Time to Come Home
Echo savourait un instant de répit, assise sur un rocher elle contemplait la vue incroyable que lui offrait son poste au sommet de la montagne. Clarke avait menée l'unité de la mort jusqu'à un lieu nommé Mile-High car son altitude officielle exacte est d'un mile au-dessus du niveau de la mer. La montagne était située dans le centre-ouest du continent, dans la vallée de la rivière South Platte sur le flanc ouest des Grandes Plaines, à moins d'une trentaine de kilomètres à l'est du Front Range, la chaîne de montagnes orientale des montagnes Rocheuses. Tout ce qu'Echo savait de cet endroit, elle le tenait de Seth qui lui-même tenait tout cela de son grand-père, un puit de connaissance et de sagesse apparemment sans fond.
De sa position exacte, Echo se perdait dans l'admiration des reflets du soleil sur le dôme d'or d'un immense bâtiment blanc majestueux qui s'avérait être l'une des rares constructions de l'endroit encore en assez bon état. Un nuage passa devant le l'astre du jour, le ciel s'assombrit et l'or rutilant devint un vulgaire dôme jaune sombre sans attrait. Echo ferma les yeux, elle avait, non… ils avaient, une mission. Celle qui avait poussé Clarke jusqu'ici. Echo, fit jouer ses muscles endoloris sous son armure légère aux couleurs à la fois sombre et criarde elle prit son masque entre ses mains, le regarda intensément dans les "yeux". Seuls Elyas, Hilary et Clarke portait encore le rouge sang comme un signe manifeste de nostalgie quand les autres avaient unanimement décidé d'adopter le orange.
Issue des contrées froides, la jeune femme ne frissonna même pas en descendant au coucher du soleil, elle alla sans se presser rejoindre ses frères et sœurs d'armes à leur petit campement de fortune. Elle les trouva tous les six autour des cendres d'un feu de camp. Seth la remarqua en premier, il lui adressa un sourire timide, rien en comparaison du sourire radieux de Robbie qui se leva et l'accueillit en plaisantant comme à son habitude. Le beau jeune homme jovial lui passa le bras autour des épaules. Echo n'appréciait pas tellement qu'il fasse ça. Non pas que ce fut désagréable, bien au contraire elle aimait particulièrement ce grand ami fidèle, mais à chaque fois lors de ce genre d'effusion Echo percevait les regards noirs et réprobateurs de Roan et de Clarke. Ce n'étaient que des suppositions, des déductions, mais la jeune femme était persuadée – et ce depuis plusieurs semaines- que la blonde aimait Robbie et que Roan l'aimait elle.
Echo se libéra de l'étreinte – fraternelle assurément – et se tint droite face à sa chef, tâchant de ne pas s'attarder plus que nécessaire sur l'œil droit de la blonde. Mais en dépit des efforts qu'elle faisait, son regard était attiré par les cicatrices ocre, la peau brûlée et fripée autour de ses yeux contrastant de manière significative avec la douceur de sa peau claire. Roan se racla la gorge, elle secoua la tête et une fois les idées remises en place elle fit son rapport à Clarke.
« Je n'ai rien trouvé qui ressemble à ce que tu nous as décrit. Soit il ne reste que le grand bâtiment blanc au dôme doré, soit ce que nous cherchons se trouve quelque part sous terre.
_ Ça se tient, enchaîna Hilary. Avant l'holocauste nucléaire beaucoup ont ordonnés la fabrication de bunker sous-terrain pour se mettre à l'abri. Ils étaient effrayés par les menaces régulières des deux super puissances mondiales.
_ Merci pour le cours d'histoire, madame !
_ Je t'en prie, Robbie, répliqua Hilary avec acidité.
_ Pourrions-nous avoir votre avis sur la question, les interrompit Seth. Que prévoyez-vous, Wanheda ?
_ Ce bâtiment, répondit l'intéressée en s'adressant à Echo, t'a-t-il semblé important ?
_ Oui, confirma-t-elle. On aurait dit un monument qui servait de centre à la vie politique et à tous les évènements marquants de l'histoire du continent.
_ Alors, ce n'est pas là qu'on le trouvera, conclut Clarke.
_ Dans ce cas, embraya Roan, par où nous faut-il commencer les recherches ?
_ Par ce monument, bien évidemment.
_ Tu viens de dire… s'étonna Robbie en fronçant les sourcils.
_ J'ai dit que nous ne trouverons pas ce que nous cherchons là-bas, pas que rien de vital n'y a été placé.
_ À ce propos, s'interposa Elyas, je sais que Clarke nous l'a expliqué une dizaine de fois mais je ne suis toujours pas sûr d'avoir saisi l'intérêt de trouver ce truc.
_ Plutôt comme une centaine de fois selon moi, affirma la commandante blonde.
_ Exact, railla l'autre, excuse mon imprécision chronique. Et pour le machin ? Tu comptes répondre un jour ?
_ Non, j'en ai marre.
_ Ce machin, la coupa Roan, est le legs précieux d'un génie du passé qui nous permettra de neutraliser toutes les armes que ceux de la cité de lumière envisageront d'employer contre nous.
_ C'est bien joli tout cela, mais il reste toujours une interrogation. De quoi s'agit-il ? Est-ce que quelqu'un le sait-il seulement ?
_ Clarke, proposa Robbie.
_ Navré de te décevoir, dit cette dernière, mais je ne sais que son utilité et son apparence, j'ignore tout de son fonctionnement. Par contre, je me souviens que Sebastian l'a appelé un accélérateur de particule à champ quantique.
_ J'ai compris, plaisanta Elyas, j'arrête de poser des questions. »
Jasper était nerveux, il tripotait depuis une bonne dizaine de minute le badge de chancelier épinglé à sa veste. Phoebe lui donna une tape sur la main pour qu'il arrête, en levant les yeux vers elle, Jasper vit qu'elle lui souriait. Cependant ses yeux révélaient son inquiétude, la décision d'unir officiellement les cent survivants sous un unique drapeau, un unique peuple avait été prise trois jours plutôt. Jusqu'à ce moment Jasper s'était attelé à la rédaction d'un manifeste que chacun devrait signer, marquant ainsi son appartenance au peuple et assurant qu'il suivrait les quelques règles principales dictées. Ce n'est pas peu dire que d'affirmer qu'il avait connu des incertitudes et commis des erreurs, fort heureusement il avait pu compter sur le soutient et les conseils d'Abigail, de Phoebe, et de Wick – qui semblait s'impliquer de plus en plus à mesure que Bellamy s'éloignait des postes importants.
Aujourd'hui, c'était le grand jour, le jour J. La proposition finie allait être présentée aux survivants de la guerre. La question était de savoir s'ils accepteraient de prendre le virage que leur offraient leurs leaders. Le virage consistait à instaurer un régime dans lequel des représentants sont tirés au sort ou élus par les citoyens, pour un mandat non-impératif à durée limitée, durant lesquels ils ne sont généralement pas révocables par les citoyens. Selon Abby on avait coutume d'appeler ce genre de situation politique une démocratie représentative.
Il était temps à présent pour Jasper d'exposer sa proposition au grand public. Il inspira une grande goulée d'air et marcha d'un pas aussi rapide que les battements de son cœur. Il sauta sur l'estrade de métal et s'adressa à tous en forçant sur sa voix.
« Compagnons, commença-t-il. Si je me tiens ici devant vous, sous ce temps clément ce n'est pas pour vous entretenir de la survie ou de la meilleure façon de gérer son deuil. J'ai personnellement assez mal digéré la perte d'une personne qui m'était chère, par conséquent je ne suis loin d'être un modèle convenable à ce sujet. Mais je m'égare. Si je prends la parole en cet instant c'est pour vous exposer un projet qui m'ait venu. Certains diront que c'est de la folie, pure utopie ou naïveté. Auront-ils raison ? Auront-ils torts ? Je l'ignore et à dire vrai cela n'a pas d'importance. »
Ses paroles furent accueillit par des applaudissements et des sourires amusés.
« Je rêve de droits et de devoirs qui seront les mêmes pour tous, des règles simples et évidentes pour que nous puissions tous vivre en harmonie. Comme un seul clan, un seul peuple. Quels qu'est pu être nos différents par le passé, nous ne sommes aujourd'hui pas plus d'une centaine sur le continent. Il est vital que nous nous entraidions, que nous apprenions à nous apprécier, à nous aimer les uns les autres, il nous faut vivre en communauté si nous voulons faire perdurer l'espèce humaine. La division ne mènera qu'à l'extension de clans, de peuples et à la perte terrible que serait la disparition d'une culture dans son entièreté. L'unité est nécessaire, c'est à la fois un droit et un devoir. »
Une nouvelle fois, les paroles de Jasper provoquèrent un mouvement qui se propagea dans toute l'assistance. Les mots d'unité furent étouffés par les cris d'approbations de la foule. Ce qu'il entendit et vit plus à Jasper, il se sentait suffisamment en confiance pour exposer les points fondamentaux de sa démocratie.
« Droits des habitants du Camp Jaha, reprit-il. Tous les habitants seront à leur naissance des êtres libres et égaux. Tous les habitants ont les mêmes droits et les mêmes libertés, il n'y aura aucune distinction fondée sur le clan d'origine, la couleur, la physionomie et les croyances d'un ou de plusieurs habitants. Tout résident du Camp Jaha a droit à la liberté et à la sûreté de sa personne. L'esclavage et la torture sont formellement interdits. »
En prononçant cette dernière phrase, les yeux de Jasper tombèrent sur un groupe de survivants du clan des Steppes connus pour pratiquer avidement les deux crimes dont il venait d'être question.
« Aucun habitant ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. Le gouvernement de l'arche a fait trop de fois cette erreur par le passé, et nous ne voulons pas que cela se reproduise. Un habitant du camp est présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas été juridiquement établie au cours d'un procès juste.
» Devoirs du gouvernement du Camp Jaha : il y aura des élections libres et équitables qui devront être fixées dans le temps. Le gouvernement devra s'assurer que les droits des citoyens soient respectés. Un système de justice impartial et égal devra être mis en fonction, de même, le gouvernement devra œuvrer pour le bien de ses citoyens sans jamais faire passer ses propres intérêts avant ceux des habitants qu'il représente. Et enfin, dernier point pour l'instant, promis après j'arrête de vous embêter, le gouvernement du Camp Jaha fournira à tous ses citoyens les moyens de s'éduquer et de travailler afin de faciliter l'épanouissement de tous. »
Les applaudissements qui retentirent alors, répondirent unanimement oui au referendum implicite que Jasper Jordan, leader du Camp Jaha venait de leur exposer. La main sur le cœur, s'inclinant, il les remercia tous avec fougue pour la confiance qu'ils lui portaient et pour le bon sens dont ils venaient de faire preuve en acceptant d'emprunter la voie de la paix et de l'égalité.
« Une dernière chose, interpella quelqu'un dans la foule.
_ Oui ? Qui êtes-vous ?
_ Charles Pike, j'enseignais sur l'arche dans le temps.
_ Je me souviens de toi, Pike. Que souhaites-tu nous dire ?
_ Ce camp – notre maison – a été nommé d'après notre ancien chancelier. Un homme qui nous a quitté, abandonné et qui appartient plus au passé qu'au présent. Il n'a pas à avoir une si haute place dans les fondations de notre avenir.
_ Il y a du vrai dans ce que tu dis, reconnu Phoebe en sauvant Jasper. Que proposes-tu donc que nous fassions ?
_ Changer le nom du camp, qui est devenu d'avantage un village voire une petite ville qu'un camp. Il fut réduit en cendre par la guerre du Comte, et maintenant des restes de cet ancien camp Jaha nous allons bâtir un nouveau foyer, un endroit que nous pourrons appeler avec fierté notre "chez nous". Avec un nom qui incarnera cette fierté. Nous avons trop longtemps erré sur cette planète hostile. Il est temps de rentrer à la maison. »
Robbie arriva le premier aux pieds des escaliers du capitole de marbre blanc, à mi-chemin les escaliers laissaient place à un palier au milieu du quel trônait une statue de soldat. Robbie monta les marches quatre à quatre jusqu'à ce palier. Sur le socle de pierre, il lut les mots "Érigée par l'état du Colorado" gravés. Il n'avait absolument aucune idée de ce qu'était l'état du Colorado, hormis la certitude qu'il s'y trouvait actuellement. Un coup par-dessus son épaule lui apprit que Clarke et les autres étaient juste derrière. La blonde s'avançait vers lui pour observer à son tour les inscriptions sur le socle.
« Déjà entendu parler de l'état du Colorado ? s'enquit Robbie.
_ Non. On continue.
_ Sérieusement ? Qu'est-ce qui t'arrive ? »
Mais la jeune femme ne prit pas la peine de répondre et entreprit de gagner la porte. Robbie trottina derrière elle pour la rattraper, il saisit son bras juste avant qu'elle ait pu pousser le battant écaillé.
« Hé !
_ Quoi ? s'écria Clarke.
_ Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis le peuple Kaw tu ne dis presque rien.
_ Tu as toujours été celui qui parlait le plus de nous deux.
_ Ne change pas de sujet, Clarke. C'est à propos de ce qu'a dit le chef, c'est ça ?
_ Est-ce qu'il y a un problème, voulu savoir Echo, pourquoi est-ce que vous n'avancez plus ?
_ Rien, répondit Clarke. On continue.
_ Nous vous attendions, tenta Robbie.
_ Mais bien sûr, plaisanta Elyas, ça ne peut être que ça. »
Clarke poussa la porte et entra, Robbie sur ses talons. L'intérieur du bâtiment était constitué de beaucoup de marbre rose. Du marbre blanc semblable à celui de l'extérieur était également utilisé pour de plus petits éléments. Robbie apprécia toute particulièrement les fenêtres faites de vitraux qui dépeignaient ce qui devaient être des personnalités ou des évènements de l'histoire de cet "état du Colorado". Robbie remarqua également une importante quantité de dorure et de feuille d'or un peu partout dans le bâtiment : les fenêtres, les rampes des escaliers, les coins des dalles au sol, les lustres, chaque meuble en état, même la corde des rideaux.
« Les documents importants doivent être dans les bureaux à l'étages, assura Clarke.
_ Que cherchons-nous ? demanda Roan.
_ Plan, informations, codes, tout ce qui peut nous mener au bidouilleur de particules. »
Robbie lança un regard fugace à Clarke en espérant que la blonde trouve sa plaisanterie amusante. Il eut beau guetter, il ne vit pas l'ombre d'un demi-sourire sur son jolie visage. Leur chef se concentrait sur ce qui pouvait l'amener près de ce qu'elle cherchait. Arrivé à l'étage, ils furent obligés de constater qu'il y avait bien trop de bureaux. Ils durent se séparer pour les fouiller tous le plus rapidement possible, ce qui n'incluait pas la précipitation. Robbie n'hésita pas une seconde avant de suivre Clarke dans des multiples bureaux. Si la blonde y prit garde, elle ne fit aucun commentaire.
Robbie et elle entreprirent de vider chaque tiroir, de lire chaque feuille recto-verso, de soulever chaque cendrier, chaque lampe aux ampoules brisées, vérifier chaque murs, chaque fond à la recherche d'une cache dissimulée quelque part. En entrant plusieurs dizaines de minutes plutôt, ils avaient trouvés un office bien rangé et entretenu quoi que recouvert d'une épaisse couche de poussière et de plâtre tombé du plafond. Mais à présent, la pièce ressemblait d'avantage à un chantier, si d'aventure quelqu'un venait à entrer de le bureau à cet instant il aurait pu croire au passage d'une bête qui aurait tout ravagé de ses coups de pattes impatients et de sa queue battant avec l'excitation.
En fouillant la bibliothèque, Robbie tomba sur un ouvrage – ou plutôt, un ouvrage lui tomba dessus. Il se baissa pour le ramasser d'une main tout en se massant le crâne de l'autre. La couverture indiquait qu'il s'agissait d'un dictionnaire de l'année 2014. Robbie l'ouvrit au hasard, il parcourut les deux pages du regard et s'arrêta sur le mot chercher. Il lut ce qui suivait :
« Se déplacer, parcourir un lieu, faire des efforts pour trouver ou retrouver quelque chose ou quelqu'un qui se trouve à un endroit inconnu ou oublié : Chercher une facture égarée. Fouiller un lieu : Cherche dans tes poches. Faire des efforts pour obtenir un renseignement : Chercher le sens d'un mot dans un dictionnaire. Essayer de découvrir, de trouver la chose ou la personne dont on a besoin et qui conviendrait : Chercher une secrétaire, chercher du travail. Faire des efforts intellectuels pour se souvenir de quelque chose : Chercher le nom d'un vieil ami. Réfléchir pour essayer de découvrir quelque chose par l'esprit, d'en avoir l'idée, la connaissance : Chercher la solution d'un problème. Réfléchir, faire appel à sa mémoire : Cherche encore, tu trouveras. Mettre tout en œuvre pour se trouver dans telle ou telle situation : Il ne cherche que son avantage dans cette affaire. Chercher la bagarre. »
« Exactement ce que tu t'abstiens de faire »
Robbie sursauta, il n'avait pas remarqué que Clarke lisait par-dessus son épaule, il eut peur de l'avoir agacé. Aussi referma-t-il l'ouvrage en lui adressant un sourire d'excuses peu sincères.
« La guérisseuse.
_ Pardon ? s'exclama Robbie, de quoi tu parles ?
_ Ce n'est pas ce qu'a dit le chef qui me perturbe mais ce qu'a dit la guérisseuse.
_ Tu es toujours malade, c'est ça, devina-t-il.
_ Jusqu'à ce que j'en meurs, oui. Et ça ne va pas tarder.
_ Navré de te décevoir, mais je n'avais pas prévu de te laisser crever tout de suite.
_ Ne fais pas le malin, Robbie. Ni toi ni moi n'avons voix au chapitre.
_ Vraiment ? Comme si j'aillais laisser mourir la femme que j'aime sans protester !
_ Rob…
_ Je suis amoureux de toi, Clarke et rien de ce que tu diras ne m'empêchera de tenter de te sauver. Mais si c'est de toi-même. »
Robbie se tut aussitôt lorsqu'il se rendit compte qu'il venait de révéler ses sentiments sans prendre de gants. Il avait tout déballé juste comme ça et de la manière la plus ridicule et cliché qui soit. "La sauver d'elle-même", non mais. Il avait vu jouer ça où, bon sang ! Il l'avait dit, il s'était dévoiler. Maintenant, il restait muet, attendant la réaction de Clarke. Robbie aurait pu dire quelque chose pour dissiper la gêne, affirmer que les mots lui avaient échappés sans qu'il ne les penses ou changer de sujet comme de rien ne s'était passé en priant pour que la blonde fasse de même. A cet instant, il était juste incapable de trouver quoi dire. La réponse de Clarke le scotcha encore d'avantage.
« Tu ne devrais pas, l'amour est une faiblesse. »
Raven rêvait qu'elle marchait paisiblement en forêt en tenant Finn par la main, elle imagina qu'ils faisaient la course. Et elle courait en y mettant toute son énergie et tout son cœur. Un frisson d'excitation parcouru son corps, une décharge électrique qui la poussa à accélérer l'allure. Au fur et à mesure qu'elle avançait, Raven prit de la vitesse, tout lui vint naturellement, ses pieds se posèrent d'eux même entre les racines, évitant les obstacles et les crocs-en jambes tendu par les arbres. A présent, elle bondissait presque, tant ses foulées s'allongèrent, sous ses pieds le sol défilait à toute vitesse, le décor bougeait si vite que ses yeux ne suivaient pas tout. Courir était devenu comme un besoin vital chez elle.
Raven jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, Finn ne courait plus. En fait il ne marchait même plus, il s'était arrêté, le sang coulait d'une plaie béante sur son ventre. Elle croisa son regard vide, une montée de panique la paralysa, elle ressenti la présence d'un homme dans son dos. Un frisson glacé lui parcouru la nuque, ses doigts tremblants se refermèrent sur la crosse d'une arme apparut soudainement. La gorge nouée, elle fit volte-face et tira à bout portant.
« Pourquoi ? Raven…
_ Kyle… Oh mon dieu, Kyle !
_ Pourquoi me repousses-tu comme ça, Raven ?
_ Je suis désolé, je…
_ Je ne cherchais qu'à t'aider, tu sais.
_ Kyle, j'avais mal ! s'écria Raven en larme. Tellement mal, tu n'as pas idée.
_ Alors tu rejettes les seules personnes qui peuvent te faire aller mieux ? »
Raven se réveilla en sursaut, ses vêtements étaient trempés de sueur et ses yeux mouillés de larmes. Assise sur sa couche, elle dissimula son visage du mieux qu'elle put dans sa main et pleura toute les larmes de son corps. Les épaules secouées de violents sanglots, Raven mit plusieurs minutes avant de se ressaisir, elle lâcha un soupir profondément triste et tendit le bras. Elle attrapa le bras de son fauteuil roulant et le tira à elle. En prenant appui sur ses coudes, elle souleva le tas de chair qui lui servait de corps et s'affala sur le fauteuil. La douleur n'était presque plus présente grâce à la quantité de morphine et de calmants que Raven prenait quotidiennement, pourtant la souffrance lui donnait le tournis et la nausée à chaque fois qu'il fallait passer du lit à son fauteuil et inversement.
On lui avait répété à de multiples occasions que ce qui restait de douleur était psychologique et qu'il était inutile de continuer à s'abrutir et endormir ses sens. Raven ne voulait rien entendre. Tout ce qu'elle ne pouvait être que physique. Une mécanicienne terre à terre telle qu'elle ne pouvait pas souffrir juste dans sa tête, si elle ressentait quelque chose c'est que cette chose était réelle.
Le regard de Raven tomba sur les plans posés religieusement sur la petite table métallique qui lui servait de bureau personnel. La mécanicienne observa avec mélancolie, les schémas des prothèses qui devaient remplacer les membres qui lui manquaient. Mais suite à sa dispute avec Kyle, le projet avait été enterré et plus aucun des deux ne s'était remis au travail. En dépit de la douleur fantôme et du fait que Raven ressentait durement chaque jour la perte d'une jambe et d'un bras, elle se refusait à y plancher. Et ce parce qu'elle savait parfaitement qu'ainsi elle serait de nouveau opérationnelle et utile. La mécanicienne ne voulait plus être utile, elle ne voulait pas aider, plus maintenant. La seule chose que Raven désirait plus que tout - même plus que de retrouver ses membres perdus ou revenir en arrière, sur l'arche – c'était qu'on la laisse en paix. Qu'on la laisse s'allonger sur un couffin, fermer les yeux et ne se réveiller que dans le futur.
Raven fit rouler son fauteuil dans les couloirs du fantôme de l'Arche, le fantôme de son passé auquel elle ne pouvait pas échapper. Puisqu'il n'y avait aucun endroit ici où son expertise était requise, elle préféra sortir prendre l'air. Sentir le vent souffler dans ses cheveux, le soleil réchauffer les larmes invisibles et glaciales coulant sur ses joues. Elle alla poser ses roues près la grille délimitant le Camp Jaha. Enfin, juste le camp puisque apparemment on ne l'appelait plus comme ça. Elle appuya sur front sur le grillage et contempla la nature qui se reconstruisait lentement mais sûrement, elle allait sans doute être encore plus belle qu'avant. Dommage que Raven ne soit un peu semblable à la nature.
« Je peux me joindre à toi ?
_ À quoi tu veux te joindre, Monty ? Je ne fais rien.
_ Ça tombe bien je mourrais d'envie de ne rien faire. »
Chaque jour depuis la fin de la guerre, Raven n'était pas du tout d'humeur à rire et ce jour était comme tous les autres. Pourtant, Monty parvint presque à lui arracher un demi-sourire – presque étant le mot clé. Son ami s'adossa contre le grillage à un mètre d'elle, Raven apprécia ce respect de son espace personnel. Monty et la mécanicienne étaient dans le même camp, ils ne se détestaient pas mais on ne pouvait pas dire non plus qu'ils étaient amis.
« Tu sais, reprit Monty avec légèreté, je penses que Clarke a fait le bon choix.
_ Une fois n'est pas coutume, siffla Raven.
_ Je veux dire, partir. C'était peut-être mieux pour nous qui sommes là depuis le tout début. Juste partir, changer d'air et découvrir d'autres personnes. Le premier pas qu'elle a fait c'était vers la paix avec les Terriens. Et elle a trouvé quelqu'un à aimer. Après Mount Weather, elle est partie fragile et souffrante et elle nous ait revenue forte et déterminée.
_ Je ne te suis pas, répondit Raven avec intérêt cette fois.
_ Je repense à un poème qu'on nous avait appris en classe, sur l'arche. The road not Taken, de Robert Frost.
Deux routes divergeaient dans un bois jaune
Et désolé de ne pas pouvoir prendre les deux
Et n'étant qu'un seul voyageur, je suis resté longtemps
À regarder l'une des deux aussi loin que je le pouvais
Jusqu'au point où son virage se perdait dans les broussailles
Alors j'ai pris l'autre, tout aussi séduisante
Et peut-être encore plus justifiée
Parce qu'herbeuse et manquant quelque peu d'usure
Bien que franchement, les passages,
Les aient usées à peu près de façon identique
Et toutes les deux se reposaient, ce matin-là,
Sous des feuilles qu'aucun pied n'avait noircies
Ah ! J'ai gardé la première pour un autre jour !
Sachant pourtant comment un chemin nous mène à l'autre
Je doutais que jamais j'y revienne à nouveau
Un jour je me retrouverai à raconter avec un soupir
Quelque part dans un lointain avenir que
Deux routes divergeaient dans un bois, et moi,
J'ai pris celle par laquelle on voyage le moins souvent,
Et c'est cela qui a tout changé.
_ Magnifique…
_ N'est-ce pas ? Je vais emprunter la route inexplorée.
_ Pourquoi ?
_ Parce que l'avenir est entre nos mains, et qu'il est à réinventer. Tu sais, il suffit de regarder une personne pendant à peine cinq minutes par jour et déjà on peut déceler trois ou quatre habitudes quotidiennes. Nous refaisons les même choses de jour en jour, mois après mois, année après année parce que quelqu'un avait fait ce choix une fois et déclaré que c'était un bon choix. Nous avons besoin de voir plus loin, plus grand, il faut changer de point vue dès que le nôtre devient trop usé, trop ancien. Parfois il faut savoir marcher en dehors des sentiers battus et tant pis si le chemin ne mène nulle part. Il faut accepter de se perdre, d'errer à des années-lumière de leur objectif premier, de s'aventurer et toujours ils sont sorti de l'autre côté du bois, grandis en sagesse et en idées. Le progrès et l'avancement vont de pair avec l'exploration.
_ Combien de temps faudrait-il partir ? Jusqu'où devrions-nous nous perdre ?
_ Jusqu'à ce qu'une voix un beau matin nous fasse comprendre qu'il est temps de rentrer à la maison. Peu importe si nous sommes partis trois mois ou cinq ans. »
Clarke reposa la feuille qu'elle tenait, elle dissimula les tremblements qui agitèrent quelque peu sa main. En relevant la tête, elle croisa le regard interrogateur et inquiet de Robbie. La blonde soupira et lui dit simplement :
« Il est temps de rentrer à la maison. »
