Il chausse ses patins, dépose sa canne contre le banc et s'avance jusqu'au portillon. Il respire profondément et entre sur la patinoire vide. Il se laisse glisser jusqu'au centre, s'arrête pour enfiler son casque audio et lancer son morceau.

Il souffle pour se concentrer et ferme les yeux. La musique démarre, alors il s'élance. Un pied, puis l'autre, tout doucement. La musique emplis ses oreilles, il accélère, glissant sur la glace comme un cygne sur un lac. Il va au rythme de la chanson, prenant plus d'élan. Il tournois, virevolte gracieusement, déployant ses bras comme l'oiseau déploie ses ailes. La musique l'emporte et il danse et danse encore, allant toujours plus vite. Son souffle est court et ses joues sont rouges mais il ne s'arrête pas, transporté par la magie et les souvenirs qui le guident dans son ballet, les yeux toujours clos. Puis il prend son élan, bondi et prend son envol. Il tournois dans les airs puis atterri majestueusement.

Un craquement sourd puis une vive douleur lui paralyse la jambe, il chute et la magie cesse. Son casque tombe, la musique continue et son poing se serre. Il se redresse et reste assis sur la glace. Son corps tremble et des larmes coulent sur ses joues. Des larmes de colère, de tristesse et de douleur mêlées. C'est exactement comme il y a cinq ans, lors du Grand Prix. Il était pourtant bien parti, il avait réussi tous ses enchainements et ne restait plus qu'un saut qu'il était sur le point d'exécuter. Il a décollé et a tournoyé gracieusement dans les airs. Sa figure était parfaitement effectuée, comme les autres. Mais à l'atterrissage son genou s'est brisé, il est tombé et ne s'est jamais relevé. Ainsi prit fin la carrière pourtant prometteuse de Yuri Plisetski. Aujourd'hui, son nom et ses exploits ne sont plus que des souvenirs que l'on évoque encore parfois lors des compétitions, mais son visage, tout le monde l'a oublié.

Il se relève péniblement et se traine jusqu'au portillon. Il sort de la patinoire, déchausse ses patins, récupère sa canne et s'en va en claudiquant, le claquement métallique de sa béquille sur le sol résonnant tristement dans le noir.