Dum spiro, spero
Tant que je respire, j'espère

Chapitre 1 : Au bord du gouffre

Un pas en avant, deux pas en arrière.
Elle aurait été tentée d'opter pour cette technique. Un semblant de départ, pour en fait retourner parmi les « siens ».
Au lieu de ça, elle faisait trois pas en avant, sans se retourner. Une sorte de défi qu'elle se lançait à elle-même.

« Ne te retourne surtout pas ! se forçait-elle à penser. »

Parce qu'elle se sentait capable de faire demi-tour et de réclamer son travail à nouveau. Mais elle continuait d'avancer vers la porte. Il fallait qu'elle quitte cet hôpital. Il le fallait… Elle préférait la fuite. Pour l'une des premières fois, elle fuyait ses problèmes. Elle n'avait pas la force nécessaire pour les affronter.

Elle posa sa main sur la porte d'entrée, la poussa lentement.

Pendant les quelques secondes qu'il lui fallait pour franchir la porte, tous ces souvenirs passés ici lui revinrent, comme un coup de poignard qu'elle recevait en plein cœur.

Le jour où elle avait apprit que House l'avait embauchée pour son physique. Le jour où elle s'était confiée à lui pour l'histoire concernant son mari défunt. Le jour où elle lui avait demandé s'il l'aimait, et où il avait répondu « non »… Le jour où elle avait parlé de ce moment à Chase. Le jour où elle avait démissionné pour la première fois. Le jour où House était venu la chercher, où elle avait réussi à obtenir son dîner – ah, ce dîner… un mauvais souvenir qui restait sur son cœur comme un bout nécrosé. Le jour où elle avait pensé perdre House à jamais à cause de Stacy. Le jour où elle avait couché avec Chase. Le jour où elle était montée sur la moto de House. Le jour où il lui avait dit « je vous aime » pour un fichu test. Le jour où House s'est pris deux balles. Le jour où il est rentré de convalescence et où ils se sont cherchés pendant longtemps. Le jour où elle est rentrée dans le bureau de Cuddy pour lui dire que House ne devrait pas être comme tout le monde – si seulement House l'avait appris. Le jour où House est venu la voir à la chapelle, lorsqu'elle pleurait, pour lui poser une main sur l'épaule et lui dire qu'il était fier d'elle. Le jour où il lui avait dit de l'aimer pour ce qu'il était – il ne pouvait savoir à quel point elle aurait voulu lui rétorquer « mais c'est déjà le cas ». Le jour où elle était venue à son domicile pour soigner son bras. Le jour où elle l'avait enlacé. Le jour où il avait écouté à deux reprises ses conseils.

Le jour où elle l'avait embrassé…

Le jour où elle a recommencé à coucher avec Chase – dans le but de se faire plaisir tout en essayant de rendre House jaloux. Le jour où il les avait pris en flagrant délit. Le jour où elle s'était rendue compte qu'il s'en fichait. Le jour où elle s'était rendue chez House pour le réveiller, en lui posant une main sur l'épaule. Le jour où elle avait décidé de démissionner une seconde – et dernière – fois. Le jour où il l'avait retrouvé dans l'hôpital. Le jour où elle avait dit ouvertement aux caméras qu'elle aimait House – malgré elle. Le jour où elle s'était entrainée à se justifier face à un miroir, sans se rendre compte que ses propos manquaient de sens… Le jour où elle avait décidé d'emménager avec Chase. Le jour où elle avait pris la place de Cuddy, et où elle n'avait pas su résister aux lubies de House. Le jour où Chase l'avait demandée en mariage. Le jour où elle s'était mariée. Avec Chase.

Le jour où elle avait décidé de quitter cet hôpital…

Tant de souvenirs qui lui remontaient sous forme de flashs alors qu'elle poussait la porte, comme un « adieu ». Elle sentit une larme perlait le long de sa joue, et elle ne doutait pas que d'autres suivraient le même chemin… Elle réalisa à quel point tout avait changé. Passant de House à Chase. Sans raisons apparentes… Que d'imprévus.

Malgré que ses jambes demeuraient engourdies, elle se précipita loin de l'hôpital, dans sa voiture. Elle reprit son souffle, lança un regard à ses affaires sur la banquette arrière.

« En route pour une vie nouvelle… se dit-elle lentement. »

Un autre souvenir lui revint.

Le jour où House lui avait demandé ce qu'elle avait fait après la mort de son mari… Changer de boulot, changer d'appartement. Elle se souvint de sa réponse. Quelque chose qui ressemblait à un « et vous voyez dans quelle merde vous êtes maintenant ». Elle comprit enfin le sens de cette phrase.

Elle secoua la tête résolument, et fit démarrer l'engin. Elle s'éloigna de l'hôpital, non sans regarder une dernière fois le bâtiment à l'aide de son rétroviseur.

« Aller, courage, tu vas bien réussir ta vie ailleurs… se dit-elle pour se redonner du courage. Tu t'es gourée pas mal de fois jusque là, mais un jour tu réussiras… Ne perds pas courage Allison… »

Ses prévisions s'avérèrent justes. Les larmes débordèrent. Plus assez d'espace pour les contenir, probablement. Elle se sentit ridicule, à s'encourager elle-même, comme si elle venait d'échapper à la mort… Non, elle venait juste d'affronter House, d'affronter ses souvenirs… et bientôt elle devra affronter ses craintes. Cette idée fit monter en elle un mal de tête atroce.

« Aller, un peu de courage… »

Elle déglutit difficilement. Embouteillages. Sa « vie nouvelle » commençait bien…

Elle comptait s'installer à Chicago, sa ville de naissance. Une ville bien éloignée d'ici, du New Jersey, où elle avait tant souffert.

Elle se rendit compte à quel point elle se trouvait « heureuse » lorsqu'elle aimait House. Depuis souffrait-elle autant ? Probablement depuis qu'elle travaillait aux urgences… Quelle grossière erreur… Elle ne pensait pas se le pardonner de sitôt.

« Non, ne fais pas demi-tour… ne va pas retourner voir House… ne va pas lui dire que tu l'aimes toujours… »

Elle secoua la tête encore une fois.

« N'importe quoi… Je ne l'aime pas… Je ne peux pas l'aimer, je ne veux pas revivre tout ceci… pas souffrir encore une fois. Même si ma souffrance était moins importante que celle que j'ai actuellement, je ne peux pas être certaine qu'en revenant je serai heureuse… »

Les embouteillages semblèrent diminuer car elle parvenait à rouler sans s'arrêter trop longtemps.

« J'aurai dû prendre l'avion… se dit-elle. »

Elle réfléchit quelques instants durant un court arrêt du véhicule.

« J'aurai dû faire tellement de choses… »

Elle poursuivit le trajet, regrettant au fur et à mesure la vie qu'elle vivait depuis quelques années.

« Avouer à House mes sentiments. Rejeter Chase. Lutter contre moi-même pour m'endurcir. Persévérer plus souvent… »

Elle tapota nerveusement son volant, comme s'il s'agissait d'un piano.

« Il ne faut pas que j'y retourne. Il faut que j'oublie tout… il faut que je recommence ma vie, comme si jusqu'ici rien ne s'était passé… Il faut que j'oublie mon mariage, il faut que j'oublie Chase, il faut que j'oublie mes anciens collègues, il faut que j'oublie tous ces patients morts… »

Une larme un peu trop grosse obstrua sa vue.

« Il faut que j'oublie House… »

Deux grosses larmes finalement. Peut-être trois, voire quatre. Tout bien réfléchi, cinq. Non, six. Ah mince, voilà une septième.

Ou bien une grosse cascade…

Son cœur se mit à battre indéniablement vite.

« Il faut que j'arrête… de penser à lui… Pourquoi me poserait-il plus de problèmes que Chase ? Après tout j'avais un mari… mais sa perte me fait moins souffrir… Peut-être parce que c'est House qui a fait de moi ce que je suis maintenant. Grâce à lui j'ai pris davantage d'assurance. Moins soucieuse des règles… »

Elle se rappela les paroles de Tritter. Peut-être que House exerçait vraiment une mauvaise influence sur elle… mais elle ne parvenait pas à se le dire. Elle pensait tout le contraire.

« Si j'étais restée coincée dans mon idée d'éthique, je me morfondrais encore… je passerais mes nuits, à sangloter sur mon oreiller. Mais non, grâce à House, j'ai évolué… Même si je me morfonds quand même… »

Elle soupira. Elle ne savait plus où elle se trouvait, ce qu'elle devait faire, ses raisons… Le terrain semblait si chamboulé…

« Il faut que je l'oublie… »

Elle ne se souvenait déjà plus des raisons pour lesquelles elle l'avait aimé autrefois. Et elle ne tenait pas à s'en rappeler…

Après une heure de route pendant lesquelles elle se torturait l'esprit, elle s'arrêta dans un petit coin tranquille.

« Je ne vais pas rouler toute la nuit non plus… et je suis déjà crevée… »

Comme pour appuyer ses propos, elle bailla. Une fine larme dévala sa pommette. Tristesse ou fatigue ? Les deux ? Elle ne se sentait pas apte à y réfléchir. Elle sortit de sa voiture. Le froid prit possession de tous ses membres très rapidement…

Elle se dépêcha d'ouvrir le coffre. Elle saisit une couverture bien épaisse et retourna dans sa voiture. Elle manœuvra pour allonger son fauteuil, posa sa couverture sur elle et plongea dans un long sommeil agité.

Elle avait tout.
Et elle se retrouvait sans rien.