Gros plan sur les yeux de Bang Yongguk. On y lit de la colère, de la peur, un peu des deux.

On dé-zoom un peu, la totalité de son visage apparaît : cheveux noirs, naturels, courts, dégageant son front. Il s'agit de sa coiffure la plus récente, comme cette vidéo, très récente. Le jeune homme ne bouge pas. Il fixe la caméra qui le filme.

- On t'écoute.

Les pupilles de Yongguk se déplacent. Il regarde quelque-chose en haut, à sa droite, face à lui. Ce regard en coin est chargé de ressentiment. On devine aisément qu'il observe la personne qui a prononcé ces trois mots. C'était une voix d'homme, assez basse en tonalité, mais bien moins que celle du rappeur lorsqu'il commence à parler. Il récite en fixant la caméra. Il ne fait aucun doute qu'il lit les mots qu'il prononce, sur un ton monocorde.

- Je suis Bang Yongguk, leader du groupe BAP. Ce message s'adresse à T.S. Entertainment. Les six membres du groupe dont je fais partie ont été enlevés entre Séoul et Chuncheon vers midi le 28 aout 2016. Nous sommes maintenant dans un lieu connu de nos seuls ravisseurs. Il est 15h25 au moment où cette vidéo est tournée. Une réponse devra être donnée avant midi demain, par le biais des médias ou des réseaux sociaux de votre choix. Il ne vous sera pas donné d'adresse, pas de rendez-vous. La question à laquelle vous devrez répondre est la suivante : réfléchissez bien à notre valeur. Combien rapportons-nous par concerts ? Par album ? Par an ? Combien seriez-vous prêt à payer pour nous récupérer ? Et même individuellement ? Combien pour …

Yongguk fait une pause dans son discours. Sa voix a du mal à paraître détachée à présent, mais il poursuit.

- Combien pour ma vie ? Pour celle de Himchan ? Pour celle de Daehyun ?

L'orateur contraint se racle la gorge.

- Pour celle de Youngjae ? Pour celle de Jongup et pour celle de Zelo ? Combien tenez-vous à nous ? Annoncez votre prix. Votre offre sera étudiée.

La caméra s'éloigne encore, le décor est dévoilé dans son champ. Yongguk est assis à même le sol, dans une pièce neutre, sols et murs en inox, lumière artificielle, aucune décoration, aucun meuble. Ses bras maintenus dans son dos suggèrent qu'il est attaché. L'angle de vue se déplace pour dévoiler les autres otages assis prés de lui, un à un. Tous assis. Tous attachés.

Kim Himchan baisse la tête. On ne distingue qu'une touffe de cheveux sombres, pas de visage.

- Redresse la tête !

L'injonction fait frissonner le brun mais il reste prostré.

- Redresse la tête ! On doit voir ta jolie frimousse à la caméra. Qu'on t'identifie bien.

Himchan obéit, lentement. Il se redresse. Ses yeux sont bouffis et rougis. Il renifle. Il détourne les yeux, honteux de son émotivité et de sa faiblesse. Il semble lutter pour ne pas craquer devant la caméra, à la vue de tous.

Heureusement pour lui, l'objectif ne s'attarde pas et se tourne vers l'otage suivant. Jung Daehyun le fixe alors sans détour avec une expression similaire à celle de son leader quelques secondes plus tôt : une peur teintée de rage.

Puis vient le tour de Yoo Youngjae. Sa frange noire, droite dissimule la totalité de son front et presque ses yeux humides. Ses larmes coulent en direct. Elles empreintes, sur ses joues, le même trajet que les précédentes, qui y ont laissé un sillon luisant. Puisqu'il ne baisse pas la tête, son ravisseur ne fait aucune remarque et passe assez rapidement au suivant.

- Pour celui-ci on s'excuse, précise la voix. Il a tenté de nous fausser compagnie. On n'a pas apprécié.

La caméra doit descendre pour filmer le visage de Moon Jongup. Il est plus allongé qu'assis. Ses cheveux décolorés collent à son front trempé de sueur. Il est fiévreux. Ses yeux mi-clos ont l'air absent. Sa respiration est difficile, préoccupante. Son visage est extraordinairement pâle. La caméra ne dévoile rien de plus sur la nature de son mal.

Elle remonte nettement pour filmer le dernier membre du groupe BAP, Choi Junhong, alias Zelo. Sa tête ronde est encadrée d'une coupe en bol ébouriffée, couleur paille. Il fixe tantôt la caméra, tantôt ses voisins. Le garçon semble inquiet, apeuré et triste. Un tic nerveux le fait cligner frénétiquement des yeux.

La caméra s'éloigne pour un plan de groupe. Le silence de la scène est telle qu'il donne l'impression que le son a été coupé. Un silence total, lourd et morbide. Pourtant les appels à l'aide sont bien là. Six paires d'yeux en détresse fixent le spectateur et cela vaut bien tous les vacarmes.

L'image s'interrompt.