Chapitre I

« Laïta… Réveillez-vous, Laïta… »

Le doux murmure du seigneur Celiwern tira lentement Laïta du sommeil. Elle cligna des yeux, passa ses mains sur son visage, mais resta allongée.

« Avez-vous bien dormi ? demanda l'homme.

-Oui… Assez, je pense. Et vous ?

-Bien. Très bien, je vous remercie. »

Il était déjà prêt pour la chevauchée à venir, à en juger par ses vêtements.

3Je vous ai apporté votre petit-déjeuner. »

Laïta tourna la tête à gauche pour découvrir un plateau bien garni posé sur la table de chevet.

« Merci, c'est gentil.

-J'ai appris que vous ne mangiez plus guère, à cause des derniers événements. Tout cela est bien triste, mais malgré tout, il faut vous ressaisir. »

Laïta se dressa lentement sur son séant.

« Je le sais bien, seigneur Celiwern, répondit-elle, mais… Etes-vous au courant de la raison de notre présence ici ? De cette menace ?

-Oui. Des personnes de la Cour m'en ont informée, ainsi que votre frère et votre père. Je suis au courant de tout ce qui s'est passé.

-Dans ce cas, si je puis vous faire une confidence, en partant d'ici, j'obéis aux ordres de cet… homme qui nous menace tous.

-Comment cela ?

-L'autre soir, le Maître, c'est ainsi qu'il se fait appeler, a pénétré dans l'esprit de Legolas, pour nous dire que si nous ne partions pas dans les plus brefs délais, il s'en prendrait à la population.

-Ah…

-Nous n'avons pas d'autre alternative. »

Un silence vint un instant glisser entre eux.

« Sachez que je ne laisserai pas le Maître vous faire le moindre mal. S'il devait vous arriver quelque chose, je serai là pour vous protéger.

-Merci.

-Allons, vous devriez vous préparer.

-Ai-je beaucoup de temps ?

-La soleil commence à se lever. Et votre père n'est pas d'une humeur très patiente. Vous devriez vous hâter.

-Bien. Je vous remercie.

-Mangez, surtout. La journée va être fatigante. »

Il s'éloigna et sortit dans un faible bruit de loquet.

Laïta resta un instant allongée, profitant du calme, laissant le silence l'emplir et l'apaiser comme une eau fraîche. Elle s'immergea dans cet instant de paix pour oublier. Et malgré elle, elle se laissa emporter par le doux courant du sommeil.

« Aïe ! »

Percevant cette voix, Laïta se dressa d'un bond, tournant la tête à droite et à gauche. Puis elle entendit des protestations étouffées en murmure. La jeune fille retenait son souffle sur son séant, à l'affût du moindre geste. C'est alors qu'apparut Lusulien : à sa gauche, il se redressait, une main derrière la tête.

« Oh ! Lusulien, c'est toit, soupira-t-elle. Tu m'as fait peur. »

Les yeux grands ouverts et le cœur battant, elle s'empressa de remettre de l'ordre dans ses cheveux et de rajuster sa chemise de nuit. Mais malgré tout, une de ses manches, rebelle, glissa de nouveau de son épaule. Lusulien regarda Laïta en souriant, ses yeux pétillèrent. Il s'assit sur le lit, baissa la seconde manche.

« C'est joli aussi, comme ça, tu sais. »

Laïta baissa les yeux et ses joues s'enflammèrent.

« Je trouve encore le moyen de te faire rougir… Désolé, mais c'est tellemEnt joli ! susurra-t-il. 3

Il caressa sa joue de son index, puis vint s'allonge sur elle, pour l'embrasser passionnément. Toute la nuit, l'envie l'avait tourmenté, d'une façon si cruelle et si tendre à la fois. Toute la nuit, le souvenir du soir ou ils avaient découvert le corps de l'autre l'avait hanté. La pensée de ses jambes si douces, de sa taille fine, des deux perles de sa poitrine, de ses lèvres brûlantes sur sa peau, l'avait dévoré à un tel point qu'il n'y avait plus tenu : il était venu dans sa chambre et l'avait regardée dormir. Il avait frissonné, frissonné à sa respiration profonde, frissonné à la vue de ses cheveux caressant son visage, frissonné de désir. Plus il la regardait et plus il avait l'impression de ne pas être digne d'elle. Elle était beaucoup trop belle.

« Qu'est-ce que tu faisais sous le lit ?

-En fait…J'étais venu te voir dormir. Et…

-Me voir dormir ? demanda l'elfe en riant.

-Et l, même si c'était terrible de penser à ça dans un tel moment, je me suis dit qu'il fallait peut-être dormir. »

En effet, la sensation qui avait mis tout son corps en ébullition s'était un peu calmée, et Lusulien s'était senti fatigué, trop pour retourner dans ses appartements.

« Mais tu n'avais pas peur de faire un cauchemar et de te réveiller en criant ou en sursautant ?

-Faire un cauchemar ? demanda-t-il entre deux baisers. Laïta, explique-moi comment j'aurais pu faire un cauchemar sachant que tu dormais juste au-dessus ? »

La jeune fille passa une main dans ses cheveux.

« Si tu m'avais réveillée, je t'aurais fait une place !

-Je savais que tu avais besoin de repos, qu'il fallait te laisser dormir.

-Tu es tout plein de poussière, maintenant.

-Tu peux me nettoyer, tu sais, ça ne me dérange pas. »

Elle lui ébouriffa les cheveux.

« Aïe ! Fais attention quand même, je dois avoir une belle bosse…

-Je peux peut-être y faire quelque chose. Mais je ne suis pas très habituée à agir sur des êtres vivants…

-Oh, mais je suis sûr que tu es très douée.

-Arrête, rit-elle, modeste.

-Oh que non ! »

Et il l'embrassa dans le cou.

Laïta passa plusieurs fois ses doigts sur la bosse, très délicatement. Lusulien se tint tranquille. En un instant la bosse disparut.

« Hum… oui… C'est efficace, et… ça fait du bien. Je devrais me cogner plus souvent. »

Laïta sourit.

« Lus, il faut que je mange, maintenant.

-Encore un peu !

-Je ne peux pas.

-Mais si ! Allez ! »

Il l'embrassa encore. L'elfe ne put s'empêcher de rire.

« Tu es un grand enfant. »

Elle lui rendit quelques baisers, longs et savoureux, puis ils se redressèrent. Laïta s'assit en tailleur et prit le plateau bien garni que lui avait apporté le seigneur Celiwern.

« Au fait, le type qui est venu…

-C'est l'homme auquel je suis fiancée.

-Je n'arrive pas à y croire.

-Quoi ?

-Qu'on puisse faire tant de mal à une personne en jouant comme ça avec son cœur et ses sentiments, en la mariant à n'importe qui, sans lui demander son avis. C'est e genre de chose qui brise une vie. Et pire : vous, les elfes, vous êtes immortels !

-C'est ainsi.

-Non !

-De toute façon, même si nous nous étions mariés, enfin… Cela aurait mal fini…

-Eh oui. Je vais…mourir un jour. »

A cette pensée, les yeux de Laïta s'emplirent de larmes. C'était terrible de songer qu'elle resterait des siècles, des millénaires, à tout jamais seule. Sans Lusulien.

« Il n'y a aucun moyen de me rendre immortel ?

-Je n'en connais aucun, répondit-elle, la voix tremblante. Oh, Lus… Et dire qu'en nous aimant, nous nous enfonçons dans quelque chose de tragique… Lorsque tes jours se termineront, je crois que je mettrai fin aux miens. Je ne veux pas souffrir éternellement. »

Il y eut un silence pesant de tragédie. Finalement, Laïta coupa deux morceaux de brioche et ouvrit un pot de confiture.

« Lusulien…

-Oui ?

-Tu dois t'occuper de Dol Amroth, dit-elle en le regardant fermement dans les yeux.

-Non.

-Lusulien, je t'en prie…

-Non, Laïta, je ne le ferai pas. Je vous suivrai. »

A chaque réplique, leur voix montait d'un ton, mais c'était plus par nervosité que pas colère.

« Ne fais pas ça.

-Qu'est-ce qui me retient ici ? »

La réponse se fit attendre.

« Ton devoir, dit-elle à mi-voix.

-Mon devoir ?

-C'était le souhait de ton père ! Que tu t'occupes de cette forteresse ! C'est ton sang qui le demande. Tu dois gouverner. Tu es un prince. »

Son ton s'était adouci sur ces derniers mots.

« Tu sais bien que j'en serai incapable. Et puis, qui est là pour assurer le peuple de mon ascendance ? Après ce qu'il vient de vivre avec Rhald, il ne prendra pas le risque de mettre un nouvel usurpateur sur le trône. »

Laïta demeura pensive un instant, tartinant les tranches de brioche.

« C'est vrai…Mais alors qui prendra ta place ? On ne peut pas partir en laissant le peuple sans guide.

-Il faut que ce soit Aragorn qui le nomme officiellement. Et il faut que la personne soit fiable.

-Est-il au courant du problème ?

-Peut-être… »

Lusulien poussa un profond soupir. Il prit la tartine que Laïta lui tendait.

« Je ne sais pas, en fait. Mais il doit bien se douter que je ne vais pas monter sur le trône ! »

Il mordit dans la brioche avec franchise.

« Je n'y connais rien, moi, à toutes ces choses. Comment on appelle ça, déjà ? demanda-t-il, la bouche pleine. Rhé… to… Rhétorique ? Voilà, la rhétorique!"

Laïta eut un petit rire à l'accent que la brioche lui donnait.

« On se moque pas ! rétorqua le jeune homme, lui aussi amusé. »

Mais ils partirent à rire pour de longues minutes. La moindre chose, un brin amusante, lorsque l'on est nerveux ou angoissé, devient vite un départ pour un fou rire mémorable. Lorsqu'ils reprirent leurs esprits, ils purent continuer de manger, le visage ayant viré au rouge, les larmes aux yeux.