A Tuturne, ma buddy, happy birthday !


Partie I :


La tension ambiante produisait régulièrement ses coups d'éclat à bord de l'USS Enterprise et son Capitaine comptait les jours avant que les étincelles ne donnent naissance à un incendie généralisé. Toutes les deux heures, il recevait sur son tableau de bord une nouvelle demande de transfert d'un des membres de son équipage. Les plus modérés réclamaient un changement d'équipe, les autres carrément un changement de service et une espèce de syndicat le harcelait quotidiennement à propos d'un certain alinéa d'un certain article inaliénable de la réglementation de Starfleet qu'il aurait négligé... James Tiberius Kirk soupira bruyamment avant d'apposer un nouveau refus à la requête qu'on lui avait soumise tout en se retenant de ne pas ajouter que l'Enterprise était assez vaste pour éviter de croiser les personnes qui te tapent sur le système, bordel. Que se passait-il sur son vaisseau ? Certes, une mission de cinq ans représentait une épreuve terrible pour les nerfs de son équipage mais ne pouvait-il pas s'accrocher à l'insigne honneur qui leur avait été fait pour se calmer deux minutes et relativiser la situation ?

Le non respect de l'alinéa 14 de l'article 723 du code du travail est responsable à 96,452% de la présente situation, Capitaine, déclara son Spock mental avec son légendaire air stoïque.

Pause. Depuis quand avait-il un Spock mental ?

Je ne suis qu'une projection issue de ton surmoi, Capitaine. En conséquence, mesurer quantitativement mon existence au sein de ton esprit est résolument illogique.

— La ferme, Spock, marmonna-t-il.

— Je n'ai rien exprimé verbalement, Capitaine, répondit le vrai Spock sans quitter des yeux son écran, en haussant néanmoins un sourcil de façon quasi imperceptible.

Foutue acuité auditive vulcaine.

— Comme si tu t'y connaissais en langage corporel, rétorqua Jim en lieu et place des excuses qu'il devait à son commandant en second.

Spock releva lentement la tête et pivota en direction du siège de son Capitaine pour darder sur lui ses yeux noirs pleins de retenue.

— Le tien me suggère une agressivité irrationnelle...

Kirk apprécia la légère insubordination qui suintait du discours froidement poli de son subordonné et le contentement à venir à l'idée de lui ôter toute envie de répliquer lui électrisa les entrailles.

— Là, tu sais mieux de quoi tu parles, fit-il avec un sourire en coin ouvertement provocateur.

Le souvenir du noir d'encre des obsidiennes de Spock braquées sur lui avec une intensité fulgurante, d'une poigne puissante se refermant sur sa gorge ainsi que d'une rencontre étourdissante avec le tableau de commandes éveilla un élancement endormi sous sa peau. Jim se surprit à respirer plus vite. Les iris de Spock n'étaient pas aussi sombres ni saturés de colère mais leur emprise était aussi forte que cette fois-là et aucun des deux ne voulut lâcher le regard de l'autre. Dans cet échange, il y avait une chose indescriptible qui titillait Kirk, comme une envie de fondre sur Spock pour lui décocher un coup de poing meurtrier. Il savait cependant qu'il ne s'agissait pas de violence pure. Il n'arrivait pas à mettre en mots l'émotion convulsive qui exaltait ses sens à chaque fois qu'il entrait en conflit avec son commandant.

Le lieutenant Hikaru Sulu se racla bruyamment la gorge et le capitaine de l'Enterprise cessa toute promiscuité oculaire avec son Second. Sur la passerelle, on avait commencé à perdre l'habitude de voir Kirk et Spock se sauter à la gorge depuis qu'ils avaient réussi à surmonter leurs différends. Non qu'ils eurent cessé leurs joutes verbales pour autant. Néanmoins, ce genre d'animosité évoquait plutôt les premiers jours de l'Enterprise les moins glorieux.

— Capitaine, demande autorisation de parler franchement, lança le pilote.

— Si c'est pour me demander de te transférer dans la section scientifique, je te botte le cul.

Hikaru contint difficilement un sourire.

— Ce n'est pas ça.

Kirk se rencogna dans son siège, jambes écartées, avant d'inviter son subordonné à s'exprimer.

— On est tous sur les nerfs. Ça fait plus d'un an que nous sommes sur le terrain, face au danger, et peut-être qu'une courte pause permettrait à chacun de reprendre des forces.

Un silence des plus tendus s'installa tranquillement sur un siège vide, commanda un café et commença à lire le journal sur sa tablette.

— Comment est-ce qu'on pourrait être fatigué ? questionna finalement le Capitaine : on n'a pas débarqué depuis deux semaines ! Pas le moindre signe de vie à des années-lumière. Personnellement, je m'emmerderais même un peu...

— Précisément, Capitaine, intervint Uhura. Le manque d'action et le confinement nourrissent les tensions internes. Il serait bon que l'équipage ait droit à une permission.

Jim n'était pas obtus, il comprenait les besoins de ses hommes. Lui-même avait d'ailleurs certains besoins dont l'urgence contribuait à brouiller son jugement, par intermittence. Cependant, la base Starfleet la plus proche était à plusieurs semaines en utilisant les capacités de distorsion du vaisseau à son maximum. Alors même si ses hommes avaient légalement droit à trois semaines de permission par an, il n'allait pas passer pour un branquignole à retourner au bercail au bout d'une année alors qu'on lui avait confié la plus grosse mission de l'organisation, et que l'équipage avait signé pour cinq ans. Le capitaine se massa la nuque avant de céder :

— Très bien, parfait, j'ai compris. À la prochaine planète hospitalière, permission d'une semaine accordée à tout l'équipage. Chekov, ouvre-moi un canal pour diffuser l'information sur tout le vaisseau.

— Bien Cap'taine.

Pavel allait immédiatement lancer la procédure lorsque les doigts de Hikaru se refermèrent sur les siens pour l'en empêcher.

— Que... ?

La fin de sa question se perdit dans ses rougissements. Incapable de soutenir le regard du pilote, il baissa immédiatement les yeux. Ses prunelles étrangement attirées par le bout de ses chaussures lui voilèrent l'embarras de Sulu. Muets l'un et l'autre, ils ne relâchèrent pas la pression légère qui continuait de lier leur deux mains. Personne sur la passerelle n'eut conscience de leur proximité car, au même moment, Uhura, soutenue silencieusement par Spock, s'était élevée contre la décision de Kirk.

— Qui sait quand nous trouverons une planète « hospitalière » ? Pour le moment, on a frôlé le chaos à chaque atterrissage. Et puis il est impossible pour un vaisseau comme l'Enterprise de descendre aussi longtemps sur une planète sans être détecté. Nous ne devons pas influer sur les civilisations nouvelles que nous étudions et il est difficile de ne pas interagir avec les indigènes si on se pose une semaine sur leur planète.

Kirk pivota d'un quart sur sa chaise. Il ne contenait même pas le sourire en coin mutin qui lui chatouillait les lèvres.

— Tu as raison... Pas de permission alors. Chekov, la communication.

Le petit génie sursauta vivement. Sulu toussota une nouvelle fois.

— Écrans opérationnels, Cap'taine.

— Ici votre Capitaine. J'ai écouté avec beaucoup d'attention vos dernières réclamations et j'hésite à pirater le système pour interdire l'accès aux formulaires de demande de transfert... Je veux que vous sachiez que votre bien-être est essentiel au bon déroulement de notre exceptionnelle mission. Plus que quiconque, vous méritez vos jours de permission... Malheureusement, nous sommes loin des bases de Starfleet, faire demi-tour nous coûterait beaucoup en termes de temps et d'efficacité. Je sais que vous voulez revoir vos familles, contempler autre chose que les ténèbres infinies de l'espace, profiter un peu de la vie car nous savons à quel point elle peut être brève. J'en ai conscience plus qu'aucun autre. Cependant, l'équipage de l'USS Enterprise est ma famille, nos voyages nous permettent de contempler ce que personne n'a découvert avant nous et personne ne vit plus à fond chaque seconde que nous. Pour toutes ces raisons, je ne peux pas avoir le mal du pays, et je ne veux pas rentrer chez moi la queue entre les jambes et décevoir les miens pour une seule seconde de faiblesse... Il n'y aura pas de permission accordée jusqu'à nouvel ordre mais vous aurez droit à vos jours de repos au retour de mission. Terminé.

Le Capitaine Kirk se rencogna dans son siège, satisfait. Son radar à embrouilles aurait dû sonner fort dans son esprit, mais son contentement étouffait les alertes ainsi que les conseils avisés de son Spock mental. Il ne fallut pas plus de deux minutes et cinquante sept secondes au chef de l'équipe médicale pour débarouler sur la passerelle. Leonard McCoy s'attentait à devoir prendre un ticket pour remonter les bretelles de son capitaine et se figea de stupeur lorsqu'il se rendit compte que Kirk trônait de façon impériale au cœur d'un silence de fer. Chacun vaquait à ses tâches et même Spock n'avait pas l'air pincé – autant que faire se pouvait. McCoy fronça les sourcils :

— Je suis monté faire un check-up à Jim après son petit discours mais on dirait bien que toute la passerelle va s'y plier...

— Il serait sage de ne plus évoquer ce sujet pendant quelques temps, répondit Spock en se levant.

Son ton légèrement plus glacial qu'à l'accoutumée faisait sonner ses paroles comme un avertissement. Il chemina lestement à la gauche de son capitaine comme pour s'interposer entre lui et les appareils médicaux dont voulait user sans sommation l'officier médecin-chef.

— C'est ton sens de l'humour qui a besoin d'un check-up, Bones, rétorqua James.

Il se leva à son tour et se palpa légèrement l'estomac.

— Je suis affamé, je vais passer à la cafétéria. Spock, tu gères, annonça-t-il en lui tapotant affectueusement l'épaule.

— Je t'accompagne !

Et la proposition de McCoy avait la tonalité d'une injonction.

Jim mastiquait joyeusement le steak de bœuf grillé sauce poivre et les pommes sautées dont il avait garni son plateau tandis que Bones le regardait faire, désapprobateur. Selon les critères diététiques modernes, le menu choisi par le capitaine manquait totalement de légumes. Et sans que Leonard ne formulât rien, James lui répliquait silencieusement, et néanmoins par tous les pores de sa peau, qu'il pouvait se carrer ses conseils diététiques là où le soleil ne brillait jamais, bien que l'image ne fonctionnât plus bien dans les confins de l'espace, mais comme Bones était féru d'expressions surannées il s'en foutait pas mal.

— Ce que je veux dire c'est : « Sérieux, tu crois vraiment qu'on va tenir cinq ans enfermés dans une boîte de conserve flottant dans l'espace sans développer d'aversion épidermique pour son prochain ? » Si on se retrouve avec un tueur en série baiseur de chèvres à bord de l'Enterprise, il faudra pas se demander d'où ça vient.

Kirk leva les yeux de son plateau.

— Rien à craindre : y'a pas de chèvres sur l'Enterprise, fit-il la bouche pleine.

— C'est une façon de parler, soupira McCoy en roulant des yeux.

Il croisa les jambes et but une gorgée de café, puis médita quelque secondes en fixant le fond de la salle de restauration avant de reprendre :

— Sérieusement... On va passer cinq ans sans... Tu sais ?

Les bajoues pleines façon hamster, Jim parvint tout de même à esquisser un sourire goguenard.

— Quoi ? T'envisages de faire des infidélités à ta main droite ?

— Très drôle...

— Je vois pas le problème...

James haussa les épaules avant de poursuivre :

— Tu n'as qu'à te trouver une nana dans l'équipage. Y'en avait des canons la dernière fois que j'ai vérifié, et célibataires...

— Je ne sais pas de quand datent tes infos parce que moi, quand je me suis intéressé à la question elles étaient toutes prises...

— T'as pas la cote, c'est tout.

— Je suis beau gosse et médecin, bien sûr que j'ai la cote ! Si tu reluquais un peu moins le derrière du gobelin tu t'en serais rendu compte.

— Pourquoi est-ce que j'aurais envie de me taper Spock ?

Il avait surtout envie de le taper tout court... enfin de manière épisodique. Et puis pourquoi Bones mettait le sujet sur le tapis ?

— Attends... Tu me fais une crise de jalousie ? Je t'aime beaucoup, Bones, mais pas de cette façon, lança Kirk en prenant un air faussement éploré.

McCoy se retint à grand renfort de self-control vulcain de lui balancer son talon dans les tibias.

— Ce que je veux dire, c'est que le vaisseau n'est pas le meilleur endroit pour draguer ou faire des rencontres. Même si je trouve un coup d'un soir, comment je fais pour l'éviter par la suite pour ne pas que ça devienne trop sérieux ? Et je ne suis pas le seul dans ce cas là ! Si tu ne nous autorises pas une permission sous peu, les choses pourraient devenir incontrôlables... Imagine ce qu'un médecin fou pourrait faire avec toutes les seringues du bloc médical...

— C'est une menace ? interrogea Kirk avec un sourire amusé.

L'officier lui renvoya, en miroir, le double maléfique de son sourire :

— Bien sûr que oui...

Le capitaine posa ses couverts, se redressa et carra les épaules.

— L'équipage n'aura pas droit à ses jours de permission avant la fin de la mission à moins de me passer sur le corps alors si...

L'écran géant de la cafétéria s'activa avant qu'il pût finir sa phrase et le visage de l'alien assistant de la maintenance apparut.

« Vire de là ! cria Scotty. Tu vois pas que le canal est ouvert ? »

Le petit extra-terrestre quitta l'écran avec une mine de chien battu. Le visage en gros plan de l'ingénieur en chef du vaisseau le remplaça.

« Annonce à tout l'équipage de l'USS Enterprise : suite à de longues heures de recherches, l'ingénierie a considérablement amélioré les performances de la distorsion à bord du vaisseau. Il est donc à présent possible, disons, à partir de cette galaxie, de regagner la terre en cinq jours... Et je dis pas ça juste pour info, hein Capitaine... »

Des chuchotements empressés retentirent en fond et Kirk jura que le petit Chekov était de la partie, et peut-être même Uhura... La communication cessa brutalement. Une multitude de paires d'yeux se dirigèrent vers Jim.

— C'est une mutinerie, constata-t-il avec colère.

Il mangea néanmoins son dessert.


Le Capitaine Kirk ouvrit les paupières avec lenteur. S'étalaient sous ses yeux ébahis les rayons familièrement froids des néons de l'infirmerie. Qu'est-ce qu'il foutait ici ? La dernière fois qu'il avait été conscient, il se battait à mains nues contre un prédateur extra-terrestre de forme approximativement canine... Ah... Il avait dû perdre le match... ainsi qu'une partie de sa cuisse s'il se fiait à la douleur.

— Bones, gémit-il.

— Oui ? s'enquit le médecin à quelques pas de son lit.

Il signait une fiche médicale que lui tendait une infirmière et ne se pressa pas pour s'approcher de son patient. L'angoisse et l'urgence, il les avait ressentis au début... Réceptionner Jim à moitié crevé faisait désormais partie du quotidien. Leonard McCoy n'allait pas écourter considérablement son espérance de vie et faire croître son pourcentage de cheveux blancs à cause des accès de stress que lui faisait subir son meilleur ami, du moins pas officiellement.

— La prochaine fois que tu m'entends dire que je m'emmerde sur ce vaisseau, sois sympa et mets-moi une mandale, articula-t-il avec difficulté, sonné qu'il était par l'anesthésie générale qu'il avait probablement subie.

— Permets-moi d'en avoir la primeur, Capitaine, intervint une voix neutre, quoique légèrement froide.

Kirk cligna des yeux pour s'assurer que c'était bien Spock qui venait d'entrer dans sa chambre mais surtout de le vanner. Diable, son vulcain de second s'encanaillait depuis qu'il était aux commandes de l'Enterprise.

— Céderais-tu à tes émotions, Mr Spock ? le provoqua-t-il.

— Ça n'a rien à voir. Tout le monde a envie de te mettre des claques, Jim, répliqua McCoy avec l'air de celui qui s'y connaît.

— On va s'arrêter là, les gars. Un mot de plus et je vous vire de mon vaisseau pour insubordination, fit James dans un sourire malicieux.

Alors que le médecin s'apprêtait à renchérir, Spock l'interrompit d'un regard noir et alla se poster près du lit de Kirk.

— Docteur, est-ce que vous pourriez nous laisser seuls, s'il vous plaît ?

— Je peux mais est-ce que je veux ? Difficile de me prononcer...

— Bones...

Si c'était ce que Kirk désirait... McCoy cala sa tablette sous le bras.

— Très bien, je vous laisse. Ne faites pas de bêtises...

Il sortit sur ces sages recommandations.

— Qu'entendait-il par « bêtise » ? releva néanmoins Spock.

— Tu ne veux pas le savoir.

Le commandant en second n'insista pas, bien que son sourcil s'arqua légèrement, interrogateur.

— Donc... reprit James, tu voulais me baffer parce que... ?

Son vis-à-vis inclina légèrement la tête.

— Ce ne sont pas les termes que j'ai employés.

— Mais c'était l'idée, continua Jim, plus amusé par la contrition presque apparente du Vulcain que vexé par le propos.

— Capitaine, ton manque total de considération à l'égard de ta propre vie met gravement en danger l'intégralité de l'équipage ainsi que l'accomplissement de la mission qui a été confiée à l'Enterprise. Par conséquent, « une piqûre de rappel » comme le disent les humains pourrait avoir un effet bénéfique sur ton comportement.

Un sourire franchement lupin étira les lèvres de Kirk.

— Ton inquiétude me touche, Spock, mais je ne pensais pas que t'étais dans le trip SM, punitions... Un petit peu tordu, mais sexy à imaginer.

Le demi-Vulcain inspira pour répliquer doctement et resta figé, bouche ouverte, incapable de traiter rationnellement l'information.

— Plaît-il ? lâcha-t-il finalement alors que Kirk se gondolait déjà à ses dépens.

— Je plaisante, c'est tout...

— Il me semble, en effet, que quelques jours de permission seraient tout indiqués pour permettre à chacun de recouvrer un corps et un esprit sain, Jim.

Celui-ci cessa brusquement de rire. Spock n'allait pas s'y mettre lui aussi.