Blabla inutile : Haikyuu et moi, c'est définitivement une grande histoire d'amour... je ne m'arrête plus !

Un petit OS écrit pour l'anniversaire d'une grande amie.

Le titre vient du poème "Notes en marge" de Françoise Hàn.

Bonne lecture.


Le lavabo semble le toiser du regard.

Une nuit blanche à nouveau et son cœur tremble. Ses mains s'agitent au-dessus de la porcelaine blanche alors que des éclairs peuplent le ciel, dehors, et que la pluie s'écrase en longs filets d'argent sur l'asphalte détrempée.

Tobio trace les cernes violettes qui creusent des sillons amers sous ses yeux sombres, mais il n'y a qu'une chose qui retient son attention : ses doigts maquillent en un instant sa peau laiteuse de traits écarlates et zigzagants.

Les filets de chair frissonnent et s'agitent lorsqu'il se rend compte de quoi il en retourne ; ses poings se contractent et le sang perle encore davantage, semblable au crépuscule coulant le long des toits, le soir, quand il rentre de l'entrainement. Etourdi, il se laisse aller contre le carrelage froid, observe le reflet flou des étoiles dans l'eau froide qui jonche le sol, à l'extérieur, et toutes ses illusions lui reviennent à l'ombre des feuilles de sa mémoire : ne fait-il donc que retomber, éternellement, à chaque effort l'ayant fait progresser vers l'avant ?

Tobio lâche un soupir sourd ; un dernier frisson, une dernière goutte qui roule sur toute la longueur de son poignet, et enfin, l'âme éprise d'un sentiment exécrable de vide, finit-il par saisir les compresses et autres bandages pour cacher l'entreprise dans laquelle il se déconstruit petit à petit, méthodiquement, à grands pas, dans la vacuité la plus totale.

Au loin, le ciel tourne mal et laisse derrière lui une trainée de nuages au bout desquels poignent des rivières d'étoiles éclatées.


Hinata l'observe avec ses yeux étouffants, trop larges, trop globuleux, et il a envie de hurler et de mordre lorsqu'autant d'attention se pose sur lui.

Dans la fraicheur délicate du matin, Tobio tire sur son uniforme, cache ses mains, garde la tête haute et ses yeux sont rivés sur l'horizon, au loin, où s'étirent les montagnes saupoudrées d'une blancheur lactescente.

Le jeune homme qui marche à ses côtés parsème la conversation de mots et de questions qui s'ajoutent à sa frustration déjà trop grande, trop imposante, et à cette colère trop intense qu'il n'a toujours pas appris à gérer.

Ses poings se tordent ; aucune réponse calme ne veut tomber de ses lèvres et seule une tension aux bords émoussés se dessine contre ses dents, sur la paroi de sa langue ; un seul mot sort de sa bouche avant qu'il ne s'éloigne, honteux d'avoir encore abandonné, à ses pieds, la violence échancrée et acariâtre qui ronge son estomac.

"Rien !" résonne et tape contre ses tympans avec la force de mille soleils brûlants, accompagné par le regard surpris, blessé, perdu d'Hinata.

Tobio ferme les yeux et respire l'air froid qui se dépose dans ses poumons. Sa gorge est incandescente, embrasée par ces multiples émotions qu'il ne sait partager, ces blessures qu'il ne sait pas épeler.


Son vertige a la couleur de ces soirs d'été où l'éther se drape dans ses robes de rose et de cinabre, de pourpre et d'or. Il aimerait calmer ces nausées qui menacent son équilibre, ce sentiment profond d'abandon qui lui a fait ériger mille barrières et carapaces pour se protéger des autres, cette sensation de ne jamais être assez bien, assez talentueux, assez humain.

Sugarawa glisse une main sur son épaule, serre lentement, et le contact disparaît aussi vite qu'il est arrivé, mais une partie de Tobio se sent plus sereine, moins dispersée, car quelqu'un sait, quelqu'un a compris, quelqu'un a remarqué qu'il pousse la perfection trop loin, bien trop loin, au point d'en saigner.


De nombreux bleus tachent son dos, constellations étalées sur la peau délavée qui les accueille ; le vert et le jaune se mêlent aux éclats bleus et rouges qui lèchent l'épiderme avec vivacité et précision.

Hinata n'arrive pas à détacher ses yeux de la vision pleine de grâce qui se décline devant lui ; sans s'en apercevoir, ses doigts s'aventurent le long des étincelles tatouées dans la peau de Tobio.

La réaction ne se fait pas attendre et son index ainsi que son majeur sont éjectés, leur pression sur la chair froide envolée, dissipée en particules d'argent dans l'air ambiant.

Paralysé d'angoisse, Hinata sent sa poitrine se serrer ; il ferme les paupières, prend une grande inspiration—

Rien ne se passe.

Kageyama le toise de ses yeux foncés et imposants, mais il n'y a pas de colère dans ces derniers, rien de violent comme Hinata s'y attendait.

Il n'y a que la nuit, la fatigue et la lassitude qui éclosent dans l'iris tremblante qui l'inspecte ; que des étoiles éteintes qui ne demandent qu'à être rallumées.


L'entrainement passe dans un enchainement flou de passes, de directives lancées par Daichi et de roulades abracadabrantes mises en place par Noya afin de détendre l'atmosphère. Suga esquisse de nombreux sourires et reste près de Daichi, sa main toujours au creux de ses reins, mais Tobio n'est pas dupe : il sait que le pilier du groupe garde un œil très attentif sur lui.

Sous ses bandages, le sang s'engorge et s'agrippe, s'accroche, enveloppe la peau d'une pellicule rouge ; le ballon frotte contre la chair pourtant parée à l'agression et il serre les dents plus d'une fois, le cœur battant à tout rompre contre sa poitrine. Pas question de laisser tomber ou de se plaindre : il doit travailler, encore et encore, toujours plus dur, toujours plus longtemps—

La main de Suga harponne son poignet, arrêtant brusquement le jeune homme aux cheveux obscurs dans son mouvement et le sortant hors de sa rêverie.

— Non.

Kageyama déglutit difficilement.

— Je sais ce que je fais—

— Kageyama, murmure Suga d'une voix calme, sa main toujours autour de son poignet.

Il n'ajoute rien, plonge simplement son regard ambré dans celui de Tobio avant de relâcher son bras prisonnier.

Sugarawa sait et il se sent désemparé.


Le sang s'est oxydé le long de ses doigts fins comme un maillage de laine autour de ses membres gangrénés ; il a si mal joué, aujourd'hui, qu'il se sent pris dans un étau de maladresse et son cœur gèle à ciel ouvert au point qu'il en tremble.

La peau se fendille de plus en plus sous son regard désemparé et le sang menace de revenir alors que les traces incrustées ne sont même pas encore complètement parties.

Il se change rapidement, imperméables aux petits mots d'encouragement de ses camarades qui lui lancent des regards inquiets, et il se met en route sans même attendre la présence familière qui fait d'habitude le chemin avec lui.


La nuit lui tend ses bras frigorifiés et Tobio se tend volontiers vers elle, vers ce chemin qu'il connaît si bien et qu'il ne souhaitait pourtant plus emprunter ; mais force est de constater qu'il est voué à retrouver l'ombre vaporeuse des ténèbres, emmitouflé dans un manteau d'anxiété et panique vis-à-vis des autres, vis-à-vis de sa réussite plus qu'hasardeuse.

Alors que ses pas lui guident lentement à travers l'amertume de sa journée, le souffle ébréché d'Hinata se fait entendre derrière lui, raclant contre sa gorge, mourant au fond de ses poumons affaiblis d'espoir et percutés par le temps.

Tobio ne sait pas très bien s'il mérite un tel investissement, autant de temps perdu pour le faire remonter sur une pente plus lumineuse, moins douloureuse, où la souffrance n'est pas de mise ; il refuse de se retourner et de se confronter à celui qui apaise les tensions infiltrées dans ses épaules, le froid glacial habitant sa colonne vertébrale.

Hinata glisse alors sa main dans la sienne et la chaleur l'inonde tel une marrée de lave soyeuse et épaisse ; ses pansements sont râpeux contre la peau durcie par des années d'entrainement et il se laisse aller contre cet être qui l'a accroché à lui et qui ne l'autorise plus à dériver dans les courants les plus terribles de ces mers trop longtemps fréquentées par amour de la cendre.

Les astres éclatent dans l'éther, lentement, et illuminent de leur incandescence ces lèvres qui se trouvent enfin ; ces âmes qui se guérissent mutuellement, enfin, dans l'ombre de la nuit.