Salutation tout le monde!
Oui, je sais, j'ai plein de fictions pas terminérd et je vous envoie déjà une autre. Mais celui-ci est un "one-shot" que j'ai dû découper en deux parties à cause de sa taille.
Mais avant cela, je tenais à remercier les gens qui ont souvent lu et commenté mes fictions (Je sais, c'est un peu tard... Mais mieux vaut tard que jamais ;)) Sans vouloir faire de trop grandes promesses, je tenterai tout de même de terminer mes autres fictions en cours. Enfin, pour me faire pardonner, j'ai écrit cette histoire.
En espérant qu'elle vous plaise, je vous souhaite une bonne lecture!
La Colombe Grise
Les portes vitrées glissèrent sur le côté afin de libérer le passage. D'un pas décidé, une jeune femme entra dans l'immense building de la SEARS. L'endroit était déjà bien animé malgré l'heure avancée de la matinée. Des individus en blouse blanche et d'autres en costumes noirs se mélangeaient dans la foule qui avait tendance à ressembler à une fourmilière. Sur les côtés, les vigiles portaient tous leur uniforme bleu et scrutaient attentivement chaque personne qui passait.
Lentement, l'arrivante se dirigea vers la réception. Mais avant cela, la jeune femme devait d'abord passer devant un contrôle de sécurité. Comme dans un aéroport, elle dut déposer ses effets personnels dans un petit caisson ainsi que tout autre objet métallique. Puis, alors que ses affaires allaient passer sous les scanners, elle traversa les détecteurs de métaux.
Un agent lui demanda d'écarter les bras et légèrement les jambes afin de la fouiller. Une fois qu'il avait constaté que l'étrangère ne portait pas d'arme sur elle, il la laissa gentiment récupérer ses affaires. Toutes ces procédures avaient tendance à agacer la jeune femme, mais elle ne fit aucune remarque. Après tout, ce bâtiment n'était pas n'importe lequel. La SEARS était un grand centre de recherche qui s'élargissait dans tous les domaines. C'était même l'une des plus grandes firmes mondiales.
Arrivée devant la réceptionniste, cette dernière leva à peine la tête et demanda machinalement :
- Bonjour et bienvenue à la SEARS. Que puis-je faire pour vous aider ?
- Kuga Natsuki, répondit froidement l'arrivante en tendant sa carte d'employé. C'est mon premier jour de service.
La secrétaire attrapa l'identifiant entre ses doigts. L'étrangère était un nouvel agent de sécurité apparemment. Encore plus surprenant, malgré son jeune âge, cette dernière était déjà promue à un grade supérieur. Curieuse, la réceptionniste redressa finalement la tête afin de scruter la jeune recrue.
De longs cheveux ébène aux reflets bleutés coulaient le long des épaules de l'agent Kuga. Son visage était froid et sévère, mais cela n'abîmait en rien sa beauté naturelle. Plutôt élancée, elle possédait de toute évidence une carrure de sportive en conservant une part de féminité. Ses yeux étaient comme deux magnifiques émeraudes d'une pureté inestimable. La nouvelle recrue dégageait une aura, un charisme incroyable.
La réceptionniste se rendit compte qu'elle contemplait bêtement la nouvelle arrivante qui attendait certainement une réponse de sa part. Rougissant légèrement de honte, elle se hâta d'entrer les données dans son ordinateur.
De son côté, Natsuki tentait de garder patience. Il n'était pas rare que les gens s'attardent sur son physique. Depuis qu'elle était entrée dans le corps de police, elle avait rapidement grimpé les échelons. Ce qui avait souvent pour conséquence, d'attiser le regard des autres. Mais jamais la jeune femme n'aurait pensé que certaines personnes l'admiraient simplement pour sa beauté. Quoi qu'il en soit, ce genre de comportements avait tendance à lui taper sur les nerfs.
- Kuga Natsuki, parfaitement, nous vous attendions, reprit la réceptionniste qui rendit la carte à sa nouvelle collègue. Vous avez rendez-vous avec la capitaine Suzushiro, au vingt-troisième étage.
- Merci, répondit simplement la noiraude en hochant la tête.
Sans plus attendre, Natsuki se dirigea vers l'un des ascenseurs de l'entreprise. Prenant une grande inspiration, elle comprit qu'en travaillant dans ce genre d'endroit, il fallait s'accoutumer à la foule. Alors que les portes métalliques s'ouvrirent, une dizaine de personnes se faufilèrent avec elle dans l'élévateur.
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Arrivée devant le bureau du capitaine Suzushiro, la nouvelle recrue frappa deux fois. Après une minute d'attente, une voix puissante l'invita à entrer. Sans se faire prier, Natsuki pénétra dans la pièce et referma gentiment la porte derrière.
Face à la noiraude se tenait une grande femme blonde. Assise à son bureau, cette dernière toisa l'arrivante de haut en bas. Sur le côté, une petite brune à lunette était en train de pianoter sur un ordinateur portable. Elle leva à peine le regard sur Natsuki, bien trop absorbée par son travail.
- Mademoiselle Kuga, je vous attendais, déclara la capitaine qui désigna un siège à l'arrivante. Prenez place, je vous prie.
Courbant légèrement le dos, l'agent Kuga salua brièvement sa supérieure et partit s'assoire à la place demandée. La jeune femme ne se sentait pas nerveuse, mais n'était pas à l'aise non plus. Elle avait l'impression d'être une délinquante qui se retrouvait devant le bureau du proviseur. Et pourtant, cela était un passé déjà loin derrière elle.
- Vous faites bien moins jeune en vrai, c'est bien, déclara la blonde en scrutant le dossier de la nouvelle recrue. Étant plus jeune que tous vos collègues, cela vous permettra de ne pas être trop sous-estimée par ces derniers. Mais cela ne vous évitera certainement pas quelques railleries.
- J'ai l'habitude depuis que je suis entrée dans l'académie de police, ajouta Natsuki qui gardait bien le dos droit contre son siège.
La capitaine scruta une encore une fois, la jeune femme. Cette dernière semblait avoir de l'assurance. C'était très bien ainsi. Des agents qui en avaient dans les tripes, elle en redemandait à la pelle. Un petit sourire satisfait se dessina sur les lèvres de la blonde qui reprit :
- Excusez mes manières, Haruka Suzushiro. Je suis la capitaine des agents de sécurité. Et la demoiselle que vous voyez à côté, est Yukino Kikukawa, mon assistante.
La brune leva simplement le regard dans la direction de la nouvelle et la salua d'un bref mouvement de la tête. Natsuki en fit de même et reporta ensuite son attention vers sa supérieure. Elle attendait avec impatience que toute cette formalité prenne fin et qu'elle puisse enfin commencer son service.
Haruka déposa une carte et une clé sur la table avant de les pousser vers la noiraude. Fronçant des sourcils, Natsuki observa les deux objets en question avec curiosité.
- Voici votre passe vous permettant l'accès à certaines zones de notre entreprise, expliqua la capitaine en s'adossant à nouveau contre le dossier de son siège. Ainsi que la clé de votre casier où votre uniforme vous attend bien sacrément.
- Sagement, Haruka, murmura Yukino qui avait enfin ouvert la bouche depuis le début de l'entretien.
- C'est ce que j'ai dit !
Ramassant ses affaires, Natsuki demanda :
- Ce sera tout ?
- Oui, vous pouvez aller vous changer, répondit Haruka en battant l'air avec sa main. Une fois prête, faîtes demander l'agent Masashi. Il vous fera visiter les lieux. Les vestiaires se trouvent au rez-de-chaussée.
- Merci.
Ne voulant pas trop s'attarder, la jeune recrue se leva gentiment et quitta le bureau. Une fois dehors, Natsuki lâcha un soupir. Cela allait vraiment être une longue journée, se disait-elle. Néanmoins, une fois informée de tout sur la SEARS, elle pourra enfin commencer son travail. Elle n'aurait plus à s'encombrer de la compagnie des autres, du moins autant qu'elle le pourrait.
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Se tenant devant le miroir des vestiaires, Natsuki boutonnait sa chemise bleue avant de tenter de nouer la cravate noire. Puis, elle passa sa ceinture dans son pantalon où y étaient accrochés plusieurs gadgets comme une matraque, un émetteur radio ou encore, son révolver. Une fois prête, la jeune femme vérifia que tous ces accessoires ne gênaient pas ses mouvements. Leur poids était parfaitement négligeable.
Lorsque Natsuki sortit des vestiaires, immédiatement, une personne l'interpella :
- Agent Kuga ?
Se retournant, la noiraude découvrit un autre agent de la sécurité. L'homme paraissait légèrement plus âgé qu'elle. Ses cheveux châtains foncés étaient ébouriffés dans tous les sens. Sous son oeil gauche se dessinait une petite cicatrice en forme de croissant. Lorsque ce dernier croisa le regard émeraude de sa nouvelle collègue, il se figea net sur place. Sans comprendre pourquoi, il se mit à rougir bêtement.
- Euh... Ma-Masashi Takeda, bégaya-t-il en grattant l'arrière de son crâne. Je dois vous faire visiter les lieux.
- Parfait, faisons cela le plus vite possible, répondit Natsuki qui allait démarrer la marche.
- Oh, euh... Très bien. Suivez-moi, je vous prie.
Il fallut à peu près une heure à nos deux agents pour faire un tour rapide des endroits importants de l'entreprise. L'immensité des lieux était impressionnante. Peut-être fallait-il plusieurs jours pour tout visiter de fond en comble, car le building possédait plus d'une centaine d'étages. Natsuki découvrit donc l'emplacement des bureaux, des laboratoires, de la cafétéria, de la salle de repos, la salle de surveillance et encore pleins d'autres pièces. Heureusement pour elle, elle possédait une très bonne mémoire visuelle. Elle n'aura donc, aucune peine à retrouver son chemin désormais.
Alors que Takeda appuya sur le bouton de l'ascenseur, il se tourna timidement vers son interlocutrice. Natsuki fronça des sourcils, ne comprenant pas pourquoi son guide avait toujours ce sourire niais sur ses lèvres.
- J'ai cru comprendre que vous allez être la chef du département spécial, annonça l'homme. Et dire que je suis ici depuis plus de cinq ans et vous, à peine arrivée, vous êtes déjà l'une de mes supérieures. Surtout pour une jeune femme de vingt-deux ans. Très impressionnant.
- En avons-nous fini avec la visite ? rétorqua l'agent Kuga en guettant l'arrivée de l'ascenseur.
Pris de court, l'homme se sentit stupide face au vent que venait de lui envoyer sa collègue. Grattant nerveusement l'arrière de son crâne, il répondit :
- Mmmh, je pense que je vous ai montré le principal. Mais je peux peut-être...
- Ah, Natsuki !
Les deux gardiens de la sécurité se tournèrent vers la voix. Au loin, une femme dans une blouse blanche s'approchait d'eux en faisant un signe de la main. Lorsque cette dernière se rapprocha, Takeda ne put que constater avec stupéfaction que la scientifique ressemblait comme deux gouttes d'eau à la nouvelle recrue, avec quelques années en plus.
Pour la première fois depuis son arrivée dans la SEARS, un sourire se dessina sur le visage de Natsuki qui se tourna vers l'arrivante.
- Bonjour, Dr. Kuga, déclara-t-elle fièrement.
- Ne sois pas si professionnelle, aurais-tu honte de m'appeler maman ? rétorqua la femme avec sévérité. Ou alors, au moins, Saeko. Rah, les enfants et leur fierté !
Saeko dut se retenir de passer affectueusement sa main dans la chevelure de sa fille. À présent, elle était devenue un membre à part entière dans l'entreprise. Et surtout, elle dirigeait même les agents de sécurité d'un secteur entier. Il valait mieux ne pas ternir sa réputation naissante en l'embrassant devant tout le monde, Natsuki trouvera cela certainement très embarrassant.
La mère se tourna vers le guide de sa fille et lui sourit :
- C'est tout bon, je prends la relève. Et j'ai déjà prévenu le capitaine Suzushiro.
- B-Bien, répondit Takeda en se courbant poliment. Je vais donc vous laisser.
Gentiment, le jeune homme s'éloigna sans demander son reste. Une fois ce dernier partit, Natsuki se permit de relâcher ses épaules. Elle n'aurait certainement pas pu supporter une seconde de plus sa compagnie et ses questions. Saeko qui avait parfaitement compris les pensées de son enfant, sourit malgré elle. Depuis son enfance, cette dernière avait toujours été solitaire et plus mature que la plupart des gamins de son âge.
Sortant une carte magnétique de sa blouse, le Dr. Kuga la fit passer par-dessus le bouton d'ascenseur. Natsuki, curieuse, pencha légèrement la tête en fronçant des sourcils. Lorsque les portes métalliques s'ouvrirent, Saeko fut satisfaite de n'apercevoir personne à l'intérieur.
- Viens, je vais enfin te montrer la partie la plus intéressante de cette entreprise, déclara-t-elle en entrant dans l'élévateur.
Encore une fois, la scientifique fit passer sa carte devant les touches de l'ascenseur. Les portes se refermèrent et Natsuki sentit qu'il descendait. Levant le regard vers l'indicateur d'étages, elle fut surprise d'être descendue plus bas que le zéro. Pourtant, il n'y avait pas de sous-sol, du moins, pas sur les boutons. Interloquée, elle se tourna vers la génitrice.
- Tu n'as vu que la partie immergée de l'iceberg, Natsuki, expliqua Saeko en souriant. Le secteur de recherche spéciale n'est qu'une couverture. Et tout ce que tu verras ici, ne devra pas quitter ces laboratoires, m'as-tu bien compris ? SEARS tient à garder cela secret quoi qu'il arrive.
- Je vois... Les taupes ne font pas long feu, conclut Natsuki qui vit les portes s'ouvrirent sur un immense laboratoire.
Le regard de la jeune femme se posa sur une carte des lieux, affichée à un mur, Vu la grandeur de l'endroit, ce laboratoire devait s'étendre sous la moitié de la ville au moins. Et personne n'était au courant de cela ?
- Suis-moi, déclara Saeko qui montra un couloir de la main. L'endroit est assez grand, mais il y a des tapis roulants ou encore des petites voitures électriques pour traverser les zones. Mais ton adjointe t'expliquera cela plus tard. Je vais te montrer des choses dont tu ne doutais même pas l'existence.
Perplexe, Natsuki se contenta simplement d'emboîter le pas derrière sa mère. Les deux Kuga passèrent devant des centaines de portes métalliques et devant plusieurs baies vitrées. Les scientifiques grouillaient de tous les côtés. Certains étaient même munis de combinaisons très sophistiquées afin d'éviter nulle ne sait quel virus ou contagion.
Soudain, sa génitrice s'arrêta devant un mur en verre très épais comme une vitre blindée. À l'intérieur, la pièce était assez petite et d'une forme carrée. Un petit lit de camp et des toilettes étaient disposés à l'intérieur. Mais ce qui attira plus l'attention de la nouvelle recrue, était la jeune fille qui se trouvait dans la cellule.
Habillée d'une blouse blanche proche de celle que les patients des hôpitaux portaient, l'étrangère était recroquevillée sur elle-même. Ses cheveux roux étaient sales et brûlés à certains endroits. Elle était très maigre et ne paraissait pas très en forme.
Avalant difficilement sa salive, Natsuki se tourna brutalement vers sa génitrice. Son sang venait de faire qu'un tour et son coeur avait cessé de battre sous le choc.
- Ne me dis pas que vous faites des expériences sur des humains ! gronda-t-elle avec dégoût.
- Natsuki, pour qui me prends-tu ? rétorqua Saeko sur un ton blessé. Cette fille est tout sauf humaine.
- Que veux-tu dire par-là ?
- Observe...
À contre coeur, la jeune recrue se fixa à nouveau la rouquine. Entre temps, Saeko fit un signe de la tête à l'un de ses collègues. Ce dernier acquiesça et appuya sur une touche qui activa l'interphone :
- Encore un dernier essai et on vous laissera tranquille pour la journée.
- Non, laissez-moi ! hurla la jeune fille qui commença à sangloter. Par pitié... Laissez... moi...
Sans même écouter les protestations du sujet, l'homme appuya sur une touche de son clavier. Et tout d'un coup, la rousse se mit à hurler de douleur. Natsuki comprit immédiatement qu'on lui envoyait des décharges électriques. Soudain, tout s'embrasa autour de la fille. Des flammes immenses tournoyèrent dans la petite cellule.
Instinctivement, Natsuki se recula, surprise et bouche-bée. Saeko posa sa main sur l'épaule de sa fille.
- Ne t'inquiète pas, ces vitres sont faites pour supporter les plus hauts degrés, expliqua-t-elle simplement. Tu ne risques rien.
Ce n'était pas la peur qui l'empêchait de respirer correctement, mais l'incroyable révélation qui venait de se faire sous ses yeux. Cela faisait plus de dix ans que sa mère travaillait pour SEARS et jamais elle n'avait dit un seul mot à ce sujet. Et de toute manière, il fallait le voir pour le croire.
- Viens, je vais te présenter Midori, ton adjointe, reprit Saeko qui tira gentiment le bras de sa fille.
Les flammes commencèrent à se dissiper et la rouquine se remit dans la position du foetus, les larmes inondant son visage. Natsuki n'arrivait pas à décrocher les yeux de la jeune fille. Malgré elle, elle se fit entraîner plus loin.
Après quelques minutes, le temps de reprendre ses esprits, la noiraude s'extirpa de la prise de sa génitrice. Saeko s'attendait à ce genre de réaction venant de la part de sa fille. Après tout, c'était elle qui l'avait mise au monde. Elle la connaissait par coeur. Et donc assez pour savoir que la conscience de cette dernière ainsi que sa générosité, ne pouvaient rester de marbre face à un tel spectacle. Natsuki avait toujours été une justicière à sa manière, suivant aveuglément ce que lui dictait son instinct. Elle était une âme si pure avec un coeur d'or.
- Si on la laissait en liberté, elle mettrait des vies innocentes en danger, se défendit Saeko en se tournant vers son enfant. Elle a déjà brûlé son foyer et toute sa famille. Tu dois admettre qu'elle est bien trop dangereuse pour se promener dans la nature. Nous faisons cela pour son bien. Nous l'aidons à canaliser ses pouvoirs.
- Avec des décharges électriques ? rétorqua Natsuki d'un ton acerbe avant de se rendre compte qu'elle avait haussé la voix. Excuse-moi... c'est juste que tout ça m'a un peu secouée.
- Je le comprends, mon ange. Il va falloir t'y habituer. Allez viens, la journée est loin d'être terminée.
Docilement, Natsuki suivit sa guide en tentant d'effacer l'image de la rousse de son esprit. Complètement ébranlée, elle tentait de reprendre le contrôle de ses émotions. C'était son premier jour dans la SEARS. Elle venait d'être recrutée en tant que chef de sécurité dans le secteur de recherche spéciale. Cela avait tellement ravie et rendu fière sa mère. La noiraude ne pouvait donc pas la décevoir maintenant.
Prenant une grande inspiration, Natsuki reprit une posture plus sûre et déterminée. Saeko fut satisfaite de constater ce revirement de situation et sourit à sa fille pour le lui montrer.
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Les deux Kuga arrivèrent devant une salle. Les portes métalliques coulissèrent comme dans les films de science-fiction. Mais Natsuki savait parfaitement que tout ceci était bien réel. Aussi fou que cela puisse paraître.
Une femme aux cheveux rouges attachés en queue de cheval s'avança joyeusement vers les arrivantes.
- Ah, Dr. Kuga ! déclara-t-elle en tendant ensuite la main à Natsuki. Et je suppose que je me retrouve face à votre fille. Enchantée, je suis Sugiura Midori !
- Kuga Natsuki, répondit la nouvelle recrue en faisant une poigne brève de la main.
- Tu es le portrait craché de ta mère, tu sais ? Ou bien t'es-tu simplement clonée, Saeko ?
- C'est un secret, railla la mère de Natsuki.
- Les secrets, ce n'est pas ce qui manque ici, rétorqua Midori en riant.
Encore mal à l'aise au sujet de cette incroyable révélation, Natsuki frotta nerveusement son bras gauche. Puis, levant le regard vers ses deux interlocutrices, elle demanda :
- Des secrets... Il y en a tant que cela ?
Saeko et Midori dévisagèrent un instant cette dernière. Son adjointe sourit alors que sa mère secoua légèrement la tête.
- Bon, Midori, je te laisse prendre la relève, déclara Saeko en tapotant l'épaule de sa fille. On se voit tout à l'heure, d'accord ?
- Compte sur moi ! répondit Midori en faisant le salut militaire avant de se tourner vers Natsuki. Bon, mini Kuga, tu es prête pour la suite ?
La nouvelle recrue aurait voulu dire non, mais elle n'avait plus vraiment le choix. Regardant sa mère s'éloigner, elle suivit gentiment son adjointe.
Midori montra à la nouvelle chef où se trouvait son bureau. Rapidement, elle lui fit un petit tour de la zone, lui montrant des spécimens plus étranges les uns que les autres. Combien de personnes possédaient donc des pouvoirs ? La noiraude avait dû croiser un peu plus d'une trentaine de sujet. Et comment devait-elle les appeler ? Des cobayes ? Des patients ?
Passant d'une enfant féline à une femme illusionniste... Natsuki ne savait vraiment plus quoi penser. Son monde sûr et certain venait d'être brutalement brisé avec ces découvertes. Plus cela allait et plus la noiraude se disait que plus rien ne pouvait la surprendre. Mais elle ravala rapidement ses paroles, ne voulant pas les regretter plus tard.
- Alors, tu tiens le coup ? demanda Midori en sortant sa future supérieure de ses rêveries. Il va falloir assurer en tant que chef de ce secteur, tu sais ?
- C'est ma mère qui m'a recommandée pour ce département, répondit Natsuki, légèrement honteuse.
- Si le directeur Kanzaki et la capitaine Suzushiro t'ont choisie, c'est certainement pour tes compétences, ne doute pas là-dessus. On va dire que Saeko a juste donné un petit coup de pouce pour que ta candidature leur tombe sous les yeux.
- Peut-être bien...
Les deux femmes arrivèrent encore devant une porte métallique. Contrairement aux autres, celle-ci semblait disposer de beaucoup plus de systèmes de sécurité. S'approchant de la borne informatique, Midori tapa un code avant de passer sa carte magnétique. Puis, se penchant en avant, elle laissa un laser faire un test oculaire. Une fois tout cela terminé, l'adjointe du chef se tourna vers cette dernière avec un grand sourire.
- Maintenant, on passe aux choses sérieuses, annonça-t-elle lorsque les portes s'ouvrirent. En réalité, en tant que chef du département paranormaux, ce sera surtout ici que tu travailleras. Le reste, je m'en occupe.
Perplexe, Natsuki fronça des sourcils. Passer aux choses sérieuses ? Que voulait-elle dire par-là ? Il y avait encore pire que tout ce qu'elle avait pu entrevoir depuis le début de sa visite dans ce laboratoire souterrain ? Rien qu'à cette idée, la noiraude dut réprimer un frisson d'horreur. Ne laissant rien transparaître sur son visage, elle fit signe à sa guide d'ouvrir la marche. Midori ne se fit pas prier et entra la première dans un long couloir vide et gris.
- C'est ici que nous conservons le spécimen le plus dangereux, expliqua l'adjointe du chef tout en continuant d'avancer. Il y a des règles strictes à respecter, si on veut que tout se passe bien. Mais tout cela, je les ai mis dans un dossier qui t'attend dans ton bureau.
- Et il y en a beaucoup de... spécimens dangereux ? questionna Natsuki.
- Avant oui, mais maintenant, il ne nous en reste plus que quelques-uns.
- Pourquoi autant de dispositifs de sécurité dans ce cas ?
- Tu vas comprendre.
Arrivant devant un nouveau portail, Midori dut réitérer toute la procédure obligatoire afin de l'ouvrir. Les portes s'ouvrirent sur une immense pièce. Sur le côté gauche, près de l'entrée, il y avait un ordinateur et une télévision ainsi qu'un bureau et des chaises. Au fond à droite, on pouvait voir la porte qui menait vers les toilettes. Et sur leur gauche, Natsuki crut deviner que l'immense bloque métallique devait être une cellule. Mais de là où elle se trouvait, elle ne pouvait pas voir ce qui se terrait à l'intérieur. La baie vitrée se situait sur le côté droit.
Voyant des personnes arriver, un agent s'empressa d'éteindre le téléviseur et se redressa rapidement. Posant la main contre son front, il fit le salut militaire à ses deux supérieures. Midori sourit tandis que Natsuki se contenta simplement d'acquiescer.
- Je te présente Tate Yuuichi, déclara l'adjointe en désignant l'homme. Il est de garde pour aujourd'hui avec... Où est donc Nao ?
- Aux toilettes, je pense, répondit le blond avec hésitation.
- Comment cela « vous pensez » ? grommela Natsuki en croisant les bras, l'air sévère. Ta partenaire qui est censée surveiller cet endroit avec toi, disparaît et tu ne sais même pas où elle se trouve ?
- Tate, c'est Kuga Natsuki, notre nouvelle chef, précisa Midori en riant. Je sens que Nao va beaucoup moins se la couler douce désormais.
- On parle de moi ?
Arrivant par la porte d'entrée, une jeune femme à la chevelure flamboyante pénétra dans la pièce. La cravate à moitié défaite et une chemise déboutonnée vers le col, elle tenait des DVD dans ses mains. Lorsqu'elle croisa le regard noir de Natsuki, elle se contenta simplement de lui rendre un sourire narquois.
Tranquillement, l'arrivante déposa tous ses films sur le bureau avant de s'asseoir dessus. Yuuichi contemplait nerveusement l'attitude de sa collègue et partenaire de garde. L'agent Kuga pouvait d'ores et déjà comprendre que cette gardienne-là devrait constamment se faire remettre les pendules à l'heure.
- Où étiez-vous alors que c'était votre tour de garde ? gronda Natsuki avec sévérité.
- Ça ne se voit pas ? Je suis allée chercher quelques DVD, répondit la jeune femme avec désinvolture. C'est qu'on s'ennuie comme des rats crevés ici.
- Alors, je te présente Yuuki Nao, interrompit Midori en souriant. Nao, je te présente Kuga Natsuki, notre nouvelle chef.
- Ah mince, reprit la dénommée Nao qui descendit de son bureau. C'est là que je suis sensée trembler ?
L'adjointe soupira en secouant la tête. L'agent Yuuki était une collègue indisciplinée qui avait fait voir de toutes les couleurs à l'ancien chef. D'ailleurs, Midori la soupçonnait même d'être la cause de sa démission. Mais Nao n'allait pas pouvoir continuer son cirque encore bien longtemps. Elle avait beau être compétente, son insolence allait la perdre.
- Mini Kuga, si tu veux bien me suivre, reprit Midori en désignant la cellule, je vais te présenter quelqu'un.
- Évite de pisser dans ton froc, commenta faiblement Nao qui détourna le regard quand Natsuki la fixa.
À la première occasion, la nouvelle chef allait bien faire sentir son autorité à cette agent qui était bien trop à son aise. Laissant tomber le sale comportement de Nao, la noiraude suivit sa guide et se dirigea vers la partie vitrée de la cellule. Elle était prête à tout désormais, plus rien ne pouvait la surprendre.
Mais alors que Natsuki s'attendait à voir un monstre ou une quelconque bête de foire, elle fut surprise de découvrir une jeune femme tranquillement assise. Contrairement à la rouquine que la nouvelle recrue avait vu au tout début, celle-ci était habillée comme n'importe quelle femme moderne. Une chemise blanche avec une jupe noire. De soyeux cheveux châtains claires ondulaient sur ses épaules. Sa peau était si belle qu'on aurait cru voir de la porcelaine. La captive semblait propre et en bonne santé, quoique un peu maigre.
Cette dernière lisait sagement un livre électrique projeté en hologramme. Assise sur son lit, elle était complètement prise par son activité et ne leva pas le regard vers les deux arrivantes. Natsuki se surprit à avoir le souffle coupé face à cette magnifique jeune femme qui ne devait avoir que quelques années de plus qu'elle. Mais surtout, comment celle-ci pouvait-elle être considérée comme étant le spécimen le plus dangereux de tout le laboratoire ? Elle semblait si douce, si fragile... Si inoffensive !
- Voici notre sujet le plus rare et le plus dangereux, présenta Midori qui devint sérieuse. Ne te laisse pas avoir par son visage angélique, elle a tué plus de douze personnes avant que nous ne la capturions.
- Treize, ma chère Sugiura, corrigea la brune en levant la tête. Vous oubliez votre collègue que j'ai décapité lors de mon arrivée.
Natsuki croisa pour la première fois les yeux rubis de la captive. Ils étaient d'un rouge intense et profond, comme le sang. Jamais elle n'avait croisé un regard pareil. Cette couleur n'avait vraiment rien d'humain, elle devait l'admettre avec amertume.
- Et c'était un ami qui m'était cher, rétorqua Midori d'une voix pince sans rire.
- Tu ne me présentes pas ta nouvelle amie ? reprit la jeune femme en souriant.
- Mais j'allais y venir. Kuga Natsuki, je te présente Shizuru communément appelée la tueuse sans main.
- La tueuse sans main ? répéta Natsuki avec perplexité.
- Tout simplement parce que je n'ai pas besoin de mes mains pour écarteler une personne, répondit Shizuru en toute sincérité et innocence.
Perdue, l'agent Kuga se tourna vers son adjointe en la dévisageant. Cette dernière soupira légèrement avant de poser sa main sur la vitre épaisse. Natsuki comprit qu'elle devait imiter sa camarade et ce fut ce qu'elle fit avec une légère hésitation. Lorsque ses doigts se posèrent contre le verre, elle sentit d'étranges vibrations contre sa peau. Surprise, elle se retira comme si le contact l'avait brûlé.
- Les ondes magnétiques, expliqua Midori en se tournant vers la captive. On a découvert que c'était le seul moyen de canaliser ses pouvoirs psychiques.
- Pouvoirs psychiques ? Vous voulez dire qu'elle est télépathe ? demanda Natsuki qui dut dissimuler sa surprise afin de ne pas perdre la face devant les deux femmes.
- Pas seulement... Elle est aussi une télékinésiste, une empathe... Et elle est certainement capable de bien plus, j'en suis certaine. C'est ce que nous cherchons à découvrir en tout cas.
Natsuki tourna son regard vers la brune. Cette dernière lui offrit un magnifique sourire. Et sans vraiment comprendre pourquoi, l'agent Kuga se mit à rougir furieusement. Ce n'était pas dans ses habitudes. Afin de dissimuler sa gêne, elle tourna le dos aux deux femmes, faisant mine de réfléchir. Et afin de rendre cela plus crédible, elle demanda :
- Et donc, je suis chargée de surveiller spécialement cet endroit ? Je veux dire, cette femme ?
- Ne la sous-estime surtout pas, Natsuki, prévint Midori, l'air sombre. Elle est très dangereuse. Donc avant tout, j'aimerais que tu lises les dossiers que je t'ai laissés dans ton bureau.
La nouvelle recrue acquiesça. Alors qu'elle allait s'éloigner de la cellule, elle entendit derrière elle :
- À plus tard, Nat-su-ki.
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Assise dans son bureau, la chef Kuga regardait sa paperasse depuis plus de deux heures désormais. Midori lui avait dit qu'elle entrerait réellement en fonction que le lendemain. Aujourd'hui, elle devait se contenter d'apprendre un maximum d'informations à propos du département spécial ainsi que les procédures de sécurité.
Apparemment, il était interdit de pénétrer dans la cellule de Shizuru. Un gardien devait en permanence rester avec elle afin de la surveiller. Il ne fallait rien donner de tranchant ou de pointu à cette dernière non plus. Pas même une simple feuille de papier. Et d'après ces documents, la brune avait droit à certains privilèges lorsqu'elle savait se montrer coopérative. Si elle se tenait à carreau, elle pouvait avoir accès à la douche, des habits propres ou encore des livres électroniques. En cas de mauvaises conduites, ses avantages lui seront automatiquement retirés.
Malgré les recommandations, Natsuki avait toujours du mal à croire Shizuru si dangereuse. Curieuse, elle alluma son ordinateur et ouvrit la base des données de tous les locataires de ce laboratoire. Étant la chef de la sécurité, elle avait accès à certaines informations jalousement gardées secrètes par la SEARS. En un temps record, le dossier de la brune apparut sur l'écran.
Se redressant légèrement dans son siège, l'agent Kuga scruta attentivement les données qui s'offraient à elle. Fujino Shizuru était l'identité complète de la jeune femme. Jeune fille d'une richissime famille, elle avait été élevée comme une princesse jusqu'à l'âge de dix-huit ans.
Pour une raison inconnue, un jour, elle tua douze de ses camarades. Personne n'avait été témoin du massacre, on avait simplement retrouvé Shizuru dans sa classe, baignant dans le sang des étudiants. Mais à la surprise générale, aucune tache rouge ne salissait son magnifique uniforme. Lorsque les autorités avaient tenté de la maîtriser, ce fut à cet instant que la brune révéla ses dons. Un événement qui fut rapidement étouffé par la SEARS, bien évidemment.
Shizuru se trouvait donc, entre ces murs depuis plus de six ans désormais. Six longues années en captivité et soumis à diverses expériences sur sa personne. Et contrairement à la rouquine, elle ne semblait pas brisée par sa condition.
Sans pouvoir s'en empêcher, Natsuki chercha l'identité de la rousse. Rapidement, un dossier apparut, celui de Mai Tokiha. C'était une jeune fille de quinze ans que l'on avait retrouvée dans une maison en flamme. C'était la seule survivante. Toute sa famille avait péri dans la braise et elle, elle n'avait même pas une seule brûlure. Encore un cas où les médias furent bâillonnés par la SEARS.
- On fait cela pour le bien de tous et pour le leur, hein ? marmonna Natsuki qui se jeta contre le dossier de son siège.
Elle se frotta les yeux avec son pouce et son index. Épuisée face à toutes ces nouvelles, la jeune femme ne savait pas réellement quoi penser de la situation. Mais désormais, elle était plongée jusqu'au cou dans cette affaire. Personne ne semblait porter d'importance à l'état des cobayes. Devait-elle en faire de même ? Et pourtant, sa conscience l'en interdisait. Car c'était des êtres vivants après tout, non ? Mais après de longue fouille d'informations, la plupart était des assassins, des tueurs aux pouvoirs démesurés.
Au final, le travail de la chef consistait à organiser les tours de garde, remplir quelques paperasses et surtout, surveiller la tueuse sans main. Autant dire qu'elle n'était qu'une simple garde rapprochée pour la brune. Peut-être que si Natsuki l'avait su, elle aurait cherché un travail dans un autre secteur. Ou peut-être pas, toutes ces histoires avaient éveillé sa curiosité.
Soudain, le communicateur de l'agent Kuga bippa. Rapidement, elle l'activa et entendit une voix :
- Hé, chef ! C'est Nao. Faudrait penser à prendre la relève-là parce que c'est notre pause midi à Yuuichi et à moi.
- J'arrive, soupira Natsuki avant de couper la communication.
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Alors que Tate riait bêtement devant une émission de télé-réalité, Nao commençait sérieusement à s'embêter. Se levant de son siège, elle étira ses bras avant de se diriger vers la cellule. Les mains dans les poches, elle dévisagea un instant la captive. Cette dernière lisait encore bien sagement son livre électronique.
- Franchement, ma pauvre, je n'aimerais pas être à ta place, nargua l'agent Yuuki en haussant les sourcils. Tu me fais pitié.
- J'en suis désolée, répondit Shizuru sans lever les yeux de sa lecture.
- Ça fait quoi d'être une monstruosité, dis-moi ?
- Je ne pense pas que tu puisses le comprendre un jour. Tout comme moi qui ne saurais jamais ce que cela fait d'être une trainée.
- T'as de l'humour, comme toujours Shizuru. Mais c'est parce qu'ils n'ont pas ri à tes blagues que tu les as tous tués ?
La brune se contenta simplement d'ignorer la question. Un sourire victorieux se dessina sur les lèvres de Nao qui éclata de rire. Au même moment, les portes de la pièce s'ouvrirent, dévoilant l'arrivée de Natsuki. Ravie, la gardienne indisciplinée se tourna vers sa supérieure.
- Pas trop tôt, j'ai cru que j'allais mourir de faim, déclara Nao qui ramassa ses affaires avant de quitter la pièce.
- Ne faites pas trop attention à Nao, reprit Tate en regardant sa collègue partir sans lui. Notre pause se termine dans une heure.
- Bien, ne perdez pas votre temps dans ce cas, répondit Natsuki qui vit l'homme partir.
Une fois seule, elle décida de scruter plus en détail les lieux. Apparemment, sur le bureau, l'ordinateur était connecté à internet, certainement pour divertir les gardiens. D'où la présence du téléviseur aussi. Certaines instructions étaient accrochées sur les murs, rappelant tout ce qui était interdit de faire avec la captive.
Il y avait aussi un distributeur de boissons et de casse-croûte. Vraiment, l'endroit était bien paisible pour un employé de la sécurité, pensa Natsuki qui se pencha sur les DVD que Nao avait apportés. Il en avait de tous genres : thriller, drame, science-fiction... Il y avait même un film pornographique ! Outrée, la chef confisqua le disque qu'elle brisa en trois avant de le jeter dans la poubelle. Il ne fallait pas non plus pousser le bouchon trop loin.
Après avoir fait le tour des lieux du regard, Natsuki se demandait bien comment elle allait pouvoir s'occuper durant une heure. Sa curiosité voulait la pousser à aller voir Shizuru. Mais la jeune femme se demandait si cela était bien raisonnable de sa part. Peut-être valait-il mieux garder ses distances avec ces « spécimens » comme le disaient si bien ses collègues ?
Ne pouvant se retenir plus longtemps, Natsuki se dirigea vers la baie vitrée. Pour une raison qu'elle ne connaissait pas, la brune la fascina complètement. Elle avait besoin de comprendre pourquoi. Et le seul moyen de le savoir était bien sûr, de faire face à Shizuru.
Encore une fois, arrivée devant la captive, l'agent Kuga sentit sa respiration s'étouffer. Et les choses ne s'arrangèrent pas quand la brune leva le regard dans sa direction avant de sourire chastement. Le coeur de Natsuki se mit à battre la chamade, chose qui la perturba fortement même si elle ne laissait rien transparaître sur son visage.
- Je me demandais bien quand est-ce que tu reviendrais me voir, concéda Shizuru qui fit glisser ses pieds au bord du lit, touchant le sol.
- De toute façon, nous serons forcément obligées de nous côtoyer souvent maintenant, répondit l'agent Kuga en croisant ses bras.
- Oui, c'est vrai. Chef alors ? N'es-tu pas un peu trop jeune ?
- J'ai su prouver ma valeur et mes compétences.
- Je n'en doute pas une seule seconde. Quel âge as-tu ?
Fronçant des sourcils, Natsuki ne comprenait pas pourquoi la brune lui posait ce genre de question. Mais elle ne se rappelait pas non plus avoir lu dans le règlement qu'il était interdit de communiquer avec le sujet, ni de lui donner quelques informations personnelles. Après tout, elles allaient se croiser à longueur de journée désormais. Autant rendre cela un minimum agréable, non ?
- J'ai vingt-deux ans, répondit sincèrement Natsuki.
- Tu me parais bien plus mature, rétorqua Shizuru avec surprise. Et c'est un compliment venant de ma part.
Se grattant le gorge, la gardienne mourait de soif. Depuis son arrivée dans la SEARS, elle n'avait rien bu de la journée. Son regard se posa alors sur le distributeur de boissons. Passant sa main dans la poche, Natsuki fut contente de constater qu'elle avait un peu de monnaies sur elle. Alors qu'elle allait s'éloigner, elle se tourna soudainement vers la brune :
- Euh... Je vais me chercher quelque chose à boire. Vous voulez quelque chose ?
- Ce sont des canettes et donc, un objet tranchant, Natsuki, répliqua la captive en riant. C'est interdit par le règlement.
- Vous chercherez à mettre fin à vos jours avec cela ?
- Tu t'inquiètes plus du fait que je puisse me blesser, plutôt de ce que je pourrais faire aux autres ?
Un rire tendre chatouilla les oreilles de Natsuki. Shizuru semblait être amusée, mais pourquoi donc ? Mal à l'aise, la noiraude passa la main dans ses cheveux. Puis, son attention se porta sur des gobelet en carton. Une idée lui vint à l'esprit.
- Si vous promettez de ne pas tenter de vous étouffer avec du carton, je pense pouvoir vous offrir un verre, reprit Natsuki en haussant les épaules. Marché conclu ?
- Pourquoi crois-tu que je voudrais me suicider ? demanda la brune en souriant.
- Et bien... Est-ce que la question se pose vraiment ? rétorqua l'agent de sécurité en pointant la cellule du doigt.
- Promis, je n'essaierai pas de manger le carton, railla la captive, le visage rayonnant. Et du thé sera parfait.
Natsuki hocha de la tête avant de se diriger vers le distributeur. Rapidement, elle prit une canette de thé pour sa nouvelle rencontre et une canette de coca light pour elle. Les boissons en main, elle attrapa un gobelet en carton au passage. Puis, après un petit instant d'hésitation, elle prit aussi une chaise avec elle.
S'installant gentiment devant la baie vitrée, Natsuki déposa sa canette au sol avant d'ouvrir l'autre afin de verser le contenu dans le petit récipient. Shizuru suivait ses mouvements avec beaucoup d'attention, mais n'émit aucun commentaire. Ensuite, la noiraude passa le gobelet dans un petit compartiment métallique. Une fois fermé, l'objet glissa sur un tapis roulant de l'autre côté de la cellule.
- Il n'y avait pas de boissons chaudes, ajouta Natsuki qui but son soda. Il va falloir vous contenter d'un thé vert froid.
Shizuru prit une petite gorgée de sa boisson. Fermant les yeux, elle savourait cet instant avec un intense plaisir. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait plus goûté à du thé. Et pourtant, par le passé, elle ne pouvait pas s'en défaire une seule journée. Certes, celui-ci était froid, mais c'était toujours mieux que rien.
- Cela me convient parfaitement, souffla la brune avec ravissement. Qu'est-ce que cela a pu me manquer...
- Si à chaque fois, vous me promettez de ne pas faire de bêtises avec le carton, je pourrais vous en offrir d'autres, annonça Natsuki qui après coup, ne comprit pas vraiment pourquoi elle avait proposé cela.
- Je serais très sage alors.
Le visage de la captive semblait plus illuminé, plus animé que plus tôt. Cela fit chaud au coeur de Natsuki qui ne put s'empêcher de sourire. Et cela, Shizuru ne manqua pas de le remarquer. Penchant légèrement la tête sur le côté, elle susurra :
- Ton sourire est magnifique, tu sais ? Tu devrais le montrer plus souvent.
Face à ce commentaire, Natsuki ne put réprimer un rougissement. Prise en flagrant délit, cela ne valait plus la peine de se dissimuler à présent. Fronçant des sourcils, elle tenta de reprendre une posture normale.
- Et tu es mignonne quand tu rougis, ajouta Shizuru en riant.
Et les rougeurs repartirent des plus belles. Cette fois-ci, Natsuki n'eut pas d'autre choix que de détourner le regard, mais ses oreilles continuaient d'entendre le doux rire de la brune. Prenant plusieurs grandes inspirations, l'agent Kuga tentait de calmer les battements frénétiques de son coeur.
Ayant fini sa boisson, Shizuru déposa son gobelet dans le compartiment de transfert en signe de bonne foi. La noiraude ramassa l'objet et le lança dans une poubelle plus loin. Avec une bonne précision, le bout de carton tomba pile dans le panier. Puis, son regard retomba à nouveau sur la magnifique femme dans la cellule. Cette dernière s'était assise en tailleur sur son lit et toisait la nouvelle chef de la sécurité en retour.
- C'est bien la première fois que l'un de mes gardiens est gentil avec moi, déclara Shizuru en s'adossant au mur. Je veux dire, sans arrière-pensée. À moins que tu ais quelque chose à me demander en échange de ce thé.
- Nous sommes coincées ensemble, alors pourquoi ne pas discuter tranquillement ? répondit Natsuki d'un ton neutre. Sauf si vous préférez que je vous laisse tranquille.
- Bien au contraire, ta compagnie me comble. C'est juste que je suis surprise que quelqu'un me considère autrement que comme une simple bête de foire.
Intérieurement, Natsuki confirmait les dires de la brune. Elle avait vu la manière dans les autres gardiens et les scientifiques regardaient leurs « spécimens ». Comme de simples cobayes qui ne possédaient plus le droit de conserver leur titre d'humain. Et pourtant, ils avaient presque tous tué au moins une personne. Shizuru était une meurtrière, cela il ne fallait pas l'oublier. Mais ce que la noiraude aimerait savoir, c'était pourquoi elle l'avait fait.
- Il y a un problème ? demanda la plus dangereuse des captives en voyant son interlocutrice plongée dans ses pensées.
Revenant sur terre, Natsuki cligna plusieurs fois des paupières avant de remettre ses idées en place. Toisant Shizuru, elle se redressa sur sa chaise et posa ses coudes sur ses genoux.
- C'est juste que j'ai du mal à croire le fait que vous soyez dangereuse, avoua-t-elle honnêtement.
- Tu es du genre franche, c'est bien, répondit la brune qui sourit chaleureusement. Mais comme l'a dit Sugiura, tu ne devrais pas me sous-estimer.
- Serait-ce une menace ?
- Un simple conseil, je dirais.
Alors que Natsuki allait répliquer quelque chose, la porte métallique s'ouvrit subitement.
Contre toute attente, Saeko et deux autres scientifiques pénétrèrent dans la pièce, suivis de quatre gardes. Natsuki se leva automatiquement de son siège et dévisagea les arrivants un à un. Puis, elle posa un regard interrogateur à sa génitrice. Cette dernière lui lança un coup d'oeil rapide, mais lui répondit rien. Se posant à côté de son enfant, le Dr. Kuga regarda la captive.
- Comment va ma favorite, aujourd'hui ? demanda-t-elle lorsque Shizuru se leva à son tour.
- Magnifiquement bien, Dr. Kuga, répondit cette dernière avec un sourire glacial. J'ai eu l'honneur de rencontrer votre fille qui est très charmante. Je devrais vous féliciter pour son éducation.
- Natsuki a toujours fait ma fierté. Bon, es-tu prête pour les examens d'aujourd'hui ? Que décides-tu cette fois-ci ? De coopérer ou de nous obliger à utiliser la manière forte ?
Natsuki jaugea sa mère avec déplaisance, mais Saeko l'ignora simplement. Quand à la brune, cette dernière s'était gentiment rapprochée de la vitre. L'air innocent, elle annonça malicieusement :
- Je vous laisse deviner, Dr. Kuga.
Saeko sourit avec défi, elle s'attendait à ce genre de réaction de la part de la captive. De la tête, elle fit signe aux agents de sécurité de se mettre en position. Tous étaient équipés de pistolets paralysants électriques. La décharge que ces engins pouvaient générer, assommerait sans la moindre difficulté un buffle enragé. Avait-on vraiment besoin de tout cela pour maîtriser une frêle jeune femme ?
- Natsuki, j'aimerais que tu te recules, ordonna Saeko d'un ton qui jetait toutes protestations.
Face à l'air autoritaire de sa mère, la jeune femme préféra obtempérer pour le moment. Lentement, elle se recula et s'éloigna doucement des gens ainsi que de la cellule. Entre temps, le Dr. Kuga tapait les codes d'accès sur la borne informatique afin d'ouvrir la cellule. Un petit passage se forma dans le verre et Shizuru s'y faufila tranquillement en levant les mains en l'air.
Alors que le sujet sortait de sa cage, les surveillants braquèrent tous leurs armes vers cette dernière. Au moindre signe hostile, ils n'hésiteront pas à faire feu. Natsuki pouvait voir des gouttes de sueurs perler sur le front de certaines personnes présentes dans la pièce. Ils étaient tous incroyablement nerveux. Plus surprenant encore, sa mère aussi paraissait aux aguets. Jamais elle ne l'avait vu aussi inquiète.
- C'est bien, reprit Saeko d'une voix assurée. Suis-nous bien sagement maintenant.
Un sourire se dessina sur les lèvres de la brune. Sans même que personne ne comprenne pourquoi, le bras de l'un des soldats s'arracha brutalement. Le membre tomba sur le sol, inerte. La victime resta muette durant quelques secondes le temps de réaliser ce qui venait de lui arriver. Puis, celui-ci lâcha des hurlements de douleur et de terreur.
Alors que les trois derniers gardiens allaient appuyer sur la détente, d'un simple regard, Shizuru les fit voler à travers la pièce et les écrasa contre un mur. Complètement stupéfaite, Natsuki regardait tour à tour la brune et l'homme qui n'avait plus qu'un bras. Mais ce qui choqua encore plus la nouvelle recrue, était le visage froid de la télékinésiste. Des yeux d'assassins, un sourire sadique sur les lèvres, elle n'avait aucun remord de faire ce qu'elle faisait.
Au même moment, Nao et Yuuichi revinrent de leur pause midi. La jeune femme fut la première à arriver sur les lieux. Voyant le sang sur le sol et ses collègues à terre, elle grogna :
- Mais c'est quoi ce bo...
Le regard de l'agent Yuuki croisa les yeux rubis qui la toisèrent avec avidité. Instinctivement, la gardienne sortit son arme à feu. Mais Shizuru lui arracha mentalement le révolver et le fit valdinguer à l'autre bout de la salle. Se mordant la lèvre inférieure, elle scruta sa proie tel un prédateur affamé. Nao voulut se reculer, mais son corps refusait de répondre. Elle comprit à son grand damne que c'était la captive qui l'en empêchait.
- Ma très chère Nao, murmura sensuellement Shizuru en tendant la main dans la direction de sa cible. Tu as de beaux yeux, tu sais ?
Soudain, elle referma brutalement son poing. Nao sentit soudainement une terrible douleur lui transpercer l'oeil gauche. Posant la main contre sa blessure, elle hurla un cri déchirant qui enivra les oreilles de sa tortionnaire. Du sang coula sur les doigts de l'agent Yuuki qui tomba à genou, agonisant.
- Enfin, tu avais de beaux yeux, corrigea Shizuru avec un grand sourire narquois.
Les cris et l'odeur du sang commencèrent à donner des nausées à Natsuki. Pour la première fois de sa vie, elle se retrouvait complètement paralysée par la peur. Elle devait utiliser toute sa concentration pour pas que ses jambes tremblantes ne flanchent. C'était donc cela la tueuse sans main ? Voilà donc le véritable visage de Shizuru, celle qui avait tué douze de ses camarades de classe.
- Je pense que tu viens de perdre tous tes privilèges, grommela Saeko qui appuya sur la détente d'une arme électrique.
Dans sa contemplation de la souffrance de Nao, Shizuru n'avait pas remarqué que le Dr. Kuga s'était faufilée dans son dos. Une énorme décharge électrique lui traversa tout le corps entier. Avant de s'effondrer sur le sol, la brune tourna son regard vers Natsuki et lui sourit.
- Appelez l'équipe médicale, ordonna Saeko une fois avoir constaté que la captive était hors d'état de nuire.
Reprenant enfin ses esprits, Natsuki comprit que son rôle était de maîtriser la situation. Sans plus tarder, avec son communicateur, elle appela les médecins de la SEARS. Des trois gardiens encore valides, elle leur ordonna de suivre les autres scientifiques afin d'enfermer à nouveau Shizuru. La chef suggéra à Tate de s'occuper de Nao pendant qu'elle se penchera sur le blessé qui avait perdu un bras.
Retirant hâtivement sa cravate, Natsuki fit un garrot à son collègue afin de limiter les pertes de sang. Puis, en maintenant le dos de ce dernier, elle le secoua légèrement afin de l'empêcher de s'endormir. Mais heureusement, l'équipe médicale était arrivée à une vitesse impressionnante. Rapidement, ils reprirent la relève et s'occupèrent des blessés.
Soulagée, Natsuki se retira afin de laisser les professionnels faire leur travail. Une main se posa sur son épaule, la faisant légèrement sursauter. La noiraude se tourna vers sa mère qui paraissait toujours aussi sereine, quoi que soit la situation.
- Est-ce que ça va ? demanda-t-elle, inquiète.
- Je ne me suis ni fait arracher un bras, ni exploser un oeil, rétorqua Natsuki avec sarcasme. Donc, je pense que je peux dire que je vais bien.
- Voilà donc le véritable visage de Shizuru, ma fille. Ne fais pas la même erreur que moi. Ne lui fais jamais confiance. C'est une tueuse !
Natsuki regarda ses camarades emporter le corps inconscient de Shizuru sans dire un mot. Encore une fois, son monde venait d'être ébranlé. Et dans ce laboratoire, elle savait qu'elle n'allait pas encore être au bout de ses peines.
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Le lendemain, Natsuki avait très mal dormi. Entrant dans le building de la SEARS comme un mort-vivant, elle traîna ses pieds jusqu'au vestiaire. Durant toute la nuit, elle n'avait pas pu sortir Shizuru et l'accident d'hier de sa tête. D'ailleurs, c'était toujours le cas maintenant. Impossible de penser à autre chose.
Une fois habillée, Natsuki se dirigea vers l'ascenseur central et passa sa carte magnétique. Apparemment, elle devait faire en sorte de prendre l'élévateur seule ou alors avec d'autres membres du laboratoire secret qui portaient tous un badge rouge sur la poitrine. Alors que les portes s'ouvrirent, une femme voulut s'y faufiler à l'intérieur, mais lorsqu'elle croisa le regard assassin de la noiraude, celle-ci se ravisa.
- Euh, je vais prendre le prochain, déclara-t-elle avant de s'enfuir plus loin.
Satisfaite, Natsuki fit fermer les portes et descendit vers son bureau. S'adossant contre la paroi, elle croisa les bras en fermant les yeux. Inspirant lentement, elle tentait de remettre les choses en ordre dans son esprit. Quand ces portes s'ouvriront, cela devait être la chef Kuga qui en sortirait. Elle était devenue l'autorité de ce secteur. Elle devait donc se montrer inébranlable en toute circonstance.
D'un pas décidé, Natsuki entra dans son bureau. Bien évidemment, des documents l'attendaient déjà dont la plupart étaient des rapports qu'elle devait contrôler. Sans plus attendre, elle s'installa afin de se lancer à la tâche. Au moins, travailler l'empêchera de ruminer les événements passés. Et vu la taille des dossiers, elle en aura pour quelques heures.
Soudain, son communicateur se mit à sonner. Natsuki fronça des sourcils et regarda l'heure à sa montre. Voilà même pas une demi-heure qu'elle était arrivée et on la demandait déjà. Perplexe, elle répondit :
- Kuga, j'écoute.
- Chef, c'est Tate... Je pense que vous devriez venir... Nao est hors de contrôle.
- Elle est déjà remise ? Ne devait-elle pas être en repos pour aujourd'hui ?
- En tout cas, elle est là et... Elle pète complètement un plomb ! Venez vite, chef !
Lâchant un râle exaspéré, Natsuki raccrocha. Elle passa ses mains dans les cheveux en prenant de grandes inspirations. Puis, brutalement, elle se leva de son bureau et quitta la pièce.
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- Espèce de salope ! injuria Nao qui se retint de frapper contre la baie vitrée.
L'agent Yuuki portait un cache-oeil là où elle était désormais aveugle. Les médecins lui avaient annoncé la terrible nouvelle comme quoi jamais elle ne récupérera de cette blessure. Son oeil avait littéralement été pulvérisé avec une puissance inouïe. Nao était fière de son physique et à cause de la brune, la voila défigurée à vie.
- Au moins, je t'ai laissé le deuxième, argumenta Shizuru qui restait assise sur son lit et qui contemplait la rage de sa gardienne.
- Tu veux jouer à la plus maline, hein ? grommela Nao qui s'approcha de la borne informatique devant la cellule. On va voir qui sera la dernière à rire !
Voyant ce à quoi sa collègue s'apprêtait à faire, Yuuchi se rapprocha doucement en suppliant :
- Yuuki, tu ne devrais pas...
- La ferme ou je te botte le cul ! rétorqua violemment cette dernière qui sourit après avoir entré un mot de passe dans l'ordinateur. Les décharges électriques, t'as l'air d'aimer ça, hein ? Les psychopathe dans ton genre sont toujours un peu masochiste sur les bords !
Alors que le blond venait vers la jeune femme afin de l'arrêter, cette dernière lui envoya un coup de coude dans l'estomac. Plié en deux, le jeune homme se recula de quelques pas en gémissant. De nouveau, tranquille, Nao regarda Shizuru avec son dernier oeil valide. Un sourire narquois aux lèvres, elle baissa lentement sa main vers l'interrupteur.
Mais contre toute attente, la brune ne broncha pas. Elle toisait simplement son ennemie sans dire un mot, le visage de marbre. Ce comportement énerva encore plus la gardienne qui sentit son sang bouillir dans ses veines.
- On va voir comment tu vas hurler avec des décharges ! grogna Nao qui abaissa sa main.
Contre toute attente, quelqu'un lui retint le poignet juste avant que son doigt ne puisse attendre le clavier. Le regard assassin, la borgne se tourna vers la personne qui avait osé l'interrompre dans sa réjouissance. Les yeux perçants de Natsuki la figèrent sur place, mais Nao ne le montra pas. Pire encore, elle défiait même sa supérieure.
- Je pense que vous en avez fait assez, tonna sévèrement la chef qui repoussa le bras de sa collègue si brutalement que cette dernière recula de quelques pas. Vous ne devriez même pas être ici, Yuuki.
- Va te faire foutre, rétorqua sauvagement Nao sur un ton plein de menaces. Je ne vois pas pourquoi tu cherches à défendre un monstre pareil.
Natsuki dut se faire violence afin de ne pas se retourner vers Shizuru. Fixant sévèrement la gardienne indisciplinée, elle comprit que c'était maintenant qu'elle devait prouver son autorité. Sinon, jamais personne ne respectera son rang de chef. Serrant les poings, la noiraude s'avança vers sa collègue et l'empoigna brutalement par le col avant de la plaquer contre le mur.
- J'ai dit que cela suffisait ! grogna Natsuki d'une voix froide et effrayante. N'oubliez pas que je suis votre supérieure et je vous ordonne de rentrer. Donc, rompez, soldat !
Après avoir bien toisé son interlocutrice, la chef relâcha sa prise sans la moindre délicatesse. Nao grimaça légèrement avant de se remettre correctement droite. La mâchoire serrée, elle se retint d'émettre le moindre commentaire et quitta les lieux sans demander son reste.
Un long soupir s'échappa de lèvres de Natsuki. Elle se tourna ensuite vers Tate qui, face à son regard assassin, se tint droit comme un pique. La noiraude passa la main sur son front, elle aurait voulu que les choses se passent autrement. Mais s'il fallait qu'elle terrorise ses collègues pour se faire respecter et bien soit, elle le fera.
- Allez donc, vous assurez que l'agent Yuuki quitte bien les lieux, ordonna-t-elle au blondinet avant de se tourner vers la borne informatique.
Tout en faisant attention de ne pas lever les yeux vers Shizuru, Natsuki désactiva tout ce que Nao avait enclenché un peu plus tôt. Sans comprendre pourquoi, son coeur battait rapidement. Chaque battement résonnait dans son esprit comme un tambour. Qu'est-ce qui la mettait autant mal à l'aise ? Ce qui venait de se passer avec Nao ? L'accident d'hier ? Quoi qu'il en soit, Shizuru était en face d'elle et elle n'osait pas lever le regard. Pourquoi ?
- Tu ne daignes même plus lever les yeux vers moi ? fit la brune d'une voix enjôleuse.
Les épaules de Natsuki se tendirent brutalement. Toujours sans relever la tête, elle tenta de continuer de pianoter sur l'écran comme si de rien n'était. Mais Shizuru n'était certainement pas dupe, elle devait avoir observé sa raideur.
- Je m'en doutais... soupira la captive avec une pointe de déception dans la voix.
Pour la première fois de la journée, les yeux émeraudes se déposèrent sur la brune. Cette dernière se tenait en face de l'agent Kuga, près de la vitre. Les mains dans le dos, elle observait attentivement sa gardienne avec un léger sourire en coin. La noiraude remercia le ciel de ne pas avoir sursauté face à cette proximité inattendue.
Tout comme la veille, la captive avait un visage innocent et serein. C'était la même personne que la noiraude avait rencontrée la première fois et non, une folle capable d'arracher des bras par une simple pensée. Shizuru avait regagné un aspect avenant qui aurait plutôt tendance à pousser les gens à s'attendrir devant elle. Le jour et la nuit... Qui était réellement cette femme ?
Fronçant des sourcils, Natsuki reprit :
- Ne me dites pas que ce qui s'est passé hier était... pour me tester ?
- Qui sait ? ricana Shizuru en riant gentiment.
- Tu n'avais pas besoin de faire du mal aux gens pour me prouver que tu es dangereuse ! gronda la noiraude en haussant la voix sans le vouloir.
- Ara, tu me tutoies maintenant ? Nous sommes-nous rapprochées, toi et moi ?
La captive était complètement en train de la mener en bateau. Secouant la tête, Natsuki respira lentement afin de se calmer. Faisant quelques va-et-vient devant la cellule, elle frotta nerveusement sa nuque. Cette femme aux pouvoirs paranormaux ne semblait pas porter une once de culpabilité après les choses affreuses qu'elle avait commises. Et le simple fait que Natsuki n'arrivait pas à lire en elle, la déstabilisait et l'agaçait en même temps. Mais ce n'était pas le moment de se laisser emporter.
Soudain, l'agent Kuga fixa un instant son interlocutrice avant de partir hors de son champ de vision.
Shizuru rit légèrement et s'apprêtait à retourner s'installer sur son lit. Elle se demandait bien ce qu'elle allait pouvoir faire pour s'occuper maintenant qu'elle n'avait plus accès à ses livres. Après tout, elle avait été une vilaine fille. Mais contre toute attente, elle entendit une chaise se poser de l'autre côté de la vitre.
Se retournant, la brune découvrit avec surprise que Natsuki s'était installée exactement au même endroit que la veille. Celle-ci tenait encore une canette de thé vert dans la main et un gobelet en carton dans l'autre. Le visage toujours sévère, elle leva la boisson tout en interrogeant la jeune femme du regard. Shizuru se caressa délicatement les lèvres, intriguée.
L'agent de sécurité désigna ensuite le gobelet de la tête. Ce geste fit sourire la captive qui leva les mains comme pour rendre les armes. Satisfaite, Natsuki versa le thé dans le récipient et le fit coulisser dans le compartiment de transfert. Tranquillement, la brune prit son présent et partit s'asseoir sur son lit.
- Pas que je veuille me plaindre, mais en quel honneur est-ce ? demanda Shizuru en savourant sa première gorgée. Je croyais être une méchante fille qui avait été punie.
- Pourquoi avoir fait cela ? rétorqua Natsuki en ignorant la question de son interlocutrice.
- Difficile à dire... Une impulsion ?
- Vous me semblez pas être une personne impulsive.
- Tu te remets à me vouvoyer maintenant ?
Haussant des épaules, la brune lâcha intentionnellement un long soupir pour feindre l'agacement. Ce geste faisait penser à une enfant gâtée, à une princesse qu'elle fut autrefois. Ce constat amusait et attristait à la fois, la noiraude. Après tant d'années en captivité, Shizuru restait tout de même, la même personne que par le passé. Une simple étudiante provenant d'une riche famille et qui allait sagement au lycée. Mais à présent, elle n'avait plus rien de tout cela.
Natsuki se pencha vers l'avant, les coudes sur les genoux, les mains croisées. L'air impassible, elle ajouta :
- En échange, vous répondrez à mes questions au lieu de tourner autour du pot ?
- Je ne peux rien promettre, mais pourquoi ne pas tenter ? répondit la captive comme si ce nouveau petit jeu la divertissait. Mais est-ce que j'ai le droit de poser des questions en retour ?
Les sourcils de Natsuki plissèrent légèrement, perplexe. Qu'avait-elle à y perdre de toute manière ?
- Très bien, tout dépendra si ta réponse me satisfait ou pas, accorda-t-elle finalement. Pourquoi avoir attaqué ces gens ? Tu savais parfaitement que tu ne pourrais pas t'enfuir.
- J'en avais simplement envie, annonça Shizuru avec innocence. Quel genre de relation entretiens-tu avec ta mère ?
Pourquoi posait-elle ce genre de question ? Quoi que l'agent de sécurité puisse faire, son interlocutrice gardait toujours la même expression calme et souriante. Et pourtant, Natsuki donnerait cher pour découvrir ce que se tramait derrière ce visage d'ange. C'était un mystère. Une énigme qui attirait dangereusement la noiraude et elle le savait.
Mais d'une manière incompréhensive, Natsuki avait envie de jouer à ce petit jeu, de jouer avec le feu. Et l'arrogance de son amour-propre lui disait qu'elle ne s'y brûlerait pas. Elle allait entrer dans le petit manège de Shizuru et gagner la partie.
- Une relation mère-fille, quoi de plus normal... soupira la chef Kuga en secouant la tête. Pourquoi chercher à perdre tes privilèges ? C'était complètement stupide de faire cela...
- Et inhumain ? Mais, je suis un monstre, Natsuki. L'aurais-tu oublié ?
Les yeux rouge sang plongèrent dans le regard de la chef de la sécurité. Natsuki sentit un frisson lui traverser l'échine. Bizarrement, elle avait l'impression que par un simple regard, Shizuru pouvait sonder son esprit. C'était impossible ! Enfin, du moins, elle le supposait tant que la brune restait derrière cette vitre. Mais une chose était sûre pour la noiraude désormais, la captive la testait et guettait la moindre de ses réactions.
- Arrête de dire que tu es un monstre, marmonna faiblement Natsuki, agacée.
- Mais n'est-ce pas ce que je suis ? reprit la brune en lâchant un rire amer. Tu as bien vu de quoi j'étais capable.
- Qui essaies-tu de convaincre ? Moi ou toi ?
Encore une fois, Shizuru émit un doux rire amusé. Ce qui ne cessait pas de perturber son interlocutrice. La brune se redressa doucement et se pencha un peu vers l'avant. Un sourire se dessina sur son visage d'ange.
- Ce n'est pas plutôt toi qui tentes de te persuader que je ne suis pas ce que je suis ? rétorqua-t-elle malicieusement. Est-ce que ta mère t'aime plus que tout ?
- Elle me dit souvent que je suis son unique raison de vivre, répondit la noiraude au tac-o-tac, l'esprit ailleurs. Pourquoi ces questions sur ma mère et moi ?
- De la simple curiosité. C'est adorable que tu puisses aussi bien t'entendre avec le Dr. Kuga.
Scrutant la brune, Natsuki se mordit l'intérieur de la joue. Il lui était impossible de lire quoi que ce soit chez cette étrange femme. Elle était vraiment douée, concéda l'agent Kuga qui n'avait pas d'autre choix que de s'avouer vaincue pour le moment. Elle se leva de sa chaise à l'instant même où la porte d'entrée s'ouvrit. Tate pénétra dans la pièce.
Le blond avait quatre longues griffures sur la joue gauche. Natsuki arqua un sourcil face à cette étrange blessure. Un sourire contrit aux lèvres, il comprit immédiatement le regard interrogateur de sa supérieure. Mal à l'aise, il gratta l'arrière de son crâne en s'expliquant :
- Yuuki n'a pas trop apprécié que je lui dise de vraiment quitter les lieux.
- Est-elle toujours aussi indisciplinée ? demanda la chef, stupéfaite que Nao fasse encore partie du service malgré son insolence et son insubordination.
- D'aussi loin que je m'en souviens, elle a toujours été ainsi.
- Et jamais personne ne l'a sanctionné ? pesta la noiraude, éberluée.
- Il n'y avait que le chef de la sécurité pour faire cela. Mais Yuuki a réussi à gagner ses faveurs en... Et bien...
- Cela suffit, j'ai compris.
Un nouveau râle s'échappa de la bouche de l'agent Kuga. Apparemment, Shizuru n'allait pas être le seul problème qu'elle aura à régler depuis son entrée en fonction. À cette pensée, elle tourna le regard vers la personne concernée. Comme toujours, la brune lui rendit un charmant sourire. Cela donnait à la fois des envies de meurtre et à la fois des bouffées de chaleur à la gardienne.
Posant la main sur le dossier de la chaise, Natsuki s'apprêtait à la tirer vers le bureau. Mais soudain, elle entendit un clic métallique et se retourna vers la cellule. Dans le compartiment de transfert se tenait le gobelet vide.
- Tu es assez tête en l'air, taquina Shizuru qui se détourna et marcha tranquillement vers son lit.
Discrètement, sans que Yuuichi ne s'en aperçoive, la noiraude récupéra le récipient en carton. Du coin de l'oeil, elle scruta la brune avant de lui marmonner :
- Pourquoi faire attention alors que tu m'as promis d'être sage ?
- Naïve... souffla la brune avant de rire, tout en observant son interlocutrice.
Un sourire se dessina sur les lèvres de Natsuki qui se pencha légèrement vers la vitre.
- Non, confiante, rétorqua-t-elle avec malice.
Les sourcils de la captive se haussèrent légèrement. Pour la première fois, on pouvait lire de la surprise dans le regard de la brune. Et ce petit détail ravi amplement l'agent Kuga qui reprit un air froid et sévère lorsqu'elle se tourna à nouveau vers son collègue. Tirant la chaise derrière elle, elle la remit à sa place. Puis, d'un simple signe de la tête, elle salua son collègue avant de quitter les lieux.
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Après avoir passé plus de trois heures dans son bureau, Natsuki ressentit le terrible besoin de se dégourdir les jambes. Fermant un instant ses yeux fatigués, elle se permit ce petit moment de répit. Puis, se levant de son siège, la jeune femme regarda l'heure. Il était bientôt midi. Et comme pour confirmer ce constat, son ventre se mit à gargouiller.
Tranquillement, la chef Kuga quitta son local privé afin de se diriger vers la cafétéria. Les employés du secteur secret possédaient leur propre lieu de ravitaillement sans avoir à remonter les étages. La noiraude aurait préféré pouvoir déjeuner seule dans son bureau, mais pour cela, il aurait fallu qu'elle fasse elle-même la cuisine. Cette simple optique était un argument assez grand pour convaincre Natsuki de se mêler à la foule.
Entrant dans la cafétéria, aussi vite qu'elle le put, l'agent Kuga alla prendre tout ce qui lui donnait envie sur le comptoir. Pas grand-chose à vrai dire, car cela n'était que des plats préchauffés ou froids. Rien ne valait les bons repas que lui faisait sa mère, se disait-elle. Pour faire dans le simple, Natsuki attrapa simplement un sandwich au thon mayonnaise. Il allait sans dire que c'était surtout la sauce blanche qui l'attirait. Ajoutant à cela une canette de Coca Light et une pomme.
Une fois son petit pactole en main, Natsuki quitta l'immense pièce bondée. Elle avait avoué devoir manger ce qui s'y trouvait là-bas, mais pas qu'elle y mangerait. Ne pouvant plus tenir, elle ouvrit l'emballage de son repas et mordit avidement. Tout en marchant, elle décida de retourner à son bureau. Et dans une heure, c'était son tour de garde.
Sur le chemin, Natsuki décida de faire un léger détour. Cela lui permettra de faire un peu d'exercices. Si elle était entrée dans un secteur de sécurité, c'était pour avoir de l'action. Elle avait besoin de se dépenser et non, de rester cloîtrer dans un bureau. La police criminelle aurait été un choix bien plus judicieux à ses envies. Mais sa mère avait particulièrement souhaité qu'elle entre dans la SEARS.
Les pensées de la nouvelle chef s'interrompirent lorsqu'elle passa devant une grande vitre. De l'autre côté, elle reconnut Tokiha Mai, la rouquine qu'elle avait rencontrée à son arrivée dans ce laboratoire secret. Comme la dernière fois, cette dernière était recroquevillée sur elle-même. Les scientifiques qui s'occupaient d'elle, étaient en train de se préparer à partir pour leur pause midi. Et contrairement à Shizuru, Mai n'avait pas besoin d'être surveillée en permanence.
Natsuki se rapprocha de la cellule. Elle constata encore avec dépit, la maigreur de la jeune fille. Cette dernière n'avait que quinze ans. Voir une adolescente dans un pareil état retourna l'estomac de la noiraude. Comment pouvait-on laisser faire cela ?
- Pourquoi est-elle si maigre ? demanda Natsuki lorsqu'un homme en blouse blanche passa à côté d'elle.
- Pardon ? Ah, vous voulez parler du sujet 32, répondit le scientifique, pressé. Elle ne veut rien manger. Nous sommes obligés de la nourrir par perfusion afin de la maintenir en vie.
Sans même attendre une réplique de la noiraude, ce dernier partit rejoindre ses camarades de travail. Natsuki ne décrocha pas les yeux de l'adolescente.
Après avoir vérifié d'être seule avec la captive, elle murmura doucement :
- Mai, c'est ça ?
L'interpellée ne se tourna pas vers son interlocutrice, elle ne bougeait pas d'un pouce. Mais Natsuki avait remarqué que les épaules de cette dernière s'étaient tendues à l'appel de son prénom. Cette fille était complètement terrorisée, remarqua la noiraude qui fronça des sourcils. Posant les mains contre la vitre, elle se rendit compte qu'aucune onde magnétique ne traversait celle-ci. Ce devait être un dispositif spécialement dédié à Shizuru.
- Dis-moi, Mai, tu n'as vraiment pas faim ? demanda Natsuki d'une voix qu'elle se voulait douce afin de ne pas effrayer la rousse.
- Pourquoi m'appelez-vous ainsi ? répondit finalement la captive en levant avec crainte le regard vers la noiraude.
- C'est bien ton prénom, non ?
- Cela faisait longtemps que je ne l'ai plus entendu... Les gens se contentent simplement de me désigner par mon numéro.
Cette réplique pinça le coeur de Natsuki. On arracha littéralement l'identité de cette pauvre enfant. Lui faisant perdre son individualité, son existence ainsi que sa valeur.
- Je ne suis pas ''les gens'', rétorqua la chef Kuga qui regarda le fruit dans ses mains. Ça ne te dirait pas de manger une pomme ?
- Je... Je n'ai pas très faim, grommela la rouquine en dissimulant son visage derrière ses genoux. Laissez-moi tranquille, s'il vous plaît...
- Cela doit faire longtemps que tu n'en as pas mangée, si ?
Aucune réponse ne vint. Un soupir s'échappa des lèvres de Natsuki. Elle ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Après tout, cette fille avait tout perdu le jour de l'incendie qui avait détruit toute sa famille. Après quelques minutes de réflexion, la noiraude déposa tout de même le petit aliment rouge dans le compartiment de transfert.
Se reculant lentement, l'agent Kuga annonça :
- Je te la laisse tout de même là, au cas où tu changerais d'avis.
Alors qu'elle faisait mine de s'éloigner, Natsuki entendit avec satisfaction un clic métallique qui lui révéla que Mai s'était emparée de son présent.
Revenant à ses esprits, ce fut avec surprise qu'elle se retrouva face à deux femmes en blouse blanche. Sa mère et une collègue se tinrent devant elle. Le coeur de Natsuki se mit à battre rapidement, comme une enfant qui venait de se faire prendre la main dans le sac.
- Que fais-tu, Natsuki ? interrogea le Dr. Kuga qui se tourna vers son amie.
- C'est votre fille ? demanda son amie qui se pencha légèrement vers la personne en question.
Toujours sur la défensive, Natsuki scruta l'étrangère. Cette femme était plus jeune que sa mère et certainement à peine plus âgée que la noiraude elle-même. Ses cheveux courts étaient d'une étrange couleur verte foncée. Le côté droit de sa frange était bien plus longue que la gauche. Sur son badge, on pouvait y lire : Marguerite Tomoe.
Connaissant le caractère de sa fille, le Dr. Kuga savait que cette dernière n'appréciait pas la proximité qu'imposait sa collègue. Natsuki n'avait jamais été une enfant très sociable. D'une certaine manière, cette dernière ne s'était jamais ouverte à personne d'autre qu'à sa mère. Cela la touchait profondément d'ailleurs.
- Oui, mon unique fille, reprit Saeko avec un sourire fier. Natsuki, je te présente le Dr. Marguerite. Elle travaille dans la même unité que moi.
- Enchantée, grommela la nouvelle recrue qui se forçait à rester polie.
- De même, répondit Tomoe qui se tourna vers la mère. Je vais m'avancer dans ce cas.
- Oui, je te rejoindrais plus tard.
L'étrangère s'éloigna avec un sourire visiblement feint. Saeko attendit tranquillement que sa collègue disparaisse de son champ de vision. Puis, tournant à nouveau son regard vers sa progéniture, elle demanda à nouveau :
- Que faisais-tu ?
- Rien en particulier, je reviens de la cafétéria, répondit Natsuki qui ne revenait pas de se faire interroger comme une enfant.
- Il m'a semblé voir que tu parlais avec le sujet 32.
- Elle a un prénom, tu sais ?
La sévérité s'imprima sur le visage de Saeko. Fronçant des sourcils, elle toisa un instant sa fille. Sans baisser le regard, Natsuki fixait sa génitrice droit dans les yeux. Elle n'était plus une gamine désormais. Elle n'avait plus à avoir peur d'elle. Elle n'avait plus à se justifier le moindre de ses faits et gestes. Mais même si la noiraude clamait son indépendance, jamais elle ne voudrait décevoir le Dr. Kuga.
- Natsuki, tu ne dois pas t'attacher à ces gens, reprit sa mère d'une voix froide et moralisatrice. Ils ne sont pas comme toi et moi.
- Ils sont encore humains que je sache, rétorqua Natsuki, désorientée par les propos de son interlocutrice.
- C'est là que tu te trompes. Ils ne le sont pas, loin de là. Ce sont des monstres infâmes et assoiffés de sang pour la plupart. Ne te laisse pas avoir par leur air innocent. Elle te sourit gentiment, mais en réalité, elle attend le moment propice pour te poignarder dans le dos.
- Tu parles de Shizuru, là ?
Fermement, Saeko posa sa main sur l'épaule de sa fille. L'étreinte se resserra légèrement. Natsuki comprit que ce geste était protecteur venant de la part de sa mère. Interloquée, elle continua de la dévisager. Le visage toujours sérieux, mais les yeux amplis de tendresse envers sa descendance, le Dr. Kuga déclara durement :
- Oui, je parle de la tueuse sans main. Ne te laisse jamais berner par elle. Je ne sais pas ce que je ferais, si je venais à te perdre.
- Ne t'inquiète pas... souffla Natsuki en posant sa main sur celle de sa mère. Je sais parfaitement me débrouiller. Je ne suis plus une enfant.
- Je le sais. Tu as grandi si vite... Trop vite à mon goût.
Offrant un sourire compatissant à son interlocutrice, l'agent Kuga témoigna ainsi son affection pour sa génitrice. Satisfaite, Saeko acquiesça de la tête et reprit son chemin vers la cafétéria. Natsuki la regarda s'éloigner, songeuse. Elle savait parfaitement que Shizuru était une personne dangereuse. Elle avait pu le voir de ses propres yeux. Mais ce que sa mère ne semblait pas percevoir, était que derrière ce masque, il restait une part d'humanité. Cela, la noiraude en était persuadée et se disait qu'elle pourrait le prouver en déterrant ce trésor caché.
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L'heure passa plus vite qu'elle ne l'aurait crue. Regardant sa montre, Natsuki se dirigea hâtivement vers son secteur de surveillance. D'un pas rapide, elle traversa une partie du laboratoire souterrain. Une fois devant l'immense porte, la noiraude passa au scanner rétinien avant de passer sa carte magnétique. Le passage s'ouvrit devant elle, mais elle devait repasser encore une nouvelle fois l'identification pour ouvrir le deuxième.
Lorsque la porte s'ouvrit, ce fut avec surprise qu'elle vit le Dr. Marguerite dans la pièce au lieu de l'agent Tate. Cette dernière parlait à voix basse devant la cellule. Depuis là où elle se trouvait, Natsuki ne pouvait rien entendre de la conversation. Alors que la chef pénétrait dans les lieux, Tomoe leva le regard vers l'arrivante.
La joie qui rayonnait sur son visage, se dissipa immédiatement, aussi vite que l'éclair. Tomoe reprit une posture droite et digne. Par agacement, elle repoussa sa longue mèche en arrière même si elle savait qu'elle reviendrait toujours à la place initiale.
- Comme on se retrouve, agent Kuga, déclara la scientifique.
- Dr. Marguerite, répondit simplement Natsuki qui scruta autour d'elle. Ne sauriez-vous pas où se trouve mon collègue qui était de garde ?
- Il vient tout juste de partir. Je m'étais portée volontaire pour surveiller la demoiselle jusqu'à votre arrivée. D'ailleurs, il est temps que j'y aille.
Tomoe se tourna vers Shizuru. Son expression s'illumina à nouveau et un léger rougissement teinta ses joues. Levant une petite main, elle fit un signe à la captive.
- À la prochaine, Shizuru, murmura-t-elle tendrement avant de reprendre une voix froide. Je vous laisse, Kuga.
Regardant la scientifique partir, Natsuki tourna ensuite les yeux vers Shizuru qui était toujours toute souriante. Haussant les sourcils de surprise, la noiraude demanda :
- Quel genre de relation entretiens-tu avec le Dr. Marguerite ?
- Ara, tu es jalouse ? ricana la captive qui assise sur son lit, serra les genoux contre sa poitrine.
- Ja-jalouse ? Mais pourquoi donc ? rouspéta la noiraude en rougissant malencontreusement. Ce n'était qu'une simple question. Parce que je ne te vois pas beaucoup sympathiser avec des gens. Et pis... Je sais pas pourquoi je me justifie là. Et...
- C'est bon, Natsuki. Je te taquine.
Alors que Shizuru riait du comportement de la gardienne, cette dernière se sentit bête et mal à l'aise. Nerveusement, elle frotta l'arrière de sa nuque. Cela allait devenir un tic à force, se disait-elle intérieurement. Alors que celle-ci se tortillait dans sa honte, la brune observait attentivement l'agent Kuga, amusée. Mais Natsuki remarqua les yeux pétillants de la captive et pointa un doigt dans sa direction :
- Tu aimes bien te moquer de moi, hein ?
En temps normal, la noiraude se serait certainement fâchée si une personne se permettait de la ridiculiser. Mais ne sachant pas pourquoi, elle avait elle-même envie d'en rire. Croisant les bras, elle fronça tout de même des sourcils afin de ne pas céder à l'hilarité.
- Je ne me moque pas de toi, se défendit Shizuru en prenant un air outré avant de rire. Je ne me le permettrais pas.
- Tu as plutôt intérêt, rétorqua Natsuki.
- Serait-ce une menace ?
- Un simple conseil, répondit la noiraude qui ne put s'empêcher de sourire. Est-ce que je te propose un thé ?
La captive hocha la tête, la mine radieuse. Tranquillement, l'agent Kuga partit chercher les boissons.
Sans vraiment le savoir, ceci était le début de ce qui allait devenir une coutume entre les deux femmes. Les jours passèrent tandis que chacune apprenait à découvrir l'autre, à s'habituer de la compagnie de l'autre. Contre toute attente, Natsuki se sentait plutôt à l'aise devant Shizuru. Elle n'avait pas à feindre une froideur perpétuelle qu'elle offrait toujours à son entourage en dehors de sa mère. Sa carapace se dissipait étrangement à la présence de la brune.
Bien évidemment, ce petit détail, la chef Kuga préférait la garder pour elle. Et avant même qu'elle ne s'en rende compte, Natsuki se surprit à attendre impatiemment son tour de garde. Elle aimait discuter avec Shizuru. Même si au final, elle ne connaissait pas beaucoup cette mystérieuse femme. Mais malgré cela, la noiraude appréciait les échanges.
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Assise à son bureau, Natsuki entendit quelqu'un frapper à sa porte. Sans plus attendre, elle invita la personne à entrer. Midori arriva dans la pièce, une montagne de paperasses dans les bras. La chef émit un râle en posant sa tête en arrière avant de reprendre une posture normale.
- Allez-y, achevez-moi, Sugiura, marmonna la noiraude lorsque le tas de dossiers fut posé sur son bureau.
- Je t'ai déjà dit de m'appeler Midori, ça fait vieille sinon, grommela l'arrivante en faisant la moue. Et je ne suis pas vieille ! Au contraire, je suis très jeune.
- Si vous aviez vraiment seize ans, vous ne seriez pas là, Sugiura.
Une grimace apparut sur le visage de l'adjointe. Puis, reprenant son sérieux, Midori observa sa jeune supérieure sans dire un mot. Même si Natsuki tentait de passer outre ce regard assidûment posé sur elle, au bout de cinq minutes, elle perdit patience. Levant la tête, elle dévisagea sa collègue.
- Un problème ? grommela-t-elle en fronçant des sourcils.
- J'ai cru comprendre que tu as transféré Nao dans un autre secteur, déclara l'adjointe, perplexe. Pourquoi as-tu fait ça ?
- L'agent Yuuki est perpétuellement en conflit avec Shizuru. Il m'a semblé évident de les séparer.
- Qui n'entrerait pas en conflit avec ce démon ?
La mâchoire de la noiraude se resserra imperceptiblement. Elle n'aimait pas quand les gens osaient qualifier Shizuru de la sorte. Pas seulement pour la brune, le manque de respect total pour les sujets de ce laboratoire la mettait souvent hors d'elle. Mais Natsuki savait parfaitement que lancer un débat serait peine perdue. Plus que d'être en minorité, elle avait l'impression d'être la seule personne dans la SEARS à s'inquiéter de la condition des ''locataires''.
Afin de dissimuler son agacement, Natsuki fit mine de scruter un rapport. Levant légèrement les yeux vers son interlocutrice, elle reprit :
- Vous remettez en doute mes décisions, Sugiura ?
- Bien sûr que non, rétorqua Midori en riant. Tu es la chef, c'est toi qui décides, mini Kuga.
- Autre chose, sinon ?
- Oui, aujourd'hui, c'est le jour de maintenance de Miyu.
- La maintenance de qui ?
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Pendant que des techniciens s'attelaient à leur travail, Natsuki croisa les bras en regardant la scène avec curiosité. Une jeune fille était assise sur une chaise alors que plusieurs câbles électriques étaient reliés à son corps. Sa couleur de cheveux était peu ordinaire, on aurait dit une teinte proche du bleu argenté. Son visage semblait avoir été sculpté dans la pierre tellement la froideur en émanait. De marbre, elle laissait les hommes s'occuper des branchages.
On avait expliqué à la nouvelle chef que Miyu était une cyborg de la toute dernière technologie de la SEARS. Il paraîtrait même que l'automate était aussi pourvu de sentiments et possédait sa propre logique. Elle fut donc, le premier prototype d'une longue série de machines conçues pour la guerre. Mais selon certains spécialistes, les émotions de celle-ci la rendraient inapte à devenir un soldat parfait. Un tueur sans âme en bref, pensa Natsuki.
- Pourquoi ma présence est-elle requise ? questionna-t-elle en se penchant vers son adjointe.
- Parce que tu possèdes les codes requis pour la reconfigurer, expliqua Midori. En dehors de la capitaine et du directeur, tu es la seule ici qui peut pénétrer dans sa base de données. C'est pour éviter que quelqu'un la pirate.
- Je vois...
Une fois que tout fut prêt, les techniciens se retirèrent gentiment. Midori fit signe à sa supérieure de s'approcher de l'ordinateur qui se trouvait juste à côté de la femme robot. Arrivée devant, la noiraude passa sa carte avant d'entrer son mot de passe personnel. L'accès accordé, plusieurs fichiers s'ouvrirent sur l'écran. L'un d'entre eux attira particulièrement l'attention de Natsuki.
- Système de désactivation d'urgence ? lut-elle d'un air interrogateur.
- Pour me court-circuiter dans le cas échéant où je serais devenue un danger potentiel pour la SEARS ou ses employés, répondit Miyu de sa voix monocorde.
- Un danger potentiel ?
- Le projet MIYU – Multiple Intelligential Yggdrasil Unit – cherchait à l'origine à créer des machines de guerre. Malgré mon dysfonctionnement émotionnel, j'ai tout de même conservé mes compétences de tueuse.
- Euh... Merci.
- De rien, chef Kuga Natsuki du département spécial.
La noiraude resta bouche-bée. Physiquement, Miyu ressemblait parfaitement à une adolescente humaine. Mais il était évident que dès qu'elle parlait, on découvrait immédiatement que ce n'était pas le cas. Comme toutes logiques informatiques, la cyborg réagissait selon un code précis qui avait été configuré dans ses données.
Sans plus attendre, Natsuki lança un scan intégral de Miyu. Elle eut presque envie de sourire lorsqu'elle se rendit compte que c'était comme chercher un virus sur son ordinateur finalement. En attendant que le programme fasse son travail, l'agent Kuga se tourna vers son adjointe.
- Pourquoi garde-t-on une machine de guerre dans un laboratoire ? demanda-t-elle.
- Miyu a valu beaucoup d'investissement de la part de la SEARS, répondit Midori. Même en la récupérant en pièce détachée, nous ne récupérions même pas la moitié du prix de base. Et ses sentiments l'empêchent d'être un soldat parfait. Elle est donc devenue une agent de sécurité comme toi et moi, mais avec une puissance de feu bien supérieure à la nôtre.
- Elle possède vraiment des sentiments ?
- Pratiquement comme toi et moi. C'est incroyable ce que nous pouvons faire de nos jours, n'est-ce pas ?
Tournant le regard vers la personne concernée, Natsuki resta perplexe. Pour le moment, Miyu avait semblé simplement être une automate vide à l'intérieur qui fonctionnait selon ses programmations. Midori remarqua donc, le scepticisme de sa supérieure et rit. Amicalement, elle tapota l'épaule de cette dernière en ajoutant :
- Tout comme nous, Miyu a aussi son propre mauvais caractère. Elle ne voue son affection qu'à une seule personne ici, le sujet 13.
Une nouvelle fois, l'appellation d'une personne par son numéro de dossier horrifia la chef Kuga. Mais elle passa rapidement outre ce détail lorsqu'elle remarqua un léger sourire se dessiner sur les lèvres de Miyu. Apparemment, Midori lui disait bel et bien la vérité. Mais comment une gardienne qui plus est une cyborg, pouvait-elle s'attacher à une captive ?
- En réalité, Miyu ne s'occupe que du sujet 13, renchérit Midori.
- Ah bon ? Et pourquoi cela ? interrogea Natsuki qui depuis son arrivée ici, n'arrêtait pas de sentir grandir sa curiosité.
- Je pense que de le voir de tes propres yeux vaudrait mille mots.
L'ordinateur émit un signalement. Le programme de nettoyage était terminé. Et en un fragment de secondes, Miyu avait déjà débranché tous les câbles qui étaient reliés à elle. Se levant hâtivement, son visage était toujours démuni de la moindre expression. Tendant son bras sur le côté, elle reprit :
- Si vous voulez bien me suivre.
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Alors que les trois femmes se dirigeaient vers le sujet 13, Midori arrêta Natsuki juste devant la porte. Sur le côté, elle ouvrit un tiroir qui était incrusté dans le mur. Puis, elle sortit des espèces de boules Quies électroniques. Regardant l'étrange objet dans sa main, la noiraude attendit sagement que sa collègue veuille bien entamer les explications.
- Ce spécimen chante merveilleusement bien avec sa voix angélique, débuta l'agent Sugiura qui grimaça ensuite. Mais sans protection, son chant est capable de mettre en bouillie ton cerveau.
- Rassurant... soupira Natsuki qui mit les appareils dans ses oreilles.
- Mais ces petites merveilles filtrent les ultrasons du sujet afin d'éviter que notre cerveau ne grille.
Elles pénétrèrent alors dans la pièce voisine. Contrairement aux autres locataires, le sujet 13 pouvait se promener librement dans son secteur. Sa cellule où on pouvait y apercevoir un lit et quelques jouets, était grande ouverte. Assise sur le sol en train de dessiner dans un cahier, une fillette blonde leva son regard vers les arrivantes. Une joie sans nom illumina son visage.
- Miyu, tu es enfin de retour ! cria-t-elle en allant à la rencontre de sa gardienne.
- Désolée pour le retard, mademoiselle, répondit Miyu lorsqu'un tendre sourire apparut sur ses lèvres.
- Ce n'est pas grave, tu es là maintenant.
À la vue des deux autres agents, la petite fille fronça des sourcils et se serra contre sa protectrice. Elle avait déjà aperçu deux ou trois fois Midori. Et même si le visage de Natsuki lui semblait familier, la gamine ne se rappelait pas l'avoir rencontrée.
Voyant que l'enfant paraissait peu rassurée par leur présence, la noiraude s'accroupit afin d'avoir ses yeux au même niveau que celle-ci. Elle sentit aussi Miyu se tendre légèrement, sur la défensive.
- Salut, je m'appelle Kuga Natsuki, débuta-t-elle amicalement. Comment t'appelles-tu ?
Les yeux de la cyborg s'élargirent imperceptiblement de surprise et dévisagèrent la nouvelle chef de la sécurité. Sans quitter les bras de son amie, la petite blonde reprit timidement :
- Alyssa...
- Alyssa ? répéta Natsuki avec douceur. Mais c'est un très joli prénom que tu as là.
- Miyu me dit la même chose, rit la fillette pendant que sa gardienne acquiesçait.
- Sinon, tu ne veux pas nous chanter quelque chose, intervint Midori qui regarda sa montre. Il ne me reste pas beaucoup de temps alors j'aimerais bien que tu nous montres un peu ton talent.
Le regard de Miyu devint méprisant. Alyssa hésita un instant, toisant tour à tour Midori et son amie. Ses yeux d'un bleu pur se tournèrent ensuite vers sa nouvelle rencontre. Natsuki quant à elle, avait toute son attention portée sur la cyborg qui depuis qu'elle se trouvait près de la fillette, dévoilait de réels comportements humains.
- Bon, c'est quand tu veux, gamine, ronchonna Midori en se tortillant d'impatience.
- Mademoiselle ne se sent pas dans l'envie de chanter, rétorqua froidement Miyu.
- De toute façon, j'ai mieux à faire, grommela l'adjointe Sugiura qui sortit de la pièce à la hâte. À plus tard, mini Kuga !
Cette dernière regarda sa collègue partir sans demander son reste. On aurait dit une enfant gâtée qui s'en allait bouder parce qu'elle n'avait pas eu ce qu'elle voulait. Se relevant, Natsuki se permit d'observer une nouvelle fois les lieux. Même si cette salle était plus ou moins aménagée pour occuper une enfant, la noiraude n'arrivait toujours pas à concevoir que cette pauvre gamine se retrouver séquestré dans un tel endroit. D'ailleurs, elle soupçonnait même Miyu d'avoir contribué à certains aménagements de l'endroit. Mais l'agent Kuga avait des doutes sur le fait que la cyborg ait le droit de quitter les lieux.
Tranquillement, Natsuki s'approcha d'une petite table spécialement conçue pour les enfants. Plusieurs livres et dessins traînaient ci et là. La jeune agent se rendit compte que les bouquins étaient très abîmés à cause de beaucoup de lectures répétées. Et les crayons de couleurs ne faisaient plus que un ou deux centimètres de longueur.
La chef Kuga fronça des sourcils. Ce n'était pourtant pas bien compliqué d'offrir quelques affaires à cette enfant pour l'occuper. Plus elle passait du temps dans ce laboratoire secret, plus Natsuki se demandait si les employés qui y travaillaient, possédaient réellement un coeur.
- Dis-moi, reprit la noiraude en montrant un livre. Quel genre de lecture aimes-tu ? Je pourrais te ramener deux ou trois nouveaux bouquins de temps en temps. Je suis pratiquement sûre que tu dois les connaître par coeur. Et aussi une boîte de crayons, tiens.
- C'est vrai ? hoqueta Alyssa avec une agréable surprise.
- Vous feriez vraiment cela ? reprit Miyu, méfiante. Pourquoi donc ?
L'instinct protecteur de la cyborg toucha Natsuki. C'était vraiment étrange et ironique de se dire que ce robot possédait peut-être même plus d'humanité que la plupart des gens ici. Alyssa devait se sentir chanceuse d'avoir une amie aussi fidèle et aimante, songea la noiraude.
- Et pourquoi pas ? Je parie que tu n'as pas le droit de quitter les lieux, je me trompe ? argumenta Natsuki en croisant les bras.
- Non, votre supposition est correcte, répondit Miyu.
- Dans ce cas, qu'est-ce qui te ferait plaisir, Alyssa ?
- Des histoires avec des belles princesses, déclara la petite blonde avec enthousiasme.
Amusée, la noiraude haussa des sourcils avant de reprendre :
- Des belles princesses qui se font sauver par leurs beaux princes charmants. Tu attends certainement que le tien vienne te chercher.
- Pas besoin de lui, rétorqua malicieusement Alyssa en serrant Miyu contre elle. J'ai déjà une personne qui me protège.
À ce moment-là, la cyborg n'avait jamais paru plus humaine. Le regard doux, elle sourit tendrement à sa protégée. On pouvait lire dans ses yeux que la seule chose qui comptait pour elle, était Alyssa et rien d'autre. Natsuki admirait ce spectacle peu commun. À première vue, on aurait pu songer à une grande soeur aimante. Mais quand on savait que l'être de la jeune femme n'était fait que de métal et de circuits, cela changeait toute la donne.
Voyant l'heure passer, l'agent Kuga se rappela qu'elle avait encore une tonne de papiers à remplir et à lire. Son travail de chef n'était pas de tout repos. Lentement, elle se dirigea vers la sortie.
- Chef Kuga Natsuki, intervint soudainement Miyu en se relevant. Mademoiselle aimerait vous offrir une chanson en remerciement.
- Mais je n'ai encore rien fait, ironisa Natsuki en grimaçant.
- Pour votre gentillesse, compléta Alyssa.
- Depuis que je suis ici, tu es la deuxième personne qui me le dit, ricana la noiraude.
La fillette lui sourit. Lentement elle croisa ses mains qu'elle posa sur sa poitrine. Fermant les yeux, elle prit de grande inspiration. Délicatement, un chant se fit entendre dans toute la salle. C'était beau et doux.
Natsuki sentit comme une étrange sensation au coeur. La voix d'Alyssa devait être très proche de celui d'un ange, emprunt de pureté et d'innocence. C'était plus que magnifique. Il n'y avait pas de mots pour décrire la beauté de cette mélodie inédite. La noiraude avait même l'impression que ce chant la touchait au plus profond de son être, son âme.
Sans vraiment le contrôler, une larme perla sur la joue de Natsuki. Surprise, elle posa doucement son doigt contre la gouttelette. Impossible de décrire ce qui se passait dans son esprit. Des émotions se mélangeaient à tout va. Mais soudain, la noiraude songea à ce que lui avait dit Midori. Le chant d'Alyssa était aussi magnifique que meurtrier. La fillette se voyait octroyer un don qui était à la fois une malédiction. Une autre explication s'illumina à ce moment-là. Si Miyu s'occupait personnellement de la petite blonde, c'était justement que sa voix ne pouvait en aucun cas l'affecter.
- C'était magnifique, concéda Natsuki en applaudissant une fois que ce fut terminé.
- Merci, répondit Alyssa en souriant. Revenez me voir.
- Je n'y manquerais pas.
Miyu et Natsuki s'échangèrent un regard à bon entendeur. L'agent de sécurité quitta la pièce.
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- Tu ne t'en lasseras jamais, n'est-ce pas ? fit Shizuru en levant le regard vers sa visiteuse.
- Effectivement, tu me manquais trop, répondit Nao en se penchant vers la cellule. Mais cette fois-ci, personne ne sera là pour te sauver. Pas même ta très chère Natsuki.
Un rire moqueur s'échappa d'entre les lèvres la brune qui secoua la tête. Assise sur son lit, elle passa ses bras autour de son genou gauche qu'elle ramena contre sa poitrine. Ses yeux vermillon scrutèrent hautainement son ancienne gardienne. Celle-ci serra les dents. Si cela avait été possible, elle aurait certainement flanqué une gifle à la brune. Mais pire encore, la captive le savait et savourait bien tranquillement d'être dans sa cage de verre.
- Ma pauvre petite Nao, reprit Shizuru avec une tristesse feinte. Tu as certainement dû souffrir par le passé pour avoir ce besoin perpétuel de dominer et de contrôler la situation. Qui t'as fait du mal ? Tes parents ? Tes professeurs ? Tes camarades ?
- Ne me confonds pas avec toi, rétorqua Nao en riant. Moi au moins, je n'ai pas étripé mes soi-disant camarades pour finir enfermée dans un sous-sol de laboratoire.
Comme d'habitude, un sourire narquois se dessina sur les lèvres de la brune. Le genre de sourire qui dévoilait parfaitement qu'elle se moquait royalement de son interlocutrice, qu'elle se sentait supérieure. Les gens comme Shizuru, Nao les haïssait tous. Leur air hautain, leur sentiment d'être meilleur que les autres...
- Moi, j'ai agi, Nao... Toi, tu as subi, reprit la captive avec une certitude agaçante. Je suis un bourreau alors que toi, tu n'es qu'une victime.
- Tu as toujours le dernier mot, hein ? rétorqua l'agent Yuuki d'un ton pince sans rire. Mais en attendant, moi, je suis libre. Je n'attise ni la haine, ni la pitié des autres.
- Et pourtant, tu aimerais tant que les regards se posent sur toi. Heureusement, une borgne attire souvent l'attention. Tu dois en être ravie.
Nao gloussa doucement avant d'éclater de rire. Au même moment, Natsuki arriva dans la pièce. Dès qu'elle remarqua la présence de sa collègue, cette dernière fronça des sourcils, méfiante. Sans plus attendre, elle s'avança vers l'intruse en tonnant sévèrement :
- Yuuki, que faîtes-vous ici ? Ne vous ai-je pas transférée dans un autre secteur ?
- Possible, mais cette chienne me manquait trop, répondit Nao avec innocence. Quand on s'occupe d'une bête, on finit par s'y attacher à la longue.
- N'aviez-vous pas du travail à faire ? Où est donc l'agent Tate ?
- Oh, il doit certainement vous attendre devant votre bureau. Je lui ai dit que vous le cherchiez. Ah mince ! J'ai dû me tromper finalement.
Exaspérée, Natsuki se massa l'arrêt du nez. Prenant plusieurs grandes inspirations, elle tentait de conserver son calme avec beaucoup de difficulté. Nao n'aidait pas vraiment dans ce sens-là. Les bras croisés, son sourire arrogant la narguait. Qu'est-ce qu'elle donnerait pour lui enfoncer son poing dans la figure, pensa secrètement la noiraude qui dû réprimer son désir.
- Bon, je reste de garde, soupira Natsuki qui pointa la porte dans son dos de son pouce. Vous pouvez disposer, agent Yuuki.
- Mais je suis en pause, rétorqua Nao en faisant une moue boudeuse. Je voulais en profiter pour discuter avec ma très chère amie folle à lier.
- Je vous ai dit de partir.
- Non, je n'en ai pas envie.
S'avançant dangereusement de sa collègue, Natsuki l'attrapa par le col et souleva légèrement sa prise. Serrant la mâchoire, elle essaya de garder une voix neutre :
- Je ne sais pas comment cela se passait avec votre ancien chef, mais avec moi, votre insubordination pourrait vous mettre à la porte.
- Ce n'est pas très gentil de me menacer, bouda la gardienne indisciplinée. La chienne en chaleur aurait donc réussi à attiser vos faveurs ?
Le sang de Natsuki ne fit qu'un tour. Sans crier gare, elle frappa sa collègue de son poing en plein visage. Ne s'y étant pas préparée, Nao tomba à la renverse, le nez en sang. Se relevant immédiatement, elle posa sa main sur sa blessure et constata que ses doigts étaient ensanglantées. De son unique oeil valide, elle toisa sa supérieure avec haine.
De son côté, la noiraude respirait fortement. Ses épaules montaient et redescendaient à un rythme lent. Elle se savait impulsive. Ce n'était pas pour rien que durant toute sa scolarité, l'agent Kuga avait eu des problèmes à s'entendre avec ses camarades. Mais ce n'était plus l'école, elle jouait dans la cour des grands désormais. Et ce manque de maîtrise de soi pouvait malheureusement, lui porter préjudice.
- Vous êtes relevée de vos fonctions pour une durée indéterminé, agent Yuuki, gronda Natsuki qui se redressa sans pouvoir desserrer les poings. Veuillez partir maintenant !
Depuis le début, Shizuru avait suivi la dispute en silence. Voir Nao se prendre un coup lui avait offert une satisfaction incroyable. Son regard se tourna ensuite vers Natsuki. Pour la première fois, elle avait vu la chef sortir de ses gonds. Et la brune devait l'avouer, l'expression dure et sévère lui allait comme un gant. Encore plus lorsqu'elle avait ce regard assassin.
Alors que Natsuki se détourna de sa collègue pour allumer son communicateur, Nao en profita pour sortir son arme à feu. Sans la moindre hésitation, elle la pointa en direction de sa supérieure.
- Nao, tu ne sais jamais quand il faut abandonner, soupira Shizuru en secouant la tête.
Interloquée, la noiraude se retourna et découvrit avec stupeur l'arme qui la menaçait. Lentement, elle baissa sa radio et scruta Nao avec intensité. Cette dernière, les bras légèrement tremblants, avala difficilement sa salive. La rage se lisait sur son visage.
- Yuuki, je ne pense pas que cela soit la solution, reprit Natsuki d'une voix autoritaire. Baissez votre arme.
- La ferme, vous deux ! Vous me soûlez ! cria la borgne avec hargne. J'en ai marre !
- On va gentiment se calmer, d'accord ?
- Tu n'as pas d'ordres à me donner, putain ! T'as au moins cinq ans de moins que moi, alors tu fermes ta gueule !
Sans la moindre panique, Natsuki leva lentement les mains en l'air. Apparemment, il valait mieux coopérer pour le moment. Mais dès qu'elle remarquera une faille chez son opposante, la noiraude se jettera sur l'occasion sans la moindre vergogne. Rapidement, elle calcula toutes les options qui s'offraient à elle. Malheureusement, elle ne portait pas de gilet pare-balles.
Et voilà pour la première partie. Qu'en avez-vous pensé? La deuxième est presque prête, il ne manque que quelques retouches. ;)
