La pluie avait rendu le ciel noir ce jour-là. Les arbres dansaient au rythme de la tempête, caressés par les gouttes, douces et glaciales. Le sol était imbibé, saturé, étouffé par cette eau sale qui coulait des nuages argentés. C'était d'une beauté repoussante, envoûtante, on se refusait de l'approcher, averti par le peu de sens qu'il nous restait: la puissance était dangereuse. C'était comme une lame, magnifique, mais intouchable...

La plupart des Hommes l'étaient aussi. Froid et dur. Transparent et blanc. De la glace. Sous le soleil, les hommes fondent. Leurs restes coulent tous dans la même rivière, destinée à être oublié dans l'océan, trop grand pour que quelqu'un les remarque parmi les autres insalubrités.

C'était déprimant, mais véridique et indéniable. Near le savait. Il regardait par la fenêtre de verre, barrière simple entre lui et le reste du monde. En fait, il y avait toujours eu une fenêtre entre lui et le reste du monde. Il y avait toujours eu cette sorte d'aura brumeuse d'indifférence et d'impersonnalité qui émanait de son être, éloignant les autres sûrement un peu effrayés par ce manque d'humanité. C'est peut-être pourquoi, cette soirée-là, il n'était pas sorti de sa chambre comme les autres enfants qui s'amusaient au rez-de-chaussé. Il était resté là, à fixer la nature se déchaîner, se déchirer. Ça ressemblait inexplicablement à ce qui se passait derrière ses grands yeux gris, dans son esprit autrefois si bien rangé.

Il entortillait une mèche de cheveux autour de son index. Du plus loin qu'il se souvienne, il avait toujours eu cette habitude. Elle était camouflée en un tic nerveux des plus banal, mais cachait en fait un reflex qui signifiait chez lui qu'il se passait quelque chose. Quelque chose que sûrement personne n'aurait soupçonné chez Near... Il ressentait un sentiment. Ce serpent vaporeux qui rampe dans votre corps tout entier, inondant vos veines de poison hallucinogène, rendant la vie dure ou terriblement inoffensive. Pour le jeune garçon, le fléau était toujours parfaitement dissimulé, imperceptible pour le commun des mortels. Pourtant, ce soir-là, une chose tomba silencieusement sur le bord de la fenêtre. Une chose minuscule qui n'avait jamais coulé des yeux de Near...

La larme glissait sur sa joue gauche, laissant derrière elle une trainée d'eau salée sur son visage pâle. Ses cheveux blancs dansaient au rythme de ses doigts, au rythme des arbres. Il regardait par la fenêtre la silhouette mince et fantomatique qui poussait la grille de fer. Nouvelle larme sur le bord de la fenêtre. Near fixait le garçon refermer violemment la grille et s'éloigner sans tourner la tête, son sac sur le dos, ses cheveux blonds trempés de pluie. Il était parti.

Un sanglot mourut dans sa gorge, promesse spectrale qui s'envola dans le ciel sombre. Near laissa échapper faiblement deux mots rempli de tout l'espoir qu'il possédait, souhaitant inutilement que l'interpellé l'entende:

«Au revoir...»