Bienvenue sur cette fanfic, dédiée à un Shanks/OC ! L'histoire se déroule après que Shanks ait perdu son bras, au moment où il devient Empereur. Mais je n'en dis pas plus, à vous de voir si ça vous plait ! Bye !

A/N : L'univers de One Piece ne m'appartient bien sûr pas...


Chapitre 1


« On ne se connaît pas tant qu'on n'a pas bu ensemble ; qui vide son verre vide son cœur. » - Victor Hugo


"Patron, ça va ?"

Il dévisageait son capitaine, debout sur le pont à l'abri des palmiers telle une statue de cire. Le voir ainsi de dos lui rappelait tant de souvenirs. Ils avaient pris la mer ensemble, un jour où le soleil avait littéralement flambé le ciel de couleurs chatoyantes. Lucky se souvenait très bien de ce ciel en feu magnifique qui avait éclaté derrière son capitaine fièrement dressé à la proue du bateau, comme si rien ne pourrait lui ôter sa joie de vivre. C'était le bon vieux temps, là où l'avenir leur réservait encore milles surprises. Lucky n'échangerait ces souvenirs pour rien au monde. Mais à la longue, on perdait parfois de vue ce qui était réellement précieux à nos yeux sans forcément y prendre garde.

Le pirate pressa son ventre rondouillard contre la poignée et se faufila dans le dos de Shanks, dont la cape virevoltait majestueusement sous les assauts du vent. Une tempête approchait. Les nuages couvraient le ciel d'un voile sombre, l'air dégageait une sensation agréable de fraîcheur. En somme, les flots ne tarderaient pas à se déchaîner et à emporter dans leurs entrailles tous ceux qui se croyaient assez malin pour les défier.

Lucky était anxieux, non pas à cause des caprices du temps, mais à cause de son capitaine. Le regard fixe de Shanks braqué dans le vide ne présageait rien de bon. Son regard à la fois grivois et sérieux prouvait à Lucky que de sombres pensées envahissaient son apparente tranquillité. Et comme clamait le doc inlassablement, « quand le cœur n'y est pas, même le meilleur des alcools ne suffit plus ». C'était sa tirade préférée, qu'il réservait aux grandes occasions. Le doc était doté d'une compassion sans faille et était souvent le seul à déceler la tristesse que tentait de noyer ses compagnons dans la bouteille.

"Dis-moi mon bon Lucky, est-ce que j'ai l'air complètement torché ?

S'il l'était, son rire lui aurait vrillé les tympans et une chope remplie à ras-bord de vinasse au rhum se serait violemment écrasée dans la paume de sa main. Non, Lucky connaissait son capitaine, l'alcool ne le rendait jamais aussi morose.

"Pas vraiment patron, mais t'as une haleine à fouetter les océans."

Shanks baissa les yeux sur ses mains calleuses, souffla dedans et renifla le doux fumet qui s'échappait de sa bouche en écartant les narines. Lucky n'avait pas tort. Le mélange d'ail, de viande grillée, de rhum et d'oignon ne faisait pas bon ménage. Il avait dérobé un casse-croûte à la cuisine et l'avait englouti en venait ici, sur le pont, parce qu'il n'arrivait pas à dormir.

"Je crois qu'il me faut un remontant, se résigna-t-il, en passant une main lasse sur son visage.

- Tu es sûr que ça va patron ?

- Je n'ai pas de fille dans mon équipage.

- Ça, j'le sais.

- Dans ce cas, dis-moi, pourquoi y en a-t-il une qui ronfle sur mon pont ?"

Lucky détourna aussitôt la tête et remarqua enfin la fille qui, étalée sur le pont comme un sac à patate, semblait dormir à point fermé. Ses habits étaient déchirés au niveau de sa poitrine, laissant à la vue de tous sa peau blanchâtre parsemée de bleus. Son visage crasseux reposait sur ses bras repliés, couverts de blessures, de la petite entaille à la brûlure.

"Comment elle est arrivée là ? s'enquit Lucky, les bras ballants, immobile près de son capitaine.

- Si je le savais, elle ne serait pas là."

Il lui fallait de toute urgence un remontant. Avec un peu de chance, ce n'était simplement qu'un mauvais rêve. Et la fille disparaîtrait au lever du soleil. Oui, une bonne sieste alliée à quelques verres de saké conjurerait le mauvais sort. Il détourna les talons, pour retourner à l'intérieur du bateau.

"Tu vas la laisser comme ça ?

- Elle ne risque pas de bouger. On est en pleine mer, aucun risque qu'elle s'échappe… et si elle veut sauter par-dessus bord, je suis certain qu'une âme généreuse l'en dissuadera."

Shanks referma la porte derrière lui. A présent seul, les épaules de Lucky s'affaissèrent, pris de pitié pour la jeune fille. Si elle restait ainsi vêtue sur le pont, la tempête aurait raison d'elle et il n'avait aucune envie de s'occuper d'un cadavre à son réveil. Ces charronneries se décomposaient vite, ils seraient alors contraints de la balancer dans la mer. Un sort funeste qu'elle ne méritait sûrement pas. Lucky tenta une approche prudente, gardant à l'esprit qu'elle pourrait être un pantin manipulé par Big Mom ou Kaido, qui navigueraient sous leurs pavillons austères avec la conviction qu'elle était capable de mettre fin à la vie de Shanks. Elle pourrait également être une marine échouée, profitant de leur clémence pour les duper. Lucky avait l'embarras du choix. La fille n'était sûrement pas apparue par hasard, ni dans un plouf, sur le parquet craquelé du Red Force.

Lucky détailla le visage rond de cette fille, ses pommettes saillantes et ses lèvres délicates. Elle était une de ces beautés que les Nobles traînaient et exhibaient fièrement au bout d'une chaîne, ou sur une toile, telle une peinture à l'huile que l'artiste aurait réalisé avec le sang de sa propre muse. Sa robe blanche était pouilleuse, empreinte de saleté – de la boue et du saké, au vu de l'odeur – ainsi que de sang desséché. Déchirée à la poitrine, elle dévoilait les sévices que la fille avait dû subir avant d'embarquer sur leur navire. Lucky hésitait ; soit il la laissait sur le pont, soit il la déplaçait ailleurs. Il touilla les côtes de l'inconnue du bout du pied, chancela son corps massif de part et d'autre de sa tête, dans l'espoir qu'elle ouvre un œil. Mais rien à faire, elle dormait profondément. Lucky décida, après une brève réflexion, de détacher sa cape et de l'enrouler délicatement autour d'elle. Cette inconnue avait de la chance – ou l'intelligence – d'être tombée sur eux car il savait que le capitaine n'abandonnait jamais une fille en détresse, même s'il ne l'admettrait jamais. Lucky rit doucement de l'absurdité du cliché et se retrancha à l'intérieur du bateau en souhaitant à la jeune fille de ne pas crier lorsque la grêle lui fouettera les joues, dans quelques heures.


Le soir venu, l'équipage du Red Force s'était rassemblé dans la salle à manger. Le bateau tanguait fortement depuis près de cinq heures, la tempête étant particulièrement violente. Des bruits continus de grêle berçaient l'équipage, encore pris dans les tourments d'une gueule de bois persistante. Ils avaient quitté la terre ferme cette nuit et ne devraient rejoindre la prochaine île que dans treize jours, d'après les indications de Ben.

"Patron, il paraît que y a une fille dans ta cabine !"

L'un de ses hommes avait crié d'un ton graveleux à travers la foule, enhardi d'avoir pu clouer le bec à ses compères, qui n'avaient pas cru un seul instant qu'une jeune fille puisse se trouver sur le bateau. Shanks expulsa son rhum par les narines et cracha la dernière gorgée qui stagnait dans sa bouche par réflexe. Il se redressa sèchement et s'essuya le coin de la bouche avec son poignet.

"Elle était sur le pont avant, qui l'a foutu dans ma cabine ?"

Lucky croqua dans son gigot, amusé par la tête de son capitaine. Il n'était pas en colère, loin de là. Il était simplement estomaqué que ses hommes n'aient pas pu trouver un meilleur endroit où enfermer cette intruse.

"Ils n'ont pas dû cogiter longtemps avant d'avoir cette brillante idée, commenta moqueusement Lucky.

- Alors, c'est vrai ? Y a une fille à bord ?" répéta l'homme, un grand sourire aux lèvres, plissant le tatouage en forme de trèfle qu'il possédait à l'arcade sourcilière.

D'autres haussèrent rapidement le ton et une véritable cacophonie se créa dans la salle à manger. Shanks mâcha son dernier bout de pomme terre et bascula en arrière, soupirant comme il en avait l'habitude :

"Qui était de garde cette nuit dans la vigie ?

- Personne.

- Comment ça personne ?

- Vous nous avez dit que c'était quartier libre, patron."

Presque tous ses hommes haussèrent les épaules. Shanks vissa ses prunelles sombres sur Lucky, qui ne fit que sourire bêtement, lui confirmant sa pire crainte. Personne n'avait vu la fille embarquer sur le bateau.

"T'étais complétement soûl patron, une demoiselle a même dû te ramener à la fin de la soirée, lança Yasopp avec un clin d'œil.

Un sourire fendit les lèvres de Shanks.

"C'est vrai que c'était une bonne soirée…

- Plus que bonne si tu mon avis, renchérit Lucky. Mais tu devrais aller voir notre p'tite intruse, elle s'est réveillée y a une heure. Ben est avec elle.

- Ça peut attendre encore un peu."

Des flashs de sa nuit torride lui revenant en tête, Shanks reprit son ton enjoué et trinqua avec ses hommes dans la bonne humeur. Une fille naviguant sous son pavillon ne l'enchantait guère, mais il trouverait peut-être de quoi s'amuser à son retour dans sa cabine.

La soirée s'écoula joyeusement, dans les limites du raisonnable, et bientôt fut venu le temps de rencontrer cette jeune fille imprudente. Shanks quitta la salle à manger sous les railleries de ses hommes. « Elle est un peu trop jeune patron, tu ne trouves pas ? » Elles avaient le don de le faire sourire, pas vexé pour un Berry de leurs insinuations malsaines. Après avoir longé le couloir, Shanks fit une entrée fracassante dans sa chambre. La porte rebondit contre le mur. Il n'accorda pas d'attention à ce qui l'entourait, sa tête tournait un peu et il interdit sa conscience de s'enflammer, car il se savait capable de déraper à tout moment. Il n'aurait pas dû boire avant de lui rendre visite. Shanks appuya le bas de ses reins contre la commode où il rangeait ses habits – et les trésors que certaines filles lui laissaient de temps à autre – et déposa sa seule main près de sa cuisse, sur le rebord du meuble.

"D'habitude ce n'est pas aussi facile."

Il offrit un clin d'œil racoleur à la créature fragile qui respirait sous ses draps. Sa voix rauque s'était languie, ne laissant aucun doute sur la nature de ses propos grivois. Les yeux globuleux de sa captive s'écarquillèrent de peur. Elle avait un regard envoûtant, doux et incroyablement sincère. Ses prunelles vertes, semblable à la couleur de l'herbe folle qui empiétait l'espace de ses palmiers sur le pont, luisaient à la lumière de la bougie posée sur la table de nuit.

"Sacré Shanks", murmura Ben, debout dans un coin de la pièce.

Shanks lui jeta un coup d'œil furtif, souriant, puis avala les derniers pas qui le séparaient de son lit. La fille se ratatina dans les draps, cachant une partie de son visage avec la couette. Shanks puait l'ail et était de toute évidence légèrement éméché. Elle ne savait pas où elle se trouvait, et même, tout était trop grand autour d'elle et rien ne la rattachait à ce monde étranger. Elle était perdue, affolée, car bien qu'elle n'ait aucun souvenir de son existence, elle savait que cet homme n'était pas net. Shanks agrippa la couverture d'un geste maladroit et tira dessus, un peu trop brutalement, pour dévoiler le visage complétement livide et effrayé qui le dévisageait.

"Du calme, je ne vais pas te faire de mal."

La voix rauque et douce de Shanks n'apaisa pas la fille. Elle tenta vainement de donner un coup de pied dans le torse du capitaine. Trop lente. Il était déjà assis au bord du lit et avait enchainé ses jambes à l'aide des draps, et tout ceci, avec une agilité déconcertante pour un homme qui n'avait qu'un seul bras.

"Elle ne se rappelle plus de rien", intervint Ben. "Je l'ai amenée ici, elle grelotait de froid sur le pont."

L'infirmerie avait été détruite par un boulet de canon égaré. La marine était très hargneuse par moment. Et personne n'avait encore pris la sage décision de la réparer. Shanks se promit d'y remédier au plus vite. Il plongea son regard d'encre dans les yeux pétillants et brusqués de la fille, songeant à l'infime possibilité qu'elle pourrait être un cadeau empoisonné.

"Pas le moindre souvenir ?" demanda-t-il subitement, d'un ton bourru.

La fille secoua la tête et chercha à se dépatouiller des draps, sans y parvenir. Elle était paniquée. Shanks râla en fermant les yeux, ne sachant que faire de cette jeune fille égarée et amnésique. C'était bien sa veine. Elle ne ferait pas long feu sur leur bateau. S'ils rencontraient en chemin la Marine ou d'autres pirates, il lui donnait zéro chance de survie avec ce corps frêle et névrosé.

"La mer est le tombeau de nombreuses vies, ma douce Baer", chuchota-t-elle tout bas, la tête baissée.

Shanks rouvrit les yeux, décochant un regard glacial à la fille, et fronça les sourcils. Avait-elle dit quelque chose ? Shanks s'impatienta.

"Pardon ?

- La mer est le tombeau de nombreuses vies, ma douce Baer", répéta-t-elle plus clairement. "J'ai ces mots qui tournent dans ma tête en boucle, mais je ne comprends pas leur sens, tout est assez confus."

Elle avait retenu sa respiration pour débiter sa phrase avec assurance. Elle n'avait plus aucun souvenir, mais cette phrase, elle était ancrée au plus profond d'elle. Elle croyait l'entendre en ce moment, cette voix sèche qui lui murmurait à l'oreille. Shanks la dévisagea gravement :

"C'est une énigme ?"

Baer haussa les épaules timidement. Le capitaine grogna tout bas, il détestait les énigmes. Soit cette fille se fichait de lui, soit elle était sincère et complètement tarée. L'un n'empêchant pas l'autre, elle pouvait également être folle et jouer un double jeu. Shanks prit son second à part dans le coin de la pièce.

"Elle est maboule, chuchota-t-il tout bas.

- Elle s'est cognée la tête plutôt sévèrement", contra Ben avec un demi-sourire, croisant ses bras sur sa poitrine. "Elle a des bleus et des blessures partout sur le corps, ce n'est pas normal. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé avant d'atterrir ici mais ça ne doit pas être uniquement dans sa tête, si tu vois ce que je veux dire. Le doc va venir l'examiner demain matin. Il n'était pas très bien aujourd'hui, tu sais, il n'aime pas quitter la terre ferme quand on reste aussi longtemps au même endroit.

- Elle fiche la trouille avec ses gros yeux globuleux."

Il n'avait absolument rien écouté de ce que Ben lui murmurait. Shanks se retourna discrètement, lorgna la peau cireuse de Baer et grimaça en la pointant du doigt.

"On dirait un cadavre revenu d'entre les morts pour squatter mon lit !

- Tu sais, elle t'entend, elle n'est pas sourde. Elle a juste perdu la mémoire.

- Elle va perdre bien plus que ça si elle reste dans mon lit, rétorqua-t-il avec la voix suave qu'il usait pour faire frémir les femmes. Alors fais en sorte qu'elle quitte ma cabine le plus vite possible, et surveille-là bien, d'accord ?

- Tu es d'ordinaire plus galant avec les demoiselles."

Le capitaine était entièrement d'accord. D'habitude, il était enchanté par la présence de la gente féminine, et même s'il s'amuserait bien à la taquiner, quelque chose le dérangeait chez elle. Il n'arrivait cependant pas à mettre le doigt sur ce qui l'inquiétait. Shanks tapota l'épaule de son second et sortit de la cabine, en ignorant la fille. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à trouver un endroit décent où passer la nuit.


"Excusez-moi, y a un truc qui sent fort par-là, j'ai l'impression que ça provient des draps… un animal mort on dirait."

Baer sourit innocemment à Ben, en désignant sa couverture de toute la sincérité et la gentillesse dont elle pouvait faire preuve. Le second, bras croisés et clope fumante dans le bec, la dévisageait distraitement.

"Ça te dérange ?

- Oh non pas du tout", se reprit Baer maladroitement. "C'était juste comme ça, pour vous dire… pour faire la conversation."

Ben décontracta ses muscles et se détendit en imaginant la tête outrée de Shanks, lorsqu'il lui raconterait cette anecdote. Garder un œil sur Baer n'était pas aussi ennuyant et détestable qu'il l'aurait cru. Elle s'était habituée sa présence et osait lui parler, malgré la haine manifeste qu'elle vouait aux pirates. Il était intrigué que cette haine soit si forte pour qu'elle ressorte, même après sa perte de mémoire.

"Où sommes-nous exactement ? Je ne comprends pas bien ce que vous voulez de moi, en me gardant dans cette chambre… douteuse. Vous m'avez enlevée, il doit bien y avoir une raison, se crispa-t-elle.

- Gamine, je t'ai déjà dit qu'on n'a rien à voir là-dedans.

- Cette pièce n'a pas l'air d'être une prison, à moins que ce soit votre truc, de mettre les gens plus ou moins à l'aise et les…

- On ne te retient pas prisonnière, s'exaspéra-t-il doucement, sans perdre son sang-froid légendaire. Et crois-moi, tu es bien mieux ici qu'en compagnie de tous ces pirates, qui attendent seulement que tu sortes de cette chambre et te trémousse pour leurs beaux yeux.

- Y a que les pirates pour enlever les gens de la sorte", maugréa Baer, fâchée.

Le faisait-elle exprès ? Ben n'était pas quelqu'un que l'on pouvait faire tourner en bourrique. Il était malin, futé et terriblement intelligent. Elle n'était pas très douée pour cerner les gens.

"Si tu sais ça, pourquoi es-tu incapable de me dire qui tu es ?"

Ben ricana intérieurement, il lui avait couper le clapet. Enfin. Elle avait baissé les yeux, cherchait en son for intérieur, serrait les draps entre ses doigts, mais c'était peine perdue, elle n'avait aucune idée de qui elle était. Ma douce Baer. Peut-être était-ce elle. Après tout, elle pouvait être qui elle souhaitait, recommencer sa vie et se créer une nouvelle personnalité de toutes pièces. Mais peut-on vraiment faire impasse du passé ?

"Il y a certaines choses que je sais, que j'ai l'impression d'avoir toujours su, des choses que je vois dans ma tête et d'autres qui m'échappent totalement. Je ne me souviens vraiment pas, je n'ai aucune idée de…"

Baer nageait dans un océan d'incertitudes, s'embourbait dans des souvenirs qui n'étaient pas les siens, dans des pensées qu'elle ne comprenait pas. Toutes ces bribes étrangères la terrifiaient et elle avait l'envie pressante de s'échapper de cet enfer créer de toutes pièces par sa conscience.

"Je pense m'appeler Baer."

Elle releva les yeux, piteusement, et Ben vit qu'elle avait perdu l'étincelle qui brillait à l'intérieur de ses deux grands yeux verts. La torture de son amnésie transparaissait sous les traits crispés de son visage. Quand il plongeait son regard dans le sien, il le voyait, ce vide qui la consumait.

"Tu ne devrais pas t'en faire, ces choses-là reviennent.

- Et si elles ne reviennent pas ?

- Tu n'auras qu'à vivre avec.

- Je ne peux pas vivre sans savoir qui j'étais, ce que j'ai fait avant de ma vie, c'est insensé, je ne peux pas être aussi vide ! Je n'ai aucun souvenir, rien pour pleurer ou me réjouir, je suis une coquille vide !"

Ben soupira. Personne n'avait raison, personne n'avait tort. Quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse, elle ne serait plus jamais la même. Dès lors, était-il si important de courir après ce qu'elle avait perdu ?

"Certains aimeraient bien avoir cette chance, oublier toutes les monstruosités qu'ils ont faites et qu'ils regrettent. Mais on ne choisit pas ce que la vie nous réserve, on ne peut pas oublier simplement parce que l'on en a envie. Et on peut devenir fou à force de regretter nos choix."

Curieusement, Baer ne croyait pas aux secondes chances. Et le discours de Ben sonnait en ce sens, une chance d'être quelqu'un qu'elle aurait toujours voulu être dans sa vie antérieure. Jusqu'à ce que le passé nous rattrape. Baer se recoucha lentement sous les draps, tirant et encerclant la couverture de ses bras comme l'on se raccrocherait à une bouée de sauvetage.

"J'ai mal à la tête, se lamenta Baer, quelques larmes perlant aux coins de ses yeux.

- Et tu auras encore mal, tu as dû subir un choc violent avant qu'on te trouve."

La fille pleura en silence, ses paupières closes prises de soubresauts par instant. Pourquoi pleurait-elle ? Ben présumait que le choc avait dû être rude pour elle. A moins qu'elle jouait la comédie, qu'elle se moquait d'eux dans l'unique but d'infiltrer leur équipage. Elle semblait si sincère que c'en était suspect. Et comme Shanks, Ben savait que la Marine les talonnait.

"Nous avons dérivé à cause de la tempête, il nous faudra certainement plus de treize jours pour atteindre la prochaine île. En attendant, tu es coincée ici avec nous. »

Baer resta incroyablement stoïque, les larmes continuant de tomber et de mouiller le coussin du capitaine.

"Tu peux rester ici cette nuit, mais demain, il faudra bien que tu sortes. Ou tu risques de devoir dormir avec le capitaine."

Ben retint un léger ricanement et sortit de la cabine. Il longea le couloir, passa devant les dortoirs et la cuisine, puis s'éclipsa sur le pont. La grêle avait cessé de marteler le bateau, mais les nuages noirs ne s'étaient pas dissipés. Ils menaçaient de leurs velours orageux le Red Force, qui ne cessait d'être déporté par de grosses vagues submergeant tout sur leur passage. Ben contempla le pont désert et monta dans la vigie calmement. Il préférait rester éveillé, tant que le tempête gronderait. Qu'elle fut sa surprise en découvrant son capitaine à moitié endormi dans la vigie, recouvert de trois couvertures.

"Ah mon bon Ben, qu'est-ce qui t'amène ? Je m'occupe de la vigie, va te coucher.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? rétorqua Ben.

- Y a une nana qui dort dans mon lit, je devrais te remercier j'imagine ?"

Ben s'assit à côté de lui, sa queue de cheval reposant contre le haut du mât.

"On la déposera sur la prochaine île.

- Oui, certainement, confirma Shanks. Les gars sont trop distraits avec une fille comme ça sur le bateau.

- Parle pour toi."

Shanks éclata de rire.

"Elle est bien trop jeune, je ne pourrais jamais la toucher."

Ben hocha simplement de la tête et tous deux se turent, savourant la danse effroyable de l'océan. La fraîcheur que la tempête avait apportée revigorait l'âme des deux pirates. Rien n'avait plus d'importance à présent. Ils étaient tous vulnérables dans ce monde.