, ok ? »

Naruto hocha la tête. Avec un air entendu, Kiba se plaça à ses côtés. L'arbitre, une fois de plus, s'avança entre Naruto et Sasuke qui venaient de se placer devant lui. Il relança la balle. Cette fois-ci, Naruto attendit le saut effectué trop tôt de son adversaire pour s'élancer. Il attrapa le ballon, usa d'un de ses pieds comme pivot, évita la prise que voulait faire Sasuke, l'envoya à Kiba qui venait de se démarquer. Et il le rejoignit aussitôt en courant.

Shino, qui s'était avancé, s'arrêta en plein milieu de sa course tandis que le brun marquait Kiba. Ce dernier maugréa une vague insulte, envoya le ballon. Tenten l'intercepta, voulut le renvoyer à Sasuke. Mais Naruto, comme une flèche, passa sur sa trajectoire, s'en empara. Et une fois face au panier, il prit une profonde inspiration. Leva les bras. Et du bout des doigts, tira.

Comme dans un rêve, il vit au ralenti la courbe qu'effectua l'objet, comme peu à peu il déviait sur le côté. Il le vit frapper le cercle du panier, partir tout à fait sur la droite. Sortir du terrain. Et alors qu'il fermait les yeux en soupirant d'exaspération, les mains portées à ses cheveux, il perçut le cri de l'arbitre qui annonçait la sortie et donnait le loisir à l'équipe adverse d'aller chercher le ballon.

Un ricanement retentit derrière lui. Il releva la tête, vit la silhouette élancée de Sasuke le dépasser en quelques foulées avant que le garçon ne se retournât vers lui, quelques mèches brunes lui embrouillant la vue.

« Apprends à viser, Uzumaki ! »

Il poursuivit sa route jusqu'à la balle. Et ne remarqua pas même l'air rageur qu'arborait alors Naruto qui, au comble de l'énervement, venait de subir l'humiliation de trop. Ses lèvres s'entrouvrirent dans une légère crispation, dévoilant ses dents serrées. Ses sourcils, dangereusement froncés, assombrissaient son regard qui était soudainement devenu bien orageux. D'un pas énergique, il s'avança vers un Sasuke insouciant qui ne fit que se montrer plus moqueur en le voyant arriver sur lui.

Il ne pensait sans doute pas qu'il oserait le frapper ; aussi ne réagit-il pas immédiatement lorsque le poing de Naruto percuta sa joue. Sa tête partit sur le côté, il lâcha sous la surprise la balle qui rebondit sur le sol et s'éloigna d'eux. Un silence de mort s'installa sur le terrain.

« Naruto, non ! hurla Kiba. »

Mais il était trop tard. Les yeux noirs de Sasuke venaient de rencontrer leurs vis-à-vis et la même colère s'y reflétait. Elle gagna tout son visage qui se tordit, menaçant. Et le geste du blond lui fut rendu avec plus de force encore. Celui-ci pesta avant de se jeter sur son attaquant pour le frapper à nouveau. Sasuke le reçut, l'agrippa fermement et le fit reculer jusqu'au poteau du panier.

Dans un geignement, Naruto le sentit lui rentrer dans le dos. Son pied cogna le tibia de Sasuke, il tenta de le faire chuter.

Des pas précipités s'approchèrent d'eux.

« Naruto, arrête ! »

Ce fut Kiba qui, le premier, courut à leur encontre pour tenter de les séparer.

« Lâche-le ! insista-t-il en se saisissant du bras de son ami. »

Un coup malencontreux le toucha au menton, il se mordit férocement la langue et le goût du sang envahit sa bouche tandis qu'il laissait échapper une plainte.

Il y eut un moment blanc ; le temps que Naruto comprît que son ami venait d'être blessé. Et oubliant bien vite qu'il était peut-être celui qui l'avait par inadvertance touché, il retourna la faute vers Sasuke. Sasuke qui lui avait volé Sakura. Sasuke qui était à l'origine de toute la peine qu'il éprouvait. Sasuke qui frappait ses amis. Sasuke qui l'atteignait par tant de moyens.

Un cri de haine pure passa ses lèvres et il se jeta en avant, entraînant de son poids le corps de Sasuke qui chuta. Ils roulèrent, cognèrent, heurtèrent, abîmèrent. Et rien ne semblait pouvoir les arrêter.

« Hé, hé, hé ! Qu'est-ce que vous fichez, les jeunes ? »

D'une main puissante, le professeur Maito, accouru en de grandes foulées, se saisit du premier qui fut à portée de sa main et tira pour démêler les deux fauteurs de trouble.

Il fallut moins de cinq minutes pour qu'ils fussent séparés, retenus par plusieurs de leurs camarades sous le regard furibond du professeur de sport ; moins de cinq minutes pour que, sous la responsabilité du délégué de leur classe, ils fussent de nouveau assis face au bureau de leur proviseure ; moins de cinq minutes pour que, d'un regard las, les mains jointes devant son visage, Madame Senju leur fît comprendre qu'ils écopaient d'une nouvelle semaine de corvées ; moins de cinq minutes pour qu'ils fussent mis à la porte.

Avant de se séparer, ils se jetèrent un dernier regard, l'air toujours aussi peu amène. Naruto leva un doigt accusateur vers l'autre garçon et siffla, d'un ton hargneux :

« Maintenant, c'est la guerre, Uchiha ! »


Le lundi suivant, Sasuke passa le portail du lycée en soupirant. Les lieux étaient encore déserts et il commençait à faire sombre le matin comme le mois d'octobre avançait. Cela faisait une semaine qu'il venait toujours plus tôt pour débuter les corvées de sa classe avec Naruto. Il prenait seulement maintenant conscience de la semaine supplémentaire qu'il allait devoir passer en sa compagnie.

Un nouveau soupir lui échappa et il finit par hausser les épaules, préférant mettre tout cela de côté.

Tu as connu bien pire, pensa-t-il.

C'était peu de le dire et une semaine de corvées ne le tuerait pas. Il lui suffisait d'avoir un comportement exemplaire et d'éviter de répondre aux provocations de Naruto pour être enfin libéré de tout cela et revenir à la vie un tant soit peu normale qu'il avait eue jusqu'à lundi dernier.

Les feuilles mortes étaient de plus en plus nombreuses à joncher le sol ; les arbres étaient pleins de couleurs ternes parmi lesquelles on pouvait pourtant voir quelques rais lumineux. Peu à peu, la structure maladive des arbres s'entre-apercevait. Bientôt, ce ne serait plus que les squelettes de bois qui resteraient.

Il entra dans le grand hall où se trouvaient les casiers des élèves. Ce fut sans bien s'en rendre compte qu'il s'assit au bord de l'estrade sur lesquels étaient posées les étagères de fer pour ôter ses chaussures. Puis, sa paire en main, il sortit la clé de son casier de sa poche et alla l'ouvrir. Il ne se rendit pas tout de suite compte, du fait de la faible luminosité et des néons qui grésillaient au-dessus de lui, que quelque chose n'allait pas. Il posa sa paire, saisit ses chaussures d'intérieur. Ce ne fut que lorsqu'elles furent à la pleine lumière des plafonniers que sa respiration se coupa.

Devant ses yeux éberlués, ses souliers noirs habituellement si bien lustrés apparurent couverts d'une couche de peinture sans doute appliquée à la bombe. Mais au-delà d'avoir ses affaires vandalisées – et un frisson désagréable lui parcourut la nuque alors qu'une impression de déjà-vu se saisissait de lui -, ce fut l'immonde couleur rose qui le rembrunit.

Il se rappelait très bien être parti en même temps que Naruto le vendredi soir. L'école était fermée le week-end et seul quelqu'un étant venu plus tôt que lui aurait pu faire cela.

Sans plus attendre, il enfila ses chaussures, attrapa son sac en bandoulière et s'élança dans les escaliers.

Il lui fallut bien moins de temps que d'habitude pour atteindre sa salle de classe. Il fit coulisser la porte.

Naruto était là, dans une pièce impeccable où tout avait déjà été mis en place. Il était nonchalamment assis sur son bureau, les pieds sur sa chaise, un manga en main. Il leva la tête à son entrée, un léger sourire en coin.

« Tiens, salut, Sasuke ! lança-t-il d'une manière plus que sarcastique. »

Il posa son manga à côté de lui et se leva avant de slalomer entre les bureaux pour venir se poser devant lui. Il jeta un œil à ses chaussures salies et son sale petit sourire s'élargit.

« Sympa, la nouvelle couleur de tes chaussures. »

Il le fixa longtemps dans les yeux, semblant attendre de le voir craquer, capituler, céder et avouer ses méfaits. Mais loin de se sentir désespéré, Sasuke bouillait de rage. La main toujours crispée sur la poignée, il se retenait de lui sauter à la gorge. Ses lèvres, méchamment tordues en un rictus, tremblaient de colère retenue. Et toujours Naruto, face à lui, jubilait du mauvais tour qu'il venait de lui jouer.

Il voulut dire quelque chose, lui cracher à quel point son imbécilité était grande. Mais il prit une profonde inspiration et, puisque la corvée du matin était déjà faite, il reprit un air impassible, rendit à Naruto un regard qui signifiait :

« Tu peux faire ce que tu veux, tu ne m'auras pas et tu ne perds rien pour attendre. »

Puis, sans rien dire, il sortit, referma la porte et partit laver ses chaussures.

Il ne vit pas l'air presque vexé de Naruto.


Sasuke se vengea. Mais cela n'arriva pas avant le lendemain matin. Sans se douter de rien et content d'avoir eu – du moins le croyait-il – le dernier mot, Naruto vint le matin en sifflotant, ignorant presque Sasuke alors qu'il mettait les chaises en place dans leur salle de cours. Puis il partit se passer un coup d'eau sur le visage, croisa ses amis dans le couloir, resta longtemps à discuter avant d'entendre la première sonnerie. Il gagna alors sa place et s'assit en attendant le premier professeur qu'ils avaient le matin.

Lorsque celui-ci entra, le délégué de la classe appela ses camarades à se lever pour le saluer. D'un même geste, la classe se mit debout. Naruto ne fit pas exception. Mais lorsqu'il voulut se redresser, sa chaise resta collée à son pantalon et se bloqua contre le rebord du bureau de Kiba. Déséquilibré, il retomba en arrière dans un couinement. Tous les élèves et le professeur se retournèrent vers lui.

« Un problème, Monsieur Uzumaki ? »

Rouge de honte, Naruto répondit :

« Non, non ! Je… »

Il tenta de se relever mais le même manège se reproduisit. Et ce fut avec horreur qu'il comprit qu'une large couche de colle le retenait à sa chaise. Il y eut de forts rires autour de lui tandis qu'il prenait un air contrit et jetait un regard perdu au professeur qui lui-même semblait amusé.

« Hé bien… on dirait qu'on vous a joué un mauvais tour. Mais ma foi ! Vous aurez le loisir de vous sortir de là à la pause de dix heures. Et pour une fois, vous resterez sagement assis pendant ma leçon. Débutons ! »

Naruto baissa la tête sous une nouvelle vague de rire de la classe. Rouge de gêne, il accepta la main de Kiba posée sur son épaule en signe de soutien.

« Tu sais qui a fait ça ? »

Il était bien facile d'y répondre, surtout lorsque Sasuke Uchiha le regardait de biais avec un mauvais sourire aux lèvres. Les poings de Naruto se serrèrent et une rage renouvelée se répandit en son sein. Il ne décoléra pas jusqu'à la pause. Et dès que le professeur fut sorti, il défit sa ceinture, chercha avec acharnement à se défaire de son pantalon. Dans son agitation, il bascula sur le côté, manqua se cogner la tête contre le bureau voisin. Ses amis n'eurent pas même le temps de venir l'aider qu'il se défit enfin de son vêtement et, vêtu d'un magnifique boxer orange couvert de grenouilles vertes, il se jeta sur Sasuke qui rangeait tranquillement ses affaires.

Une nouvelle bataille fut inévitable. Un détour par le bureau de la proviseure et une nouvelle semaine de retenue aussi.


Naruto vivait très mal d'écoper d'une nouvelle semaine, Sasuke n'en doutait pas. Mais il n'aurait jamais cru qu'il le lui aurait fait payer de cette façon-là le lendemain.

La pause de midi allait bientôt se terminer et il avait fait un détour par les toilettes du deuxième étage qui étaient, selon lui, les plus propres de l'établissement. Il était en train de se laver les mains lorsqu'un bruit sourd retentit. Il se retourna et la porte se referma brusquement sous ses yeux. Il n'en fit d'abord pas grand cas et haussa simplement les épaules avant de revenir à son affaire, de fermer le robinet et de s'essuyer les mains. Mais un autre bruit se fit entendre derrière la porte d'entrée.

Fronçant les sourcils, il s'en approcha, posa sa main sur la poignée et tenta de la faire tourner. Elle resta malheureusement bloquée. Il eut beau réitérer plusieurs fois son geste, s'appuyer de tout son poids contre la porte, cogner contre celle-ci, se jeter dessus, rien n'y fit.

L'affreuse idée d'être enfermé dans des toilettes pour toujours, toilettes où il n'y avait ni fenêtre ni bouche d'aération suffisamment large pour qu'il pût s'y glisser, lui glaça le sang. Et la panique se saisit bientôt de lui tandis qu'il frappait de ses poings la porte et appelait à l'aide.

Un brouhaha sensationnel se fit entendre de l'autre côté jusqu'à ce qu'une voix autoritaire demandât le silence. On s'activa dans le couloir pour débloquer l'entrée et elle finit par laisser apparaître Homura Mitokado, le vieux concierge du lycée dont le visage ridé et bruni par le soleil ne laissa pas le moindre signe de compassion passer lorsqu'il fut face au visage plus blanc que d'ordinaire et brillant de sueur de Sasuke.

« Hé bien ? Qu'est-ce que tu faisais là-dedans ? »

Sasuke, bouche bée, ne répondit pas et resta un temps interdit avant de se reprendre et de sortir rapidement du lieu où il s'était retrouvé enfermé. Il passa un bras sur son visage dégoulinant pour l'essuyer. Puis il leva les yeux et son souffle se bloqua quand il se rendit compte de l'amas d'élèves qui l'observait comme une curiosité. Il déglutit difficilement alors que d'insupportables flashes lui traversaient l'esprit.

Il tenta de donner le change mais son souffle court, ses yeux dilatés, la sueur qui perlait toujours de sa peau, sa pâleur et le rythme effréné de son cœur l'en empêchaient tout à fait. Et lorsque ses yeux perdus balayèrent la foule et tombèrent sur le sourire en coin de Naruto Uzumaki qui, manifestement fier de lui, croisait les bras d'un air victorieux, sa peur se mua en ressentiment et il s'empressa de fendre la foule pour dévaler les escaliers et s'échapper du malaise ambiant.


Le jeudi 10 octobre, Naruto Uzumaki arriva au lycée avec une bonne humeur indéfectible. Il salua presque Sasuke avec gentillesse, mit du cœur à l'ouvrage pendant les corvées. Son ennemi – c'était en tout cas comme cela qu'il le percevait – l'observait d'un air étrange, sans doute persuadé qu'il préparait un nouveau mauvais coup. Ce ne fut que lorsque leurs camarades de classe lui souhaitèrent, à tour de rôle, un joyeux anniversaire qu'il sembla comprendre pourquoi il était d'aussi bonne compagnie.

Joyeux, Naruto le fut jusqu'à la fin de la première heure de cours de l'après-midi. Le jeudi, ils terminaient par une heure de travaux pratiques en physique-chimie. C'était un des rares cours qui leur faisaient quitter leur salle de classe. Mais comme ils rangeaient tous leurs affaires, l'enseignant demanda aux lycéens chargés de corvée de l'aider à ramener plusieurs photocopies en salle des professeurs. La mort dans l'âme, Naruto se manifesta et rejoignit le bureau avec Sasuke.

« On va arriver en retard, M'sieur, maugréa-t-il.

-Comme si ça pouvait être surprenant de votre part, Uzumaki, répondit Asuma Sarutobi, qui leur dispensait l'histoire. Je vous ferai un mot si c'est vraiment nécessaire. Tendez les bras, je vous prie.

-Ça risque de l'être, c'est Orochimaru qu'on a en sciences cette année, rétorqua-t-il. »

Le professeur leur accorda un regard désolé et déposa de grosses piles de feuilles sur leurs bras avant d'en prendre lui-même une.


« On va se faire tuer, j'te jure. »

Sasuke soupira et se retint de se pincer l'arête du nez – un vieux tic qui le prenait lorsque ses nerfs étaient mis à rude épreuve. Certes, pour une fois, Naruto ne s'adressait pas à lui pour l'invectiver. A l'heure actuelle, il se morfondait comme ils gagnaient, avec dix bonnes minutes de retard, le laboratoire de chimie.

« Je déteste ce prof. Il me met mal à l'aise, pas toi ? »

Sasuke n'avait pas franchement envie de répondre. Il trouvait un peu facile, étant donnée l'humiliation qu'il avait subie la veille, de jouer ainsi à copain-copain lorsque cela arrangeait Naruto. Son sac accroché à son épaule, les mains dans les poches, il avançait sans jeter un regard à son compagnon de fortune dont le visage pâlissait à mesure qu'ils avançaient dans le couloir au bout duquel se trouvait le laboratoire.

« Si ça se trouve, il a prévu de nous faire disséquer un truc dégueu. »

L'Uchiha secoua la tête, dépité. Il dut ouvrir la porte tant Naruto s'y montrait réticent. Le professeur Orochimaru était en pleine explication du travail à accomplir. Il s'interrompit et leur coula un regard amusé.

« Oui, Messieurs ? siffla-t-il. »

Naruto déglutit bruyamment et Sasuke se contenta de tendre au professeur le mot de Monsieur Sarutobi. L'homme le lut rapidement et releva la tête en souriant narquoisement.

« Voyez-vous ça ! Les deux effrontés qui ne peuvent pas se supporter, obligés de travailler ensemble… On dirait que ce n'est pas prêt de s'arrêter. »

Les deux élèves se regardèrent avant de se retourner vers leur professeur.

« C'est-à-dire ? interrogea Sasuke. »

Monsieur Orochimaru leur montra la classe d'un large geste du bras. Tous les élèves, répartis en binômes autour des paillasses, avaient revêtu les habituelles blouses blanches et lisaient déjà le polycopier qui leur expliquait l'expérience du jour.

« On dirait qu'il ne reste que vous deux… Que diriez-vous de former un binôme, mh ? Je suis certain que vous ferez du très bon travail ensemble. »

Et dans un dernier et large sourire qui dévoila ses dents, le professeur revint à son explication. Sasuke sentit un poids lui tomber sur les épaules et un profond soupir d'exaspération de Naruto lui assura que son camarade de classe ressentait la même chose. Machinalement, ils sortirent leurs blouses de leurs sacs et les boutonnèrent rapidement avant de se placer autour de la dernière paillasse libre. Le polycopier leur fut donné une fois l'explication terminée. Monsieur Orochimaru y ajouta un « bonne chance » sarcastique et s'en fut.

Naruto, qui avait récupéré la feuille, se la fit brusquement enlever par Sasuke.

« Hé !

-Tais-toi, lui assena Sasuke. T'es trop bête pour comprendre.

-Quoi ? T'as dit quoi, là ?

-J'ai dit la vérité. T'es nul en chimie et je n'ai pas envie d'avoir une mauvaise note à cause de toi.

-Tss. »

Naruto croisa les bras, bien décidé à bouder tandis que son binôme lisait attentivement le déroulé de l'expérience et allait chercher les ingrédients dont ils auraient besoin. Efficace, il fut rapidement de retour à doser, mesurer, disposer, verser, agiter, mélanger, chauffer, observant attentivement tout changement de couleur.

Naruto lui coula un regard, admiratif malgré lui devant l'air sérieux de Sasuke, son habileté et l'intelligence qui brillait dans ses yeux. Mais plus que l'admiration, c'était l'envie qui le tenaillait, voire la jalousie. Il était certain que s'il laissait Sasuke faire seul, ils réussiraient. Mais ce ne serait pas de son fait et le temps passant, il ne souhaitait pas lui faciliter la tâche. Il se leva pour se rapprocher de lui et tendre la main pour saisir la large fiole dans laquelle reposait la solution qui devenait, au fur et à mesure qu'on l'agitait, d'un violet transparent.

« Lâche, ordonna Sasuke. »

Naruto lui lança un regard noir.

« On est un binôme, j'te rappelle. Moi aussi, j'ai le droit d'y toucher !

-Tu vas faire des catastrophes, lâche ça, je te dis !

-Hors de question ! »

Naruto arracha à Sasuke la solution. Celui-ci voulut immédiatement la rattraper mais le blond lui tourna le dos et le repoussa vers son tabouret. Sasuke manqua trébucher mais se reprit vite. Et comme Naruto s'émerveillait devant la couleur du liquide, il fut saisi par les épaules, retourné et une main se saisit du flacon pour le lui subtiliser. Mais il s'y accrocha, tira de son côté. Ils se bousculèrent. Et dans un geste malencontreux, la fiole leur échappa, s'éleva dans les airs. Encore aux prises l'un de l'autre, ils ne purent que lever la tête pour voir l'objet de verre lentement retomber vers la paillasse. D'un même geste, ils se statufièrent avant de tendre désespérément la main pour le rattraper.

Inexorablement, la fiole retomba contre la table et se brisa. L'étrange solution violette se répandit sur les carreaux blancs, sur leurs peaux qui se mirent aussitôt à les démanger, sur les feuilles qu'elle imbiba.

« Abruti !

-Hé ! c'est ta faute !

-N'importe quoi. Je t'avais dit de pas y toucher, bordel !

-Comme si j'allais te laisser faire ! »

Ils ne perçurent pas immédiatement la présence pourtant imposante de Monsieur Orochimaru qui, sombre, les toisait froidement. Sasuke fut le premier à le voir, derrière Naruto. Celui-ci, surpris de ne plus l'entendre lui répondre, se retourna et déglutit.

« Heu, Monsieur… c'est pas de notre faute, on vous jure ! »

Le sourcil gauche du professeur de sciences tressauta.

« Voyez-vous ça ? demanda-t-il d'un ton faussement doucereux. »

Naruto déglutit de nouveau.

« On est… on est désolé, on vous promet de tout nettoyer. Mais s'il vous plaît, ne nous collez pas ! C'est mon anniversaire aujourd'hui, vous comprenez ? Et j'ai un repas de famille prévu tôt ce soir alors bon…

-Uzumaki ? »

Surpris d'être coupé, Naruto se tassa sur lui-même.

« Oui ? demanda-t-il d'une toute petite voix.

-Dans ma grande bonté, je ne vous collerai pas. »

Les yeux bleus de Naruto s'ouvrirent en grand, pétillants.

« Vraiment ? Oh, merci, M'sieur ! C'est super sympa de…

-En revanche, vous allez nettoyer, ça, c'est sûr. Mais pas que votre paillasse, pour la peine. Non, ce serait trop facile… »

Le faux sourire que le professeur arborait jusque-là disparut brusquement. Et froidement, il acheva :

« C'est toute la salle que vous allez astiquer. Et vous avez intérêt à ce que ça brille jusque dans le moindre recoin sinon je jure de faire de votre vie un enfer. Est-ce que c'est clair ? »

Naruto hocha vivement la tête et Sasuke pouffa légèrement. Mais le regard acéré de son professeur le transperça.

« Ça vaut aussi pour vous, Uchiha. »

Et sans un mot de plus, il s'éloigna d'eux. Cette fois-ci, Sasuke ne put s'empêcher de se pincer le nez et de soupirer misérablement. La fin d'après-midi allait être longue.


La semaine se terminait enfin et Sasuke se sentait plus fatigué que jamais. La veille, il avait dû ranger l'entièreté du laboratoire de chimie en compagnie de Naruto et ce, sous la surveillance intensive du professeur Orochimaru. Ils y avaient passé presque une heure et il avait fallu, par la suite, retourner dans leur salle de classe pour terminer les corvées de la journée. Le concierge les avait ensuite interceptés et leur avait demandé de l'aider à réparer une partie de la grille qui entourait l'école ; elle avait depuis longtemps été défaite par les élèves qui s'en servaient de passage pour sortir en douce du lycée. Il était rentré tard chez lui avec encore des devoirs à faire. Il avait ensuite fallu revenir tôt ce matin pour les corvées et ils avaient eu deux devoirs sur table dans la matinée.

Mais il faisait beau et assez chaud aujourd'hui pour un mois d'octobre et Sasuke accueillit avec plaisir la pause de midi. Ce fut avec un empressement qu'il eut du mal à cacher qu'il descendit à son casier pou récupérer son bento et sortir profiter d'un banc pour manger en paix. L'idée semblait avoir tenté plus d'un puisque la cour était presque pleine. Il viendrait bien assez tôt le temps où tous les élèves resteraient dans leurs salles ou dans les couloirs pendant l'interclasse et envahiraient la cafétéria pour dévorer leur repas.

Il s'assit donc avec un soupir satisfait, posa son bento sur ses genoux et se permit même un petit sourire avant de l'ouvrir. Mais l'éclat se fana bientôt et ce fut avec désolation qu'il découvrit que son plat avait été ôté de la boîte et remplacé par de la terre.

Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qui l'avait ainsi privé de son repas et il chercha frénétiquement des yeux la chevelure blonde de Naruto Uzumaki.

Il le trouva assis non loin avec ses amis habituels : Shikamaru Nara, le premier de la classe ; Choji Akimichi, un gars enveloppé qui ne semblait bon qu'à parler de nourriture ; Kiba Inuzuka, un fana d'animaux à ce qu'on lui avait dit et qui croyait être assez intelligent pour devenir vétérinaire. Il serra les poings.

Tranquillement installé, Naruto discutait joyeusement du dernier manga qu'il avait lu avec ses amis. Son bento, posé sur ses genoux, était ouvert et, baguettes en main, il s'apprêtait à l'entamer. Un sifflement fendit l'air et une autre boîte percuta la sienne qui se renversa sur ses chaussures et le sol de la cour. Abasourdis, les quatre amis ne réagirent d'abord pas avant de lever les yeux à la recherche du lanceur importun.

Lorsque Naruto aperçut Sasuke qui, le bras encore levé, le regardait avec un air plus que satisfait, son sang ne fit qu'un tour. Et ses amis n'eurent pas le temps de le retenir pour lui éviter une nouvelle semaine supplémentaire de retenue.

Ils furent tout aussi impuissants lorsque les deux affamés, fâchés d'avoir par l'autre été privés de repas à midi, se retrouvèrent par inadvertance dans le même groupe d'entraînement au basket et que le professeur Maito leur fit travailler les passes. Chacun chercha à supplanter l'autre. Cela se termina par un croche-patte, une nouvelle dispute, une seconde visite dans la journée au bureau de la proviseure et la sixième semaine assurée de corvées.


Le lundi suivant, Sasuke fut à peine surpris de constater que son casier avait une nouvelle fois été forcé. Naruto l'avait vidé et ce n'est qu'au gré des couloirs qu'il récolta, tout au long de la journée, ses affaires éparpillées.

Sa vengeance intervint le lendemain quand, à la pause de midi, Naruto voulut sortir son bento de son bureau. Lorsqu'il en souleva le couvercle, une explosion retentit. L'ensemble de la classe, surpris, se retourna vers lui pour le voir couvert de farine – certains grains dansaient d'ailleurs encore dans les airs et l'entouraient d'une vague fumée. Il fusilla aussitôt du regard Sasuke qui, sourire aux lèvres, faisait mine de quitter la classe. Une fois de plus, nul ne put retenir l'Uzumaki qui s'élança, à travers tout l'établissement, à la poursuite de Sasuke. Izumo les rattrapa au vol, les emmena de nouveau au bureau de la proviseure et une nouvelle semaine de corvées s'ajouta à leur tableau.

Bien sûr, Naruto ne pouvait laisser impuni l'affront de Sasuke. Aussi attendit-il le lendemain de récupérer quelques boules puantes d'un ami pour les laisser dans les toilettes quand son ennemi s'y retrouva seul. Suffocant, le brun s'en échappa vite – crut-il. Mais pas suffisamment pour que la puanteur n'eût pas eu le temps d'imprégner ses vêtements. La sonnerie qui retentit l'empêcha de partir se changer et il dut supporter, avec humeur, l'air gêné de ses camarades de classe qui se couvraient le nez de leur manche.

L'humiliation fut si grande que Sasuke ne put se retenir de frapper le jour même. C'était le jour des clubs sportifs et il s'arrangea pour terminer le cours de judo plus tôt et se précipita dans les vestiaires de l'équipe de base-ball pour préparer son méfait.

Naruto ne vit rien venir. Il était de bonne humeur et aida donc le président du club à ranger le matériel. Il fut donc bon dernier à la douche et salua joyeusement ses coéquipiers quand ils partirent les uns après les autres. Laissé seul, il se mit à siffloter sous l'eau chaude tout en se massant énergiquement le cuir chevelu.

Quand il eut fini et qu'il se fut entouré d'une serviette de bain, il gagna avec entrain les casiers et les bancs pour récupérer ses affaires. Mais lorsqu'il ne les trouva pas où il les avait laissées, une désagréable sensation le parcourut.

« Heu… les gars ? »

Personne ne lui répondit et il déglutit difficilement.

« Les gars ? demanda-t-il encore, d'une voix plus faible. C'est vous qui avez pris mes affaires ?... »

Comme seul le silence l'entourait, il refit deux fois le tour du vestiaire, sortit du gymnase pour s'aventurer dehors. La pluie qui avait commencé à tomber le surprit et ce fut avec horreur qu'il aperçut ses affaires pendues aux branches de plus en plus dégarnies des arbres de la cour et qui, à son plus grand désespoir, prenaient l'eau.

Les élèves qui quittaient les clubs le virent tous, le rouge aux joues, avec pour seul vêtement une maigre serviette autour de la taille, tenter de récupérer misérablement ses biens en s'écorchant les genoux contre les troncs.

Son repli stratégique dans les vestiaires n'eut rien de glorieux. Et les moqueries auxquelles il eut droit jusqu'au lendemain soir le vexèrent tant qu'il jura de frapper cette fois-ci d'un grand coup.

Et il ne manqua point son but.


Ce vendredi, Naruto s'attaqua de nouveau à des biens matériels. Mais il ne s'agissait ni de chaussures d'intérieur, ni de cahiers de cours, ni d'un bento.

Naruto avait eu le loisir d'observer Sasuke Uchiha, au cours des trois premières semaines d'octobre. Et s'il y avait bien une chose que son ennemi aimait faire, c'était lire. Pas une seule journée de cours n'était passée sans qu'il eût eu un livre en mains ou qu'il eût lu un extrait, un chapitre, un article de journal. En général, il se laissait aller au plaisir de la lecture le matin avant les cours, lorsqu'il avait terminé d'installer la salle de classe, ou alors au temps de pause du midi. Il se rendait également assez souvent à la bibliothèque du lycée lorsqu'une heure de battement apparaissait dans leur emploi du temps et qu'il n'avait ni corvée à faire ni demande de Monsieur Mitokado.

Parmi les livres que lisait Sasuke, une bonne majorité venait de la bibliothèque. Mais il savait que le jeune homme apportait aussi souvent des livres de chez lui. Une chose importante qui lui appartenait ; une chose qui n'avait rien d'anodin puisqu'elle avait été achetée, appréciée, conservée, amenée, relue. L'attachement que Sasuke leur portait n'égalait bien sûr pas celui de Naruto pour Sakura ; mais dans la douleur de la rupture, le recul nécessaire à cette prise de conscience n'existait pas et tout ce que cherchait à faire l'élève, c'était blesser Sasuke comme lui avait pu l'être par sa faute, qu'il éprouvât un chagrin sans fond à s'être fait ôter quelque chose auquel il tenait.


La pause de midi n'était pas encore terminée lorsque Sasuke regagna sa salle de cours. Il avait décidé de manger sur le toit de l'établissement, interdit aux élèves et donc habituellement désert. Seul Shikamaru Nara semblait avoir le même engouement que lui pour cet endroit et il l'avait d'ailleurs surpris allongé près des grilles en train de fumer une cigarette.

Le jeune homme avait beau être un des électrons libres qui gravitaient autour de Naruto, sa position de premier de la classe et le fait qu'il n'eût jamais cherché à lui parler le rendait sympathique à Sasuke. Il avait pu se contenter de manger tranquillement son repas avant de revenir à son bureau. Il restait une bonne demi-heure avant la reprise des cours et il mourait d'envie de relire un passage du dernier livre qu'il avait acheté, qu'il avait lu le matin même et qui l'avait particulièrement marqué.

Il salua à peine Hinata, la fille assise derrière lui, et Tenten à ses côtés qui bavardaient joyeusement. Il s'assit et ouvrit son bureau pour en sortir l'ouvrage. Mais son geste se suspendit. Et son cœur se glaça de panique. Car de livres, il n'y avait nulle trace.

Il referma brutalement son pupitre avant de se lever – si violemment que sa chaise recula dans un bruit affreux et cogna contre la table d'Hinata.

Effrayée, celle-ci posa ses yeux clairs sur lui et eut un nouveau sursaut lorsqu'il se retourna vers elle et qu'il plaqua ses mains sur ses cahiers éparpillés.

« Hinata, c'est ça ? »

Elle rougit furieusement et sembla perdre sa respiration.

« Ou… oui ?

-Tu as vu qui a volé mes livres ? »

Ses yeux affolés se teintèrent de plus d'effroi encore et elle resta muette malgré elle. Fébrile, Sasuke se saisit d'une de ses épaules.

« Tu as vu quelque chose, hein ? Dis-moi qui c'était ! »

Son emportement était si prononcé que Tenten se sentit obligée d'intervenir :

« Sasuke, lâche-la ! Tu vois bien qu'elle est totalement paniquée ! »

Sans faire attention à elle, Sasuke secoua Hinata.

« Réponds, bordel ! Tu as vu qui c'était ? »

La pauvre enfant eut bien du mal à laisser entendre, entre deux hoquets de peur :

« C'est… c'est Na… Naru… Naruto. »

Sasuke cessa brusquement tout mouvement. Et ce fut presque aussi effrayant que sa précédente frénésie. Lentement, son visage se referma et une profonde impression de froideur s'empara des deux jeunes filles. D'une voix devenue grave et implacable, il demanda :

« Où est-il ? »

Tenten cligna des yeux, tourna la tête vers Hinata, avisa sa respiration laborieuse. Elle revint à Sasuke et répondit du bout des lèvres :

« Il est descendu dans la cour avec Kiba et Choji. »

La curiosité la poussait à demander ce qu'avait bien pu encore inventer Naruto pour mettre le « prince des ténèbres » dans cet état. Mais le cœur soudain emballé, Sasuke quitta prestement les lieux et descendit les escaliers quatre à quatre. Les portes-fenêtres du rez-de-chaussée furent repoussées avec une force prodigieuse et elles claquèrent violemment contre le mur. Sasuke sortit dans la cour comme une furie et chercha fiévreusement des yeux la blondeur de Naruto. Un regroupement imposant attira son regard et, mu par un mauvais pressentiment, il s'y précipita.

Sans vergogne, il repoussa des coudes et des pieds les lycéens qui se pressaient autour d'un petit espace. Et quand il y fut, il vit avec horreur tous ses livres se consumer dans un terrible brasier.

« Oh non… Non, non, non ! »

Terrifié, il tomba à genoux et tenta d'éteindre le feu avec ses manches. Qu'importait qu'il se brûlât : il refusait que les ouvrages partissent en cendres. Maladroitement, il éteignit les flammes, récupéra son bien. Et repoussant plusieurs couvertures à moitié détruites, il retrouva La volonté du feu dont les pages avaient été traversées d'un profond trou.

Il s'arrêta net. Et contempla longuement le livre détruit.

Le papier se décomposait sous ses doigts, les mots avaient disparu. Même le titre ne se lisait plus.

Un terrible silence s'abattit sur la foule. Puis quelques chuchotements s'élevèrent. Sasuke, abattu, restait là sans rien faire.

Puis ce fut comme une transformation.

D'abord, ses doigts se resserrèrent sur les pages et finirent de les anéantir. La tension remonta dans ses bras, ses épaules se voûtèrent, menaçantes. Puis il serra les dents, fronça les sourcils. Ses pupilles se dilatèrent, son visage s'abîma dans la colère. Il releva brusquement la tête. Et son expression était si emprunte de rage que ceux qui se trouvaient face à lui reculèrent dans des murmures d'épouvante.

Inconscient de ce qu'il dégageait, Sasuke se releva, ce qu'il restait de La volonté du feu entre ses doigts crispés. Il s'avança entre la foule qui s'écarta sur son passage, s'échappa d'elle. Et son regard haineux tomba immédiatement sur la silhouette élancée de Naruto Uzumaki.

Adossé à un arbre, les mains dans les poches, l'air insouciant, le rire aux lèvres, il discutait tranquillement avec Kiba Inuzuka et Choji Akimichi. L'air sombre, Sasuke s'avança lentement jusqu'à lui.

Naruto le sentit venir et releva ses yeux bleus vers lui, perdant son air innocent pour un autre moins amène, véritable mise au défi. Sasuke ne dévia pas de son chemin. Naruto se décolla de l'arbre et combla la distance qui les séparait. A ce moment précis, il n'avait que la cruauté en guise d'arme.

« Qu'est-ce qu'il y a, Uchiha ? demanda-t-il froidement. Pas content de t'être fait voler ? T'es pourtant un connaisseur en la matière, non ? »

Sans doute n'avait-il pas conscience de ce qu'il avait éveillé en Sasuke ni ce à quoi il s'était attaqué.

Sasuke n'avait jamais frappé le premier. Et Naruto lui en avait toujours voulu pour cela.

Il était difficile, lorsqu'on s'était fait prendre sa bien-aimée par un autre, de conserver le statut de victime lorsqu'on était le seul à frapper – ou, tout du moins, toujours le premier. Combien de fois lui avait-on dit, au cours des deux dernières semaines, qu'il allait trop loin ? Combien de fois lui avait-on dit, après un mauvais coup rendu de Sasuke, qu'il méritait la monnaie de sa pièce ? Combien de fois avait-il intérieurement hurlé d'injustice parce qu'il était vu comme autant coupable que celui qu'il voyait comme son bourreau ?

Il n'attendait plus que le jour où Sasuke sortirait de ses gonds et le frapperait à son tour en premier ; il n'attendait plus que le jour où il redeviendrait enfin le coupable de l'histoire ; il n'attendait plus que le jour où il montrerait la part sombre de lui-même, part qu'il avait, dans l'esprit de Naruto, obligatoirement. La confusion de ses sentiments – rancune, ressentiment, peine, déchirement, désespoir, colère, jalousie, vengeance – le poussait à noircir le portrait de Sasuke. Il avait besoin de le haïr. Il avait besoin d'en faire un être écœurant.

Dans un murmure, il lui dit :

« Tu me dégoûtes. »

Et pour la première fois, Sasuke céda.

Le coup de poing qui percuta sa joue fut si rapide que Naruto ne le vit pas venir : il ne le contra pas et le reçut dans toute sa puissance. Une puissance dévastatrice qui lui fit tourner la tête, le propulsa en arrière et l'étala à terre. Et avant qu'il eût pu se redresser, un poids lourd s'abattit sur son torse, des genoux bloquèrent ses bras, une main se redressa, les doigts refermés, et le blessa encore. Un autre heurt suivit, puis encore un autre. Et ses tempes le lançèrent : le sang qui y battait au rythme affolé de son cœur ne faisait qu'intensifier la douleur, ses yeux étaient aveuglés, ses oreilles bourdonnaient et le goût du sang se répandit âprement dans sa bouche.

Il ne sut comment il parvint à repousser momentanément Sasuke. Il chercha à se redresser, réussit à se mettre à genoux, bascula en avant, se rattrapa avec ses mains. Mais son ennemi déjà debout courut sur lui et, du pied, cogna avec force sa mâchoire. La tête rejetée en arrière, Naruto retomba, roula sur lui-même, se retrouva sur le côté.

Aussitôt, Sasuke fut sur lui, le frappa du pied son ventre. Un hurlement s'échappa de ses lèves, ses mains se crispèrent à l'endroit du choc. Les doigts blancs de Sasuke le saisirent par les cheveux, un nouveau poing le sonna plus encore, sa tête fut relevée puis brutalement repoussée à terre.

Intense, la souffrance explosa dans l'arrière de son crâne. Des cris indistincts se firent entendre, il distingua à peine la forme de ses amis accourus pour tenter de faire lâcher prise à Sasuke.

Mais il était devenu incontrôlable et les coups continuaient de pleuvoir : du bout du pied dans les côtes, du poing sur son visage tuméfié, des ongles sur son cou. On le serrait, l'étranglait presque, l'étouffait.

Perdu, abasourdi par la violence et la rage que témoignait Sasuke, il resta coi et ne chercha plus à se défendre. Jusqu'à ce qu'un surveillant et deux autres élèves entourassent Sasuke pour le retenir par les bras.

« Arrête… Arrête, j'ai dit ! »

Mais il n'écoutait pas, hurlait de rage, cherchait à s'échapper de cette poigne pour se jeter sur lui. Naruto sentit les bras de Kiba l'entourer et le soutenir pour l'aider à s'asseoir.

« Naruto ! Hé, Naruto, ça va ? »

Les yeux plus bleus que jamais du jeune homme fixaient Sasuke, éloigné de quelques mètres par le surveillant et qui se débattait toujours. Amené jusqu'à l'arbre où lui-même s'était adossé plus tôt, il fut secoué par le surveillant.

« Calme-toi, bon sang ! »

Encore un peu puis il se défit de l'emprise de l'homme pour se retourner vers l'arbre et, dans un cri rageur, planter son poing dans l'écorce.

Le sang avait envahi le visage de Naruto, infiltré l'espace entre ses lèvres, explosé sur sa langue. Il porta une main tremblante à son nez pour sentir le liquide devenu poisseux sous ses doigts. Il baissa les yeux vers sa main, teintée de pourpre, et revint encore à Sasuke.

Sasuke qui était resté dans la même position, tête baissée, poings serrés dont l'un encastré dans le bois de l'arbre. Et toutes les personnes environnantes, au cœur battant, à la respiration haletante, comme lui. Terrorisées.


« Attention… »

Avec un geste précis, l'infirmière finit de poser un dernier pansement sur son arcade où une belle éraflure saignait encore un peu. Elle se redressa, satisfaite.

« Et voilà ! »

Naruto sourit péniblement et la remercia en l'appelant par son prénom, Shizune ; il la connaissait suffisamment – ses altercations se finissaient souvent chez elle depuis qu'il était arrivé au lycée – pour se le permettre. Elle répondit par un sourire puis se tourna vers Sasuke Uchiha qui, figé dans sa colère, patientait sur un lit à côté du sien, une main crispée sur son poing endolori – et le bandage qui l'entourait se teintait déjà de sang.

Elle allait prendre la parole, mal à l'aise, lorsque la porte s'ouvrit sur Tsunade Senju, la proviseure. A sa vue, Shizune se releva tout à fait et la salua en s'inclinant.

« Madame Senju.

-Shizune, répondit la directrice de l'établissement. Alors, comment vont-ils ?

-Monsieur Uchiha a la main bien abîmée mais il devrait s'en remettre bientôt. Quant à Monsieur Uzumaki… hé bien, il a eu de la chance, ç'aurait pu être beaucoup plus grave. Je n'ai rien décelé de dangereux et ça s'arrête à de gros hématomes et à des coupures. »

Madame Senju hocha la tête puis demanda :

« Vous pouvez nous laisser seuls un instant ? »

Shizune acquiesça puis quitta les lieux avec empressement. Bras croisés et air mécontent, Tsunade Senju toisait les deux élèves d'un air sévère. Naruto ne résista cette fois pas et baissa la tête avec honte. Sasuke, le regard dans le vide, ne bougea pas d'un pouce.

« J'espère que vous êtes fiers de vous… Du matériel scolaire brûlé… »

Elle coula un regard lourd de sens vers Naruto.

« Encore et toujours de la bagarre… »

Elle se tourna cette fois vers Sasuke.

« Et vous voilà encore une fois tous les deux mêlés à des histoire stupides et à l'infirmerie qui plus est. »

Nerveuse, elle se rendit compte qu'elle tapait machinalement du pied par terre. Elle s'arrêta et se renfrogna. Elle haussa alors le ton.

« Naruto, je peux savoir ce qui t'a pris ? Est-ce que tu te rends seulement compte de ce que tu as fait ? Tu as brûlé des livres ! Ce n'est pas juste voler ou cacher, c'est détruire, anéantir… Des livres de la bibliothèque et d'autres qui appartenaient à un de tes camarades ! Qui va payer pour ça ? Qui va rembourser la bibliothèque ? Et Sasuke ? »

Naruto gardait la tête baissée. Et il hésita longuement avant de marmonner :

« Je voulais pas que ça aille aussi loin. »

La proviseure eut un rire amer.

« On a vu ça. »

Puis elle avisa la silhouette tendue de Sasuke.

« Mais ça ne justifie pas ton comportement, Sasuke. »

La main qui entourait le poing blessé se resserra imperceptiblement. Et Madame Senju explosa :

« Je peux savoir, à toi aussi, ce qui t'a pris ? Je suis d'accord que ce qu'a fait Naruto n'était pas très malin. Mais tu t'es jeté sur lui en donnant l'impression de vouloir le tuer ! Est-ce que tu as seulement conscience de la violence de tes coups ? Tu aurais pu l'envoyer à l'hôpital ! C'est ça que tu veux, Sasuke ? Répéter les mêmes erreurs ? Te faire renvoyer n'a pas été suffisant la dernière fois ? »

Le cœur de Naruto s'emballa à cette révélation et il jeta un regard surpris à Sasuke. La proviseure poursuivit :

« Tu crois peut-être qu'il a été facile de t'accepter ici au vu de ton dossier scolaire ? Ton frère a dû se battre pour qu'il me parvienne et j'ai bien voulu te donner une seconde chance. Je ne veux pas que celle-ci soit gâchée. »

Elle tourna la tête vers Naruto.

« Alors écoutez-moi bien, tous les deux. Vous êtes au bord du conseil de discipline. Si vous souhaitez vous contenter de corvées jusqu'à fin décembre et éviter d'être renvoyés de cette école, je vous conseille de vous tenir à carreau. Au prochain faux pas, je vous jure que je ne me montrerai aussi pas clémente. Et vous aurez vraiment à vous faire du souci. »

Ses talons claquèrent sur le sol, elle ouvrit la porte, rappela Shizune occupée à trier quelques dossiers à l'accueil, et sortit dans les couloirs. Le bruit de ses pas retentit longtemps à l'oreille de Naruto. L'air désolé de l'infirmière lui fit réellement prendre conscience de la situation ; et d'à quel point elle pouvait être mauvaise.

Après de dernières recommandations, ils furent mis à la porte. Les cours étaient déjà terminés, des élèves de leur classe s'étaient portés volontaires pour exercer les corvées à leur classe. Ils n'avaient plus qu'à rentrer. Et dans le vide du couloir dont le sol lisse renvoyait parfaitement la lumière des plafonniers, Naruto se mordilla la lèvre, incertain.

Il se tourna vers Sasuke et observa sa figure colérique. Il tenait toujours son poing ensanglanté et quelque chose lui disait que la dernière dispute qu'ils avaient eue n'avait rien à voir avec les précédentes. Cette fois-ci, même s'il ne comprenait pas encore vraiment pourquoi, Naruto savait qu'il était allé trop loin. Il ne pouvait se résoudre à présenter ses excuses. Mais il pouvait en revanche sous-entendre qu'il s'en voulait un peu. Aussi dit-il d'une voix rauque :

« On devrait faire une trêve. »

Sasuke leva lentement la tête vers lui. Et lorsque ses yeux noirs, implacables, croisèrent les siens, Naruto sentit une vague de froid s'insinuer entre ses os. La mâchoire crispée, Sasuke répéta entre ses dents :

« Une trêve ? »

Naruto avait conscience que cela pouvait sembler stupide. Mais il avait presque besoin de se rattraper. Et il ne voyait que ça.

« J'ai pas franchement envie de passer en conseil de discipline, dit-il en guise d'explication. Et j'imagine que toi non plus alors… ouais, on pourrait faire une trêve. »

Le visage de Sasuke parut plus glacial encore et d'une voix dure, il rétorqua :

« C'est une blague ? C'est toi qui as commencé tout ça, toi qui es continuellement venu me chercher des noises, tant qui as lancé les coups. Et tu veux me faire croire à une trêve ? »

Naruto voulut répondre mais Sasuke poursuivit :

« Arrête, Uzumaki. T'as voulu pourrir ma vie et t'es sur le point d'y arriver. »

La colère reprit le dessus chez Naruto.

« T'es mal placé pour me dire ça ! lança-t-il. Et je suis sérieux pour la trêve. Je te donne ma parole que je ne t'approcherai plus. »

Sasuke eut un ricanement amer. Puis il déclara, d'un ton polaire :

« Ta parole, elle ne vaut rien. »

Naruto le reçut comme un coup. Et ne réagit même pas lorsque son ennemi se rapprocha de lui pour siffler :

« Tu volais déjà pas haut dans mon estime. Mais avec ce que tu as fait aujourd'hui, t'es simplement apparu comme ce que tu es vraiment. »

Ses yeux noirs l'accablèrent tout autant que son dernier mot :

« Méprisable. »

Ses iris bleus s'écarquillèrent de surprise. Il le vit tourner les talons. Et un profond sentiment d'injustice se saisit de lui.

« C'étaient que des bouquins, merde ! Je reconnais que c'était une idée à la con mais… c'étaient que des putain de bouquins ! »

Sasuke fit aussitôt volte-face, revint sur ses pas et l'empoigna par le col.

« Non, c'étaient pas que des « putain de bouquins », comme tu le dis ! Il y en avait un qui était irremplaçable ! »

Naruto voulut fuir. Fuir sa culpabilité.

« Quoi ? C'était ton livre de chevet favori ? persifla-t-il. »

La haine qui s'alluma dans les prunelles de son vis-à-vis le fit frissonner.

« C'était un cadeau de mon père. »

Naruto fronça les sourcils.

« Et quoi ? T'as peur qu'il t'en veuille d'avoir perdu son livre ? T'as qu'à lui expliquer l'histoire et lui dire de te le racheter, si t'y tiens tant. »

Il y eut un moment blanc entre eux. Sasuke le relâcha. Recula de quelques pas. Et son regard noir planté dans celui de Naruto, il répondit :

« C'est pas possible. »

Et il assena :

« Puisqu'il est mort. »

La surprise se lut sur les traits de Naruto : elle envahit tout son être tandis que ses souvenirs de l'orphelinat où il avait vécu ses premières années avant d'être retrouvé par son tuteur lui sautaient à la gorge. Sasuke se détourna une nouvelle fois de lui, commença à s'éloigner. Naruto secoua la tête pour reprendre ses esprits.

« Ecoute… tu peux penser ce que tu veux de moi mais je tiens vraiment à ce qu'on arrête tout ça. Si tu me connaissais, tu saurais que je ne reviens jamais sur mes mots alors… si je te dis que je te foutrai la paix… »

Sasuke s'arrêta.

« C'est que c'est vrai, finit Naruto, dans un souffle. »

L'autre ne bougea pas pendant un temps. Puis il tourna vaguement la tête vers lui. Et, d'un air qui trahissait son manque de confiance total en les dires de Naruto, il conclut :

« Alors prouve-le-moi. »

Et sur ces mots, il partit.


Le lundi, Naruto arriva en avance au lycée. Il s'était éveillé avant l'heure et la sonnerie de son téléphone n'avait retenti que bien plus tard. Bien sûr, il avait tenté de se rendormir sans succès. Il ne parvenait plus à dormir correctement depuis sa dernière entrevue avec Sasuke. Il se sentait étrange : autant il était sûr de le détester, autant il posait dorénavant un œil sur lui rempli de culpabilité. Et il n'aimait pas cela.

Il se torturait sans cesse l'esprit pour retrouver l'obscurité de son ennemi. Cependant, il n'avait pas hâte de le recroiser : il se sentait, depuis les dernières révélations de Sasuke, mal à l'aise à ses côtés. Aussi s'arrêta-t-il un moment devant la porte de sa salle de classe et prit-il une profonde inspiration avant de la faire coulisser.

Ce fut avec soulagement qu'il se rendit compte qu'elle était encore déserte. Désireux de pouvoir s'éclipser avant que Sasuke ne vînt, il entreprit de mettre en place les chaises.

Le jour se levait à peine et la salle, une fois les rideaux tirés, baignait dans une lueur orangée qui rendit Naruto rêveur. Il prenait les chaises dans des gestes automatiques pour les retourner, les poser et les repousser sous les pupitres. Seul le bruit des pieds raclant le sol atténuait le silence ambiant. Il débuta par le rang de droite. Fit le sien en dernier. Ne déposa son sac que lorsqu'il s'occupa de sa propre chaise. Puis il passa au bureau d'Hinata.

Et enfin celui de Sasuke.

Il s'arrêta. Oublia de ranger la chaise. Il s'y assit plutôt. Et une curiosité sans fin le poussa à soulever le haut du bureau. Celui-ci se bloqua et il posa ses deux mains sur les cahiers éparpillés, les stylos oubliés. Et au sommet d'une pile de feuilles volantes, un des livres qu'il avait incendiés.

Sans doute celui dont la perte avait mis Sasuke dans une colère noire.

Les mains moites, Naruto le prit du bout des doigts.

Il n'avait a priori rien de particulier : une couverture noire traversée d'arabesques d'un gris clair qui ressemblaient vaguement à des flammes. Mais elle avait été à moitié dévorée par le feu et les pages avaient noirci. Il l'ouvrit à la page de titre pour tenter d'en déchiffrer le nom. Il réussit à recomposer deux mots : « volonté » et « feu » et, après quelques pages tournées, il le trouva enfin : La volonté du feu.

Il fronça les sourcils, comme si quelque chose lui revenait sans qu'il parvînt à s'en bien souvenir. Il reposa machinalement le livre dans le bureau, referma celui-ci. Et resta un temps à penser.

Ce fut le bruit de la porte qu'on faisait coulisser qui le ramena à la réalité. Brusquement, il se releva et saisit la chaise du bureau devant lui pour donner l'impression qu'il n'était absolument pas en train de fouiller les affaires de Sasuke Uchiha.

Celui-ci se tenait dans l'embrasure avec un regard suspicieux. Un sourire timide aux lèvres, Naruto le salua :

« Hé. »

Sasuke ne répondit pas et se contenta, sans le quitter des yeux, d'ôter la bandoulière de son sac de son épaule. Puis il détourna la tête et partit dans le fond prendre le vase rempli de fleurs fanées pour aller le vider. Lorsqu'il quitta la pièce, Naruto soupira de soulagement.


Jamais encore Naruto n'avait gagné la bibliothèque du lycée dans l'optique d'y lire un livre : habituellement, il y accompagnait Sakura lorsqu'elle voulait y étudier, relisait à moitié ses cours, lisait des mangas – le rayon était particulièrement complet et varié, pour son plus grand bonheur. Mais il s'y sentait toujours mal à l'aise, comme s'il n'était pas à sa place. Bien qu'intimidé, il poussa les battants des portes pour y entrer.

Dans un calme absolu, quelques lycéens travaillaient et seul le bruit des touches d'ordinateur sur lesquelles on appuie et des pages de livre que l'on tourne se faisait entendre. Hésitant, il resta un temps sur place avant de se poser devant le bureau de l'office. La documentaliste releva la tête vers lui et, d'un air aimable, lui demanda :

« Oui ? Je peux t'aider ? »

Naruto grimaça, gêné, et répondit du bout des lèvres :

« Oui, je… cherche un livre. »

La documentaliste acquiesça, attendant qu'il lui en donnât le titre.

« Dites… vous connaissez La volonté du feu ? »

Elle écarquilla les yeux, surprise, avant de s'adoucir et de dire, sourire aux lèvres :

« Bien sûr ! C'est un très grand et très important traité de philosophie. Il a été écrit par Hashirama Senju.

-Ah ? émit Naruto qui se sentait mal d'être si ignorant. »

La documentaliste dut s'en rendre compte car son sourire s'élargit.

« C'est le fondateur du pays du feu. En fait… c'est même lui qui est à l'origine du système des pays. Un grand visionnaire. Tu le trouveras dans le rayon philosophie, lettre S. »

Naruto la remercia et prit la direction qu'elle lui indiqua. En effet, l'auteur ne fut pas difficile à trouver : il occupait presque une étagère entière. Plusieurs exemplaires de La volonté du feu étaient disponibles et il était incapable de savoir si une version était meilleure que les autres. Il finit néanmoins par trouver l'édition de Sasuke et opta pour elle.

Lorsqu'il revint à l'accueil pour l'emprunter, comme il était plongé dans le dessin de la couverture qui, lorsqu'elle était entière, était bien plus belle qu'il ne lui avait paru, il s'arrêta sur le nom du philosophe.

« Senju… comme la proviseure ? »

La documentaliste hocha la tête en lui prenant le livre des mains pour l'enregistrer.

« Oui, il s'agit d'un de ses ancêtres. Une très grande famille, n'est-ce pas ? »

Naruto ne répondit pas. Il récupéra simplement l'ouvrage et s'en fut. Avant même d'avoir quitté la bibliothèque, il commença à lire.


Le soir, Naruto, allongé sur son canapé, était toujours plongé dans sa lecture. Il n'entendit pas même la porte d'entrée s'ouvrir, le bruit que firent les clés lorsqu'elles furent posées sur la commode qu'il y avait dans le vestibule, celui des chaussures ôtées et repoussées dans un coin, le rire de Jiraya, le froissement du journal qu'il tenait entre ses mains.

L'écrivain fit irruption dans le salon et s'arrêta lorsqu'il vit Naruto.

« Hé ben… dit-il. C'est pas tous les jours qu'en rentrant, je te vois avec un bouquin ! »

Naruto cligna des yeux, brusquement tiré de sa lecture passionnée, et leva la tête vers Jiraya.

« Ah… salut, répondit-il doucement. »

Jiraya le rejoignit, se pencha vers lui pour frotter ses mèches blondes puis s'assit sur un des fauteuils qui entouraient le canapé.

« Et qu'est-ce que tu lis ? »

Naruto jeta un œil à son livre puis le referma pour le tendre à son tuteur. Celui-ci eut un air étonné.

« La volonté du feu ? Ils vous font lire des trucs bien, à ton lycée, dis donc ! »

Naruto se redressa.

« Tu connais ? demanda-t-il. »

Jiraya éclata de rire.

« Bien sûr ! Je suis un grand adepte du système de pensée d'Hashirama Senju. Un grand homme… Tu sais qui c'est ? »

Naruto se permit un sourire.

« Le fondateur du pays du feu, non ? »

Jiraya acquiesça.

« Exact. Mais pas que. En fait, c'est lui qui a inventé et mis en place le système des pays. Il a fait ça à une époque où il n'y avait que des guerres. Et regarde maintenant : les pays fonctionnent, on peut facilement aller de l'un à l'autre, il y a des alliances, des échanges… »

Pensif, le vieil homme ouvrit le livre au hasard et passa un doigt le long des caractères imprimés.

« En fait… je suis tellement en adéquation avec ce qu'il dit que je me suis inspiré de lui pour un de mes livres.

-Ah oui ?

-La volonté du feu, justement. Pour mes Chroniques d'un fougueux ninja. »

Naruto entrouvrit la bouche, surpris. Les Chroniques était un des livres les plus connus de son tuteur et son favori – un des rares qui ne berçaient ni dans la romance ni dans l'érotisme. Le personnage principal s'appelait Naruto et c'est de lui qu'il tirait son prénom. Son père et sa mère, fervents admirateurs et grands amis de l'écrivain, avaient décidé de le lui donner.

Pour que j'ai les mêmes qualités que lui, se souvint-il.

« Le personnage principal, poursuivit Jiraya, est justement… l'incarnation de la volonté du feu – enfin, c'est ce que j'ai cherché à faire, après, quant à savoir si j'ai réussi… Ce que je veux dire, c'est que l'idéal humain d'Hashirama Senju était exceptionnel pour son temps et qu'il reste ce que j'imagine. »

Naruto fixa ses grands yeux bleus dans ceux de son tuteur, avide de la suite. Et Jiraya expliqua :

« Avant la création des pays, les hommes vivaient par clans et n'avaient aucun scrupule à tuer quelqu'un : du moment qu'il ne faisait pas partie de la famille… Mais lui voulait changer ça. Il imaginait des communautés plus larges qui iraient au-delà des clans – des pays, justement. Il pensait que chaque Homme devait ressentir cet esprit de communauté, de groupe avec des gens qui lui étaient étrangers, qui n'appartenaient pas à son clan. Il imaginait qu'il fallait être rempli d'une volonté qu'il a appelée « du feu » : celle de vouloir vivre en groupe, déjà ; puis de vouloir protéger ce groupe et pourtant, de n'aller que vers une chose : la paix. »

Il passa encore quelques pages puis rendit silencieusement le livre à Naruto. Il posa enfin une main sur son épaule puis se releva et quitta le salon, laissant son filleul à ses pensées.


Le jeudi en fin d'après-midi, Homura Mitokado réquisitionna Sasuke et Naruto pour d'importants travaux. Il les mena, derrière l'établissement, près des grilles, à la petite maison qu'il occupait et dans laquelle il rangeait l'ensemble de son matériel. Sous les tuiles, une vilaine brèche s'était faite à laquelle il ne pouvait accéder de l'intérieur. Il l'avait recouverte de planches de bois mais celles-ci avaient fini par pourrir et l'une d'entre elles, lors de la dernière rafale de vent, s'était détachée et avait failli l'assommer alors qu'il tondait sa pelouse.

Il avait demandé à Sasuke de prendre l'échelle et il la lui fit placer le long du mur. Puis il pointa les vieilles planches et leur dit :

« Ces planches sont pourries et tombent. Votre mission, c'est de les remplacer par des nouvelles que j'ai posées là. »

Et il désigna le tas qu'il avait fait un peu plus loin.

« Quand vous avez fini, vous venez me chercher. Pas de dispute, pas de bêtise. Vous réparez ça et vous filez. »

Il tendit à Naruto sa boîte-à-outils puis s'éloigna et tourna au coin. Abasourdis, les deux garçons restèrent un moment sans rien faire. Puis l'Uzumaki glissa un timide regard à son voisin dont le visage était redevenu impassible. Ils ne s'étaient pas une seule fois parlé depuis l' « incident » comme il aimait l'appeler et il savait pertinemment que son camarade de classe lui en voulait toujours. Il se racla la gorge.

« Bon… tu montes ? proposa-t-il. »

Lentement, Sasuke se tourna vers lui et lui présenta un air méfiant.

« Tu veux que moi, je monte ?

-Pourquoi pas ?

-Tu plaisantes, j'espère ? Ce serait l'occasion rêvée pour me pourrir la vie en me faisant tomber. »

Naruto fronça les sourcils.

« Parce que tu crois que c'est ce que je compte faire ?

-Qui sait. Tu n'as pas manqué d'imagination ces dernières semaines. »

Le ton était dur, froid, accusateur. Et même si l'insinuation était vraie, Naruto trouvait cela profondément injuste.

« Je t'ai dit que je ne te ferai plus rien, rappela-t-il.

-Ce n'est pas parce que tu t'es retenu pendant quatre jours que ça va continuer, contra Sasuke.

-Tu ne me fais pas confiance ? »

Sasuke le foudroya du regard.

« Absolument pas. Alors c'est toi qui montes. »

Naruto ouvrit la bouche, indigné, voulut répliquer. Puis il avisa les bras croisés de Sasuke, son visage froissé de rancune et comme une recherche de défense dans ses épaules tendues, légèrement voûtées, la tête imperceptiblement baissée, les doigts crispés contre la veste de son uniforme. Sasuke n'avait aucune raison de lui faire confiance. Et il n'était pas prêt de lui pardonner quoi que ce fût. Alors Naruto posa la boîte-à-outils, en sortit un marteau, retroussa les manches de sa veste et de sa chemise puis planta ses yeux dans ceux de son vis-à-vis.

« Okay, Monsieur Uchiha, je monte. Mais je te préviens : moi, je te fais confiance pour cette fois et t'as intérêt à pas me faire de coup de pute. Pigé ? »

Sasuke ne lui répondit pas et continua simplement de le fixer. Sans savoir pourquoi, Naruto hocha la tête puis se rapprocha de l'échelle et, après un dernier regard vers les planches pourries et un soupir, il commença à monter. Dès qu'il fut parvenu au-dessus de sa tête, Sasuke posa ses mains contre les barres et maintint l'échelle en place. Progressivement, Naruto s'éleva. Les planches n'étaient plus très loin, à quelques centimètres au-dessus du dernier barreau. Mais il sentait sa respiration devenir laborieuse et une désagréable sensation l'envahir : le vertige, la certitude que le sol était loin et qu'il pouvait chuter à tout moment.

Il s'arrêta enfin, colla ses genoux contre l'avant-dernier barreau et leva des mains tremblantes vers la première planche.

« Tu y es ? demanda Sasuke, quelques mètres plus bas.

-Ou… ouais. Je fais comment, je tire dessus ?

-Aide-toi du marteau. »

Naruto maugréa quelque chose dans sa barbe, ayant hâte que tout cela se finît, retourna le marteau pour passer l'arrière de la tête sous la planche et faire pression dessus. Très vite, il sentit le bois craquer et les clous lâcher. Il retira le marteau et voulut arracher totalement la planche d'une seule main. Mais celle-ci lui résista et l'obligea à placer les deux de chaque côté pour tirer dessus. Un premier coup, assez faible, ne permit pas de la dégager. Alors Naruto insista, par à-coups. Et lorsqu'enfin la planche céda, la force qu'il y avait mise l'entraîna vers l'arrière. Et il se sentit quitter l'échelle et chuter.

« Naruto ! »

Cela sembla à peine durer une seconde. Il atterrit sur le pied gauche, se cogna l'épaule, roula dans l'herbe. Le marteau, lâché, était tombé à côté de Sasuke et celui-ci se précipita vers lui pour l'aider à se redresser.

« Hé, ça va ? »

Son cœur battait la chamade et, encore pris de la sensation vertigineuse de chute, Naruto le repoussa par réflexe.

« Lâche-moi ! »

Il voulut se relever, y parvint tant bien que mal : sa vue était embrouillée et il n'avait pas d'équilibre. Lorsqu'il s'appuya sur son pied gauche, une terrible douleur éclata dans sa cheville. Il cria. Retomba. Ses mains se dirigèrent automatiquement vers son pied.

« Tu t'es fait mal ? »

De nouveau, les mains de Sasuke voulurent le toucher ; il le repoussa encore.

« Je t'ai dit de me lâcher, putain ! »

Mais Sasuke rejeta à son tour les bras qui tentaient de l'éloigner et saisit son menton pour le forcer à le regarder.

« C'est bon, ok ? tonna-t-il. Je veux juste regarder. »

Quand il fut sûr que son vis-à-vis s'était calmé – les yeux bleus semblaient enfin voir clair et témoignaient de l'incompréhension du jeune homme -, il reporta son attention sur la cheville blessée. Il défit rapidement les lacets de la chaussure qui l'enserrait avant de la retirer. Le corps de Naruto se recroquevilla.

« Aïe ! Mais putain, tu peux pas faire attention ? »

Sasuke ne répondit que par un soupir exaspéré et finit son œuvre avant de faire glisser la chaussette. Puis il remonta le pantalon et avisa la cheville déjà un peu enflée. Il grimaça.

« Il va falloir que tu passes ça sous l'eau froide… Tu as mal quand tu fais ça ? »

Posant une main sur le dos du pied et une autre autour de la cheville, il fit jouer l'articulation. Tous les mouvements ne firent pas réagir Naruto. Mais cela suffit pour qu'il déclarât :

« Bon. On va passer à l'infirmerie. »

Naruto soupira mais se laissa aider pour se relever. Sasuke lui tendit sa chaussure et sa chaussette et voulut d'abord lui servir d'appui. Mais les gémissements étouffés de douleur et les grimaces du garçon le poussèrent, pour aller plus vite, à se défaire de son emprise pour passer devant lui, entourer ses jambes de ses bras et le soulever.

« Woh ! Qu'est-ce que tu fais ? s'exclama Naruto quand il fut hissé sur le dos de son camarade.

-Je t'emmène voir Shizune, pourquoi ? répondit-il ironiquement. »

Naruto fit la moue, mécontent et surtout gêné de se faire ainsi porté par son ennemi.


« C'est une légère entorse. Ça devrait passer rapidement. »

Shizune venait de finir son bandage et remplissait le cahier d'infirmerie.

« Il va te falloir du repos. Deux semaines, je dirais. »

Naruto enfila sa chaussette et leva des yeux exorbités vers elle.

« Deux semaines ? Mais c'est trop ! Déjà que ça fait chier parce qu'on a basket mais… on a un tournoi avec le club de base-ball bientôt et…

-Pas de sport pendant deux semaines, répéta Shizune. C'est le strict minimum. »

Naruto jura puis soupira longuement, dépité.

« Tu as quelqu'un qu'on peut appeler pour venir te chercher ? »

Il leva les yeux au ciel.

« Mon tuteur vient de partir en voyage et il rentre pas avant trois semaines. Donc non, pas vraiment. »

Shizune fronça les sourcils. Personne ne nota la lueur qui s'était allumée dans les prunelles sombres de Sasuke à l'entente du mot « tuteur ».

« J'ai encore beaucoup de travail alors je ne peux pas te ramener, expliqua l'infirmière. Mais… »

Elle se tourna vers Sasuke.

« Toi, tu peux le faire, non ? Tu viens tous les matins en vélo, il me semble. »

Surpris, Sasuke ne répondit pas immédiatement.

« Heu… oui.

-Tu peux faire un détour pour déposer Naruto chez lui ? »

Sasuke cligna des yeux. Puis il se tourna vers l'Uzumaki. Celui-ci le fixait d'un air indéchiffrable. En revanche, son visage se teinta d'incrédulité lorsqu'il accepta. Il le fut tout autant lorsqu'il fut escorté par Shizune et Sasuke jusqu'au portail du lycée, hissé sur le porte-bagages de son camarade. Et que celui-ci le conduisit en silence jusque chez lui.

Arrivé en bas de son immeuble, il descendit péniblement du vélo et n'osa pas vraiment regarder Sasuke. Le temps fila entre eux et il frissonna : le temps se rafraîchissait vraiment et il serait bientôt temps de revêtir l'uniforme d'hiver.

« Hé bien… merci, souffla-t-il. »

Les mots étaient sortis seuls de sa bouche et il crut bon d'ajouter, pour se rattraper :

« Je veux dire pour l'échelle. Tu n'as pas cherché à me faire tomber. »

Puis, constatant la stupidité de sa remarque, il termina :

« Je l'ai fait tout seul, finalement. »

Le ton se voulait humoristique et arracha un faible sourire à Sasuke.

« Hm. Tu auras besoin que je passe te chercher demain matin ? »

Naruto releva la tête à la proposition, trouvant bien étrange qu'un garçon qui avait voulu le battre à mort la semaine passée évoquât cette idée.

« Non, non, c'est bon. Demain, je serai remis. Je guéris toujours vite. »

Il se sentit rougir sous le regard perçant de Sasuke et fut comme soulagé lorsqu'il leva le pied pour le reposer sur la pédale.

« Ok. A demain, alors. »

Et il fut tout à fait libéré lorsqu'il disparut au coin de la rue.


La cheville toujours bandée, ce fut sur les gradins que Naruto assista au cours de sport du professeur Maito. Il le passa assis, les coudes sur les genoux, le menton dans les mains, à suivre du regard la silhouette de Sasuke.

Après ce qu'il s'était passé la veille, il avait passé son temps à réfléchir à la situation et à la relation étrange qu'il entretenait avec lui.

Il se souvenait encore de son arrivée, à la rentrée de septembre, dans sa classe. Comme tout le monde, il avait été surpris qu'un élève fût transféré en cours d'année. Sasuke était très vite devenu l'objet de l'attention générale. Et plus que son admission, c'était sa personne qui, comme tous les autres, l'avait attiré. La première chose qu'il s'était dite était qu'il était agréable à regarder ; et au-delà de cela, qu'il avait l'air très seul.

Petit, Naruto avait connu le rejet – les orphelins n'étaient pas toujours très bien vus et il était très bien placé pour le savoir. Isolé, il l'avait été durant des années. Et peut-être était-ce le fait d'avoir vécu la solitude qui lui permettait de la reconnaître chez les autres. Et indéniablement, elle collait à la peau de Sasuke.

Cela l'avait rendu d'autant plus attirant. Naruto le trouvait semblable à lui. Il avait voulu aller lui parler. Mais il ne l'avait jamais fait. Et plus tard, la froideur avec laquelle il s'adressait aux autres et les envoyait balader, sa maîtrise exceptionnelle des différentes matières scolaires, sa puissance durant les cours de sport, l'incroyable effervescence qu'il avait créée au club de judo, l'intérêt marqué des filles pour sa personne, tout cela en avait fait, dans son esprit, un être supérieur à lui. Et il en avait inexorablement résulté une profonde jalousie.

Alors Naruto s'était contenté de le regarder de loin. Puis de ne plus y faire attention. En un mois, Sasuke était devenu un camarade de classe comme un autre.

Pui Sakura avait rompu avec lui pour tenter sa chance avec Sasuke. Et cela s'était transformé en :

« Sasuke m'a volé Sakura. »

Il l'avait haï, il l'avait envié, il avait voulu le blesser, l'humilier, lui ôter toute cette impérialité. Il avait cru y parvenir. Mais de nouveau, Sasuke l'avait déconcerté : il n'avait pas cédé, jusqu'à vendredi dernier où il avait cru un bref instant qu'il souhaitait le tuer. Et finalement, le voilà qui prenait soin de lui et lui proposait le plus infâmant :

Tu auras besoin que je passe te chercher demain matin ?

Sasuke devenait gentil.

Mais Sasuke ne devait pas être gentil. Il ne le devait surtout pas. Naruto avait besoin d'une raison pour le haïr ; puisque celle qu'il s'était donnée lui filait entre les doigts. Et son esprit s'était rabattu sur ces remarques qui lui avaient fait comprendre que l'Uchiha cachait quelque chose, quelque chose de grave.

Au vu de ton dossier, il ne semble pas étrange que tu te battes avec tes camarades. C'est d'ailleurs ce qui a causé ton exclusion.

Tu t'es jeté sur lui en donnant l'impression de vouloir le tuer !

C'est ça que tu veux, Sasuke ? Répéter les mêmes erreurs ? Te faire renvoyer n'a pas été suffisant la dernière fois ?

Son but était désormais clair : il devait savoir ce qu'il s'était passé, ce que Sasuke avait fait, ce qui l'avait fait exclure de son ancien établissement.

Aussi attendit-il, à la fin du cours, que Shikamaru eût fini sa douche pour venir l'aborder.

« J'ai besoin que tu me rendes un service, dit-il en passant un bras autour des épaules de son ami. »

Celui haussa un sourcil.

« Tu n'as pas des corvées à faire, toi ? »

Naruto soupira.

« M'en parle pas…

-Qu'est-ce que tu veux ? »

Naruto devint soudainement sérieux et arrêta sa marche pour se tenir face à son ami.

« Tu es toujours en contact avec Temari ?

-Toujours, répondit Shikamaru, méfiant. Pourquoi ?

-Elle fait toujours partie du conseil des élèves ?

-Oui mais je ne vois pas…

-Il faut qu'elle me dise ce que contient le dossier scolaire de Sasuke. »

Shikamaru fit les yeux ronds.

« Hein ? Mais pour quoi faire ? »

Naruto retint un rire nerveux et expliqua :

« Y'a un truc pas net avec ce type. Tu sais qu'il m'a aidé hier quand je me suis blessé ? »

Shikamaru hocha la tête. Naruto lui avait raconté les faits le matin même.

« Il m'a même proposé de passer me prendre pour m'emmener au lycée le matin.

-Et ? Qu'est-ce qui te dérange là-dedans ? »

Naruto parut choqué par sa réponse et s'emporta :

« Mais parce que c'est de Sasuke dont on parle ! Le gars qui a failli me battre à mort la semaine dernière ! »

Shikamaru eut un air las.

« T'en fais un peu trop, je pense, dit-il.

-Mais tu comprends pas, bordel ! Ce mec s'est fait renvoyer de son ancien bahut parce qu'il a fait un truc du même type ! Je le sais, j'ai entendu la Senju le dire. Et moi, je veux savoir exactement quoi. Ça t'intrigue pas, toi ? On a peut-être un psychopathe dans notre classe ! »

Shikamaru secoua la tête en soupirant et voulut reprendre sa marche. Mais Naruto l'arrêta d'une main sur l'épaule.

« Je passe presque tout mon temps avec lui, Shika. Je te jure qu'il cache un truc. Et je veux savoir quoi. »

Le jeune homme soupira. Puis il se tourna vers l'Uzumaki.

« Ok. Je lui demande ça lundi. »


Une semaine était presque passée depuis. Shikamaru était entré en contact avec Temari, une jolie blonde d'une autre classe de dernière année, et avait négocié avec elle. Elle lui devait un service et avait donc accepté de jeter un œil au dossier de Sasuke. Mais le conseil ne s'était pas réuni avant le mercredi et elle avait dû attendre la fin de la rencontre pour sortir le dossier de l'Uchiha et le lire. Le jeudi matin, dernier jour d'octobre, elle rejoignit durant une pause Naruto et Shikamaru qui, cigarettes à la main, s'étaient réfugiés sur le toit de l'école.

Elle grimaça et croisa les bras quand elle s'assit auprès d'eux, gênée d'être prise dans le vent froid de l'automne.

« Alors ? demanda Naruto, impatient – il avait été très difficile pour lui d'attendre si longtemps pour savoir et il n'avait cessé de harceler Shikamaru à ce sujet.

-J'ai vu son dossier. Et c'est assez troublant, je dois dire. »

Naruto hocha la tête, comme si cela avait toujours paru évident pour lui. Shikamaru se montra plus curieux.

« En quoi c'est troublant ? demanda-t-il. »

Temari prit le temps de frotter ses mains l'une contre l'autre et de souffler dessus pour les réchauffer avant de répondre :

« C'est troublant parce qu'il n'y avait rien de suspect au début. A part une note qui précisait qu'il fallait faire attention à lui…

-Par rapport à quoi ? relança Shikamaru.

-Hé bien Sasuke a perdu ses parents quand il était petit. J'ai fait quelques recherches et il y a eu beaucoup d'articles de journaux du pays du son à ce propos. Les Uchiha sont une famille très connue et respectée à Oto. Et l'accident de voiture qui a causé leur mort a fait la une partout.

-Alors il est orphelin.

-Exactement. Il a été jusqu'à récemment sous la tutelle d'un certain Obito Uchiha. J'ai découvert que c'était un grand-cousin. Mais depuis peu, il précise dans les formulaires d'inscription qu'il est sous la tutelle d'Itachi Uchiha, son grand-frère, qui vit et travaille à Oto.

-Alors ça veut dire qu'il vit seul ? intervint Naruto.

-Oui, c'est ça. Et dans un quartier chic de Konoha, en plus… Bref, ce que je voulais dire, c'est qu'il a toujours été un élève exemplaire. Sérieusement, j'ai regardé ses relevés de notes depuis le jardin d'enfance : il a toujours été excellent partout et aucune remarque négative ne figure dans les bilans d'année des professeurs. Par contre, tout a changé du jour au lendemain juste avant son entrée en dernière année.

« Ses notes ont commencé à chuter. Et après ça, on a : absentéisme en cours, non remise de devoirs, dégradation de matériel scolaire, injures et coups envers les autres élèves, insolence et menaces pour les profs… Et c'est allé en empirant puisque vers mi-juillet, il a proprement massacré trois autres élèves en plein milieu de la cour de récré. Il était même précisé qu'il a fallu deux surveillants et un prof pour l'arrêter. Les trois élèves ont été hospitalisés juste après. Il n'y avait pas de détails sur ce qu'il leur a fait mais bon, c'est assez parlant.

« Après ça, il est passé en conseil de discipline et a été exclu du lycée. Son frère est venu l'inscrire ici et… »

Temari s'arrêta, troublée. Mais Naruto la pressa.

« Et ? »

Elle sembla hésiter à poursuivre.

« Hé bien… Seule Sakura avait eu vent de son dossier, puisqu'elle devait s'occuper de lui tout le mois de septembre. Elle devait s'attendre à s'occuper d'une vraie terreur et en fait, pas du tout. On peut même dire qu'aucun de nous n'aurait pu imaginer qu'il avait un dossier pareil. Enfin même moi, j'ai cru que c'était une mauvaise blague quand je l'ai lu ! Il a des notes remarquables, il est poli, calme, réfléchi, il a souvent aidé au conseil, les profs l'adorent… C'est à n'y rien comprendre. »

Naruto coula un regard vers Shikamaru ; sourcils froncés, il semblait plongé dans une profonde réflexion. Temari, quant à elle, paraissait attendre qu'on lui donnât une quelconque explication.

« Temari… tu étais là, vendredi dernier, quand on s'est disputé avec Sasuke.

-Oui, j'ai tout vu.

-De quoi il avait l'air ? »

Bouche bée car surprise par cette question, Temari se reprit pourtant et afficha un air très sérieux.

« Il avait l'air de vouloir te massacrer, toi aussi. »

Naruto eut alors un sourire inquiétant.

« Exactement. On a affaire à un mec totalement dingue qui tabasse des gens au point de les envoyer à l'hosto.

-Oui, enfin bon, tu l'avais un peu cherché, le coupa Shikamaru. Il y a sans doute une explication pour…

-Arrête, Shika ! On voit juste qu'il recommence ce qu'il a fait dans son ancien bahut ! »

Il planta ses yeux bleus dans ceux d'un léger vert de Temari. Et conclut :

« Il faut qu'on prévienne les autres. »


La journée touchait à sa fin. Sasuke s'était permis, avant d'aller effectuer les dernières corvées dans sa salle de classe, de sortir prendre l'air dans la cour. Un curieux sentiment l'oppressait depuis le début de l'après-midi et il avait besoin de s'en défaire.

Tout avait commencé à son retour de la pause de midi. Lorsqu'il avait gagné sa place, Hinata avait paru plus affolée que d'habitude et le regard qu'elle avait posé sur lui n'avait jamais été autant emprunt de crainte. Il avait trouvé cela curieux puis s'était rappelé qu'elle était parfois étrange.

Mais par la suite, il avait senti le poids des yeux qui lui caressaient la nuque ; et il ne s'agissait nullement de ceux de Naruto. C'était en réalité ceux de presque tous les élèves de sa classe. Lorsqu'il se retournait vers l'un ou l'autre, des chuchotements lui parvenaient sans qu'il pût en comprendre le sens. Des mots étaient passés de main en main, discrètement. Et toujours, il s'était senti regardé, inspecté, ausculté, détaillé.

Jugé.

Une brise l'accueillit lorsqu'il repoussa les portes du hall d'entrée. Par petits groupes, les élèves quittaient le lycée, insouciants des feuilles mortes gémissant sous leurs pas, inconscients de l'air dégoûté de Monsieur Mitokado lorsqu'ils passaient près de lui, ignorant du froid qui mordait leurs joues et leurs nez et les colorait.

Sasuke s'était arrêté. Et il fut bousculé. Il accorda un regard noir à l'importun, un garçon de sa classe qui saisit aussitôt le bras de l'ami qui l'accompagnait. Et cette fois-ci, il l'entendit.

« Hé, tu sais quoi ? L'Uchiha… il paraît qu'il a lynché des élèves dans son ancien lycée et que c'est pour ça qu'il est venu chez nous. C'est Naruto qui me l'a dit. »


Avec fureur, Sasuke fit violemment coulisser la porte de sa salle. Naruto, en train de laver les fenêtres, se retourna vers lui dans un sursaut. Lorsqu'il reconnut Sasuke, il se calma aussitôt. Cependant, l'air renfrogné qu'il affichait lui fit froncer les sourcils. Il voulut parler. Mais son vis-à-vis le coupa avant qu'il eût pu le faire :

« C'est quoi, ces conneries que t'as balancées sur mon dos ? »

Naruto haussa un sourcil, feignant d'être étonné.

« Comment ça ? demanda-t-il d'un ton léger qui mit à rude épreuve les nerfs de Sasuke. »

Celui s'avança sans prendre la peine de refermer la porte et repoussa les bureaux pour se rapprocher de lui.

« Je te parle de ce que t'as raconté sur mon ancien lycée et sur les soi-disant raisons de mon arrivée ici. »

Naruto finit d'essuyer une vitre, prenant plaisir à faire le plus de bruit possible en passant un chiffon contre celle-ci. Puis il se retourna vers Sasuke, posa ses ustensiles sur le premier bureau qui fut à sa portée et s'avança dans l'allée où s'était arrêté son ennemi.

« Oh ? Tu parles des trois types que tu as envoyés à l'hosto ? Et des trois adultes qu'il a fallu pour t'empêcher de les tuer ? Mince, moi qui pensais qu'il n'y avait rien de mal à le dire à tout le monde… »

Un sourire détestable vint se peindre sur ses lèvres. Et à ce moment précis, Sasuke se dit qu'il était réellement méprisable. Ses poings se serrèrent.

« Comment…

-Ton dossier scolaire, l'interrompit Naruto. Très intéressant, soit dit en passant. »

Sasuke fulminait. Il s'avança jusqu'à se retrouver face à l'autre. Ses yeux lançaient des éclairs lorsqu'il lui dit :

« Tu ne sais rien de ce qu'il s'est passé. »

Naruto se rembrunit.

« T'as raison. Je sais juste que t'es quelqu'un de dangereux et que tu n'as rien à faire ici. »

Sasuke se décomposa face à lui, eut l'air perdu. Et ce fut une brèche suffisamment large pour que Naruto s'y engouffrât aussitôt.

« Je sais maintenant ce que t'es. T'es un mec qui aime détruire les autres. Un jour c'est en les ruant de coups, l'autre c'est en brisant un couple… »

La main blanche de son ennemi frappa violemment un des bureaux à côté d'eux et ce simple geste suffit à faire perdre à Naruto sa contenance.

« Putain mais combien de fois tu vas ramener cette histoire de merde sur le tapis ? »

Il reprit bien vite son assurance et sa colère pour réponde :

« C'est tout sauf une histoire de merde ! C'est à cause de toi qu'elle m'a plaqué !

-J'ai jamais demandé à ce qu'elle le fasse !

-Ah ! oui ! fais-moi rire ! Cherche pas à te déculpabiliser.

-Mais bordel ! s'écria Sasuke. Quand est-ce que tu vas comprendre que t'es le seul fautif dans tout ça ? Et que c'est pas ma faute si elle s'est intéressée à moi ?

-Tu sous-entends que je l'ai perdue tout seul ? »

Sasuke ne répondit pas immédiatement, crispé, furieux. Mais il prit le temps de calmer sa voix pour assener :

« Exactement. Tu devais être merdique au pieu et c'est sûrement pour ça qu'elle t'a plaqué. »

Dans un cri de rage, Naruto se saisit du col de l'autre et éructa :

« Tu cherches vraiment la merde, Uchiha ! Sakura aurait jamais pu s'intéresser à un type comme toi à moins que tu l'aies draguée ! Elle connaissait ton dossier !

-Quand est-ce que tu vas comprendre, merde ! Elle est pas mon type et j'ai rien fait pour que ça arrive !

-Ah ouais ? Et pourquoi elle t'intéresserait pas, hein ? »

Sasuke se libéra de son emprise et, dans son emportement, lui hurla au visage :

« Mais parce que c'est une fille, bordel ! »

La phrase résonna fortement dans la salle, ricocha contre les murs, traversa la chaude lueur du crépuscule. Face à Sasuke, le visage de Naruto, plein d'ombres, s'était figé dans la stupeur. Sa bouche entrouverte ne laissait plus passer un souffle qui s'était coupé et ses yeux bleus, trop bleus, brillaient intensément. Ses mains, suspendues dans l'air, ne bougeaient plus et avaient encore la forme des doigts agrippés au col de l'Uchiha.

Celui-ci soufflait fortement, épuisé comme s'il avait longtemps couru. Et surtout, il sentait son cœur cogner violemment dans son corps : à ses tempes, à ses lèvres, au bout de ses doigts. Ses yeux s'écarquillèrent à mesure qu'il prenait conscience de ce qu'il venait d'avouer.

Naruto, toujours, le fixait, estomaqué. Et lui sentit une terrible vague de froid l'envelopper, une sensation de vertige imprégner son corps. Il baissa la tête. Ses sombres mèches s'éparpillèrent sur son visage, se collèrent à ses tempes brillantes de sueur.

« Tu… »

La voix étouffée, éraillée de Naruto le fit tressaillir.

« Tu es… gay ? »

Et il fut prononcé. Ce terrible mot. Claquant comme une condamnation. Si souvent plein de dégoût, de peur et de mépris. Balancé au visage comme une marque impie. Une tare. Une démarcation. Une déviance. Tant de choses qui plus que l'effrayer l'épouvantaient véritablement.

Mais il y avait autre chose. Il y avait tous les coups que lui avait donnés Naruto au cours du mois d'octobre. Il y avait toutes les injures, toutes les attaques, tous les mauvais tours, toute l'humiliation qu'il lui avait infligés. Il y avait cette volonté de vengeance, cette volonté de blesser. Il y avait toute cette antipathie qui venait tout juste de trouver où s'abreuver désormais.

Je suis perdu, songea-t-il.

Et comme la résignation le gagnait et l'exhortait au calme, il rejeta la peur pour un autre sentiment : le dédain. Parce qu'il était hors de question que face à quelqu'un d'aussi méprisable il perdît sa fierté.

Aussi serra-t-il les dents, aussi son visage se durcit-il. Avec lenteur, il releva les yeux vers Naruto. Les planta avec férocité dans ceux de son vis-à-vis. Et d'un ton qu'il n'avait jamais eu aussi amer, il dit :

« Bravo, Naruto. Tu as enfin ce que tu voulais depuis le début : tu as de quoi détruire ma vie. »

Et sans un mot de plus, il quitta la pièce en claquant la porte.

Naruto resta un long temps immobile, interdit, muet. Puis il cligna des yeux, les tourna vers la sortie. Et quand il prit conscience de ce qui lui avait été dit, il s'élança vers elle, fit coulisser le battant et s'avança dans le couloir en hurlant :

« Sasuke ! »

Mais il était trop tard. Sasuke était parti.


Désespérine

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