11h30. La gare de King's Cross était particulièrement bruyante ce matin.
Harry n'y avait jamais mis les pieds, il ne pouvait donc pas savoir si cet état de fait était habituel, ou si cette journée avait quelque chose de spécial, mais pour lui, a n'en pas douter, aujourd'hui était un jour très spécial. Il y a encore quelques jours, il était un garçon comme les autres. Certes il était orphelin et sa famille d'adoption le haïssait, mais à part ça, il n'y avait rien pour le distinguer d'un autre garçon de onze ans. Puis, un géant était apparu dans son salon et tout son monde avait basculé. Il n'était plus un petit garçon de onze ans comme les autres : il était un sorcier.
L'heure du départ approchait, il était temps de se dépêcher, et pourtant... Tout cela commençait à ressembler à une mauvaise blague. Le quai 9 3/4 ? Qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Il avait déjà fait plusieurs fois le tour des quais en faisant bien attention, et pourtant, aucun d'entre eux ne voulais correspondre, et l'idée que tout ceci, cette histoire de sorcier et d'école magique, n'était qu'un vaste canular devenait de plus en plus difficile à ignorer.
Le coup de son cousin transformé en cochon avait pourtant été extrêmement crédible, et l'oncle Vernon et la tante Pétunia avaient vraiment l'air paniqué. Mais, auraient-ils pu créer ça de toute pièce ? Se seraient-ils donné tant de mal juste pour le plaisir de le voir souffrir ?
Oui.
La réponse lui était évidente. Bien sûr ils se seraient donné ce mal, ils devaient sûrement être en ce moment même en train de rire à gorge déployée en l'imaginant se ridiculiser à chercher un train magique qui n'existait même pas.
Stupide Harry, qui pensait que tous ses tourments allaient prendre fin juste comme ça ! Pauvre imbécile, qui pense que qui que ce soit, se soucierai de son sort, que quelqu'un le trouverai spécial ! Et quel nigaud pour encore croire à la magie à son âge !
Il pouvait sans efforts les imaginer se moquer de lui, il entendait même leur rires ! Oui, il avait été stupide de gober cette histoire, il s'en rendait compte, mais pourtant... Quelque part au fond de lui, quelque chose voulait toujours y croire.
Évidemment, tous les enfants croyaient être spécial, et tous rêvaient d'un jour être le héros d'une grande aventure, mais lorsque ce grand monsieur barbu est apparu, quelque chose en lui s'était allumé. Plus que le fol espoir de pouvoir un jour s'enfuir de l'enfer dans lequel il vivait, il avait l'impression que l'univers était enfin complet. Toute sa vie il avait eu l'impression que quelque chose ne tournait pas rond avec... La réalité en elle-même. Comme s'il contemplait un immense puzzle dont la pièce centrale, celle qui donnait tout son sens à l'ensemble était manquante.
Le psychologue de l'école lui avait expliqué que ce vide venait sûrement de son état d'orphelin, que l'impression de n'avoir sa place nulle part était normale et que si il arrivait à s'accepter comme il était, il serai plus heureux.
Mais Harry ne pouvait pas se décider à le croire.
Et puis, il y a trois jours, tout était rentré dans l'ordre, la réalité avait enfin décidé d'avoir du sens et Harry était enfin... il ne savait pas encore ce qu'il était, mais quoi que ce soit, il était clair pour lui que c'était ce qu'il avait toujours été appelé à devenir.
Et ça n'allait pas se terminer comme ça. Ça ne pouvait pas se terminer comme ça.
S'il devait être un sorcier, il ne pouvait plus être le même Harry froussard, qui ne se fait pas remarquer, qui ne prend aucuns risques. Il était un sorcier, et il était temps qu'il se comporte comme tel !
Il inspira profondément pour se donner de courage, redressa ses lunettes, et avança droit vers le contrôleur le plus proche, tirant derrière lui sa valise, et bien décidé à ne pas se laisser intimider par un simple humain, après tout, que pouvait-il bien lui faire ?
"Excusez-moi, monsieur ?"
L'homme bedonnant en uniforme baissa les yeux et le toisa de toute sa hauteur.
C'est un simple humain et je suis un sorcier, c'est un simple humain et je suis un sorcier...
"Que puis-je faire pour t'aider mon garçon ?"
La gentillesse de l'homme rassura un peu Harry : tout allait bien se passer, il allait l'aider à prendre le train.
"Je cherche le quai 9 3/4, mais je ne le trouve pas..."
L'homme parut hésiter.
"Je peux voir ton billet, petit ?"
Harry le lui tendit. L'homme prit le bout de papier et le regarda avec intensité.
Peut-être que c'était un sorcier lui aussi, peut-être qu'Harry avait réussi la quête et qu'il lui confierait un item spécial et des instructions pour la suite.
"Dis donc mon bonhomme, tu te paierai pas ma tête ?"
Tout ne se passe pas bien, tout ne se passe pas bien du tout !
"Non, monsieur, je..."
"Les petits plaisantins dans ton genre tu sais ce qu'ils méritent ?"
C'est vrai. Les humains pouvaient faire ça. La honte, l'humiliation, ça ne laissait pas de trace, vous ne pouviez pas appeler à l'aide pour ça, mais ça faisait toujours mal. Il aurait été difficile de dire qui des joues de Harry ou du visage de l'homme était le plus rouge. Harry sentait les larmes lui monter aux yeux. Son instinct lui ordonnait de s'enfuir.
"Non... Monsieur... Je cherche..."
"Je vais t'apprendre à te payer ma tête !"
La main de l'homme semblait arriver au ralenti quand il attrapa le col de Harry pour le soulever du sol.
Harry ne pouvait plus bouger, il se sentait impuissant. Il n'était pas un sorcier, il était un petit garçon, et il avait peur. Le son des rires des Dursley résonnait à ses oreilles plus fort que jamais.
Tout était fini, le rêve était fini, il allait retourner là-bas, chez son oncle et sa tante, et tout recommencerait.
Tout était fini.
"Ça devrait aller Greg." dit une voix profonde et sûre d'elle.
Harry cru pendant un instant l'avoir imaginée, mais l'homme se retourna, entraînant Harry dans son mouvement circulaire, le balançant à bout de bras. Harry faillit en perdre ses lunettes.
"Tu vas gentiment le lâcher et retourner à ton poste."
L'homme avait une dégaine assez étrange avec son long manteau gris qui lui arrivait jusqu'aux pieds, son turban rouge posé sur son crâne chauve, et le bâton qu'il pointait vers Greg - car apparemment c'était son nom. Bâton qu'Harry reconnu tout de suite. Il n'en avait vu qu'une seule autre jusqu'à aujourd'hui, mais c'était définitivement une baguette.
"Qu'est-ce que tu m'veux toi ? Tu vois pas que..."
Une torsion du poignet et une étincelle.
Le visage de Greg perdit toute expression. Il déposa gentiment Harry sur le sol et sans un mot se retourna et s'en fut.
Harry n'en revenait pas.
"Et bien jeune homme, on peut dire que vous avez failli rater votre train."
Il était sans voix. C'était un vrai sorcier.
C'EST UN VRAI SORCIER !
Alors la magie existe ! Alors l'école existe ! Alors Harry Potter était bien un sorcier ! Alors... Alors... Harry manquait de mémoire vive pour traiter toutes les implications mais c'était quelque chose d'énorme !
"Je... Vous... Monsieur..."
Un demi-sourire étira le visage de l'homme.
"Pour le reste de l'année je pense qu'il serait d'usage que vous m'appeliez professeur Quirrell."
La mâchoire d'Harry réagit plus vite que le reste de son corps, son cerveau cherchait encore à remettre de l'ordre et n'était pas disponible pour l'instant.
"Si vous voulez bien me suivre, nous pouvons nous inquiéter des formalités et des remerciements en marchant vers le quai ? Il serait dommage que ce brave Greg ai perdu de sa mémoire pour rien, vous en conviendrez."
Et sans attendre de réponse, le mystérieux professeur tourna les talons et parti d'un pas décidé vers les quais.
Marche, tu réfléchiras après.
Et avant qu'il pût y réfléchir, ses pieds suivirent le conseil...
