RESUME

Une Semi-Elfe désire le bonheur pour les siens et elle-même. Le choix de l'immortalité ne sera pourtant pas un garant du bonheur, malgré ses efforts. Quel sera le prix à payer ? Quelle est la valeur de l'immortalité si ceux que l'on aime ne sont plus là ?

PREFACE

Cette fic comporte deux parties : la première qui se passe en Endor (ou Terre du Milieu), la seconde en Terres Immortelles (eh oui, elle explore les Terres Immortelles !).

Je tiens à préciser que, malgré les apparences, le Haldir de mon histoire n'a de commun avec celui du film que le prénom et sa mort au Gouffre de Helm. Il est, comme dans le livre, Gardien de la Lorien. Il n'a cependant pas la fierté et l'orgueil dont faisait preuve le Haldir du film, et, je pense, son caractère est en fait très éloigné de celui que laissait supposer le film. J'ai construit un personnage à partir quelques données : le Gardien de la Lorien meurt au Gouffre de Helm, lors de la Guerre de l'Anneau. En dehors de lui, ma fic concerne aussi beaucoup Elrond et Aragorn, ainsi que de nombreux autres personnages (Celeborn, Galadriel, Gandalf, Legolas, Gimli, Thranduil, Celebrian…), dont nous suivrons les aventures jusqu'en Terres Immortelles…Sur ce... bonne lecture !

Pour ceux qui ne l'auraient pas compris, Elambar signifie tout simplement Etoile du Destin. A vous de trouver la raison de ce titre au fil des pages !

Notes à l'attention de ceux qui ne connaissent pas bien Le Seigneur des Anneaux car je n'ai pas mis beaucoup d'explications dans la partie I de l'histoire :

Anduin : rivière qui coule du nord au sud, passe près de la Lorien et se poursuit en Gondor

Bruinen : rivière qui coule dans la vallée d'Imladris et se poursuit ailleurs dans les montagnes

Cavernes de Mandos : lieu où vont les âmes des immortels (lorsqu'ils sont morts. Lieu de repos des morts.

Celeithel : Elfe, originaire de Lorien, mère de Silmariën

Cirdan : Elfe, très vieux constructeur de navires, ami d'Elrond

Dunharrow : bourg de Rohan

Harrowdale : bourg de Rohan

Entalluve : rivière aux frontières du Rohan

Foret d'Or : surnom de la Lorien

Illuvatar : le père de tous les dieux ; seule son existence est connue, car il ne s'est jamais manifesté aux yeux des Elfes ou des Hommes

Imladris : nom elfe de Fondcombe (qui est la traduction de l'anglais Rivendell)

L'Ouest : allusion aux Terres Immortelles appelées Aman, situées au-delà de la Grande Mer à l'ouest des Terres du Milieu, et dont la capitale est Valinor

Conseil Blanc : conseil formé par les magiciens et les plus hauts Elfes en Terre du Milieu, pour faire le point sur la lutte contre Sauron

Maiar : assez puissant ; parmi eux on distingue les Istari, envoyés par les dieux en Terre du Milieu pour aider à régler le conflit contre Sauron. Gandalf, Saroumane, les Balrogs sont des Maiar. Gandalf et Saroumane sont des Istari.

Manwë : le plus grand des Valar

Mirkwood : forêt gouvernée par Thranduil, père de Legolas, prendra le nom de Vertbois-le-Grand

Mithlond : « Havres Gris » en Sindar, lieu où embarquent les Elfes pour les Terres Immortelles

Orthanc : haute tour de l'Isengard, propriété de Saroumane (jusqu'à ce qu'il en soit délogé)

Parth Galen : prés le long de la Grande Rivière de l'Anduin

Thranduil : père de Legolas, roi de Mirkwood

Valar : dieux, résident en Aman

Wargs : bêtes très cruelles et violentes, chevauchés par des Orques (les chevaucheurs de Wargs sont donc des Orques montés sur des bêtes)

TABLE DES MATIERES

PARTIE I : ENDOR (TERRE DU MILIEU)

I - L'eored

II - Souvenirs

III - Le Miroir de Galadriel

IV - Le Dinlom

V- Jours décisifs

VI - Au-delà de la Grande Mer

VII - Nouvelles perspectives

VIII - Une étoile aimée

IX - Un mur invisible

X - Sur le chemin de la liberté et du souvenir

PARTIE II : AMAN (TERRES IMMORTELLES)

XI - Terre d'amour

XII - Valinor

XIII - Les rives de Baranaew

XIV - La route des Expatriés

XV - La Coupole

XVI - Adieu à un ami

XVII - Les combes de l'ouest

XVIII - Le message des Maiar

XIX - Un joyau brisé

XX – La Lorien d'Irmo

XXI – Annaina et Alatanor

ANNEXES

I – Crédits

II - Chronologie

III - Arbres généalogiques

IV - Cartes et plans

V - Noms

VI - Notes diverses

ELAMBAR - L'ETOILE DU DESTIN

PARTIE I : ENDOR (TERRE DU MILIEU)

CHAPITRE I – L'EORED

Tous quatre, au cours de leur lente chevauchée à l'ombre de hauts arbres – des mallorns -, s'entretinrent avec passion de tout ce qui leur tenait à cœur. Souvent ils évoquèrent leur propre passé qu'une longue séparation ou que le secret, qui n'était à présent plus de mise, obligeaient à mettre en lumière. Elle sourit :

« C'était étrange ! »

Sa compagne elfe exprima son intérêt, partagé par son époux, de connaître enfin les détails, que personne n'avait encore entendu, de cette histoire que l'on savait à peine. Elle tourna la tête vers un autre Elfe. Avec l'appui de son regard, elle commença :

« C'était aux prémices de l'automne… »

Silmariën avait vingt-cinq ans en 3014. L'eored à laquelle elle appartenait s'était rendue aux frontières nord du Rohan, et ce jour-là, ils étaient proches des lisières de Fangorn. Ils traquaient les Orques comme toujours et ceux-ci devenaient toujours plus nombreux. Les Cavaliers de l'eored en découvrirent soudain un groupe, qui, de loin, semblait se battre. Mais en distinguant aussi, à quelque distance, des chevaux morts, ils craignirent le pire pour leurs cavaliers. Dweorden, le chef de l'eored, les convia à massacrer ces Orques, ce à quoi ils n'auraient pas manqué. Après en avoir tué un bon nombre, leur supériorité fit fuir le reste. Silmariën vit que leurs victimes étaient des Elfes, et fut profondément surprise.

Lorsque l'eored revint près d'eux, tous les Orques tués, Dweorden s'avança à cheval vers les Elfes.

« Nous n'avons fait que notre devoir en tuant ces Orques que nous traquons sans relâche. Mais pourriez-vous me dire ce que font des Elfes en Rohan ? »

L'un d'entre eux s'avança. Ils étaient dix en tout, dont deux gisaient au sol, blessés mais conscients. Pour Silmariën, Semi-Elfe en lien avec les Elfes, ils venaient apparemment de la Lorien.

Celui en avant semblait las et fatigué, triste aussi. Ses cheveux blonds, tels de l'or pâle, encadraient son beau visage. Elle ne put pas détacher son regard de lui. Peut-être sentait-elle qu'au fond d'elle-même elle était proche de lui. La profonde détresse qui habitait la Semi-Elfe dut se trahir un instant sur son visage et devait se lire dans ses yeux, car cet Elfe eut un regard intrigué vers elle.

Cela n'avait pas duré deux secondes.

« Je me nomme Haldir, fils d'Anamir », dit-il, « Gardien de la Forêt d'Or ; mes compagnons et moi venons en effet de la forêt de Lorien au nord de vos terres. Nous désirions nous rendre à celle de Fangorn, lorsque par malheur nous avons rencontré ces Orques. Nous n'avions pas l'intention de nous attarder sur les terres de Rohan. »

Dweorden avança son cheval :

« Pourtant nul ne doit fouler les terres de Rohan sans autorisation », dit-il froidement, « or je sais que pour vous il aurait été difficile d'aller jusqu'à Edoras puisque vous êtes venus pour Fangorn. »

Il marqua une pause.

« Je ne vois pas la peine de cous importuner plus longtemps, aussi je fermerai les yeux sur votre présence ici… »

Le cœur de Silmariën s'allégea. Dweorden prenait donc des risques pour l'eored en désobéissant aux lois d'Edoras. Mais son soulagement ne dura pas.

« …il est évident par conséquent qu'en fermant les yeux, j'enfreins les lois établies. Aussi nous devons partir au plus vite. »

Ce disant, il se tourna face aux autres Cavaliers, dont les montures piaffaient.

« Dweorden », dit Silmariën, « attendez. »

Il tourna la tête vers elle.

« Qu'y a-t-il ? »

« En partant, vous laissez ces Elfes seuls et sans rien face à la prochaine horde d'Orques qui passera. Ce serait cruel de votre part ! »

« Silmariën, si nous sommes ici, nous risquons gros. Et je vous prie de ne pas contester mes décisions. »

Il s'approcha d'elle et baissa le ton.

« Surtout, les gens de cette Forêt d'Or sont mystérieux, et on dit qu'une sorcière les gouverne. Je ne veux rien avoir à voir avec eux. »

« Soit », répondit-elle. « Selon vous… », ajouta-t-elle à haute voix.

« Je vous ait déjà demandé de ne rien contester. Nous avons déjà eu une discussion à ce sujet ; retournez dans vos rangs, ou je me verrai dans l'obligation de me libérer de vos services. »

Puis, s'adressant à toute l'eored :

« Allez ! »

Il lui tourna ainsi le dos, fuyant son regard. Désespérée, elle ne sut que faire.

« Vous ne pouvez pas faire cela », s'écria-t-elle ; « réfléchissez ! »

Pourtant Dweorden s'éloignait avec son eored.

« N'oubliez pas », dit-elle, « que ce sont vos aînés et que vous leur devez respect ! Vous les condamnez à mort ! »

Dweorden marqua un temps d'hésitation. A ce signe, certains Cavaliers osèrent s'arrêter et l'un d'entre eux, qui était âgé, dit :

« Silmariën a raison. Nous sommes lâches d'abandonner ainsi nos aînés, alors que ceux-ci nous ont secourus par le passé. »

Un lourd silence pesa.

« Soit », dit Dweorden.

Enfin, il s'était ravisé.

Silmariën exulta intérieurement. Il était bien trop rare ici en Rohan de rencontrer des Eldar. Elle était heureuse de pouvoir partager quelques heures avec quelques-uns uns et plus particulièrement originaires de Lorien. Car, même s'il s'agissait de personnes mystérieuses pour les Hommes de Rohan, il n'en était pas de même pour elle.

Elle descendit de cheval. Son avant-bras droit l'élança et elle faillit pousser un cri. Lors de la bataille, elle avait reçu un coup, mais à présent elle ne percevait plus la douleur. Peut-être était-elle trop intense. Silmariën était de plus fatiguée. Elle posa de nouveau son regard sur l'Elfe nommé Haldir.

« Que pouvons-nous faire pour vous ? »

« Rien d'urgent. Mais... » Il hésita. « Il nous faudrait monter un campement ; nous sommes tous, vous ou moi, fatigués ou blessés. Et s'il est possible de récupérer quelque chose sur nos chevaux morts… »

Silmariën acquiesça d'un mouvement de tête. La lumière du jour déclinait et la nuit s'annonçait. Dweorden descendit à son tour de cheval et demanda d'un ton calme dépourvu de colère :

« A quoi pouvons-nous nous rendre utiles ? »

« Qu'une partie de l'eored », dit-elle, « aille à la recherche de bois pour un campement. Quant au reste…il ira chercher ce qu'il peut sur les chevaux des Elfes. »

« Bien. Seigneur Haldir, restez ici et soignez dans la mesure du possible vos blessés. Je m'occupe du campement, et » - il s'adressa à Silmariën - « vous du reste. Allez. »

Elle remonta tant bien que mal à cheval, avec son bras valide. Dweorden était déjà loin avec une partie de l'eored, lorsque Haldir dit :

« Je ne savais pas que les femmes pouvaient faire partie d'eoreds au Rohan. Est-ce normal ? »

Une réponse machinale vint à l'esprit de Silmariën, car elle s'était habituée à ces réflexions de la part des hommes. Mais ces derniers étaient brutaux ou méprisants ; ils n'acceptaient pas une fille dans leurs rangs. Néanmoins la demande d'Haldir était toute autre. Elle lui en sut gré.

« Non », répondit-elle doucement. « Je ne devrais pas de fait être là ni faire quoi que ce soit d'autre du même genre, mais demeurer à Edoras comme les autres femmes, et vivre avec un roi qui s'avilit et devient sénile. Je ne peux pourtant pas rester inactive ! L'on doit de plus en plus souvent faire face à l'ennemi qui se montre…je ne suis pas 'normale' de toute façon », ajouta-elle avec lassitude. « Je ne sais pas encore… »

Haldir fronça les sourcils. Alors Silmariën reprit :

« Je ne sais pas encore qui je suis. »

Elle s'apprêta à partir.

« Quel est votre nom ? »

« Silmariën. Si cela peut signifier quelque chose pour vous… », dit-elle en s'éloignant.

Elle avait les larmes aux yeux. Elle n'en pouvait plus. Haldir, saisi, ne sut que dire ; le cheval emporta sa cavalière.

Les hommes de l'eored purent tout reprendre des chevaux tués et découvrirent à leur retour un agréable camp où brûlait un feu clair. La nuit tombait désormais, et Silmariën, l'esprit embrumé par la fatigue et la douleur, peina à distinguer ce qui l'entourait, bien qu'elle tentât de poursuivre le rassemblement des affaires trouvées.

« Vous ne devriez pas faire cela »

Elle se retourna.

« Oh…Haldir, je sais que vous avez raison, mais… »

A la lueur du feu, elle vit son bras ensanglanté, et dont la douleur l'étourdissait.

« Venez », dit-il en lui posant doucement une main sur l'épaule pour l'apaiser et la rassurer.

Près du feu, dont la chaleur l'enveloppa, Silmariën remit ses idées en place tandis qu'Haldir apportait de l'eau mêlée à de l'athelas.

« Vous n'étiez pas obligée d'aller là-bas », dit-il gentiment. Il sembla hésiter ensuite. Silmariën leva les yeux vers lui.

« Ceci est très noble de votre part » reprit-il. « Noble de la part d'une femme, de plus lorsque quelqu'un souhaite sa mort. »

« En effet », soupira-t-elle. « Mais dois-je me condamner pour autant à une vie exclue du reste du monde ? »

« Non plus », convint-il.

Il ôta délicatement le gant déchiré de Silmariën et révéla l'avant-bras de celle-ci, profondément lacéré. Il portait la marque de l'épée d'un Orque.

« Jusqu'où seriez-vous allée ainsi ? » murmura-t-il.

« Tant que je peux aller de l'avant, je le fais…Mais en ce moment je fais confiance aux Eldar dans l'art de la guérison. Autrement j'aurais moins attendu pour me soigner. »

Haldir sourit.

« J'ai certes quelques talents de guérison…Mais l'on ne devrait jamais s'en faire une raison. »

« Je sais. Pourtant l'on dit que là où la science elfe a échoué, rien d'autre ne réussira. »

« Cela ne restera pas longtemps vrai. Les Hommes nous rattrapent. »

Silmariën acquiesça.

« Les Elfes s'en vont en Aman… »

Un ange passa. Elle perdit son regard dans les flammes, vivantes, chaudes, réconfortantes…Se superposait alors une image, telle qu'elle était décrite dans les textes anciens, des deux Arbres de Valinor, et dont la lumière qu'ils répandaient était semblable à ce feu.

« Silmariën ? » murmura Haldir.

« Je…Ce n'est rien. »

« Non… »

« Je pensais simplement à l'immortalité, à ce qui est donné aux Elfes, et auquel l'on ne veut pas que j'y accède alors que je suis Semi-Elfe », murmura-t-elle à son tour.

Elle regarda Haldir, et dit :

« En savez-vous plus sur moi que les autres ? Vous semblez connaître ma condition. »

Un instant de silence plana.

« Oui », répondit enfin Haldir.

« Je suppose que vous ne pouvez rien m'en dire ? » prononça-t-elle douloureusement.

« Malheureusement non. Encore que vous êtes de sang noble. Si cela était possible, vous pourriez aller très loin dans le monde des Hommes. Mais ce ne l'est pas pour l'instant, ni avant un certain temps. »

« C'est-à-dire ? »

« Vous pouvez le deviner aisément : la chute de Sauron. »

« Pourtant…ce serait la même chose pour moi si, au lieu d'être mortelle, j'étais immortelle ; j'attendrais la chute de Sauron. Je ne pourrais pas quitter la Terre du Milieu sans chercher à la sauver. J'y suis née, j'y ai grandi, et Sauron doit être vaincu. »

« Pour moi aussi », dit Haldir. « Que l'on délaisse ainsi la Terre du Milieu tel un objet usé ! Cette Terre pourrait avoir un avenir meilleur, et elle n'est pas encore usée, même si elle peut le devenir. »

Il marqua une pause, pris de tristesse.

« L'on pourrait reprocher à nos aïeux d'être allés vivre, ou d'être restés, en Terre du Milieu, imposant par là à leurs descendants de souffrir face à Morgoth puis à Sauron…Toutefois, on peut aussi être reconnaissant envers nos aïeux qui se sont battus tant pour leur vie que pour celle des autres, sans quoi nous ne serions pas nés… »

Silmariën vit à la lueur des flammes que ses yeux brillaient de larmes.

« A cause de Sauron, j'ai perdu mes parents. »

« J'aimerais savoir ce que sont devenus les miens », murmura-t-elle.

« Oh, vous avez au moins une personne à venger. »

« Vous voir pleurer me suffit comme raison de me battre, vraiment. »

Haldir la contempla.

« Vraiment ? »

« N'avez-vous pas parlé de souffrance ? Il me suffit simplement d'y être sensible pour me battre. »

« Mais vous ne pouvez pas nier que vous souffrez aussi, tellement vous êtes perdue. Ce qu'il vous manque cruellement… »

« …est d'être avec les Elfes », acheva-t-elle.

Ils sourirent tous deux.

« A défaut de retourner à Imladris, ou rejoindre la Lorien, demeurez donc avec nous le temps de notre visite à Fangorn. »

Silmariën demeura un instant bouche bée.

« J'accepte avec plaisir. Il me sera agréable de faire partie de votre compagnie ! Cela dit, ce sera très mal vu de la part de l'eored ; je déserte. »

« De toute manière, vous n'êtes plus en l'état de combattre. »

« Certes… »

Sur ce, ils se levèrent. Haldir avait achevé le bandage de son bras.

Silmariën s'étendit sur l'herbe et plongea son regard dans la voûte étoilée qui la surplombait. Elle songea alors à Elrond, si loin, et tendrement aimé, et ce bien qu'elle ne l'eût pas revu depuis plusieurs années. Son nom signifiait « Voûte étoilée ».

Les trois journées qui s'ensuivirent s'écoulèrent bien trop vite. En compagnie d'Haldir et des autres Elfes, elle découvrit Fangorn, émue, intriguée, émerveillée, et impressionnée. Le poids des ans s'y sentait plus que nulle part ailleurs.

Elle lia plus ample connaissance avec Haldir. Souvent ils discutaient sans jamais éprouver d'ennui ou de lassitude. Silmariën s'attacha à la compagnie d'Elfes, et elle s'en rendit compte en partant pour Edoras. Son cœur était ouvert et elle devinait que celui d'Haldir l'était aussi. Ils n'allèrent pourtant jamais plus loin qu'une discussion ordinaire.

Silmariën était une Semi-Elfe ; l'un de ses parents était Elfe, l'autre Homme. Elle aurait à choisir entre immortalité et mortalité, mais ce choix ne se posait pas encore. Elle était jeune, et même si les Elfes s'exilaient en Terres Immortelles, c'est à dire en Aman, le temps n'était pas encore venu de se décider ou non à partir. De très longues années s'écouleraient avant que tous ceux qui le désiraient aient quitté la Terre du Milieu.

Elle était une jeune femme de plutôt grande taille, ce dont elle avait hérité des Elfes ; sa silhouette était fine et élégante, sa peau claire ; les traits de son visage étaient délicatement dessinés, et rehaussés par le rose de ses joues. Elle avait les yeux bleu teinté de gris, tel un océan par un jour voilé de nuages. Ses cheveux, qui ondulaient dans son dos, oscillaient entre le blond et le châtain.

Elle était née et avait grandi à Imladris – ou Fondcombe en langage commun – durant ses neuf premières années. Elle avait appris le sindarin en même temps que le westron, ou parler commun, et commencé à étudier le haut parler des Elfes, le quenya. Elle avait grandi avec sa mère, Celeithel, et rencontré de temps en temps Elrond ; quant à son père, il s'absentait régulièrement, parfois pour de longues périodes. Un jour pourtant, elle avait appris la mort de sa mère, partie en voyage. Cela l'avait frappée durement. On l'avait alors amenée en Rohan, l'un des deux royaumes des Hommes avec le Gondor ; il semblait qu'elle eût sa place dans le monde des Hommes, et, depuis, y était demeurée. Elle avait à peine connu son père, si fréquemment absent ; elle ne l'avait pas vu depuis longtemps lorsque sa mère était morte, et ne l'avait jamais rencontré ensuite. Elle n'avait pas de réel souvenir de lui.

Elle ignorait aussi son identité. Les souvenirs qui subsistaient de son enfance étaient trop effacés, trop rares. Elle ne pouvait véritablement savoir qui étaient ses parents. Elle n'en connaissait pas même le nom : elle avait toujours appelé sa mère par son surnom, Leile, et son père, si elle ne se trompait point, par Atar, « père », ce qui n'était pas son vrai nom.

On lui avait expliqué qu'en fin de compte sa place était parmi les Hommes. Elle ignorait, à neuf ans, qu'il existât deux Royaumes, aussi ne se demanda-t-elle point pour quelle raison elle fut confiée à une famille d'Edoras, capitale du Rohan, et non à des Gondoriens. Malgré tout elle vint à s'en apercevoir, et lorsque plus tard elle en chercha la raison, elle apprit sans détours que l'ennemi avait un grief contre elle.

« Silmariën », lui exposèrent ses parents adoptifs avec gravité, « cet ennemi dont nous ne connaissons rien vous ferait tuer si cela lui était donné. Il ne connaît pas encore votre existence. Vous êtes, en Rohan, plus en sûreté qu'au Gondor. Car nous sommes plus éloignés du Mordor et de ses ombres croissantes. Le nom « Silmariën » ne signifie rien pour l'ennemi, mais votre véritable identité est compromettante. Vous êtes trop jeune pour en avoir connaissance sans risque de la laisser échapper par inadvertance. Plus que tout, vous devez savoir qu'il ne dépend pas de nous de vous la révéler, mais de ceux qui vous ont amenée ou fait amener ici. »

Silmariën grandit avec cette ombre dans son cœur, ce questionnement intérieur. Sa mère adoptive avait pour nom Wengalyn, et son père adoptif Anthrorin ; ils avaient une fille, Eann, de quatre ans plus âgée que Silmariën, et un fils, Anyr, d'une année son aîné. Ils vécurent ensemble tels de véritables frères et sœurs. Wengalyn et Anthrorin étaient honnêtes et humbles et furent des tuteurs affectifs envers Silmariën. L'équilibre familial apporta à celle-ci paix et sérénité après le bouleversement causé par la mort de sa mère et le dépaysement total, marqué par la rupture avec le monde des Elfes et l'entrée dans la vie plus difficile des Hommes de Rohan au cœur de terres belles mais sauvages.

Silmariën avait bien connu Elrond à Imladris et l'avait revu à une reprise, à quinze ans. Elle était entrée à dix-sept ans dans une eored. Malgré les plus grandes difficultés qu'elle avait rencontrées pour y accéder, à cause de son statut de femme, elle s'était taillé une place, grâce tant à ses qualités d'esprit que ses qualités au combat. Sage et réfléchie, elle était fine lame et excellente cavalière. Elle avait connu des temps durs et d'autres plus heureux.

Les années passèrent après la rencontre de Haldir et de ses compagnons. Deux ans et demi plus tard, au mois d'avril 3017, Silmariën dormait encore à la belle étoile, dans la même eored ; elle n'avait pas renoncé au combat. Bien peu était changé : quelque Cavaliers nouveaux remplaçaient ceux que la mort avait emportés. Silmariën aperçut au loin les eaux de l'Entalluve, dont l'eored gardait les rives ; car elle évoluait encore et toujours près des frontières nord du Rohan. Silmariën n'avait pas conservé de trace de la blessure de son bras droit, pas même une cicatrice ; du sang elfe coulait dans ses veines.

Elle était néanmoins désœuvrée. Malgré l'entrée dans une eored en mouvement à travers les terres de Rohan, et par laquelle elle échappait à la servitude, l'ennui et l'inaction, elle avait le sentiment qu'elle tournait en rond. Certes, on disait d'elle qu'elle était une Cavalière efficace, et de grande valeur. Mais en quoi cela lui était-il utile à elle-même ? Elle n'aspirait qu'à retourner à Imladris, là où elle avait passé ses neuf premières années, à revoir Elrond, et à connaitre enfin la vérité sur ses origines.

Durant ces deux années, elle s'était rendue de nouveau à Minas Tirith, en Gondor. Elle avait pu continuer à lire des textes anciens ou des archives afin d'essayer de mieux comprendre les avancées de l'ennemi retranché en Mordor. Les nouvelles étaient toujours plus sombres, plus déconcertantes, plus décourageantes, or ce n'était point la guerre mais simplement la croissance d'une puissance inquiétante.

Ces inquiétudes accompagnaient Silmariën dans son sommeil. Un vent froid soufflait. Elle s'enveloppa plus chaudement dans son manteau et chercha désespérément à dormir.

L'eored se dispersa le lendemain matin le long des rives de l'Entalluve, près des gués, afin de traquer les traces éventuelles de ceux qui auraient franchi récemment la rivière, étrangers ou ennemis. Silmariën, courbée sur le sable, n'y distingua rien d'anormal. Les environs autour d'elle étaient déserts ; les Cavaliers les plus proches se tenaient loin d'elle.

Elle entendit soudain un bruit d'eau étrange et releva la tête. Elle demeura stupéfaite. Sur la rive opposée, en face d'elle, elle reconnut Haldir à cheval, entouré de trois autres Elfes qui étaient eux aussi là la dernière fois. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres.

« Haldir ! » dit-elle lorsqu'il eut traversé l'Entalluve. « Quelle surprise ! Je m'attendais à des Orques, et vous apparaissez inopinément. »

« Mais devrais-je dire : encore vous, Silmariën ? » répliqua-t-il gentiment.

« Malheureusement, oui » dit Silmariën. « Mais que fait venir un Elfe en Rohan deux fois en si peu de temps ? »

« La première était voulue, non la deuxième » répondit-il en sautant à bas de son cheval. « Je vous expliquerai en détail plus tard si vous le voulez bien, mais toujours est-il que nous avons passé la nuit non loin d'ici et avons vu aux premières lueurs de l'aube des chevaucheurs de Wargs en direction du Rohan. Nous savions qu'une eored se tenait par ici et avons préféré vous prévenir… »

« Merci » dit Silmariën avec chaleur.

Elle monta sans tarder à cheval et galopa jusqu'à Dweorden, toujours chef de l'eored. Il sonna du cor pour annoncer le rassemblement puis dit la nouvelle aux hommes. Un lourd silence plana. Il était rare d'affronter des Wargs, et ceux-ci étaient terribles à combattre ; de plus, tous ici savaient qu'ils ne formaient qu'une petite eored ; et bien que leur rôle fût de faire face à ces ennemis, un frisson les parcourut. Ils se tinrent près de leurs chevaux en attendant.

« Semblaient-ils si pressés ? » s'enquit Silmariën auprès de Haldir.

« Non. Mais l'attente n'en est que plus longue et plus insupportable ! »

« En effet…Haldir », dit-elle soudain, « vous restez ici…Vous ne devriez pas ! »

Il resta silencieux. Silmariën le regarda douloureusement dans les yeux.

« Partez, pendant qu'il en est encore temps. Ne prenez pas de risques inutiles. Vous et les vôtres êtes immortels. »

« Je ne pourrais pas. Votre eored nous a sauvé la vie la dernière fois, et… »

« Haldir, je ne pourrais pas vous voir mourir ainsi ; vous me blesserez… »

« C'est vous qui me blessez en tenant si peu à votre vie alors qu'elle mérite plus d'importance que vous ne lui en accordez ! »

Silmariën ouvrit la bouche pour répliquer, mais elle était confuse.

« Qu'auriez-vous fait à ma place, lorsqu'on ne sait plus que faire et que personne ne se soucie de vous ? »

« Je ne vous reproche pas votre réaction, mais rester ici maintenant, oui, je vous le reproche, car vous ne devriez pas. Même si certains ont aujourd'hui oublié qui vous étiez, ce n'est pas le cas d'autres… »

« Ils ne font que s'assurer que je suis en vie, rien de plus. Quant à nous, aucun de nous ne devrait apparemment rester là mais personne ne cède. »

« En effet, malheureusement. Peut-être est-ce mieux ainsi. »

Silmariën laissa s'écouler un instant de silence, perdue dans ses pensées.

« Dites-moi…Quelle était en fin de compte votre véritable raison de rester ici ? »

Son regard croisa le sien et il sourit. Il hésita néanmoins quelque peu avant de confesser :

« A cause d'une personne sur laquelle, il y a deux ans de cela, j'ai posé les yeux, et que depuis je ne suis pas parvenu à chasser de mon esprit. » murmura-t-il.

Silmariën demeura sans voix, profondément touchée. Haldir l'avait atteinte jusqu'au fond d'elle-même. L'amour n'était pas impossible.

« Depuis deux ans, » répondit-elle, emportée par une effusion de sentiments qui lui donnaient un élan de poésie, « j'ai vainement tenté de fuir ou de chasser quelque chose comme une image, une pensée qui revient sans cesse. J'ai aujourd'hui compris que… »

Silmariën eut du mal à poursuivre.

« …que toute inconsidérée ou irréalisable qu'elle soit, je ne parviendrai pas à m'en séparer ou alors la détruire, à moins de connaître quelqu'un d'autre qui pût prendre votre place, à mes yeux. »

Haldir fut lui aussi touché. Son cœur sembla se libérer de craintes. Dans ses yeux et son expression se mêlèrent la surprise, et une pointe de désarroi. Il esquissa un faible sourire :

« Silmariën…Vous m'exprimez le plus beau des sentiments, plus que je ne l'aurais fait, et…ce n'est peut-être qu'une joie éphémère… »

« Je n'y crois pas encore non plus » répondit-elle.

Les mots lui manquèrent brièvement, et elle se détourna, face à l'Entalluve. Elle sentit la vie couler dans ses veines, à chaque instant, intensément. Elle puisa un peu de force dans l'Entalluve.

« Quand je plonge mon regard dans cette rivière, je songe que nos paroles peuvent s'évanouir aussi vite que cette eau coule, mais… »

« Ce monde est trop sombre » répondit Haldir, « et trop violent ; nous n'allons peut-être même pas survivre à cette journée ! »

« Ne perdez pas espoir pour autant… »

Les chevaucheurs de Wargs apparurent au loin et approchèrent dans un bruit sourd et confus de galop, de cris bestiaux et féroces, d'exhortations et d'invectives indistinctibles.

Haldir et Silmariën revinrent brutalement à la réalité même. Haldir lui prit le bras et l'aida à monter sur son cheval, et murmura :

« Puisse-t-il y avoir davantage de personnes comme vous ! »

Il monta également à cheval.

« Haldir… »

« Silmariën ! »

Elle fit volte-face. L'un des premiers chevaucheurs de Wargs se ruait vers elle, mais ne pouvant plus la prendre par surprise, il fut contraint d'engager un jeu d'épée, et la funeste bataille commença.

Les Wargs étaient emportés par la fureur de tuer comme Silmariën était emportée par la fureur de vivre. Et elle tuait au nom de la vie.

Maintes fois, à galop, elle dut affronter les Orques à montures infernales. Elle ne tint pas longtemps et son cheval fut bientôt férocement déchiqueté par l'une de ces bêtes à la violence et la force infiniment plus grandes que la sienne.

Silmariën lui trancha néanmoins la tête, mais il était trop tard pour sa propre monture. Condamnée à rester à terre, elle était à la merci du prochain Orque qui jetterait sa monture sur elle, sans qu'elle ait une chance de se défendre. Et pourtant l'un d'eux voulut passer près d'elle pour la décapiter, et manqua sa chance : Silmariën plaça son épée mieux que lui et il reçut un coup fatal avant d'avoir pu porter le sien. Elle n'avait guère le temps de regarder autour d'elle et ne voyait pas Haldir. Il ne restait plus beaucoup de chevaucheurs de Wargs. Deux des derniers d'entre eux attaquèrent Silmariën, mais elle parvint à les esquiver et à les tuer, sans bien savoir comment ; ils ne lui inspiraient que du dégoût, et son esprit était ailleurs.

Tout se termina.

A travers le champ de bataille, on erra à la recherche de blessés ou de survivants. Il n'y en eut pas ; toutefois, on compta des morts parmi les Cavaliers ; quatre, sur la cinquantaine qui formait l'eored. Silmariën vit deux des Elfes agenouillés près de leur compagnon tombé. Un étau enserra son cœur. Où était Haldir ?

Enfin, bien plus loin, au-delà d'un bosquet d'arbres, elle le vit agenouillé dans l'herbe des plaines de Rohan. Silmariën vint doucement ; Haldir pleurait, et elle crut ressentir la même impression qu'elle avait eue le jour où ils s'étaient pour la première fois rencontrés, pris d'une même lassitude, d'une même tristesse.

Elle se tint près de lui, et il posa sa tête contre elle, abattu, anéanti.

« Etes-vous indemne ? » dit-il faiblement.

« Oui. »

« Je le suis aussi. »

Un instant de silence s'écoula, puis il reprit :

« Dairuin, que vous connaissez…Dairuin a trouvé la mort, alors que j'ai également failli mourir … »

« Voulez-vous dire que vous auriez pu mourir à sa place ? » répondit Silmariën.

« Je me sens coupable d'être encore là et de vivre. »

« Vous n'êtes pas en faute…Il s'agit seulement de la perte injuste d'un ami ! »

Puis elle ajouta :

« N'avait-il pas choisi de rester avec l'eored pour affronter les chevaucheurs de Wargs, car il savait nous devoir la vie, et… »

« …savait également qu'il pourrait y perdre la vie » acheva Haldir. « Oui ; nous le savions tous, et il est vrai que, de lui ou de moi…Cet Orque ne pouvait nous attaquer tous deux en même temps et a frappé Dairuin en premier. »

Sa voix s'altéra.

« J'ai pu tuer cet Orque ensuite mais…je suis dégoûté. »

Silmariën, désemparée, murmura :

« N'avez-vous aucune raison de vivre ? »

Haldir lui prit le bras et l'entraîna face à lui. Silmariën se retrouva elle aussi à genoux dans l'herbe de Rohan. Ils se dévisagèrent. Silmariën ne put détacher son regard du noble visage d'Haldir ; ses yeux bleus reflétaient un ciel pur d'été. Mais Haldir également contempla Silmariën ; son visage où s'exprimaient la force et la sagesse, ses traites féminins d'une beauté elfe, et presque d'une beauté désespérée, et il eut envie de la secourir.

« Est-il besoin d'une réponse ? » dit-il finalement.

Silmariën sourit, en même temps que des larmes lui échappèrent. D'un même mouvement, ils s'embrassèrent doucement. Ils demeurèrent longtemps dans les bras l'un de l'autre, unis, abandonnés l'un à l'autre. Le monde qui les entourait n'existait plus ; ils l'avaient oublié, bien qu'ils se trouvassent dans un monde bien trop sombre pour s'aimer.