Chapitre un :

Inversion

Secoué par les cahots de la course d'Hinata, Shikamaru grogne. Ferme les yeux. Fort. Son amie n'arrivera pas à temps. Pas avant qu'il ne perde conscience. La main gauche pressée sur la blessure de son ventre, il sent le sang s'écouler.

— Courage, Shikamaru-kun ! Nous arrivons à Konoha !

La voix de la jeune fille vacille, rendue rauque par l'effort et le stress. Shikamaru tente d'ouvrir les yeux. Découvre qu'il n'en a plus la force. L'inconscience le gagne peu à peu. Il sent sa main droite se desserrer, le parchemin qu'il tient glisser. Non ! Il ne sait pas encore si ce fichu objet a à voir avec leur mésaventure mais il n'est pas question qu'il le perde maintenant ! Hinata ralentit. Des voix s'élèvent.

Connues, familières.

C'est bon, il peut se laisser aller. Tandis qu'il plonge dans l'inconscience, le kage-nin ne peut s'empêcher de songer que Naruto et Kiba ne le laisseront jamais tranquille avec la manière dont leur amie l'a ramené au village : façon princesse en détresse. En même temps, c'était ça ou rien, il n'aurait pas tenu le coup autrement et il n'avait pas la force de protester lorsqu'elle l'a soulevé.

Il songe vaguement qu'il n'aurait rien contre une bonne sieste. Ses doigts serrent le parchemin une dernière fois avant de le laisser tomber.

Puis, plus rien.

Il avait raison, il a perdu connaissance avant de passer les portes du village.


Hinata sursaute et s'immobilise, hors d'haleine. Les ninjas de faction à la grande porte l'entourent, kunais sortis.

— Halte-là !

— Qui es-tu ?

La jeune fille halète un moment avant de parvenir à répondre. Elle n'en revient pas : elle est parvenue à porter son compagnon tout du long du chemin sans faiblir ? D'accord, le jeune homme est tout maigrichon et presque aussi petit qu'elle mais tout de même.

— Je… C'est moi, réussit-elle à souffler, Hinata ! Je dois voir Hokage-sama tout de suite et Shikamaru-kun est blessé !

Autour d'elle, seul le silence lui répond.

— Hein ? réplique l'un des gardes. Comment ça : Hinata ? Shikamaru ?

— Oui ! Hokage-sama nous a envoyés en mission et… Oh ! Le parchemin !

Le blessé ne le tient plus à la main. Inquiète, la jeune fille regarde autour d'elle et soupire de soulagement en l'apercevant à ses pieds.

— Que se passe-t-il, ici ?

Kiba s'approche en courant, suivi d'Akamaru. Le grand chien se dirige droit vers la jeune fille, heureux de la revoir. Le jeune homme s'approche à son tour, ouvre de grands yeux. Il avance jusqu'à envahir son espace vital et se retrouve nez-à-nez avec elle, séparé seulement par le corps inerte du blessé. La renifle avec tant d'insistance qu'elle ne peut s'empêcher de rougir.

— Hinata ? s'exclame-t-il.

Puis, il fronce les lèvres à l'odeur cuivrée du sang qui s'élève et baisse les yeux.

— Sh… Shika ?

Il ne parvient pas à détacher les yeux de la silhouette inconsciente de son ami.

— Mais… Mais…

— S'il te plaît, Kiba-kun ! Dis-leur que c'est bien nous ! supplie Hinata. Shikamaru-kun est blessé et…

Le jeune homme se secoue tout à coup, se passe la main devant les yeux.

— D'accord. Suis-moi ! C'est bon, les gars ! Ce sont bien eux ! Prévenez Tsunade-sama !

Soulagée, Hinata se presse à la suite de son coéquipier. Pourvu qu'elle n'arrive pas trop tard ! Elle jette un œil au chien. Il la suit, le parchemin entre ses crocs.

— Tu es le meilleur, Akamaru-chan !

Elle ne s'est pas encore rendue compte à quel point sa voix a changé… Ni à quel point plus rien ne sera tout à fait comme avant.


À l'hôpital, les parents inquiets se sont regroupés dans la salle d'attente. Kiba ne sait pas trop s'il doit rester ou discrètement s'éclipser. Ce sont ses amis qui se font examiner en cet instant et il sent qu'ils auront besoin de son soutien. Seulement, il ne saurait quoi leur dire même si sa vie en dépendait. Adossé au mur, Akamaru couché à ses pieds, il ne peut s'empêcher de se poser des questions sur ce qui a pu aussi mal tourner dans la mission relativement simple donnée aux jeunes gens. Ramener un parchemin que le chef d'un village éloigné offrait à l'Hokage en signe de respect… Pas de quoi tourner à la catastrophe. C'était même plutôt des vacances que Tsunade offrait de manière détournée au génie de Konoha : une mission toute bête et une compagne de route calme et douce !

C'est la première fois qu'il voit Shikamaru aussi amoché. D'habitude… Il bloque un instant, ne sait plus trop à quoi il pensait tandis que la vue de son ami lui revient en mémoire. Comment… Comment… Shika et Hinata-chan…

Tsunade entre soudain, l'arrache à ses pensées. Elle vient de terminer d'ausculter les jeunes gens.

— La vie de… Shikamaru est hors de danger. Sa plaie à l'estomac nous a causé du souci mais il va guérir. Hinata va bien également, en dehors de quelques meurtrissures et…

Elle toussote. Son regard dévie vers le ninja-chien avant de revenir vers les parents inquiets.

— Je vous en prie, suivez-moi. Je pense que nous devons parler en privé des changements subis par vos enfants et des conséquences que cela aura sur leur futur.

Elle dirige les Hyuuga et les Nara vers une salle privée, laissant le jeune Inuzuka à ses interrogations. Quelques instants plus tard, ce dernier finit par se décider et sort de l'hôpital. Il a besoin de réfléchir à ce qui s'est passé, mettre de l'ordre dans ses pensées avant de voir les deux ninjas. Shikamaru est son ami depuis l'enfance et Hinata est sa coéquipière, quasiment une petite sœur. Comment ne pas apprécier ses douces manières, sa façon de rougir, de bredouiller ? Ils méritent d'être soutenus tous les deux. Mais dans l'immédiat, Kiba a besoin de s'isoler un peu. Il ne peut pas se retrouver en face de ses amis maintenant. Pas avant d'être certain d'avoir bien intégré ce qui leur est… arrivé.

— 'Tain ! Je cause comme Shika, maintenant !


Debout dans l'embrasure de la porte, Neji ne peut s'empêcher de fixer le jeune homme qui se tient assis sur le lit d'hôpital.

— Je ne pouvais y croire, murmure-t-il enfin. Comment ?

Hinata hausse les épaules. Rougit et détourne les yeux sous le regard scrutateur de son cousin et ce dernier ne peut que voir s'envoler en lambeaux ses derniers doutes quant à sa véritable identité.

— Comment ?

— Je… Je l'ignore, Neji-nii-san. Sans Shikamaru-kun, je serais certainement morte à l'heure qui est. C-c'est lui qui a repéré les ninjas postés en embuscade. Il les tenait sous l'emprise de son ombre m-mais…

Elle… Il rougit.

— Une terrible douleur nous a frappés tous les deux. Dans le… enfin… en certains endroits.

Neji ne demande pas plus d'informations quant à ce sujet, son esprit se refuse à s'aventurer sur ce terrain. Pas de suite, en tout cas !

— Nos adversaires ont réussi à rompre la technique des ombres et nous avons dû lutter. Shikamaru-kun s'est retrouvé cerné et c'est là que…

Les immenses yeux couleur glacier s'embuent et les lèvres d'Hinata tremblent.

— Qu'il a été blessé, complète son cousin.

— Oui… J-je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je me suis sentie tellement furieuse quand je l'ai vu tomber… Je… J'ai tué trois ninjas avec la technique du poing souple. L-les autres se sont sauvés. Je… Je ne savais pas quoi faire. Sh… Shikamaru-kun m'a souri. Il était si calme. Et i-il m'a dit que j'avais bien combattu. M…mais je ne comprends pas. Je n'ai pas réussi à le protéger ! J… J'ai échoué. En-enfin, il m'a ensuite dit qu'il allait probablement avoir besoin de soins. Il semblait si serein. Je crois qu'il voulait me rassurer… que je garde mon calme. Et-et pourtant… Je… Ç…ça avait déjà commencé… L… le… enfin…

— Je vois de quoi tu veux parler, Hinata-sama. Tout comme tu t'es transformée en… garçon, il avait commencé à se transformer en… en…

— F-fille ? propose sa cousine… cousin.

— Heu… Oui.

— Je-je ne m'en suis pas rendue compte immédiatement. I-il m'a expliqué que nous ne pouvions pas rester là, q-que les ninjas qui s'étaient enfuis risquaient de revenir. A-lors je l'ai soulevé dans mes bras. Il a eu l'air surpris mais il avait trop m-mal pour protester… Ce-ce n'est qu'en arrivant ici que j'en ai vraiment pris conscience…

Neji hoche la tête, compréhensif devant les paroles hachées et l'expression désorientée de sa cousine (cousin !) d'habitude si réservée. Effectivement, cette métamorphose a de quoi perturber le plus équilibré des ninjas de Konoha et Hinata ne fait pas partie de ceux-là. Aussi adorable et aimante soit-elle !

Enfin… il…

Le jeune homme parvient à rester impavide malgré la migraine qu'il sent poindre. Finalement, il tend à Hinata un paquet de vêtements.

— Hiashi-sama a envoyé un serviteur pour te chercher une tenue plus adéquate et… hum… à ta taille. Je l'ai intercepté.

— Merci !

Un silence contraint tombe entre eux avant que Neji se détourne en rougissant.

— Je vais te laisser un peu d'intimité pour te changer…


Les yeux fermés, Shikamaru prétend dormir. Il entend la conversation étouffée entre ses parents. S'efforce de ne pas écouter. À la place, il se concentre sur sa respiration, tente de ne pas remarquer les changements subis par son corps. De ne pas paniquer. Il a besoin de temps.

Pour réfléchir.

Comprendre.

Mais il a beau rejouer la scène dans sa tête, rien ne lui vient à l'esprit.

Ce qui lui arrive… Ce ne peut être qu'un justu de transformation, n'est-ce pas ?

Il aimerait se raccrocher à cette idée mais il sait déjà que cela ne sera pas aussi simple. Un justu de transformation est immédiat et sans inconfort. Même pour un changement de sexe… Il suffit de penser au sexy-justu de Naruto !

Dans son cas (et celui d'Hinata), la transformation s'est opérée sur plusieurs heures. Sans compter que le processus était loin de se révéler indolore.

Peut-être une malédiction ? Mais au village, il n'a remarqué aucun signe suspect. Rien qui ressemble de près ou de loin à un rituel. Il ne lui a pas semblé non plus qu'ils s'aventuraient sur un territoire maudit. Pas de signes gravés sur les arbres ni de statues menaçantes. Ni aucun autre détail qui aurait attiré son attention.

Quant à leurs assaillants…

La voix de sa mère interrompt ses pensées.

— Je n'aime pas le voir ainsi…

— Allons, Yoshino. Ce n'est pas comme si tu n'avais pas l'habitude de voir notre fils endormi.

— Oh par tous les kamis, Shikaku ! Mais regarde-le ! On nous a enlevé notre petit garçon ! Et on ne sait même pas s'il y aura d'autres séquelles ! Peut-être même qu'il souffre en ce moment et…

Un bruit de sanglots. Shikamaru ne se rappelle pas avoir déjà entendu sa mère pleurer. Crier, tempêter et menacer : oui. Mais pleurer ? Jamais ! Bien trop dure à cuire et forte pour ça.

On nous a enlevé notre petit garçon.

Il ne se donne pas la peine de se vexer à cette phrase, il a trop l'habitude de la manière de réagir de Nara Yoshino. Il sait qu'elle l'aime et que le diriger et houspiller est sa manière de le lui montrer. C'est la peine contenue dans cette seule phrase qui le pousse à ouvrir les yeux. Son père s'est penché au-dessus de lui et le fixe pensivement. Sa mine reste neutre tandis que le contact oculaire se noue. Shikamaru grogne, tente de se redresser mais la douleur dans son ventre irradie dans des muscles qu'il ne se savait même pas détenir. Aussitôt, Yoshino se presse à ses côtés et l'aide à achever son mouvement. Elle connait son fils : s'il peut paresser à loisir, il ne s'en privera pas mais, lorsqu'il a décidé d'entreprendre quelque chose (même aussi trivial que de s'asseoir dans un lit d'hôpital), il ira jusqu'au bout.

— C'est bon ! C'est toujours moi !

C'est la première fois que Shikamaru parle depuis son réveil et tous les occupants de la pièce – lui compris – sont surpris d'entendre la voix légèrement voilée mais indéniablement féminine qui sort de sa bouche. Certes, son esprit est resté le même mais il réalise pleinement ce qui a été infligé à son corps. Il sait pourtant que ça ne change rien quant à son identité mais quand il voit le choc dans le regard de son père, tout à coup, il doute.

Gorge serrée, il garde le silence, attend. Ne peut se résoudre à parler encore avec cette voix qui n'est pas la sienne. Il le déteste, ce corps qui n'est plus le sien… cette peur atroce qui lui déchire les tripes et vole son assurance, la détruit d'instant en instant. Tant qu'il gardait les yeux fermés, il avait encore l'illusion de pouvoir contrôler un peu les évènements.

Quel idiot !

Et Shikaku qui ne dit toujours rien ! Qui se contente de le fixer sans mots dire.

Puis, tout à coup, son père bouge. Plonge vers l'avant. Sa main se referme sur sa nuque et le presse contre son épaule tout en prenant soin de ne pas tirer sur sa blessure.

— Bien sûr. C'est toujours toi ! assure-t-il fermement.

Un petit sourire tire ses lèvres sur le côté et il ajoute :

— J'ai toujours voulu une fille.

Yoshino s'essuie discrètement les yeux tandis que Shikamaru profite de l'abri fourni par l'étreinte paternelle pour laisser s'évaporer momentanément la terreur qui l'a saisi peu avant.

— Ne te fais quand même pas trop d'illusions, p'pa, réplique-t-il enfin.

Shikaku rit doucement et se recule. Laisse une main glisser sur la joue de son fils… de sa fille. La situation est assez embarrassante comme ça.

— Je vais me faire des nœuds au cerveau avec ces conneries, fiston… enfin…

— Ne pense même pas à terminer ta phrase, vieil homme !

Un silence s'installe. Yoshino s'évertue à ne pas regarder dans la direction de son mari. Elle se contente de fixer Shikamaru qui menace son père d'un index tendu, dans une attitude qu'elle ne peut s'empêcher de reconnaître. Ce dernier cligne des yeux devant la mine sévère de leur fils… fille…

Les nœuds prédits commencent à se former.

Le Nara en titre éclate soudain de rire au nez de sa femme et de leur… enfant.

— Ô Kamis ! parvient-il à articuler. Tu… Tu ressembles tellement à ta mère comme ça !

— Ça y est, m'man… il a fini par craquer son slip, marmonne Shikamaru d'un ton dubitatif.

— Ne parle pas comme ça de ce vieil imbécile, répond machinalement Yoshino.

Puis, elle aussi rit à son tour. Pour laisser s'évacuer la pression et ne pas craquer.

— Mouais, ronchonne Shikamaru avant de se laisser retomber contre ses oreillers.

Il grimace comme le mouvement tire sur sa blessure. D'un œil torve, il observe l'hilarité paternelle avant de décider que cette dernière a suffisamment duré :

— T'es au courant que tu vas te retrouver en infériorité numérique à la maison, hein ?

À cette nouvelle, Shikaku avale de travers et se met à tousser comme un perdu à la grande satisfaction de son fils… fille. C'est sur cette scène que Tsunade entre dans la chambre.

— Bien. Je vois que tu ne prends pas la nouvelle trop mal, constate-t-elle devant le sourire moqueur que le blessé adresse à son géniteur.

Elle soupire en croisant les bras sous son ample poitrine et jette un regard contemplatif au jeune ninja.

— Dire que je t'ai donné cette mission toute simple pour te permettre de te reposer, de te vider la tête. Aller chercher et ramener… Comment a-t-elle pu tourner aussi mal ?

Shikamaru hausserait bien les épaules mais il se retient au dernier moment : il n'a pas envie de faire le moindre mouvement qui réveillerait la douleur dans son ventre.

— Ils nous attendaient, c'est certain, réplique-t-il.

Depuis son réveil, il n'a cessé d'y penser, ne serait-ce que pour ne pas devoir songer à son autre problème. Shikaku cesse de faire le pitre et s'assied à nouveau à ses côtés, toute son attention concentrée sur la conversation. Sans regarder son fils (sa fille !), il pose la main sur la sienne et la serre.

Fort.