Bonjour à tous, et bienvenue pour cette nouvelle fic très particulière. Particulière car non seulement elle ne comporte aucun personnage de Harry Potter ou du Multivers (du moins pour l'instant), mais en plus, elle ne se passe même pas dans le même monde. Pourtant, cette histoire fait bel et bien partie du Multivers Parfum-Potter, ne vous y trompez pas. C'est même une des raisons pour laquelle ça s'appelle Multivers.

Les prérequis pour cette histoire… il n'y en a pas vraiment. Elle se déroule plus ou moins en même temps que la conclusion du tome 4 d'Entre les Mondes (ma saga principale), et fait donc partie du crossover Entre les Mondes / Marchands de Secrets de DreamerInTheSky. Avoir lu ces histoires est utile pour comprendre certains éléments comme ce que sont les Terres d'Argent, et pour en resituer la fin, mais ce n'est pas une obligation formelle. Vous pourrez tout autant apprécier cette histoire qu'en ayant de vagues bases concernant l'univers de Harry Potter.

L'inverse n'est en revanche pas vrai : lire cette histoire est un prérequis presque absolu pour comprendre le crossover ELM 5 / MDS 2. Si vous êtes à jour et attendez ces tomes à venir, alors cette mini-fic est un passage obligatoire.

Cette histoire courte ne fera que trois chapitres, les deux autres étant sensiblement plus longs que celui-ci. La violence de ce texte est assez extrême, même si le Multivers n'est pas le pays des Bisounours. Alors disons que je couvre mes arrières avec un rating Teen, et les TW suivants : langage très vulgaire, violence banalisée, scènes gores, blagues nulles.

Et bien sûr, avant le mot de la fin, le disclaimer habituel : Les… à peine 1% de l'univers de Harry Potter représentés dans cette mini-fic appartiennet à J.K. Rowling et ses ayant-droits. Les 99% restants se partagent à parts équitables entre Dreamer et moi. Pas de copyright légal, mais tous droits réservés aux auteurs du Multivers Parfum-Potter quand même.
Soit à ce jour : Allan Eddem, Dreamer, Icequeen, Tiph l'Andouille, Ywëna, et moi.

Maintenant, je vous laisse découvrir le reste par vous-même !

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1) Vadrouille avec la reine des goules

Emrys continua à maintenir sa forme immatérielle, tandis que les autres prenaient déjà corps autour de lui. Il connaissait les risques : entrer dans les Terres d'Argent sous forme non corporelle lui provoquerait d'horribles brûlures dues aux radiations éthérées. Mais s'il prenait forme maintenant, il serait désavantagé par les plus gros démons, plus rapides. C'était davantage une question de prestige qu'une course, mais ça pouvait faire la différence.

Emrys était un grand. Un archidémon figurant dans le top 100 du Pandémonium, tout de même ! À son ère de règne, il avait causé de grands bouleversements dans tout le bassin méditerranéen, et au-delà au nord. Des guerres, des génocides… Et la plus grande erreur de sa vie.

Il avait fait quelques retours depuis mais, le Code International du Secret Magique n'aidant pas, il n'avait pas réussi à faire aussi bien que les fois précédentes, et avait préféré tomber dans l'oubli. Plus personne, hormis une poignée d'érudits tâtillons, ne se souvenaient de lui. Et encore, uniquement à travers son erreur.

Mais cette fois-ci, les choses seraient différentes. Voilà quelques années, Emrys avait été convoqué par une jeune femme, une sorcière qui avait eu l'impudence de l'invoquer et qui affirmait être capable de réaliser une prophétie millénaire où les démons seraient les grands vainqueurs. Il s'était laissé convaincre, et avait rongé son frein en attendant d'entrer en action. Il était difficile de juger de la durée écoulée, à cause de la manière étrange dont le temps s'écoulait dans les Terres Infernales. Mais il y avait une constante, un repère temporel utile : à chaque solstice, les portails entre les enfers et la Terre d'Argent s'ouvraient. Pendant les six mois entre le solstice d'été et le solstice d'hiver, nombreux étaient les démons qui s'échappaient de leur train-train quotidien pour aller chasser du gibier dans le plan supérieur. Certains parvenaient même, grâce aux invocations d'imprudents humains, à franchir la seconde barrière et se rendre dans le plan physique, ou Terre des Hommes. Cela recquierait de se soumettre aux invocateurs, ce qu'Emrys n'aurait jamais pu accepter.

Jadis, il existait des portails directs entre Terres d'Argent et Terres des Hommes, mais ceux-ci avaient été scellés.

Jusqu'à récemment, du moins Emrys l'espérait-il. La gamine lui avait promis qu'une immense faille l'attendrait, béante au cœur de la mangrove.

La mangrove. Territoire de Gallytrot, et grouillante d'insectes et de charognards. Évidemment, ça ne pouvait pas être ailleurs, comme au milieu d'un foutu désert désert.

La lueur du portail apparut enfin au bout du tunnel. Il fallait vraiment qu'Emrys reprenne forme physique, mais il était beaucoup plus rapide et puissant sous sa forme de cauchemar. Et puis, ce qu'il refusait de s'avouer, c'est que la dernière fois qu'il avait essayé de sortir du portail sous forme pleinement corporelle, il s'était lamentablement écrasé au sol, le nez dans la boue grisâtre.

Il entama le processus de métamorphose au moment de franchir le portail. Il ressentit un court instant la brûlure, comme une centaine de piqûres de frelons, mais serra les dents, et atterrit sous forme corporelle dans une trainée de fumée noire.

– Vantard ! râla Sabnock, le cavalier à tête de lion.

– Mange ta mère, fils de vierge ! répliqua Emrys.

Le cheval pâle de Sabnock rua, mu par la rage de son cavalier. Emrys ne se laissa pas impressionner, même s'il était à pieds. Le cavalier retroussa ses babines, montrant ses longues dents, tirant un quatruple haussement de sourcils à Emrys.

– Descend de ton poney albinos et vient te battre comme un vrai démon, face de goule.

Lui n'avait jamais apprécié les montures. Mesurant plus de deux mètres, il était déjà assez impressionnant sans toutes ces fioritures. Il avait la peau blanche et les cheveux noirs mi-longs. Il avait les oreilles légèrement pointue, les yeux en amande, et un bouc taillé qui aurait pu le rendre fort séduisant. Il avait même un anneau en argent dans l'oreille droite, souvenir de son dernier passage à l'ère de la grande piraterie.

Mais là s'arrêtait la beauté humanoïde chez lui. Ses yeux étaient noirs, avec un iris rouge sang et une pupille fendue verticalement comme un serpent. Ils étaient surmontés de deux sourcils droits chacuns, qui encadraient une gemme rouge sang sertie au milieu de son front. Et pour parfaire le tableau, Emrys bavait, une substance rougeâtre qui aurait pu être confondue avec du sang, mais qui était en fait une puissante neurotoxine. Une morsure, un crachat, et vous ne vous réveilliez jamais.

– Pour que tu me mordes ? supposa Sabnock. Va te faire voir, poseur humain.

Emrys portait une cape rouge, drapée par-dessus une tenue de toile noire très simple. Hormis ces vêtements, il ne conservait que trois souvenirs de son ère de gloire : un collier offert par la seule humaine qu'il eût jamais épargnée, la seule épée gobeline, chargée de puissants enchantements, qu'il eût jamais volée… Et la seule cicatrice qui lui eût jamais été infligée : une croix irrégulière sous son œil droit, souvenir d'un duel à l'issue funeste. Cela contribuait à lui donner une apparence plus humaine, plus fragile… Qui était l'objet de tant de moqueries chez les autres, qui le traitaient surtout de poseur humain, de démon souhaitant devenir humain. Emrys en faisait fi. Il avait été un roi, là où eux étaient des esclaves de sorciers. Il ne devait sa chute qu'à lui-même, à ses propres erreurs. Personne d'autre que lui-même n'avait jamais pu le vaincre. Ou presque. C'était sujet à débat.

Il allait répliquer d'un ton sec à Sabnock lorsqu'il fut interrompu par un cri de rage assourdissant. L'abomination Bifrons surgit du portail. C'était un de ces démons immenses dont Emrys se méfiait. Plus grand qu'un géant, Bifrons était voûté, bossu, avec de longs bras qui lui donnaient une allure de gorille. Sa tête de bébé-vieillard édenté le rendait encore plus abject.

Sur sa nuque, se cramponnant et dirigeant Bifrons tel une monture à l'aide de longs poignards profondément enfoncée dans la chair boursoufflée une autre "poseuse humaine" qu'Emrys connaissait bien. Et, devait-il se l'avouer… qu'il appréciait : Lamia, reine des banshees (et des goules, auraient rajouté ses détracteurs).

– DESCENDS DE LÀ TOUT DE SUITE ! gronda Bifrons.

Yahooooooo ! répliqua Lamia, tira sur les deux poignards pour le faire cabrer.

Bifrons cabra effectivement, mais en tentant de se rétablir, trébucha sur un rocher et s'écrasa sur une dizaine d'autres démons, les tuant sur le coup. Bien sûr, les démons étaient virtuellement immortels, mais être renvoyé aussi violemment dans les profondeurs était extrêmement douloureux, et traumatisant pour les démons mineurs qui n'avaient pas la force d'éviter le plongeon dans l'abysse ardente qu'était la Fosse d'où les démons les plus faibles ne parvenait jamais à s'extirper.

Aucun de ces parasites ne l'approchait. Les démons mineurs avaient au moins autant peur d'Emrys que les démons majeurs ne le méprisaient. Mépris réciproque. Emrys était un être raffiné, un démon extrêmement intelligent, et plus égoïste que malveillant. Il aimait la culture des humains. L'architecture, surtout, mais aussi le protocole, le respect de la hiérarchie. Chez les démons, vous étiez soit craint, soit craintif. Il fallait terroriser pour obtenir. Rares étaient les démons qui comme lui avaient attrait à cette conception du pouvoir purement humaine, empreinte de respect et de cérémonie. Mais Lamia en était. Son titre en témoignait : "reine" des banshees. À vrai dire, elle ne régnait pas plus sur les banshees que lui sur les détraqueurs, les créatures associées à son mythe à lui. Elle avait juste des pouvoirs similaires, mais beaucoup plus puissants.

Attention ! Si Emrys appréciait la vision du monde de Lamia, et l'admirait pour sa puissance, il n'en était pas amoureux ! Un démon, ce n'est jamais amoureux ! Sauf d'une prêtresse de la nature, si jeune et déjà si sage, innocente, voyant le meilleur (ou le pire, selon les critères infernaux) de lui… Enfin, elle était morte depuis des siècles, et on ne l'y prendrait plus !

– HÉ HO JE TE PARLE !

Emrys sursauta, sortant de ses pensées. Lamia était descendue de Bifrons, et se tenait devant lui. Les quatre bouches de la démone ayant été cousue, elle parlait par télépathie. Mais sa puissance mentale était telle que personne ne voyait la différence. Il ne fallait juste pas la regarder, et l'illusion était parfaite.

Mais en fait, il ne fallait pas la regarder du tout. Ses grands yeux noirs étaient des pièges spirituelles qui rendaient folles toutes les âmes qu'elle contemplait. Emrys planta son regard dans le sien, sans en craindre les effets. Parfois, il se disait qu'il était déjà trop fou pour que ça ait le moindre effet sur lui.

– Désolé, Lamia. Tu disais ?

– Bah, bonjour, déjà. Et pis t'étais où les 473 derniers solstices ?

– Je me suis lassé de ces enfantillages, avoua Emrys. Maintenant que j'ai ma place bien tranquille dans les profondeurs, je me relaxe, je médite…

– Ouais, t'as renoncé, quoi ! Quel gâchis !

– Tu sais, on s'y habitue rapidement. Ne rien faire, c'est très reposant.

– Je ne pourrais pas, avoua Lamia. Mais attends… Pourquoi t'es là, alors ?!

Emrys jeta un regard suspicieux autour de lui, et lui fit signe de s'éloigner un peu de la masse grouillante. Il baissa également le ton pour répondre :

– J'ai été invoqué pour la première fois depuis plus de cinq cent ans. Je pensais même mon nom définitivement perdu.

– Oooooh ! Comment est la Terre ? La dernière fois que j'y suis allé, les humains avaient mis au point une arme assez puissante pour détruire la matière. Sont ingénieuses, ces bestioles !

– Je n'ai pas pu me balader. Le cercle était parfait. La gamine savait parfaitement ce qu'elle faisait.

– Ha ha ha ha ha ha ha !

– … Qu'est-ce qui te fait rire comme ça ?

– Ha ha ha, désolée, ha ha… hum, j'imagine difficilement le grand Emrys, archidémon des cauchemars, qui se retrouve piégé par une fourmi.

Emrys haussa les épaules. Son ego était divin, il n'allait pas se formaliser de si peu.

– Celle-ci mordait fort. L'information importante n'est pas là.

– Quelle est-elle ?

– Ladite fourmi m'a averti qu'une faille avait été ouverte entre les deux royaumes. Non seulement nous allons pouvoir retourner dans le grand monde avec toute notre puissance, sans entraves, mais en plus je suis appelé à participer à une petite apocalypse pas piquée des joncheruines. Ça se tente.

– Chic ! Cette faille reste ouverte combien de temps ?

– Ça fait presque un an qu'elle l'est, et il semblerait qu'elle doive rester ouverte aussi longtemps que nécessaire.

– Ah, zut. Un de ces rapaces va nous la piquer, râla Lamia en désignant un démon volant qui les survolait.

D'un peu trop près au goût d'Emrys, qui sortit son épée runique et la jeta en l'air. Le cadavre du démon s'écrasa au sol, et l'épée transperçant son cœur disparut, pour réapparaître dans son fourreau.

– Aucun risque. La Faille est dans le territoire de Gallytrot.

– Ha ha ha ha ha ha ha !

– Je ne vois pas ce qu'il y a de si drôle.

– Ha ha tu… Attends, T'ES SÉRIEUX ?!

– Suis-je du genre à plaisanter ?

– Putain de bordel de merde. Quelle idée à la con.

– Comme tu le dis si délicatement.

– Bon bah tant pis, une prochaine fois peut-être ! Hein ?

– Non.

– Comment ça, non ?

– Je ne renonce pas.

– Ah. Bon. Hé bien, j'ai été ravie de t'avoir connue et en espérant te recroiser un siècle prochain dans la fosse ! Ou pas, d'ailleurs. Paraît que les démons qu'il bouffe restent prisonniers pour l'éternité dans ses entrailles.

– Tu viens avec moi. Je ne peux pas aller jusqu'à la mangrove tout seul, et tu es la seule à qui je fais confiance.

– Bah tu m'étonnes, John ! T'en as de bonnes, coco…

– J'ai un plan. Et une épée gobeline.

– Je vois pas en quoi ta saloperie argentée fera la moindre différence face à Gallytrot. Si jamais tu arrives vivant jusqu'à son territoire.

Emrys sourit, et hocha la tête.

– Tant pis. Bonne chasse, mon amie !

Il se retourna, et partit en direction des sources de mercure d'un pas allègre. Il n'avait pas parcouru cent mètres qu'il entendit haleter derrière lui.

– Attends-moi !

Emrys haussa les sourcils gauches :

– Tu irais plus vite si tu te débarassais de cette robe ridicule.

– C'est pas ridicule, c'est vintage ! répliqua Lamia. C'est une authentique robe de saloon, arraché du cadavre encore dégoulinant d'une chanteuse de cabaret. Et puis je ne te demande pas de te débarrasser de ta tueuse de démons, moi !

Emrys ne répondit pas, et reprit son allure soutenue. Il espérait atteindre les plateaux avant la tombée de la nuit. Emrys faisait partie des très rares démons capables de toucher le vif-argent sans endurer d'atroces souffrances, et tenait à profiter de cet avantage sur le terrain.

Il fut interrompu par un énorme poing s'abattant juste devant eux.

– Tu n'iras nulle part, sale vermine ! gronda Bifrons à l'adresse de Lamia.

– Sauf ton respect, c'est moi que tu bloques, là, fit calmement remarquer Emrys. Si tu pouvais déplacer le jambon putréfié qui de sert de main de ma route…

Bifrons lui asséna un violent coup de poing qui le projeta dans la boue. Plusieurs démons mineurs ricanèrent, et quelques parasites comme Sabnock se rapprochèrent pour assister au spectacle.

– Tu parles trop, sale poseur. C'est entre moi et la petite dame.

– Si tu veux que la petite dame te crève les deux yeux et te les fasse bouffer, continue comme ça, face de troll ! cracha Lamia.

– Toi aussi tu parles trop !

Le monstre de chair attrapa la petite démone dans sa gigantesque pogne, et entreprit de l'y écraser. Il la leva au niveau de son visage pour la regarder mourir, et eut la surprise de voir sa main redescendre toute seule. Sans son bras : Emrys venait de lui trancher le poignet. Il hurla à mort, trébucha, et tenta de frapper l'autre démon de son autre poing. Emrys esquiva le poing d'une pirouette, et lui trancha le petit doigt au passage, avant d'aller lui planter l'épée entre les côtes. Il y découpa une longue balafre d'un coup sec, et s'écarta juste à temps pour ne pas être assommé par le foie du golem.

Il se tourna vers la foule rassemblée.

– Quelqu'un d'autre a envie de m'interrompre ?

Sabnock fit mine de s'avancer pour le défier, mais une flèche lui transperça le crâne. Tenant l'arc incriminé, le beau Leraje adressa un signe de tête poli à Emrys. Son geste fut cependant interprété comme le signal pour ouvrir les hostilités, et le pourtour du portail se changea rapidement en champ de bataille. Mais Emrys et Lamia étaient déjà loin.

Ils durent certes se débarrasser de quelques suiveurs malvenus sur le chemin, mais cette première partie du voyage fut tranquille. La steppe était une région depuis longtemps stérilisée de toute vie par les hordes de démons qui franchissaient ce portail depuis des années. Pendant les six mois d'hiver, la zone se vidait et les plantes malingres pouvaient repousser, mais aucun animal ne venait plus par ici. Pas que les animaux grouillaient dans les Terres d'Argent, mais certaines régions de ce monde réduit étaient assez prolifères, comme… la mangrove du Lac Infini. Un des seules endroits dans les royaumes où les démons avaient trop peur d'aller, à raison.

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La nuit tombant, Emrys installa le campement. Ce qui consistait, concrètement, à détacher sa cape sur laquelle il s'assit contre la paroi rocheuse, entre deux flaques de mercure bouillonnant, et à sortir de son fourreau l'épée gobeline qu'il posa sur ses genoux. Lamia, elle, se recroquevilla en une boule compacte, et les soies translucides qui lui servaient de cheveux s'agglutinèrent pour former un cocon oval. Comme un œuf de fourmi, belle ironie.

Évidemment, la précaution était inutile. Aucun démon ne s'aventurait dans cette direction, à la fois inintéressante et dangereuse. Mais ce que craignait Emrys, c'était qu'un démon volant ne s'aventure jusqu'à la mangrove, voit la Faille, et revienne prévenir les grands pontes. Certains archidémons ne prenaient même plus la peine de sortir des enfers, mais un accès direct au plan terrestre saurait éveiller leur intérêt. Ils enverraient Bifrons ressuscité tenir tête à Gallytrot, juste assez longtemps pour mettre leurs royales fesses à l'abri de l'autre côté. Il devait bien y avoir une raison, pour que Gallytrot n'ait pas encore franchi le portail. À moins, bien sûr, que la sorcière ait oublié de le prévenir de ce détail.

Quand Lamia surgit de son cocon pour prendre son tour de garde, Emrys s'endormit. Habituellement, les démons n'avaient pas besoin de se reposer. Ils ne le faisait que pour préserver la santé de leur vaisseau, quand ils possédaient quelqu'un. Mais ici, les choses étaient différentes. Ici, les Terres d'Argent drainaient leur vitalité. Leur magie. Ils étaient vulnérables, fragiles… Emrys ne comprenait pas l'attrait qu'avaient les autres démons de venir de leur plein gré. Et encore, l'immense majorité du flot qui continuait d'être vomie par les portails infernaux pendant quelques heures ne resteraient que jusqu'au solstice d'hiver, à la prochaine ouverture. Au-delà, il aurait été désespéré de rester. Les Terres étaient avides d'énergie, et Gallytrot n'était plus la seule menace quand venait la saison sombre. Les Terres étaient le royaume de toutes les exagérations, et certaines choses vivaient très mal l'hyperbole magique. Ces foutus pissenlits rouges, par exemple.

Emrys s'éveilla assez tard. Il le devina par rapport à la netteté de la lune visible en permanence, et du ciel uniformément gris alors qu'ils se parait de zones d'ombres pendant la nuit.

– Pourquoi m'as-tu laissé dormir aussi longtemps ?! râla-t-il. Nous n'avons pas de temps à perdre.

– De temps, non, concéda Lamia. Mais notre santé, si. Je te rappelle que tu n'es pas sorti depuis plusieurs siècles, tu n'es plus habitué à ça. Il faut y aller en douceur.

– Je t'en foutrais, de la douceur ! grogna le démon blanc, en rengainant son épée avant de se relever. Allez, on bouge.

Lamia pesta contre la mauvaise humeur de son compagnon, mais l'aida à raccrocher sa cape avant de repartir.

Après avoir escaladé la crête, ils eurent une belle vue sur la savane encore relativement préservée de la destruction démoniaque. Au-delà de la savane se trouvait une petite chaîne de collines, masquée par une brume argentée. Au-delà de cette brume se trouvait un immense lac, en aval duquel se déroulait la mangrove, territoire de tous les dangers.

Un mucus noir et épais comme du pétrole se mit à suinter des grand globes oculaires noirs de Lamia. La démone plissa les paupières, et annonça :

– Trois jours de marche jusqu'à la rive, s'il ne pleut pas. Un de plus pour contourner par l'ouest, deux et demi par l'est. Je ne vois pas la Faille, donc je suppose qu'il va falloir nous enfoncer.

– Nous y sommes dans une semaine, conclut Emrys.

Il n'était pas lâche. Simplement conscient de ses limites. Lamia, un peu moins, mais il y avait des choses avec lesquelles on ne tentait pas le sort.

– S'il ne pleut pas, répéta-t-elle, avant de s'essuyer les yeux de son bras écailleux.

– Et c'est moi, le pessimiste ? ricana Emrys.

– Blah blah blaaah !

Avec une compagnie aussi agréable, le voyage serait un parcours de santé !

Si seulement. Si seulement.

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Tout commença par un bon vieux présage. Emrys vit une silhouette dans le ciel, et croyant être suivi par un démon volant, l'abattit d'un jet d'épée. Cependant, la créature qui s'écrasa, bien que laide comme un pou, n'avait rien de démoniaque. C'était un animal inoffensif (un fait assez rare dans les Terres d'Argent), qui ressemblait au croisement entre un rat-taupe nu et un ptérodactyle à bec en cuillère.

– C'est un foutu piaf, observa inutilement Emrys.

– Ouais.

– On court ?

– Ouais.

La zone étant ravagée et dépourvue de vie, cet oiseau n'avait rien à faire ici… Et il n'y avait qu'une chose qu'il pouvait fuir, par ici.

Les deux démons se mirent à courir comme des dératés, en direction du plus gros baobab qu'ils purent trouver. Celui-ci avait un nœud à hauteur de taille, mais trop petit pour les accueillir tous les deux. Emrys entreprit de l'agrandir à coups d'épée.

Le ciel s'assombrit d'un coup, et une nuée d'oiseaux-rats les survolèrent, volant aussi vite que l'air sans vent pouvait les porter.

– Dépêche-toi ! le pressa Lamia dans un couinement.

– Je fais ce que je peux, ce foutu bois est dur !

Lamia le poussa violemment sur le côté, et hurla dans le trou. Le tronc du géant de bois se fissura autour. Au loin, un grondement sourd montait déjà.

– Allez, on y est presque, Emrys ! l'encouragea-t-elle.

Le démon blanc, encore un peu sonné par la puissance pourtant réduite du hurlement, reprit son travail de bûcheron de fortune. Il lui fallut encore quelques minutes, et le bruit était déjà assourdissant quand ils purent enfin se faufiler dans le tronc du baobab. Moins de deux minutes plus tard, l'orage les rejoignit. "Orage" était un abus de langage, ici. Il s'agissait plutôt de trombes d'eau bouillante projetée par une lance à incendie géante. Dans leur niche à un mètre du sol, les deux démons pouvaient sentir les vapeurs âcres et même quelques éclaboussures leur brûlant la peau.

L'orage dura à peine vingt minutes, mais il fallut dix fois plus de temps pour que le sol ait fini d'absorber l'eau brûlante et ait suffisamment séché pour être à nouveau praticable. Ce qu'il fallait tout de même faire avec prudence. Tomber dans une flaque de boue ardente n'était pas super agréable.

– "S'il ne pleut pas", répéta Emrys d'un ton cynique.

– Oh, ça va hein, je fais pas la pluie et le beau temps ! Et pis au moins, tu ne pourras pas dire que je ne t'ai pas prévenu !

– Alors quoi, je dois te remercier ?

– Oh, la ferme ! C'est toi qui es pressé, non ? Alors on bouge ! éclata la démone noire.

– Attends…

Emrys revint en arrière. À moitié enseveli sous la boue, il retrouva le cadavre de l'oiseau, qui avait bouilli. Il planta ses mains dans l'entaille faite par son épée, et l'écorcha avec force. À l'intérieur, la viande était bien cuite, et encore chaude.

– Le déjeuner est servi ! s'écria-t-il.

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Eh voilà pour cette première partie, j'espère qu'elle vous a donné envie de lire la suite, qui arrive rapidement !

(PS : comme vous l'aurez peut-être deviné, l'image de cette fic est un portrait d'Emrys)