Un petit coucou à tout lecteur ouvrant cette nouvelle histoire, écrite pour changer un peu des misères amoureuses d'Un monde de magie et de vérité (que je ne délaisse d'ailleurs pas pour autant). Au programme, le récit du mariage de Meg Giry avec le baron de Castelot-Barbezac... Pas de pairing avec Érik, donc, mais que ça ne vous empêche pas de lire pour autant !

Enjoy et n'hésitez pas à me laisser une petite review en passant, ça fait toujours plaisir. ;-)


I.

Où l'on apprend que le récit
des faits du Fantôme de l'Opéra
n'est peut-être pas terminé.

Les dernières lignes de mon feuilleton venaient à peine de paraître dans le dernier numéro de janvier du Gaulois, lorsque je reçus la visite du baron Henri de Castelot-Barbezac, dont la femme, Marguerite Jules, fille aînée de Mme Giry, m'avait été d'un si précieux secours dans l'élucidation du mystère du Fantôme de l'Opéra. Le cours de mon enquête m'avait poussé à ne voir en lui que le mari d'un de mes témoins, un figurant parmi tant d'autres, nullement mêlé à l'affaire qui m'intéressait. J'ignorais alors à quel point j'étais loin du compte ! Néanmoins, surpris de sa visite, je l'invitai à entrer.

Il me faut dès à présent préciser que ce baron Henri de Castelot-Barbezac, issu d'ancienne noblesse gasconne, était alors un homme d'une cinquantaine d'années, au visage taillé à la serpe encadré de minces favoris poivre et sel, à la mine avenante, légèrement bedonnant; en somme, l'incarnation de cette ancienne noblesse embourgeoisée, ni mondaine, ni décadente. Bien que son mariage ait en son temps défrayé la chronique, le baron Henri avait toujours été d'un naturel esthète, raffiné et tranquille, quoique généralement blasé. L'air anxieux peint sur son visage me renseigna donc immédiatement sur la gravité de la situation.

Sans plus de façon, j'offris au baron Henri un verre de cognac – les longues discussions que j'avais eues en sa présence avec sa femme nous permettaient bien ce genre de petites familiarités – et m'enquis des raisons de sa venue. Il n'en fallut pas plus pour le faire parler.

« Monsieur Leroux… Quand vous avez interrogé Marguerite sur les événements de 1881, afin d'étayer votre récit des aventures du Fantôme de l'Opéra… Je vous avoue avoir écouté vos conversations d'une oreille plutôt amusée. Mon épouse est femme de théâtre, vous le savez. J'ai toujours cru que cette histoire de fantômes n'était qu'un ragot de coulisse supplémentaire, un de ces ragots dont la bonne madame Giry – Dieu ait son âme – était si friande, une de ces histoires qu'elle utilisait pour se faire mousser, comme on dit, auprès du superstitieux personnel de l'Opéra. Aussi me contentais-je d'ordinaire d'acquiescer gravement, mais sans ostentation, aux affabulations de ma femme. Dois-je même vous avouer qu'elles me plaisaient ? Qu'elles me divertissaient ? L'esprit de Marguerite, monsieur Leroux, m'a toujours fasciné par ses trésors d'inventivité: jamais, en trente ans de mariage, je ne me suis ennuyé en sa compagnie… »

Le baron se lança alors dans une longue digression sur Marguerite de Castelot-Barbezac, sur l'amour qu'il lui portait depuis le premier jour et sur la façon dont il avait prouvé à la face du monde la pureté des sentiments qui les unissaient. Il me tardait d'entendre la suite du récit, l'explication même de sa présence; cependant, l'excitation du baron était telle que je préférais ne pas interrompre ses épanchements. Je lui resservis un cognac.

« Monsieur Leroux – dit-il enfin, après dix longues minutes d'errance verbale – j'ai lu votre récit… et je me suis senti subitement bien bête d'avoir, pendant si longtemps, ri sous cape des dires de mon épouse. Vous m'avez convaincu de l'existence du Fantôme de l'Opéra. Partant, de la véracité des faits que Marguerite et sa mère m'ont raconté. »

La mine du baron s'assombrit subitement.

« … Et si ces histoires sont vraies, monsieur Leroux… Mon mariage n'est qu'un simulacre. »

Je regardai avec étonnement le visage maintenant décomposé du baron Henri, la profonde tristesse de son regard, sans parvenir à comprendre ce qui les avait causés. Il remarqua ma stupeur, sourit tristement et poursuivit son récit.

« Votre enquête ne vous a sans doute pas amené jusqu'à la fin de l'année 1881, monsieur Leroux: en novembre de cette année, j'épousai Marguerite, au mépris des règles sociales alors en vigueur. Je l'avais rencontrée… quelques mois plus tôt, monsieur. Dix jours après la disparition de Raoul de Chagny. Oh ! je vous entends déjà me dire : 'allons, monsieur de Castelot-Barbezac, ce n'est sans doute qu'une coïncidence…' Mais vous savez comme moi, monsieur Leroux, qu'IL avait promis à la mère Giry que sa fille serait impératrice… Vous le savez : Marguerite vous a remis ce pauvre bout de papier hérité de sa mère. Quelle étrange coïncidence, n'est-ce pas, que la coryphée au destin si prometteur soit précisément celle qui tombe dans les bras d'un homme tel que moi… »

Ma réponse fut sans doute davantage destinée à le rassurer qu'à me convaincre.

« Monsieur le baron, dis-je, vous savez comme moi que le hasard a toujours sa part… Lorsqu'Érik a laissé partir Christine Daaé et le vicomte de Chagny vers le nord du monde, il s'est condamné à mort. Il a mis de l'ordre dans ses affaires, comme vous l'avez lu, en rendant aux deux directeurs de l'Opéra leurs vingt mille francs, puis en scellant les entrées de la Demeure du Lac, sauf une: le passage de la rue Scribe, qu'il a emprunté lors de sa dernière sortie à la surface de la terre… lorsqu'il est allé raconter la fin de son histoire au Persan. Il est mort un mois et demi après le dénouement de sa tragédie… Non, monsieur de Castelot-Barbezac, je ne crois pas qu'Érik ait orchestré votre union à Marguerite Giry. Et quand bien même il l'aurait fait, cela n'altère en rien la véracité des sentiments de votre épouse…

— Peut-être avez-vous raison, monsieur Leroux. Peut-être avez-vous raison… Ce n'est qu'une coïncidence, aussi invraisemblable soit-elle… Pourtant, je doute, monsieur Leroux. Atrocement. Ma femme n'a jamais été ambitieuse ou, du moins, je ne l'ai jamais crue telle… Comment aurait-elle pu me mentir pendant trente ans ? Peut-être, sans doute, avez-vous raison… Après tout, je l'ai rencontrée au bal masqué de l'Opéra. Elle était attablée avec trois autres danseuses. Mon ami d'alors, Amédée d'Anquetil, était l'amant de l'une d'elles… Marguerite lui a été présentée par sa maîtresse… Il l'a invitée à danser, pour la forme. Puis, elle a valsé avec moi. Elle était fine, gracieuse, malgré son visage noiraud et son corps maigre de garçonne… J'ignorais, alors, que je dansais avec ma future femme. J'ignorais même qu'un jour, j'en tomberais amoureux ! Mes amis m'ont, pendant toute la soirée, taquiné sur cette petite coryphée qui n'était même pas jolie. Et, de fil en aiguille… Peut-être avez-vous raison, monsieur Leroux. Les plaisanteries d'Amédée d'Anquetil ont sans doute conditionné mon mariage, bien plus que les hypothétiques agissements du Fantôme de l'Opéra… Mais le doute reste… »

Je n'étais pas accoutumé à voir le baron Henri de Castelot-Barbezac ému de la sorte. Aussi tentai-je une dernière fois de le réconforter.

« Mon cher baron, si vous me le permettez, je tâcherai de faire la lumière sur les derniers agissements du Fantôme de l'Opéra, si peu de temps avant sa mort. J'espère ainsi vous ôter ces doutes.

— Merci, monsieur Leroux, merci ! »

La gratitude peinte sur son visage était des plus poignantes. Après quelques civilités d'usage, je raccompagnai le baron à la porte, le vis partir en voiture et retournai dans mon bureau. Curieusement, j'en venais à partager les doutes de l'honorable mari de la petite Meg… La coïncidence peut-être trop forte entre leur rencontre et la fin des agissements du Fantôme de l'Opéra… Avouerais-je même que renouer avec cette énigme, ce dossier clos depuis si peu de temps, m'enthousiasmait ? Mon enquête serait sans doute compliquée, les protagonistes de la tragédie étant pour la plupart décédés depuis longtemps: madame Jeanne Giry, l'ouvreuse de la loge numéro 5, avait rendu son âme à Dieu au début du siècle; le vicomte de Chagny et Christine Daaé étaient partis pour toujours; quant au Fantôme lui-même, son corps reposait aux tréfonds de l'Opéra. Le Persan était également mort depuis peu… Demeuraient cependant quelques témoins cruciaux, dont Meg Giry elle-même. Je résolus cependant de commencer mon enquête à la première rencontre qu'elle eut avec le baron, lors de ce bal masqué…


Alors, Érik ou pas Érik ? Et s'il y est vraiment pour quelque chose, à votre avis, comment a-t-il procédé pour pousser Meg dans les bras d'Henri ? Laissez-moi un petit message avec votre avis... et à bientôt pour un prochain chapitre !

P.S. : les suggestions, idées et autres souhaits sont les bienvenus également !