C'était un beau jour pour un enterrement.
Le mur de brumes s'était dissipé en même temps que la vieille armurerie s'était écroulée, des nuages qui obscurcissaient le ciel il n'y avait plus trace et, le vent de mer s'était calmé, permettant à la ville de se réchauffer un peu.
Il n'y avait que peu de personnes devant le simple cercueil de bois blanc : l'officiant, qui faisait son travail de façon neutre, un homme de haute stature à la mâchoire volontaire tenant une fillette par la main, une vieille dame au visage marqué par la tristesse, un homme grand et sec aux yeux d'un bleu saisissant. Un peu plus loin, une jeune femme aux longs cheveux brun foncé mal retenus en queue de cheval hésitait à s'avancer quand la vieille dame l'aperçut et lui fit signe d'avancer.
La rejoignant, la nouvelle arrivante prit le bras de la vieille légiste en silence.
- Je suis contente que tu sois venue, Ais. Ça manque cruellement de public, pour son dernier voyage.
- … J'ai failli ne pas venir, tante Gloria. Je suis allée à plus d'enterrements ces dernières semaines que je ne souhaite en voir en tout une vie.
- Je sais bien, ma chérie. Mais... le pauvre garçon méritait mieux que... ça.
Sourire intensément triste.
- J'en ai parfaitement conscience. Et eux aussi.
Du menton, elle indique les deux hommes, qui parfois interrompent leur recueillement pour jeter des coups d'œil de droite et de gauche, comme espérant de nouveaux visiteurs pour le défunt. La plus jeune reprend la parole à mi-voix, amère :
- Personne ne viendra. Même s'il a été réhabilité après la fin des phénomènes, même si Nathan, Dwight, Laverne et toi vous avez claironné partout qu'il a sciemment donné sa vie pour nous sauver... Même mort... Il a mauvaise réputation. … C'est injuste, tante Gloria.
- Ma chérie... Il a tué des dizaines d'entre eux, des proches... alors...
- Alors rien. Tu trouves ça normal toi ? Les frères Teagues ont donné leur vie. Audrey Parker a disparu. Duke est mort, et Nathan... [Rapide regard à l'intéressé] Nathan fait de son mieux, pour changer. Mais tu as vu sa tête ? … Alors, moi, l'égoïsme de cette ville, vraiment... [Elle secoue la tête] … j'en ai soupé.
Gloria resserre la main sur le bras de sa nièce pour tempérer son ire. Pendant que le cercueil descend, elle demande :
- Et toi... tu es juste venue par.. justice ?
.. Non. Pas tout... pas tout à fait.
Le regard fixé sur le coffre de bois blanc qui disparaît lentement se trouble, et la jeune femme murmure :
- Son cœur était un trésor. Si tu savais, tante Gloria, comme il les aimait, tous les deux ! Et combien ils l'aimaient ! Si tu avais pu voir... [cette fois-ci, c'est tout le visage qui se plisse, les larmes roulent sur les joues pâles] … combien il t'aimait alors... alors tu saurais pourquoi...
- … Ma pauvre chérie...
La légiste prend Aisling dans ses bras, la serre contre elle, la berçant avec tendresse.
- Toi... Toi, tu l'as vu, c'est ça ?
- … Bien sûr.
- Et ?
- … Et j'ai vu son cœur se briser tant de fois... … Il mérite pas cet endroit désert et l'indifférence. C'est... c'est...
La vieille dame semble sur le point de poser une question, mais choisit le sage parti de se taire, continuant seulement de caresser le dos de sa nièce d'un mouvement circulaire et apaisant.
- Tout va bien ?
La voix masculine qui pose cette question inquiète sépare les deux femmes. Pendant qu'Aisling reprend plus ou moins figure humaine, Gloria répond à Nathan :
- Comme ça peut. Et toi ?
Un regard un peu flou... et un sourire courageux.
- On fait aller. La vie... continue. … Aisling, tu es sûre que ça va ?
- … Je suis désolée, Nathan. Je perds mes nerfs. C'est un tel... gâchis que...
La brune secoue la tête et fait demi-tour rapidement, marchant jusqu'à sa voiture en évitant de justesse de tomber, aveuglée par les larmes qui continuent de dévaler ses joues.
Elle laisse le soin à Gloria d'expliquer à Nathan et Dwight le pourquoi de sa sensibilité : après tout, même du temps des affections, c'est toujours ce que la légiste a fait. Et puis les deux hommes ont d'autres chats à fouetter.
Elle se laisse tomber dans sa voiture, pose son front sur le volant, lutte de longues minutes contre les larmes, et finit par se calmer.
Quand elle se relève pour mettre le contact, son regard est attiré, sur sa droite, par quelque chose qui n'a rien à faire là.
Quelqu'un, en fait.
Elle pousse un cri, et se décale brusquement, se tassant contre sa portière, sans toutefois avoir le réflexe de l'ouvrir. Les yeux exorbités, elle contemple l'homme qui lui adresse un sourire narquois.
- … Duke ?
